Supprimer les procédures d’orientation au collège

Jean-Marie Quairel et moi-même nous avons proposé une tribune qui fut publiée dans « Le Monde de l’Éducation » et sur « lemonde.fr » le 24 janvier 2023, réservée aux abonnés. En 6000 signes il est difficile de développer des arguments aussi complexes. Mais dans le contexte des réformes envisagées par le ministère du collège et du lycée professionnel, il est surprenant que les procédures d’orientation ne soient pas discutées, ni l’architecture générale de notre système.

Nous reprenons donc cette tribune sur ce blog afin de poursuivre cette discussion. Les commentaires déposés sur Le Monde sont jusqu’à présent très hostiles et très  violents. Sommes-nous totalement « hors sujet » , ou aurions-nous mis le doigt sur une question ultrasensible ?

« Supprimer les procédures d’orientation au collège pour faire respirer le système éducatif »

TRIBUNE https://www.lemonde.fr/societe/article/2023/01/24/supprimer-les-procedures-d-orientation-au-college-pour-faire-respirer-le-systeme-educatif_6159034_3224.html   

Bernard Desclaux

Directeur honoraire de centre d’information et d’orientation

Jean-Marie Quairel

Directeur honoraire de centre d’information et d’orientation

Les directeurs honoraires de centre d’information et d’orientation Bernard Desclaux et Jean-Marie Quairel jugent, dans une tribune au « Monde », que les procédures d’orientation au collège, et le tri social auquel elles conduisent au lycée, nuisent à la performance de l’école dans son ensemble.

 

En France, des décisions d’orientation privent bon nombre de jeunes et de familles d’un pouvoir sur leur devenir et contribuent à l’ambiance de défiance et de ressentiment qui mine notre société. Au collège, les procédures d’orientation gèrent le passage ou le redoublement en classe supérieure. En 3e, elles gèrent le redoublement, mais surtout la répartition entre les deux voies de formation : le lycée général et technologique d’un côté, et le lycée professionnel de l’autre.

Ces procédures d’orientation ont également un effet sur la forme pédagogique. Celle-ci vise à produire les différences que ces procédures réclament et ne permet pas d’atteindre réellement l’objectif de l’acquisition par tous du socle commun. Enfin, elles ont un effet de « feed-back » sur l’organisation interne du collège. Afin d’être acceptable en fin de parcours, la différenciation s’organise très tôt et contourne l’homogénéité du collège unique.

Lire aussi : Article réservé à nos abonnés Au lycée, de nouvelles données révèlent l’ampleur du « tri social » entre les voies générale et professionnelle https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2023/01/11/au-lycee-les-indices-de-position-sociale-revelent-l-ampleur-du-tri-social-entre-les-voies-generale-et-professionnelle_6157366_4355770.html

Pour ces trois raisons, nous pensons qu’il est nécessaire de supprimer les procédures d’orientation au sein du collège, afin de mettre en œuvre une réelle « égalité des droits » entre citoyens et citoyennes. En plaçant un interdit pour la voie générale [en cas de niveau trop faible], on provoque, de fait, une disqualification des autres voies dans l’esprit des personnes concernées, qui restent sourdes à toute information ou conseil et rendent vaine toute tentative de revalorisation de la voie professionnelle.

Le travail de tri opéré en 3e est préparé bien en amont, par une distillation fractionnée, organisée officiellement par le jeu des classes spécialisées, qui ont fleuri depuis la création du collège unique.

Avec ces procédures d’orientation, les enseignants français sont soumis à une double contrainte : faire réussir tout le monde et garantir un socle commun de connaissances, tout en produisant des jugements discriminants justifiant le tri des élèves.

Pédagogie de la réussite et de l’émancipation

Ces pratiques sont présentées comme permettant d’assurer l’équité et l’égalité des chances, or les résultats du PISA [Programme international pour le suivi des acquis des élèves], depuis la toute première enquête, montrent que non seulement notre système est peu efficace, mais surtout peu équitable, la sélection scolaire renforçant les inégalités sociales. De fait, les systèmes scolaires qui, aux yeux du PISA, réunissent la plus grande efficacité et la plus grande équité sociale, à l’instar de la Finlande, du Canada, de l’Italie ou de l’Espagne, n’utilisent ni notation, ni redoublement, ni procédures d’orientation.

