Un nouveau paradigme, l’accompagnement à l’orientation ?

Bruno Magliulo vient de publier sur Educavox un article passionnant et stimulant : « L’accompagnement à l’orientation en collège et lycée : une commande ministérielle qui vient modifier en profondeur la donne en matière d’orientation »[1]  Si vous ne l’avez pas encore lu, je vous incite à le lire avant de vous engager dans la lecture critique que je vous en propose.

Une belle histoire

Bruno Magliulo situe la création des services modernes d’orientation en France au lendemain des événement de mai 68 et qu’« il n’est pas surprenant que la question des missions dévolues au système d’orientation scolaire et professionnelle français ait été posée en fonction de la nécessité d’en faire un instrument au service de la satisfaction de ces besoins. » Il s’agit des besoins économiques. Historiquement, je placerai ce basculement en 1959, avec la mise en système expliquée par Antoine Prost, l’intégration des conseillers d’OP dans le ministère de l’éducation nationale et intervenant désormais dans le secondaire sous la dénomination de conseillers d’orientation scolaire et professionnelle, et surtout l’intégration de la théorie du Capital Humain comme objectif de la scolarisation des petits français. Ainsi, l’orientation scolaire qui était une affaire pédagogique, un affaire interne en quelque sorte, rentre dans un processus de production du système scolaire. Les besoins externes doivent, devraient, piloter l’orientation. ce qui est fort compliqué dans un espace politique qui se veut d’abord démocratique, d’où l’implication des parents dans les procédures d’orientation, parents tenus à l’écart jusque-là.

L’auteur indique ensuite que la conception dirigiste se transforme en conception éducative au cours des années 80. Et dans ce passage, l’orientation affaire de spécialistes (professeur principal et conseiller d’orientation) devient l’affaire de tous. Peut-être sur le papier, mais les procédures d’orientation, en tant que pouvoir institutionnel sur autrui sont maintenues (et cela jusqu’à aujourd’hui[2]. Il poursuit en indiquant que la loi d’orientation sur l’éducation du 10 juillet 1989 a créé un « un droit au conseil en orientation, et à l’information sur les enseignements (…) ainsi que sur les débouchés et les perspectives professionnelles ». En effet, sauf que cet article 8 n’a connu aucun décret d’application. Enfin, il rappelle la mise en place de « l’orientation active » (article 20 de la loi relative aux libertés et responsabilités des universités de 2007). Mais il faut préciser que son objectif est d’aider les lycéens à élaborer leur projet de poursuite d’études supérieures dans un contexte d’inexistence de procédures d’orientation (les professeurs des lycéens ne sont pas décideurs). Ce sera ensuite la série des « parcours » qui aboutit aujourd’hui au « Parcours Avenir », du collège au lycée.

« C’est ainsi qu’on a progressivement tendu vers le concept d’accompagnement à l’orientation. »

La commande ministérielle est donc bien passée d’une conception dirigiste (impossible de fait) à une conception éducative, mais éducative à quoi ? A acquérir des compétences pour le futur ou bien à résoudre le problème immédiat de son orientation scolaire ? Et donc à en rester de fait à une aide à l’orientation scolaire.

« Ce qu’ « accompagner à l’orientation » veut dire »

Le cadre étant dressé, on peut se poser la question. Et pour l’auteur, « Ce n’est pas chose simple car l’accompagnement à l’orientation est une notion relativement floue.  En quoi se distingue-t-Il de l’acte d’enseigner, de diriger, de conseiller… qui est le cœur de métier de la plupart des intervenants dans l’accompagnement à l’orientation ? » Les définitions qu’il rappelle montrent bien l’émergence d’une nouvelle conception passant du frontal au côte-à-côte :

  • L’idée de se joindre à un(e) autre sans qu’une relation hiérarchique ne s’installe entre les deux composantes du binôme
  • Le fait de cheminer ensemble vers un objectif que l’on va s’efforcer de mettre en lumière.

L’auteur propose le tableau ci-dessous qui résume bien les grand traits de l’accompagnement.

Les ambiguïtés du positionnement d’un enseignant appelé à jouer un rôle d’accompagnateur à l’orientation de ses élèves 

Posture Accompagnateur Professeur
Relation hiérarchique Non Oui
Qui est au centre du binôme ? L’élève Le professeur
Evaluation sommative de l’élève Non Oui
Objectif principal visé Elaboration d’un projet d’orientation Acquisition des savoirs faire

 

Mais on est loin de la complexité des analyses proposées par Maela Paul depuis 2004[3], et s’il y a une forme de changement de paradigme quant à la conception de l’aide à l’orientation, il n’est pas accompagné d’un effort particulier de formation des divers personnels concernés. On en reste aux textes incitatifs tels que ceux signalés par Bruno Magliulo sur Eduscol (trois vadémécums).

