Un temps scolaire pour l’orientation, enfin ?

Le Ministère vient de lancer une expérimentation durant l’année scolaire 2022-2023 dans 640 collèges répartis dans les 30 académies volontaires de son projet expérimenter la mise en œuvre d’un temps de découverte des métiers, un temps régulier, dédié et intégré dans l’emploi du temps scolaire des élèves de cinquième.  

Une vieille histoire

Depuis l’intégration des conseillers d’orientation dans le secondaire en 1959, la question de leur activité dans les classes fut laissée au local. Leurs interventions en classe étaient négociées auprès du chef d’établissement et des professeurs principaux, et c’est encore le cas pour les PsyEn d’aujourd’hui. Le ministère a ainsi organisé un service, le CIO, sans jamais avoir déterminé son intervention dans le fonctionnement des établissements[1].

Lors de la création de l’EPLE, l’organisation de l’information pour l’orientation des élèves a relevé du projet d’établissement. Et à la même période, le ministère Savary a commencé à formuler le thème de l’éducation à l’orientation. L’objectif de l’éducation aux choix fut attribué au collège, et un nouveau programme des collèges (1985) fut également élaboré avec en annexe l’orientation. On y proposait une intégration de cette thématique dans les différentes disciplines scolaire.

Et puis, la loi de 1989 a institué un Conseil national des programmes. Pierre Clément a publié un article[2] à l’intitulé explicite : Le Conseil national des programmes (1985-1994) : l’institutionnalisation chaotique d’une entreprise réformatrice qu’il présente ainsi « … cet article analyse les luttes de territoire bureaucratique entre les trois institutions — le CNP, l’Inspection générale et la direction des lycées et collèges — alors en conflit pour le monopole du pouvoir pédagogique. Il montre comment la codification progressive d’un nouveau modus vivendi institutionnel permet l’amorce d’une réforme en profondeur des programmes du second degré, dont le socle commun de connaissances et de compétences constitue l’aboutissement. » Donc ce CNP préconise en 1991 un temps scolaire pour l’information et l’orientation (TSO ou TSIO). Mais aucun texte précis d’application ne s’en suit.

Vient ensuite l’expérimentation de l’éducation à l’orientation en 1996 qui propose également une intégration de ces activités dans celles des enseignants. Puis ce sera la série des parcours jusqu’à aujourd’hui avec le Parcours Avenir, qui définissent des objectifs éducatifs en matière d’orientation aux établissements en les incitant à coordonner leurs diverses activités qu’elles soient propres à l’établissement ou non (participation à des Salons par exemple), mais sans jamais imposer celles-ci.

La présente expérimentation

Avec la présente expérimentation, le Ministère poursuit sa politique d’évitement d’une décision et continue de renvoyer au local l’organisation matérielle. Qui va prendre en charge ces activités ? Le professeur principal, certaines disciplines, l’ensemble de l’équipe pédagogique. Comment articuler et coordonner les activités scolaires, et les interventions d’autres acteurs, et la participation à des événements externes ? Faut-il ou non un coordinateur, et qui sera-t-il ?

Les académies reçoivent de la part du Ministère un support pour animer des réunions de lancement de cette expérimentation. L’enjeu de cette expérimentation se décompose en trois objectifs :

  • Améliorer l’information des élèves quant à la diversité des métiers et des formations en matière de secteurs d’activités aussi bien culturels, sportifs qu’industriels, agricoles ou de services, de niveaux de qualification et de fonctions.
  • Permettre également de conforter le sens des apprentissages et de mieux accompagner les élèves dans leur orientation.
  • Tester des organisations pour mettre en place des temps dédiés réguliers, développer des partenariats avec les acteurs du monde professionnel et déployer des actions au sein et en dehors du collège.

Les deux premiers sont clairement pédagogiques, quels sens donner à ces activités. Mais le troisième est d’un tout autre ordre, il concerne l’utilité de l’expérimentation elle-même. Il s’agit de repérer les modes d’organisation pertinents. Est-ce que cela augurerait que le Ministère serait près à réglementer enfin ce temps scolaire, 40 ans après les premières incitations ?

Une nouvelle stratégie ?

D’autres questions peuvent également surgir à la lecture de ce document.

