Dans un interview publié par l’Obs (n° 3028-20/10/2022 p 54) notre ministre, Pap Ndiaye, a déclaré : « Nous avons besoin de rapprocher l’école des familles… de mieux orienter les élèves, notamment au lycée, un point sur lequel nous sommes encore très défaillants. Les jeunes ont besoin d’accompagnement et je reste persuadé que les professeurs sont les plus à même de leur apporter. Ils connaissant leurs élèves, leurs envies, peuvent susciter un vrai recul sur leurs projets. » Est-ce l’annonce de la fin des services d’orientation de l’Éducation nationale ?
Une vieille histoire
On peut dire que l’idée de se débarrasser des personnels d’orientation est en fait constitutive de leur arrivée dans le système scolaire, et en haut lieu s’il vous plait ! De Gaulle se demandait quoi faire de ces conseillers et Pompidou défendait le pouvoir des professeurs, comme on disait à l’époque.
En 1968 le projet Laurent de création de professeurs chargés de l’information fut oublié par les évènements.
En 2003, à l’occasion de la loi pour la régionalisation de la République, le Ministère a tenté de transférer ces personnels aux régions. « Curieusement », l’opposition des enseignants l’emporta (aidé aussi par le peu d’intérêt manifesté par l’ensemble des régions).
Et lors de la discussion de la loi de 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel, l’hypothèse de supprimer les CIO et d’une nomination des personnels directement dans l’établissement scolaire fut évoquée[1].
Du pouvoir au conseil des enseignants
L’orientation des élèves, en France, fut fondée sur le pouvoir de notation des enseignants qui caractérisait ainsi l’élève, accordant, justifiant, le passage dans la classe supérieure. Ce pouvoir fut déconstruit au cours de l’histoire de notre système scolaire. Les procédures d’orientation attribuant de plus en plus de pouvoir d’un côté aux familles et de l’autre aux chefs d’établissement. En parallèle des tâches nouvelles leurs furent attribuées : suivi des dossiers, information, conseil, et aujourd’hui un terme général très pratique, accompagnement.
Ces activités sont souvent considérées comme s’ajoutant au métier enseignant. Et beaucoup les vivent comme des remises en cause du métier. Et cela d’autant plus que ces ajouts se font le plus souvent sans rémunération, ou peu, et surtout sans formation. L’appel à la bonne volonté est ainsi constant.
La fonction de professeur principal développée depuis 1959 se trouve chargée de plus en plus de tâches et de responsabilités. Et depuis longtemps, les chefs d’établissement ont de plus en plus de mal trouver les candidats.
L’idée de la posture de conseil pour les enseignants a été d’une certaine manière testée lors de l’expérience dite de l’orientation à la main des parents[2]. Placés en position de conseilleurs puisqu’ils n’étaient plus décideurs, ils ont surtout développé différentes tactiques de persuasion. L’expérience consistant à en fait maintenir l’ensemble de la procédure, mais à changer le décideur final, le pouvoir perdu ne pouvait se restaurer que par la persuasion.
Pourrissement de la situation des services
Depuis les années 80, le nombre de personnels d’orientation n’a fait que décroitre, aujourd’hui le chiffre de 3300 est avancé. D’après les estimations, au moins un quart de ces postes ne sont pas occupés par des titulaires, mais par des contractuels.
Les CIO (centre d’information et d’orientation) sont supprimés sur le territoire petit à petit. Les personnels de plusieurs CIO sont rassemblés sur un CIO créant des conditions de travail de plus en plus difficiles et des complexités importantes pour le directeur de CIO qui doit intervenir dans deux et parfois trois bassins (démultiplication des réunions et responsabilités). Les candidats à de tels postes se font de plus en plus rares.
Les personnels devenus depuis 2017 des psychologues de l’éducation nationale (PsyEn) sont recrutés avec le master de psychologie. Les conditions de travail et de rémunération sont telles que les candidats se font rares et que nombre de titulaires quittent la profession ou songent à la quitter.
