Publication de rentrée : Philippe Meirieu

Je vous propose une nouvelle série de réactions à propos de quelques publications de rentrée. Ce sera l’occasion par petites touches de dresser un état de la réflexion en cette rentrée scolaire 2020. Je commencerais par le livre d’entretien entre Abdennour Bidar et Philippe Meirieu qui vient d’être publié : Grandir en humanité. Libres propos sur l’école et l’éducation[1]. Je m’appuie sur l’entretien publié sur Alternatives économiques a interrogé l’un des deux débateurs, Philippe Meirieu[2].

Critique des réformes Blanquer

En résumé, le lycée est devenu un self-service « qui fait de l’élève un consommateur cherchant à profiter au mieux du système plutôt qu’à l’investir en lui donnant du sens ». Ce n’est pas l’autonomie qui s’y développe, mais la débrouillardise. Quant au bac, la réductions des épreuves finales au profit d’un contrôle continu fait que le lycéen est soumis à un examen permanent. Et son avis sur Parcoursup est également peu flatteur.

« En réalité, Parcoursup a été conçu pour constituer un gigantesque réservoir de candidats où les établissements d’enseignement supérieur vont chercher celles et ceux qui leur conviennent. C’est ce principe même qu’il faut mettre en débat. Non pour 3que « tout le monde puisse aller n’importe où, au risque de l’échec assuré » (comme on voudrait parfois nous le faire croire) mais pour que le lycéen soit vraiment impliqué dans son orientation. Et que cette dernière soit véritablement l’objet d’une « rencontre » entre lui et un établissement et non une décision de l’établissement qui « pêche » à son gré dans un vivier. »

Mais attardons-nous sur la question de l’enseignement professionnel posée à Philippe Meirieu.

Comment pourrait-on revaloriser l’enseignement professionnel ?

Dans la première piste proposée par Meirieu, il s’agit de combattre l’opposition absurde entre « manuels » et « intellectuels ». A priori pertinente en effet, mais difficile. Cette catégorisation culturelle est largement partagée dans la société y compris chez les enseignants. Qui peut combattre une représentation culturelle si ce n’est justement les enseignants eux-mêmes ? Mais alors comment leurs permettre de modifier leur propre représentation ?

La deuxième piste est également longue à mettre en place, mais elle a le mérite d’être « pratique ». « Il faut ensuite que, dès l’école primaire et jusqu’à la fin du lycée, tous les élèves bénéficient d’un enseignement « pratique », de la menuiserie à la mécanique, de la cuisine à la couture, en lien avec les activités quotidiennes (à l’école primaire), l’artisanat (au collège) et les entreprises (au lycée). C’est indispensable pour que les choix vers les filières professionnelles ne se fassent plus sur la base de l’échec dans les disciplines générales. » Cela suppose de modifier les curricula de notre enseignement, et comme dit l’autre, « Il y en a qui ont essayé »[3]. D’autant plus qu’il ne faut pas oublier le principe évolutif qu’Antoine Prost avait repéré il y a bien longtemps[4] : tout enseignement pratique se transforme en enseignement technique puis finalement en théorique.

 

Il y a enfin la piste physique. « Il faut, enfin, déghettoïser l’enseignement professionnel : en l’intégrant dans un lycée pour tous, en y revalorisant les disciplines générales, en y enseignant la philosophie : il est proprement scandaleux que les élèves de lycée professionnel en soient privés. Et il n’est pas étonnant qu’ils se vivent ainsi comme « marginalisés ». On le serait à moins ! » Donc on touche encore au curricula, mais dans un lycée pour tous. Le « lycée pour tous » existe déjà au moins sur le rapprochement dans un même espace. Mais une autre organisation existe et se développe particulièrement, « le lycée des métiers » qui rassemble les voies professionnelles et techniques sous toutes les formes. Or, les acteurs qui s’y impliquent semblent bien y tenir et s’opposeraient sans doute à un « lycée pour tous ».

Ces pistes sont donc sans doute peu réalisables. Examinons la conclusion de cet entretien suite à la question finale.

Plus globalement, que préconisez-vous pour l’école ?

« Je crois que nous avons besoin, au-delà des réformes de « tuyauterie », de réfléchir sérieusement sur les finalités de notre institution. Que voulons-nous collectivement pour elle ? Quelle formation voulons-nous pour nos enfants ? A quoi voulons-nous vraiment les éduquer et les préparer ? Cette réflexion doit nourrir en permanence nos projets de réforme… Et c’est ce qui me semble le plus manquer aujourd’hui. »

L’accord sur les finalités est bien sûr nécessaire, mais comment l’organiser collectivement ? Ce débat démocratique semble bloqué depuis bien longtemps de l’avis de Claude Lelièvre[5]. Il reste toujours entre les mains du Ministère, et les débats parlementaires ont tous échoués à se traduire dans la réalité (les plus récents historiquement, la loi Haby, le socle commun).

Poursuivons les réflexions sur les finalités sans toucher aux fonctionnement profond de notre système : méritocratie et procédures d’orientation.

Bernard Desclaux

 

[1] Abdennour Bidar, Philippe Meirieu. Grandir en humanité. Libres propos sur l’école et l’éducation. 2022, Autrement.

[2] Philippe Meirieu. « On a assisté à une prolétarisation du métier d’enseignant »  extension://elhekieabhbkpmcefcoobjddigjcaadp/http://www.meirieu.com/LIVRES/Alternatives-economiques-sept-2022.pdf

[3] Chevalier et Laspales. Le train pour Pau. https://www.youtube.com/watch?v=G7NB_RwtPx4

[4] Antoine Prost. L’Enseignement en France (1800-1967). A. Colin, coll. « U », 1968.

[5] Claude Lelièvre, L’École obligatoire : pour quoi faire ? une question trop souvent éludée. Retz, 2004.

This entry was posted on mercredi, septembre 7th, 2022 at 15:59 and is filed under Système scolaire. You can follow any responses to this entry through the RSS 2.0 feed. You can leave a response, or trackback from your own site.

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