Lire aussi Article réservé à nos abonnés Enquête PISA 2018 : l’école française toujours aussi inégalitaire https://www.lemonde.fr/societe/article/2019/12/03/pisa-2018-les-eleves-francais-legerement-au-dessus-de-la-moyenne-de-l-ocde-dans-un-systeme-toujours-tres-inegalitaire_6021440_3224.html

Les expériences dans quatre pays différents – dans le Land de Bavière en Allemagne, en Turquie, en Pologne et en Roumanie – montrent que retarder la sélection d’une année (de la 3e à la fin de la 2de) induit une hausse importante de la performance, équivalente à ce que l’on peut apprendre en plusieurs années.

Ainsi, notre système conduit, d’un côté, à un important déficit de travailleurs réellement qualifiés et, de l’autre, à la production d’une élite dotée d’une telle estime de soi que ses membres considèrent qu’ils possèdent indiscutablement toutes les compétences pour exercer seuls les pouvoirs qui sont les leurs. Vaincus et vainqueurs risquent bien de ne pouvoir faire société encore bien longtemps, lorsque les difficultés de la vie se seront accentuées avec les politiques de sobriété et de transition écologique.

Quelles seraient les conséquences de la suppression de ces procédures d’orientation ? Tout d’abord, leur arrêt permettrait de limiter les redoublements et de maintenir les enfants dans leur groupe d’âge. Il donnerait la possibilité aux enseignants de se concentrer sur une pédagogie de la réussite et de l’émancipation.

Dans un second temps, la mise en œuvre d’une école moyenne, regroupant école primaire et collège, serait à reprendre, après son arrêt par le ministère Blanquer. Celle d’une école réellement inclusive pourrait être envisagée, ainsi que l’objectif de l’acquisition, par toutes et tous, d’un socle commun.

Ressentiment

Par ailleurs, notre expérience nous a montré qu’une éducation pour apprendre à s’orienter (trouver une direction, une fonction sociale désirée) n’a de sens que si, et seulement si, les personnes concernées se sentent libres, et si cette liberté est reconnue institutionnellement en n’interdisant, a priori, aucune voie de formation ou d’études – en reconnaissant le droit à l’expérience et à l’erreur.

Des effets se feraient aussi sentir sur le fonctionnement du lycée. Une modification de l’organisation du post-3e ne pourra pas être effective immédiatement. Il est possible, mais pas certain, que nous observions une désaffection des élèves et des familles pour la voie professionnelle. Toutefois, les élèves réellement motivés pourraient toujours choisir cette voie, ce qui créerait les conditions d’un enseignement plus apaisé et de meilleure qualité.

Après trois ou quatre années, nous sommes convaincus qu’une régulation et un rééquilibrage dans les choix de formation s’opéreraient en réduisant au maximum le sentiment de disqualification. Des examens d’entrée dans les filières sélectives ayant un nombre de places limitées seraient à organiser, ainsi qu’un aménagement de l’accueil des élèves à chaque changement de cycle.

Lire aussi la tribune (2021) : Article réservé à nos abonnés Education : « Les lycéens de la voie professionnelle ne sont pas des élèves de seconde zone » https://www.lemonde.fr/idees/article/2021/07/07/education-les-lyceens-de-la-voie-professionnelle-ne-sont-pas-des-eleves-de-seconde-zone_6087358_3232.html

Et pourquoi pas un lycée unique ? A plus long terme, les pouvoirs publics pourraient modifier cette organisation et mettre en place un lycée unique, rassemblant les trois voies, avec une 2de commune, dont une des fonctions serait de faciliter les choix de formation. La matérialisation de ce lieu unique prendra du temps, et les efforts de plusieurs acteurs (Etat, régions et entreprises) seraient nécessaires. En attendant, des conventions entre établissements dans un même bassin de formation seraient à développer.