Son mérite, tout d’abord, est de proposer des supports d’activité. Si l’organisation relève de l’établissement, le contenu des activités par contre a été travaillé et proposé par l’ONISEP. Or, il faut rappeler que l’ONISEP a failli être supprimé lors du débat autour de la loi de 2018[3]. Amputé de ses antennes régionales, L’ONISEP s’est totalement recentré[4] sur la production de supports pour des activités pédagogiques, et sa politique consiste à proposer des outils tant pédagogiques qu’organisationnels au Parcours Avenir du Ministère. Un gros travail d’élaboration est déjà réalisé concernant les compétences à s’orienter au lycée[5], et un autre est en cours d’élaboration pour celles du collège.

On peut tout de même s’interroger sur la position du ministère quelque peu ambiguë. La loi de 2018 a attribué à la région la compétence concernant l’information sur l’orientation professionnelle. Or dans le dispositif de cette expérimentation, il n’est nulle part fait référence à l’intervention de la région. Il est vrai que la découverte des métiers n’est pas qu’informative, elle s’inscrit dans une démarche éducative à l’orientation plus large. Ajoutons que le collège n’est pas de la responsabilité de la région. Mais on sent tout de même dans cette opération pour le Ministère d’une forme de reprise du jeu dans ce domaine.

Pour terminer un simple constat : le CIO comme les PsyEn ne sont pas désignés clairement. Font-ils partie des « divers acteurs sollicités » pour cette mise en œuvre ? Sont-ils au courant ? Sont-ils mobilisés ? Mais aussi, sont-ils prêts à s’impliquer dans cette démarche ?

 

Bernard Desclaux

[1] Desclaux Bernard, Le centre d’information et d’orientation (CIO) : une structure à la marge de l’Éducation nationale. Préface de Frédérique Weixler — Postface d’Aziz Jellab. Collection : Orientation à tout âge, 2022, L’Harmattan.

[2] Clément Pierre Le Conseil national des programmes (1985-1994) : l’institutionnalisation chaotique d’une entreprise réformatrice Politix 2012/2 (n° 98), http://www.cairn.info/revue-politix-2012-2-page-85.htm 

[3] LOI n° 2018-771 du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000037367660/ le texte et https://www.legifrance.gouv.fr/dossierlegislatif/JORFDOLE000036847202/ pour le dossier législatif.

[4] Desclaux, Bernard, Une nouvelle orientation de l’État et de l’ONISEP, https://blog.educpros.fr/bernard-desclaux/2022/02/09/une-nouvelle-orientation-de-letat-et-de-lonisep/

[5] Desclaux, Bernard, Un référentiel pour l’orientation, https://blog.educpros.fr/bernard-desclaux/2022/07/17/un-referentiel-pour-lorientation/

 

This entry was posted on dimanche, décembre 18th, 2022 at 18:37 and is filed under Orientation. You can follow any responses to this entry through the RSS 2.0 feed. You can leave a response, or trackback from your own site.

11 Responses to “Un temps scolaire pour l’orientation, enfin ?”

  1. CécileCEPJ Says:

    Bonsoir, avez-vous un lien à indiquer pour connaître les départements expérimentateurs ?

  2. Bernard Desclaux Says:

    Difficile, toutes les académies sont concernées, et pas seulement en métropole. Des établissements privés sont également impliqués, ainsi que des établissements de l’éducation prioritaire.

  3. Jean Le Duff Says:

    J’ai commencé en 1964, à titre expérimental à pratiquer dans les classes de 3ème d’un petit collège en Ille et Vilaine par demi classe ce que l’on nommait « réunion-discussion ». Au cours du second trimestre de l’année scolaire on abordait successivement les 3 thèmes suivants:
    1° Quels sont les problème des adultes dans la société d’aujourd’hui?
    2° Quels sont les problèmes des jeunes dans la société d’aujourd’hui?
    3° Comment passer de l’état de « jeune » à l’état « d’adulte ».
    Chaque réunion durait 2 h. soit pour une classe une contribution du CoPsy de 12h

