Le Café pédagogique vient de publier une tribune d’Aurélie Badard titrée « Grand débat ou changement de cap ?? »[1], une enseignante que je croise souvent sur les réseaux sociaux. Je suis donc très surpris par le contenu de cette tribune.
Même si je suis d’accord globalement avec les constats qui ouvrent cette tribune stimulante, mon désaccord avec Aurélie Badard porte sur les descriptions des constats et des propositions qu’elle propose. Elle appelle à la fin des débats, c’est pourquoi j’irai à l’essentiel.
« Échec de la massification et échec de l’orientation choisie »
Échec de l’orientation choisie ? Très curieux d’utiliser cette formule « orientation choisie », lorsqu’ensuite l’auteure demande « arrêtons d’envoyer massivement au lycée d’enseignement général des élèves » ou évoque les « orientations au forceps vers le lycée d’enseignement général ». Outre que la question ne porte que sur l’orientation vers l’enseignement général, les expressions utilisées pour la décrire relèvent plus de l’imposition que du choix, me semble-t-il.
Que les élèves et leurs parents espèrent en une promotion sociale par l’enseignement général n’est peut-être pas surprenant dans le contexte français de la représentation des emplois. Et le principe de fait de l’orientation des mauvais élèves scolairement vers la formation professionnelle ne doit pas arranger les choses. Rares sont ceux qui désirent être associé à un jugement négatif et dévalorisant.
« Échec de l’innovation pédagogique, de la pédagogie de projet au profit du rendement »
Effectivement il y a « une » difficulté à innover dans notre système. La contrainte des programmes, particulièrement détaillés en France, ainsi que celle de la préparation aux examens (je devrais dire à l’examen, le seul restant quasiment…. Regarder du côté professionnel), encadre sans doute beaucoup trop fortement le travail de l’enseignant.
Mais est-ce la seule contrainte empêchant ou entravant l’innovation ? Nous avons tout de même une conception surtout individuelle et non collective de l’enseignement. La définition du travail enseignant par les heures de cours, renvoi toute implication dans une élaboration collective des actions d’enseignement, du côté de la volonté purement individuelle. Enseigner doit devenir une action collective et surtout collectivement organisée. Et ça, ce serait une réelle « innovation ».
« Échec de la formation initiale et continue des enseignants »
Bien d’accord avec l’importance de la formation initiale et continue des enseignants (et j’ai participé aux durant de longues années), mais surpris par l’insistance sur la question du niveau de recrutement (Licence, Master 2) et le profond silence sur la formation après le concours. J’ai tellement entendu que l’enseignement ne peut s’apprendre réellement que sur le tas, et toutes les critiques portées sur les IUFM (c’était mon époque), mais je pense que cela porte aujourd’hui sur les ESPE ! Donc importance de la formation initiale, oui, mais surtout la formation disciplinaire si je comprends bien ?
Et la conception individuelle de l’enseignement se reporte également sur la conception de la formation continue évoquée. L’appel au développement des conseillers pédagogiques et aux « outils » « permettant de répondre à nos besoins de formation ». Pour ma part je suis beaucoup plus favorable aux formations-interventions-accompagnements sur site permettant à un collectif réel de s’organiser, de mettre en commun, d’innover, etc.
« Et surtout baisse significative du niveau des élèves »
Concernant le niveau des élèves, j’utiliserais une boutade. Le niveau baisse, mais la mer monte. Même si les enquêtes sont évoquées (DEPP, PISA), c’est semble-t-il le problème de la notation qui est évoquées avec toujours le fantasme de la vraie valeur mesurable par la notation. La question qu’il faudrait se poser serait pourquoi cet accrochage du système français à la notation ? Nous avons une boucle dont il faudrait sortir : méritocratie – sélection – notation – pédagogie. Et l’effet fondamental de cette boucle est la conception compétitive individuelle de l’enseignement. L’exemple du tennis n’est pas anodin, celui d’un sport individuel, compétitif et spectaculaire.
Et pour finir, la dernière image concernant le changement espéré me semble également significative : suffit-il de changer de capitaine ? Ne faut-il pas surtout changer de bateau, et de cap… comme le suggère le titre de cette tribune ?
Terminons sur un point d’accord : l’urgence de ces changements !
Bernard Desclaux
[1] http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2022/06/16062022Article637909586086596639.aspx
J’aimerai savoir ce que les réputés experts d’aujourd’hui savent des réflexions d’Henri Wallon sur le développement de l’enfant, de la qualité et du rôle des relations par lesquelles il peut se développer et devenir adulte. Por les experts d’aujourd’hui, l’éducation peut-elle être autre chose qu’un formatage?