Le ressentiment autour de l’orientation ne fait que croître, chez beaucoup de parents et d’élèves comme chez beaucoup d’enseignants, alors que depuis de très nombreuses années le ministère publie des textes incitant à développer les occasions de rencontres entre les parents et les personnels enseignants, recherchant l’apaisement des conflits possibles. De fait, nos procédures d’orientation actuelles définissent ces relations sur un mode conflictuel et non pas coopératif.

La suppression de ces procédures permettrait de rompre le lien entre la fonction enseignante et éducative et les décisions liées à un choix de formation ou d’études. En fait, supprimer les procédures d’orientation, en tant que pouvoir institutionnel, ferait respirer tout le système. Cette solution aurait le mérite de libérer les enseignants d’une mission de triage et de les installer dans leur véritable fonction éducative. Elle reconnaîtrait aussi la véritable responsabilité éducative des familles vis-à-vis de l’avenir de leurs enfants.

 

Bernard Desclaux(Directeur honoraire de centre d’information et d’orientation) et Jean-Marie Quairel(Directeur honoraire de centre d’information et d’orientation)

This entry was posted on lundi, janvier 30th, 2023 at 11:38 and is filed under Non classé. You can follow any responses to this entry through the RSS 2.0 feed. You can leave a response, or trackback from your own site.

10 Responses to “Supprimer les procédures d’orientation au collège”

  1. Roger-François GAUTHIER Says:

    J’avais réagi très positivement à votre tribune. Le journaliste qui était mon contact quand j’écrivais plus souvent des tribunes dans Le Monde, m’avait déconseillé de lire les réactions… qui sont en effet souvent inquiétantes.

    Toutefois si vous souhaitez que je vous adresse des sujets qui, en, matière d’éducation, valent des réactions dont l’hostilité immédiate et le violence sont les caractéristiques, je peux vous en fournir un certain nombre!

    Sur votre thème, l’orientation de fin de troisième, dont je prône de mon coté la suppression depuis longtemps (et je crois avoir été indirectement à l’origine de la très mauvaise réponse qui avait été apportée avec l’histoire dite du « dernier mot aux parents!), j’ai régulièrement fait l’expérience de pire que la violence; à savoir l’inaudibilité, comme si j’émettais en ultrasons!

    Je crois en effet qu’on touche là à un point extrêmement sensible : tout ce qui permet à une société fermée de garder sa fermeture est là! Et vous aimeriez vous y attaquer! Bien sûr la réaction est violente. De la part de gens que vous n’attaquez pas et qui ne savent pas pourquoi ils deviennent violents! Je me souviens d’un recteur à qui j’avais dit cela, un bon, c’est à dire compétent (il y en a eu) et de bonne volonté « démocratique » (ce fut plus rare!). Il réagit aussitôt en ma disant « Mais tu es fou, tu veux me foutre le feu à tous les LP de l’académie! ». Comme si une telle décision devait être prise brutalement, sans plan de refonte ni étude d’impact!
    Ah la décision de politique éducative en ca pays!

    Pourquoi je m’étais intéressé à la fin de troisième? D’abord à l’ombre de la comparaison internationale je vous l’ai dit. Mais j’ai envie de faire une petite étude de cas sur les LP dans la petite ville italienne où j’habite, au moins avec une ou deux ITWS!

    Car des pays à orientation autoritaire et plus précoce , cela ne manque pas (les pays de l’influence « germanique »), mais on observe chaque fois qu’on n’est pas dans le définitif, qu’il y a des voies dignes permettant de rejoindre l’enseignement supérieur dans de bonnes conditions après cet enseignement profesionnel à orientation précoce. Et la population le sait.
    En Italie c’est autre chose, ce n’est pas précoce, c’est libre et c’est un différenciation limitée entre des curricula relativement proches ( c’est ce que je veux regarder plus attentivement ).