    Chaque réunion donnait lieu à une inscription sur un tableau des productions partagées en indiquant les relations éventuelles entre les différentes propositions. Ces échanges collectifs étaient suivi par des entretiens personnalisés. Les professeurs de ces classes, notamment les professeurs principaux étaient très contents de ce travail préparatoire aux décisions d’orientation. Par la suite dans les années 1980 j’ai rajouté un autre thème: « Comment lire un bulletin de notes » et j’incitais les élèves de 3ème à identifier un adulte dans leur proximité avec lequel ils entretenaient des relations très positives pour échanger avec lui sur ce qu’avait été son propre parcours, les difficultés rencontrées, les opportunités utilisées,… L’objectif était d’amener le jeune à envisager une diversité de cheminement possible, savoir utiliser les cheminements de détour,.. Au bout du compte se considérer comme le décideur de son cheminement en fonction des obstacles à franchir. Devenir le maître d’un projet, le sien. En même temps je restais disponible pour répondre à des demandes personnelles des élèves qui le souhaitaient.
    En présentant les problématiques exposées ci dessus je ne veux surtout pas me poser en donneurs de leçons. Je tiens seulement à souligner que le travail d’un Psy EN en orientation ne saurai se réduire à être un « informateur », mais, que sa fonction est essentiellement éducative. Si on considère que dans une année le Psy/En en orientation dispose d’environ 25 semaines actives en établissement de 1er cycle et qu’il doit disposer par classe de 30h au total sans compter le travail de préparation et d’analyse, si de plus il consacre 1/5 de son temps au CIO on peut penser qu’un conseiller aura du mal à prendre en charge plus de 2 établissements de premier cycle. Est-ce que l’État est prêt à l’admettre.

  4. Bernard Desclaux Says:

    Merci beaucoup pour ce témoignage. Les PsyEn de l’époque étaient des conseillers d’orientation scolaire et professionnelle. Aujourd’hui, ces heures de découverte des métiers ne concernent pas les PsyEn, mais les enseignants.

  5. Jeanmarie Quairel Says:

    Dans les années 80 et 90 j’ai beaucoup utilisé l’approche de L’ADVP ( EDC en France ) qui comportait dés la 5° une découverte des métiers en lien avec leur utilité sociale . Ces ateliers intéressaient les élèves . Ils étaient  » éducatifs » au véritable sens du terme …Toutefois, leurs effets étaient très limités sur les choix d’orientation dans la mesure où il a été assez vite évident que les décisions d’orientation tombaient sans en tenir aucun compte . Prétendre éduquer à l’orientation dans un système contraint est une illusion, voire un leurre…L’expérimentation prévue n’y changera rien. Les élèves et leurs parents continueront, très largement, à se situer par rapport à l’accès à la classe de seconde générale et aux procédures d’orientation qui le limite, entrainant, de fait, une disqualification de la voie professionnelle.

  6. Richard Etienne Says:

    Une bonne idée mais la connaissance des métiers suffit-elle à elle seule ? En reprenant toutes les précautions mises par Jean-Pierre Boutinet, il me semble encore et toujours que c’est l’accompagnement à l’émergence du projet personnel de l’élève qui est primordial. Et pour ça, il faut une stratégie nationale avec un retour au projet d’établissement pour la mise en œuvre locale au plus près des élèves, des familles et des classes. L’éducation à l’orientation, aussitôt enterrée que portée sur les fonds baptismaux, était l’occasion de ce type de travail réellement éducatif. Un exemple d’accompagnement dans un collège REP+ à Montpellier avec des classes coopératives : le stage de troisième donnait lieu à un rapport stéréotypé sans aucun lien avec la scolarité. Nous l’avons refondu avec l’équipe pédagogique en y incluant systématiquement un retour sur le rapport au savoir et à la scolarité. La comparaison entre les anciens rapports et les nouveaux était parlante en termes d’implication et de retour d’analyse sur travailler et apprendre.

  7. olivier Brunel Says:

    Merci pour cette information.
    Toujours le renvoi au local car le Ministère ne veut pas entrer en conflit avec les syndicats enseignants sur leur rôle dans cette affaire.
    Les Régions n’ont pas les moyens humains d’agir dans tous les établissements en matière d’information et les PSYEN ont été détournés d’un rôle pédagogique en matière d’orientation.
    Il n’y a donc pas grand monde pour faire un travail sérieux dans ce domaine, ce qui profite aux happy few qui ont de toute façon papa et maman derrière. C’est un vrai problème de justice sociale que ce sujet et on passe le bébé au terrain, comme d’habitude. Dix fois vu et revu, dommage ! Un ex-DRAIO

  8. Bernard Desclaux Says:

    Je ne pense pas que la majorité des PsyEN actuels soit prête à s’engager dans cette activité. Et sans doute il doit en être de même pour les enseignants.