Un nouveau marché s’installe
Le collège garde sa fonction de triage et décide de la poursuite dans les différentes voies de formation proposées au sein de l’Éducation nationale, mais la massification atteint maintenant pleinement le secondaire. L’objectif des 80 % de niveau bac est atteint. L’inquiétude concernant l’orientation est donc le lot de la très grande majorité des parents et trouve peu de réponses au sein de l’Éducation nationale. Les PsyEn, peu nombreux, et surtout de plus en plus occuper à d’autres tâches, ne peuvent répondre à toutes ces demandes. Et les enseignants, désignés accompagnateurs, sont pour la plupart peu armés pour la tâche et souvent peu mobilisés.
Dans ce contexte deux types d’offres se développent en dehors de l’Éducation nationale. Un marché à proprement parlé se développe composé d’offres de services marchands de la part de professionnels divers (psychologues, conseillers, coachs…), mais aussi de plus en plus d’entreprises de statut divers.
Sur le paysage récent de l’orientation en France vous pouvez lire deux posts récents[3].
Comment expliquer les propos du ministre ?
Deux lectures de ces propos, au moins, sont possibles
Soit le ministère fait le choix de se passer des personnels d’orientation et de mobiliser les enseignants sur cette activité. Mais en fait, il poursuit l’histoire que nous venons de brosser rapidement ci-dessus.
Soit en fait, ce ministre ne connaît pas l’existence des personnels d’orientation. Cela dit le changement de dénomination (PsyEn) peut expliquer cela, il n’y a plus de personnel dénommé « conseiller d’orientation ». Mais cette méconnaissance des services est largement partagée. Ce fut le cas de nombreux ministres qui pensaient avoir l’idée géniale pour résoudre le problème de l’orientation, de créer un corps spécialisé en ce domaine… Ce fut le cas par exemple de René Monory.
Mais je crains, en l’occurrence, que les deux propositions soient vraies, en même temps, pour ce ministre, dont la connaissance de l’Éducation nationale semble très légère, ce qui peut être un argument politique pour changer le mammouth, mais bien risqué.
Bernard Desclaux
[1] Voir sur ce blog, et Bernard Desclaux, Le centre d’information et d’orientation (CIO) : une structure « à la marge » de l’Éducation nationale. Préface de Frédérique Weixler – Postface d’Aziz Jellab. Collection : Orientation à tout âge. L’Harmattan. 2022
[2] Voir ces deux articles sur ce blog : L’orientation à la main des parents, une si bonne idée ? https://blog.educpros.fr/bernard-desclaux/2013/11/22/lorientation-a-la-main-des-parents-une-si-bonne-idee/ Orientation : jeux de mains… https://blog.educpros.fr/bernard-desclaux/2016/02/04/orientation-jeux-de-mains/
[3] Cinq ans déjà, le statut de PsyEn. https://blog.educpros.fr/bernard-desclaux/2023/01/10/cinq-ans-deja-le-statut-de-psyen/ et Regard de Jérôme Martin sur l’histoire récente de l’orientation. https://blog.educpros.fr/bernard-desclaux/2023/01/21/regard-de-jerome-martin-sur-lhistoire-recente-de-lorientation/
Si, parmi les tâches hors enseignement attribuées aux enseignants, il en est une qui est reconnue par une indemnité, c’est bien l’orientation et le suivi des élèves, dont l’indemnité (ISOE) était, en 2022, de 1250 € annuels environ.On peut la considérer comme insuffisante, mais elle existe.
La situation des personnels de l’orientation est conforme à la centration de l’éducation nationale sur l’instruction (ceux qui instruisent sont les professeurs)et à la marginalisation des autres personnels, qu’ils soient d’éducation (CPE et assistants d’éducation), de santé (médecins et infirmiers), sociaux (assistants sociaux), etc. Même les professeurs documentalistes, dont le métier ne saurait se résumer à de l’enseignement, et dont le service n’est pas calculé en heures d’enseignement comme l’est celui des autres professeurs, ont été et sont encore l’objet d’un traitement différent de celui de leurs collègues.
Comme l’écrivait récemment Régis Malet dans les Cahiers pédagogiques, à l’éducation nationale, c’est « chacun dans son couloir de nage », et ce « dès le berceau », c’est à dire dès la formation initiale.