    Personnellement je crois que votre proposition doit être travaillée en termes curriculaires : quel serait le collège et le lycée qui permettrait cela? Sinon on va au rejet ou à l’échec. Les enseignements en collège et en lycée et leurs évaluations qui permettraient cela?

  2. Roger-François GAUTHIER Says:

    D’un membre de CICUR sont venues les critiques suivantes que je vous transmets :

    1 Votre annonce de « filières sélectives » est mal venue, on a l’impression que rien ne change. Je crois perso (RFG) que vous visez les filières pros de fait très recherchées, mais c’est équivoque

    2 la suppression de l’orientation à un intérêt majeur qui pourrait être la fin des conseils de classe mais ce n’est pas évoqué

    3 la séparation des eaux entre l’enseignant pédagogue soucieux d’épanouir le jeune et le parent éducateur soucieux de son ascension sociale me paraît difficilement tenable. Qu’en pensez-vous?

  3. Jeanmarie Quairel Says:

    Dans les commentaires parus dans la rubrique débat ( Tribunes ) j’ai eu le sentiment que les personnes ( abonnées au Monde de l’éducation? ) n’ont pas lu vraiment le texte . Au delà de pas mal de contre vérités, c’est, en creux, la question de la perte de pouvoir ( décider de l’avenir d’un jeune ) qui les rend violents, voire injurieux…

  4. Jeanmarie Quairel Says:

    Je crois que les conseils de classe pourraient subsister, pour donner simplement un avis sur la poursuite d’étude la mieux adaptée et surtout des conseils en matière méthodologique et pédagogique pour que l’élève progresse. Ce sont les commissions d’appel ( une judiciarisation honteuse ) voire les recours en TA qui n’auraient plus lieux d’être .
    Entre les enseignants et les parents, si chacun était dans son rôle et dans ses responsabilités, je suis persuadé que les relations seraient grandement améliorées…Si la parole du jeune lui mème est prise réellement au sérieux, évidemment.
    Et je ne suis pas inquiet pour les LP : Si les gens ne se mettent pas en opposition contre un interdit ( La Seconde ) ils choisiront, en majorité, ce qui est bon pour eux…Sauf exception, personne ne cherche à se mettre en difficulté, mais les refus, perçus comme arbitraires, peuvent conduire à des demandes qui sont des défis à l’autorité : C’est ce qui se passe depuis des dizaines d’années .

  5. Jacques Vauloup Says:

    Avec beaucoup de pertinence, Roger-François Gauthier met l’accent sur l’approche curriculaire indispensable pour muscler la proposition disruptive de suppression des procédures d’orientation au collège. Oui, en effet, que seraient le collège et, pourquoi pas, le lycée, si l’on supprimait les procédures d’orientation ?
    À mon sens, le collège pourrait très bien continuer à être tel qu’il est, car certaines des critiques sévères des commentateurs de la tribune au Monde de Bernard et Jean-Marie disent vrai (pour partie) quand ils estiment que, depuis la procédure « dernier mot aux familles », ils ont de moins en moins le pouvoir d’orienter ; car il est exact que, depuis des années désormais, le rôle des commissions d’appel (aujourd’hui existant encore en 6è, 4è, 3è et seconde) est devenu résiduel.
    Ce qu’expriment aussi implicitement ces « profs en colère », c’est justement… leur colère d’être seul.e.s face aux familles et aux jeunes qui, d’encore enfants en 6è, deviennent adolescents en cours de collège. Cette irruption de l’adolescence dans le champ du savoir, qui d’autre que les parents et les profs s’y coltinent ?
    Qui pour les aider dans le « tenir conseil » ? Oui, le collège manque de « tenir conseil », que ce soit à titre individuel, semi-collectif ou collectif. Le conseil de classe est à revitaliser dans sa fonction indispensable de « délibérer pour agir ». Voir : Lhotellier, le conseil en pédagogie Freinet, la pédagogie institutionnelle, l’expérience désormais quadragénaire des collèges-lycées expérimentaux, etc.
    Au fond, s’il prenait aux gouvernants d’aujourd’hui ou de demain de « supprimer les procédures d’orientation au collège » − ce qui me semble peu probable vu les temps qui courent −, cela n’aurait de sens que lié au report du « premier choix d’orientation » de la fin de troisième à la fin de la seconde (qu’il faudrait repenser) car aujourd’hui, on atteint 16 ans, âge de « fin de la scolarité obligatoire », en fin de seconde.
    Et puis, ne pas oublier que, structurellement, la coexistence de deux réseaux de formation concurrents et inégalement dotés par l’Etat − public, privé sous contrat − constitue un facteur inégalitaire majeur auxquels les profs de l’enseignement public sont les premiers confrontés. Qu’ils expriment leur colère ne me surprend pas tant ils.elles constatent le mépris et l’irrespect avec lesquels les dirigeants les (mal)traitent.
    Last but not least, remettre du « tenir conseil » dans le moteur pour le moins essoufflé de l’orientation au collège (et au lycée) passera par le replacement, la revitalisation du service public d’orientation et des psychologues de l’éducation nationale.
    Qui s’en soucie ?