  9. Christian COSSEC Says:

    Bonjour Bernard,
    je rends hommage à ton optimisme. Ce programme est ambitieux car il a vocation a s’étendre de la 5e à la 3e. Il s’agit de 3h par semaine. En gros, 10% du temps d’enseignement. Ce qui n’a pas été dit encore, c’est sur quels temps seront prises ces heures. la techno, l’EPS, la musique ou les arts plastiques?
    Le discours du président de la république annonce 1 demi-journée par semaine (« Et nous créerons aussi, à partir de la cinquième, une demi-journée avenir hebdomadaire qui éveillera des vocations, favorisera une meilleure orientation  » shorturl.at/BFO14)
    Comme il semble qu’elle ne soit pas incarnée. Je veux dire que personne n’est en charge de cet accompagnement à la découverte des métiers. Il s’agit comme par le passé d’un objet partagé. A-t-on prévu des décharges horaires pour cela? Ou bien faudra-t-il des « volontaires » en hse ou imp? Je ne pense pas que des réponses aient été données encore.
    Tout le monde à l’orientation à la bouche mais le problème est pris à l’envers. Concevrait-on un programme de mathématiques sans dire qui enseigne? un programme d’EPS sans dire que personne en a la charge?
    On risque de se retrouver avec des lobbyistes, labellisés par les régions, trop heureux de pouvoir venir faire leur marché.
    Je salue donc ton optimisme que, tu l’as compris, je ne partage pas.
    Que d’occasions manquées!

  10. Bernard Desclaux Says:

    Bonjour Christian,
    J’ai donc du mal m’exprimer, car le « enfin » du titre n’est pas euphorique !
    Le ministère tourne autour du pot. Une réelle organisation de l’éducation à l’orientation, mais il en est de même sans doute pour nombre d’autres « éducations à » (Les 4 Parcours que le ministère à définis) nécessite une modification profonde de la forme scolaire et notamment la définition statutaire des activités des enseignants (là encore on y va avec des primes !).
    Si on veut faire disparaitre quelque chose dans l’EN, on dit que c’est transversal. Personne ne s’en occupera !

  11. Jacques Vauloup Says:

    Jean Perlemoine, directeur émérite du CIO de La Flèche, avait coutume de dire : « Je suis le seul à devoir présenter mes excuses pour le dérangement lorsque, souhaitant travailler avec un groupe-classe, je demande de pouvoir réserver des plages horaires à l’emploi du temps ».
    Et il ajoutait : « Finalement, on ne me refuse jamais de le faire ».
    En tant qu’ancien instituteur pétri de Freinet et de Oury, conseiller d’orientation (1978-1987) puis comme inspecteur au long cours (1987-2017), j’ai toujours et partout constaté que celles et ceux qui avaient une intention, un projet, une volonté d’entrer dans les questions d’orientation à l’école par la psychosociopédagogie − sans scotomiser du tout la clinique de l’orientation − ont pu le faire, et ce, quelles qu’aient pu être ou ne pas être les « recommandations » ou instructions officielles.
    Toujours, il y a des marges d’interprétation et de redéfinition locales, tant que nous restons en démocratie…
    Mais il y faut une intention, un projet, une volonté. Et du travail collectif en CIO. Mais aussi entre CIO et EPLE. Entre CIO, EPLE et partenaires socio-économiques.
    Il y faut aussi, ce qui a beaucoup manqué et qui semble avoir disparu aujourd’hui, l’engagement, la volonté, le savoir-faire et le travail sur le terrain des corps d’inspection.
    Quelles sont leurs productions aujourd’hui ?
    Combien d’entre eux passent-ils une partie significative de leur temps sur la formation (formation initiale et continue des néo-psy, des profs, des chefs d’EPLE ; conception et publication de guides et manuels ; journées d’études ; colloques) ?
    Et je sais d’expérience que s’investir contre vents et marées dans ce domaine est contre-productif en matière de « carrière » personnelle…
    Il y a quelques années, le SNPDEN revendiquait la notion de « Chef d’établissement pédagogue » : où sont les inspecteurs et DRAIO pédagogues ?

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