Jouer les uns sans les autres ou des uns contre les autres ne mène à rien. l’essentiel serait de vouloir transformer l’établissement scolaire en collectif pluri-professionnel d’éducation, collectif où chacun trouverait sa place en enrichissant la pratique collective de ses apports spécifiques et en se nourrissant des apports des autres professionnels. Et ce collectif devrait se construire dès la formation initiale et se consolider tout au long de l’exercice du métier. Il n’est pas sûr que ce soit le chemin qu’on emprunte actuellement à l’éducation nationale !
Et ce n’est pas en ajoutant des missions aux personnes (72 heures/année) que l’on fait du collectif. Le changement ne vient pas en ajoutant, mais en modifiant le fonctionnement, à moins de viser son implosion ?
Bonjour,
J’allais faire la même remarque que celle émise par JP Véran concernant l’indemnité. Elle n’est pas négligeable.
Le problème du professeur accompagnateur mais en même temps juge et décideur reste entier.
Est-il un expert en orientation de carrière et dans la connaissance des emplois et des métiers ?
Connait-il la valeur de sa discipline vis à vis des professions en évolution permanente et des marchés du travail ?
Je pose enfin la question : que vaut un pronostic posé en amont et avec le système disciplinaire actuel ? Dispose-t’on d’éléments d’appréciation prospective ? Dans la plupart des organisations des pays développées la décision d’admission dépend de l’établissement d’accueil plus au fait du devenir professionnel de ses élèves ?
L’orientation est l’affaire de tous. C’est donc un sujet partagé, au moins dans la pensée de sa dynamique. Pour aller dans le sens de la formule, on pourrait donc dire, si c’est l’affaire de tous, c’est l’affaire de chacun et chacune. D’une certaine façon, les textes indiquent de manière générale ce qu’il y à faire, de manière contributive, que l’on soit CPE, Professeur documentaliste, PsyEN ou professeur principal. Si le professeur principal est au centre du dispositif d’accompagnement, c’est parce que c’est lui qui est le plus au contact de l’élève et que sa mission de professeur principal lui confère une obligation particulière dans ce domaine.De ce point de vue Pap N’Diaye a raison .Nous savons, cependant, que les professeurs ne sont pas formés aux techniques d’accompagnement de projet qui demandent une expertise particulière.Si les IUFM en tous les cas dans l’académie de Versailles avaient prévu à un moment donné une formation des professeurs de 3 jours aux questions d’orientation, cette méthodologie s’est peu à peu réduite à peau de chagrin: 3 heures. Je ne sais pas si aujourd’hui, une formation à l’accompagnement à l’orientation est même prévue. Le corpus théorique du champ de l’orientation et ses applications n’est pas du tout connu, même si l’état de la recherche est très riche et en continuelle évolution. De mon point de vue, l’orientation reste largement dans un impensé. On en parle, on en fait… mais sans véritable vision novatrice. L’appellation PsyEN est venue opacifier les représentations des services d’orientation. Une collègue me parlait même de confusion. En matière d’orientation, on dit toujours un peu la même chose depuis des années, l’information s’est beaucoup densifiée grâce au numérique et c’est bien. Reste l’essentiel, comment préparer les gens à l’avenir ? Et ça personne ne sait comment le faire, même Pap N’Diaye, historien qu’il est. La prospective est à inventer dans le champ de l’orientation scolaire et universitaire, tout au long de la vie pour ne pas tourner en rond.Et l’on comprendra que prospective a une autre dimension que pronostic, dont le registre de pratiques appartient à l’approche adéquationniste et linéaire du siècle passé.
Bien sûr, l’orientation est l’affaire de tous et de toutes. Et ce, depuis longtemps. Dans les propos du ministre : « Nous avons besoin de rapprocher l’école des familles… de mieux orienter les élèves (…) ; les jeunes ont besoin d’accompagnement et je reste persuadé que les professeurs sont les plus à même de leur apporter (…) », rien que de très banal en somme. En effet, une orientation scolaire et professionnelle (toujours relier les deux) s’initie d’abord dans le scolaire quand la quasi totalité d’une classe d’âge passe par le collège et une grande majorité par le(s) lycée(s). Et c’est dans les années 1971-1978, lorsque je fus professeur principal en collège, que je tombai dans le chaudron magique (et pratique et holistique) de l’orientation.