  6. Bernard Desclaux Says:

    Quelques pistes de réponses

    Merci pour ces premiers commentaires. Je propose quelques pistes de réponses en espérant que d’autres commentaires ou réponses alimenteront cette discussion.
    La question du curriculum soulevée par RF Gauthier et J. Vauloup, est en effet fondamentale, son contenu, mais sans doute également son mode d’élaboration. Mais il faut sans doute ajouter la question de la finalité du système. Modifier le curriculum ne modifie pas la finalité méritocratique du système actuel.
    Il serait également essentiel de rendre publiques les études comparatives sur l’architecture et les finalités des systèmes scolaires dans le monde. Les enquêtes du genre PISA ont commencé à faire ce travail, mais la méthodologie et la nature des objets évalués, sont souvent remises en cause. La description des architectures, des organisations permettrait de nous décentrer. Le projet de RF Gauthier serait le bine venu.
    La suppression des procédures ne suppose pas nécessairement celle des conseils de classe. Dégagés de la fonction évaluation-sanction-orientation, ils pourraient mieux s’adonner à l’autre fonction, celle concernant la vie de la classe et de la coordination du travail de l’équipe pédagogique. Sur ce blog il y a plusieurs articles à propos du fonctionnement des conseils de classe.
    La colère de faire du sale boulot a sans doute motivé certaines réactions à cette tribune, comme l’indique Jacques Vauloup. De mon point vu, cette colère est renforcée par le sentiment de participer au sale boulot (Déjours, Dubet), le triage scolaire qui recoupe un triage social, la distinction de vainqueurs et de vaincus. Mon hypothèse est qu’une grande part de la relation pédagogique difficile, en France, dépend justement de cette fonction imposée à l’enseignant français. La suppression des procédures permettrait d’apaiser cette relation.
    La remarque de Jacques Vauloup à propos de l’adolescence me fait penser que le vingtième siècle a fait basculé le temps de l’adolescence pour la totalité d’une génération durant le temps de la scolarisation. La construction de la personnalité dans un espace de simulacre, de simulation, hors de l’espace du travail, est déjà un phénomène nouveau sur un plan anthropologique. Mais si cet espace est en plus soumis au jugement souvent dépréciatif, il a des effets sans doute constitutifs sur les images de soi. La colère, dans ce système n’est pas que l’apanage des enseignants.

  7. Jeanmarie Quairel Says:

    Bonsoir,

    Sauf erreur de ma part, la procédure  » le dernier mot à la famille » était expérimentale et n’existe plus….Autrement, il est certain que la suppression des procédures d’Orientation devrait s’accompagner d’un accompagnement et d’une éducation aux choix de formations ( et mème d’Orientation, la polysémie du mot étant alors réduite ) exercé par des Conseillers qualifiés : Elle pourrait alors prendre tout son sens !

  8. quiesse Jean-Marie Says:

    Hello !

    Le système d’orientation institutionnel datant des années 1970 avait pour but d’assurer les besoins de l’économie et enrichir la palette des métiers. Il s’agissait donc d’une forme de pré-recrutement accompagné d’une acquisition des compétences utiles pour occuper un emploi. Sans oublier le dégagement d’élites.

    Cette mission a été clairement confiée au corps enseignant de collège (avec une première ventilation dès l’entrée en sixième), mais également au corps des Conseillers sachant utiliser la technique des tests. Elle a eu pour effet bénéfique de développer l’éducation et la formation et de grossir le corps des enseignants à une époque où la Fonction publique devait compenser la chute des emplois agricoles et bientôt industriels.

    Ce n’est pas du courage que de remettre en cause cette vision politique, il y a longtemps que cela aurait dû être fait, compte tenu des changements technologiques qui ont modifié et modifient encore la carte des emplois, des métiers mais aussi les aspirations du tissus social et les psychologies.

    Mais c’est une proposition courageuse de remettre en cause le pouvoir d’orientation des enseignants aujourd’hui si puissant. La double contrainte de faire réussir tout le monde tout en produisant des jugements discriminants justifiant le tri des élèves semble convenir. Effectivement leur demander de pratiquer l’éducation à l’orientation ne peut fonctionner dans ce cadre.Le système oriente mais n’est pas orientant.

    La sélection par l’amont est une démarche particulièrement inadaptée compte tenu de la validité des jugements scolaires qui reposent sur des notations très dépendantes du champ où elles s’élaborent. Celui que va affronter le candidat ne présentera plus les mêmes caractéristiques. On constate d’ailleurs le même décalage entre les diplômes et l’emploi, surtout dans des domaines d’activité auxquels le fonctionnement en disciplines héritées d’Émile Durkheim ne préparent plus tout à fait.

    De plus, sur le plan personnel, c’est l’adhésion à un projet de formation qui donne pouvoir à y réussir. Or les notations prétendent valider un acquis alors qu’il conviendrait de mesurer des potentialités, seuls indices utiles pour savoir ce que l’on peut en faire et donc se poser la question du vouloir s’engager. On accepte mieux la sélection lorsqu’on a les atouts pour pouvoir l’affronter et rebondir parce qu’il ne s’agit pas d’envisager une seule possibilité pour toute une vie.

    Le problème est majeur et…critique, donc explosif. Des enseignants y trouvent une justification sociale et économique de leur travail et parfois le devenir des leurs, certaines familles bien informées la voie de leur enfant et les politiques issus de la sélection scolaire la justification de leur réussite et les experts le sentiment de jouer les prophètes sachant. Les autres ?

    Je ne m’aventurerai pas plus loin sur ce terrain difficile mais pense que les enseignants pourraient être d’abord être des pédagogues et non des agents de la circulation. Permettre de mettre l’enfant en situation de réussir en lui donnant la perspective de ce qu’il pourrait faire de lui-même avec ce qu’il sait et sait faire me paraitrait plus positif que de mettre l’accent sur les manques et par là participer d’un choix se basant plus sur ce que l’on est pas et ne sait pas plutôt que sur ce que l’on est et ce que l’on sait dans tel ou tel domaine.

    Le désir de faire m’apparait très dépendant du pouvoir y arriver. Il y a tant de domaines divers où les compétences et les destins peuvent trouver leur voie, surtout quand rien ne la trace d’avance. Et de cette dernière affirmation les exemples pullulent. Les procédures d’orientation en collège me paraissent à moi aussi très obsolètes. La nécessité économique et sociale de mener des études au delà du collège a conduit à leur obsolescence.