Toutefois, trois points me questionnent dans le langage ministériel :
D’abord, de la part du « premier des pédagogues », je préfèrerais le recours à la pronominalisation : « Nous avons besoin que les élèves apprennent à s’orienter… » Il aurait pu ajouter ainsi : « Et je vais m’en occuper vraiment » (et pas seulement s’en préoccuper). On en est loin.
Il faudrait aussi s’entendre sur « accompagnement », acception gyrovague, polysémique, sujette à interprétations multiples, recouvrant un large spectre sémantique et méthodologique : prise en charge, harmonisation, tutorat, conseil (tenir conseil), coaching, etc. Décrire de quel accompagnement l’orientation est le nom, en somme. Qui s’en occupe, comment, avec qui, sur quoi, jusqu’où, etc.
Enfin, en l’absence de reconnaissance totale du service public d’orientation de l’éducation nationale et de ses personnels, dans le désert aride de 43 ans sans indications minimales données par le ministère aux CIO pour fonctionner (cf. 25 février 1980, dernière circulaire en date sur l’activité des CIO), la saillie du ministre ne peut manquer d’apparaître comme une attaque de plus contre eux, hélas. Présence éhontée du business du coaching dans les salons-show-rooms de l’orientation et sur le Net. Visibilité nulle des CIO sur la Toile.
Pour ma part, de 2008 à 2017, chaque année, d’abord avec Christian Grisaud puis seul, sur la base d’années de responsabilités académiques et de travail de terrain dans la formation des profs, des personnels de direction et des néo-cop/néo-psy), j’ai publié, mis à jour, complété, documenté 10 éditions du Guide néocop (2008 à 2016) et du Guide néo-psy (2017).
Il me faut ajouter que, pour réaliser ce travail conséquent, je n’ai reçu aucune aide, de quelque nature que ce soit, de la part de l’ad-mini-stration ; et beaucoup d’empêchements de travailler en ce sens (à quoi ça sert un inspecteur ?). Mais je suis heureux qu’il ait pu être utile et sembler pertinent non seulement aux néo-cop/néo-psy, mais aussi aux profs, aux personnels de direction, aux parents d’élèves.
Car oui, Annick, l’orientation est l’affaire de tous et de toutes ; mais aussi de quelques-uns.
https://www.pedagogie1d.ac-nantes.fr/medias/fichier/guide-neo-psy-2017-2018-j-vauloup-academie-de-caen-10e-edition-juin-2017-100-p-_1515999766111-pdf
PS. Le Guide néo-psy (juin 2017, 10è édition) pourrait faire l’objet d’une réédition. Peut-être cela intéresserait-il tel.le ou tel.le de participer à cette mise à jour à mes yeux indispensable. Me contacter.
Pour répondre en écho à ton propos Jacques, il ne t’étonnera pas qu’il m’arrive parfois reprenant cette formule « l’orientation est l’affaire de tous », tout en rajoutant donc l’affaire de chacun et chacune, d’oser aussi comme réponse « de personne vraiment ». C’est du reste une sorte de paradoxe qu’il faudrait sonder. De l’orientation, tout le monde en parle, tout le monde en « fait » plus ou moins à sa sauce, mais il n’y a pas vraiment de didactique. Et des textes aux pratiques, que se passe-t-il ?
Ton guide des néo-psy est très précieux, je le garde et le communique aux stagiaires et aux nouvelles et nouveaux venus dans le métier car il constitue une méthodologie indispensable.La question est: qui partage ta vision de l’intervention en EPLE, d’une part et d’autre part qui est capable de s’atteler à une actualisation de la brochure? Ton guide contient un projet politique au sens noble du terme.
Tu n’as pas cité ta brochure des 1001 références en orientation qui délimitait un corpus de connaissances actualisées. De mon point de vue, il s’agit véritablement d’une oeuvre intellectuelle, dont tu as été l’auteur.
Tenir le fil de la pensée et de la pratique, c’est important, en effet si l’on veut que cette profession tienne le coup. La question collective que nous devons soutenir est celle de la construction d’un avenir durable, soutenable, et j’ajouterai même si c’est totalement idéaliste, solidaire.