  9. Jean-Pierre VERAN Says:

    « Supprimer les procédures d’orientation au collège pour faire respirer le système éducatif », un tel titre a d’abord le mérite de prendre à rebrousse poil la « naturalisation » de procédures qui semblent aller de soi alors qu’elles sont le fruit d’un processus historique. Oui, il faut questionner tout ce qui semble définitivement installé dans le paysage. les auteurs évoquent le socle commun de connaissances, de compétences et de culture. Force est de constater qu’il n’est pas aussi solidement installé dans le paysage éducatif que l’orientation en 3e.
    Pourquoi n’est-il parvenu à s’y installer ? Sans doute parce que les savoirs déjà là, solidement installés dans le paysage, ont résisté et pris le dessus sur lui sans difficulté.
    Si l’on essaie d’avoir une vision systémique du Collège, on constate que tout y est fait pour procéder au tri final en 3e, entre ceux qui sont en réussite et vont poursuivre au lycée général et technologique et les autres qui vont aller dans la voie professionnelle. Les auteurs évoquent la « distillation fractionnée, organisée officiellement par le jeu des classes spécialisées » dès l’entrée au collège. Mais, en plus de cela, il y a congruence entre les savoirs enseignés au collège et les savoirs enseignés au lycée général, fondés sur un triple hiérarchie :
    – hiérarchie entre l’instruction ( à qui des heures sont officiellement allouées à l’emploi du temps hebdomadaire des élèves) et l’éducation qui s’opère quand on le peut dans les interstices de ces emplois du temps
    – hiérarchie entre les matières enseignées, leur prétendue « valeur » étant indexée sur le nombre d’heures hebdomadaires qui leur est affecté
    – hiérarchie au sein des savoirs, les connaissances abstraites prenant le pas sur les compétences de vie qui ont besoin pour s’acquérir d’un autre cadre que les 55 minutes habituelles de la séquence d’enseignement.
    Cette sélection des savoirs effectivement transmis au collège est on ne peut plus bénéfique aux élèves issus de milieux favorisés et et on ne peut plus défavorable à ceux issus de milieux populaires.
    Les procédures d’orientation s’inscrivent pleinement dans ce système, et les auteurs ont parfaitement raison de souligner l’intérêt d’observer comment les choses se passent dans d’autres pays, proches, comme l’Espagne, ou lointains, comme le Japon. En Catalogne, par exemple, le service communautaire permet aux élèves du secondaire d’apprendre concrètement dans les service publics locaux les vertus de l’engagement dans la vie collective. Au Japon, des heures d’activités de vie scolaire sont incluses dans les emplois du temps du premier et du second degré…
    Penser le collège comme préparant toutes les formations données en général, technologique et professionnel, supposerait donc de rompre avec son organisation actuelle. Supprimer les procédures d’orientation ferait partie du changement, mais le choix des enseignements, des manières d’évaluer ( jean-Marie Quiesse le souligne pertinemment dans son commentaire), la conception de l’examen de fin de collège, la culture professionnelle des enseignants ( qui est jusqu’ici similaire pour ceux qu’on appelle les professeurs de lycée et collège -PLC) mériteraient d’être repensés dans le même mouvement.

  10. Bob Poisson Says:

    Les réactions à votre tribune, publiées sur LeMonde.fr, entraînent chez moi un simple constat : la situation me semble complètement bloquée.
    Plus personne ne comprend rien à l’argumentation, voire ne s’y intéresse.
    Les gens sont tellement épuisés par ces dernières années qu’ils ne savent plus ce qu’est un débat.
    La perception des questions d’éducation atteint son niveau le plus bas. La montée du front national n’est plus simplement un épouvantail terrible mais elle est entrée dans les salles des profs comme à l’assemblée. Ça me frappait l’an dernier comme les discours s’étaient libérés au sein même des structures éducatives.
    Comme une conséquence, l’espace d’une réflexion sur les questions d’éducation a complètement disparue au profit de radicalités de façade. Dans les classes, sans compter l’impact du COVID, les équipes ont été particulièrement dégoutées par les réponses dogmatiques de leur administration. J’ai constaté jusqu’à l’an dernier la rigidité des cadres dont l’éducation s’est dotée, issus de la tradition sclérosante des concours de recrutement.
    Parallèlement l’histoire politique du pays est devenue cacophonique. Depuis Sarkozy, la capacité du ministère de l’éducation à piloter les évolutions du système éducatif se sont nettement amoindries. La conjugaison de la faiblesse administrative grandissante et d’ un recrutement de cadres déconnectés des réalités de l’époque donne une navigation à vue, que complète le « pragmatisme » Macronien. A chaque problème sa solution bricolée, dut elle avoir des conséquences pires que le problème posé ! Les solutions lors du COVID ont oscillé en permanence entre des consignes administratives dignes du 19ème siècle et le « démerdez-vous » sur le terrain, susceptible quand même, de vous attirer les foudres de la hiérarchie.
    Plus d’analyse éducative mais seulement le dogme paradoxal de « l’égalité » qui est devenu un mythe totalement irréel en contradiction et même en déni total, des études statistiques et de l’observation empirique.
    On continue à défendre ce qui a produit les énormes problèmes actuels de l’éducation. Le dogme produit l’exact inverse de ce qu’il promet et la croyance persiste à l’instar des religions : Le miracle attendu n’est sensible à aucune rationalité. Le remettre en cause est un acte de lèse-majesté qui vaut des procès en hérésie. J’y vois la source essentielle de ce que vous avez subi suite à cette tribune.
    Derrière les propos de ces « haters » pointe la petite musique du « c’était mieux avant » mais dans un nouvelle déclinaison : Le redoublement n’existe plus, le dernier mot aux parents on a déjà vu, vous ne savez rien de ce qu’on vit dans les classes, l’enseignement général c’est pas pour tout le monde et les formations professionnelles c’est magique… On en est quand même toujours à l’image d’Epinal du plombier (charcutier, mécanicien, plaquiste …) heureux et bien dans sa peau.
    La difficulté c’est que derrière tout ça, il y a des morceaux de vérité (peut-être devrait-je dire des lambeaux) que l’ensemble de la hiérarchie de l’éducation a tellement ignorés que ce sont devenus des combats fourre-tout où les réactions affectives tiennent lieu de réflexion.
    Quant à la comparaison internationale, le fameux bench-marking, il est devenu totalement inaudible puisque l’analyse des différents systèmes se fait avec les mêmes lunettes, biaisant perpétuellement les réalités. L’Allemagne, la Finlande, le Canada sont transformés en systèmes poursuivant le même objectif que le système Français, lorsque leurs organisations et leurs finalités présentent des différences très importantes.
    En résulte un gloubi-boulga très indigeste mêlé d’insultes qui ne se retiennent même pas, où ce qui ressort au premier chef est la nécessité d’une sélection, partout, tout le temps, quand bien même cette sélection devient très inadaptée à l’époque.
    Alors oui. Situation bloquée. On va parler du sexe des anges, de la dictée et de la nécessité de l’uniforme ! Ce ne sont pas les journalistes qui aideront à y voir clair. Toutes les expertises ont été renvoyées dans le mur d’une démocratie directe où « l’avis de rond-point » a pris la place des « propos de café du commerce ». Toute analyse est rejetée au titre de la technostructure. Tout ce qui ressemble à une expertise est vouée aux gémonies et seules comptent les opinions et le bon sens triturés pendant des heures, sur des plateaux de télé, où n’importe quel spécialiste oppose ses oukases à d’autres spécialistes pas d’accords, comme si la vérité devait sortir de joutes dignes des jeux du moyen-âge. Les « gens » font pareil voire pire, sur les réseaux sociaux.
    L’idéal de cette époque ressemble à une tautologie délétère : Soi par Soi pour Soi et contre tous !
    La sortie du marasme notamment éducatif, devrait prendre quelques années le temps que le débat se restructure. Aux jeunes générations de fabriquer leurs solutions maintenant. J’espère que ce temps ne sera pas trop dur à vivre pour nos enfants et petits enfants mais, contrairement à ce que ce texte pourrait faire apparaitre, je considère qu’on vient d’une situation bien pire au début du 20ème siècle. Faut dire qu’en plus, je n’ai jamais aimé les « trente dites glorieuses ».
    A tout prendre ce début de 21ème n’est pas aussi pire mais méfions-nous quand même…

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