Une mise en œuvre incertaine

Bruno Magliulo s’appuie sur les constats qui ressortent du rapport thématique annuel piloté par Michel Lugnier, consacré à « L’orientation de la quatrième au master »[4] :

  • Les 54 heures, espace de cet accompagnement, est peu mis en place. Mais le ministère n’a pas donné des moyens spécifiques.
  • Le volet orientation du projet d’établissement, « plan d’action pour la mise en œuvre des trois axes de l’accompagnement à l’orientation » est rarement élaboré, et « le plus souvent, la politique d’orientation se résume à un catalogue d’actions ponctuelles et de rendez-vous plus ou moins formels ». Ce constat qui peut être fait par chaque conseiller d’orientation et directeur de CIO depuis l’existence du projet d’établissement, et lors des inspections des établissements, n’a jamais déclenché de réactions du Ministère.
  • Enfin, la loi de 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel reste ignorée des établissements. « Trop d’établissements recourent fort peu à de telles ressources, voire ignorent  l’existence même de ces possibles partenaires. » dit-il.

Un changement donc très important, mais sans réelles conséquences…

Une conclusion euphorique ?

Je me permets de citer la conclusion de l’auteur :

« A première vue, l’expression « accompagnement à l’orientation » peut paraître vague, polysémique, susceptible de recouvrir divers de champs d’intervention préexistants (ceux du conseil, du coaching, du tutorat…). Mais outre qu’elle permet de « faire synthèse » entre ces diverses formes d’action en matière d’orientation, et donc d’en accroître la compréhension et le sens, elle contraint à inciter les diverses catégories de professionnels qui y exercent à s’interroger sur ce qu’accompagner veut dire et bâtir autour de ce qui est plus une «posture » qu’un métier proprement dit, un corpus commun d’outils et d’analyses susceptible de permettre aux « consommateurs » que sont les élèves/étudiants et leurs parents,  d’élaborer, à chaque étape de leur parcours d’études, leur projet d’orientation scolaire et professionnelle. »

C’est donc aux professionnels de faire cet effort de compréhension. Admettons que comme tout professionnel, ceux de l’Education nationale doivent s’adapter aux nouveaux environnements de travail. Mais cela suppose de prendre au sérieux les prescription de l’Etat. Une toute autre interprétation reste possible.

L’utilisation systématique du terme accompagnement depuis plusieurs années signifie en effet un changement de paradigme mais peut-être pas celui indiqué par Bruno Magliulo. Pour ma part j’y vois surtout un désengagement de l’Etat en matière d’orientation scolaire. On peut également considérer que ce terme a une forte connotation d’apaisement, de continuité, de prise en charge globale. S’il y a des obstacles, ils sont euphémisés, affaiblis. Ce mot évoque une version positive de l’orientation. « Tout va bien, on est là pour vous aider ». Mieux, tout le monde est là pour vous ! Le caractère flou du terme est également particulièrement pratique : il n’engage en rien. Et en effet le Ministère n’engage aucun moyen spécifique comme on l’a vu plus haut. L’Etat peut ainsi se prévaloir d’une attention à l’autre (le care comme disent les anglo-saxons) sans avoir à engager de réels moyens de mise en œuvre. Aux professionnels la responsabilité de celle-ci.

 

Bernard Desclaux

 

[1] https://www.educavox.fr/accueil/breves/l-accompagnement-et-l-orientation-en-college-et-lycee-une-commande-ministerielle-qui-vient-modifier-en-profondeur-la-donne-en-matiere-d-orientation

[2] Voir notre tribune, Bernard Desclaux et Jean-Marie Quairel. « Supprimer les procédures d’orientation au collège pour faire respirer le système éducatif ». https://www.lemonde.fr/societe/article/2023/01/24/supprimer-les-procedures-d-orientation-au-college-pour-faire-respirer-le-systeme-educatif_6159034_3224.html que j’ai également reproduite sur ce blog : https://blog.educpros.fr/bernard-desclaux/2023/01/30/supprimer-les-procedures-dorientation-au-college/  

[3] PAUL Maela (2004). L’accompagnement : une posture professionnelle spécifique. Paris : L’Harmattan, 351 p.

[4] Voir sur ce blog ma lecture de ce rapport : Bernard Desclaux. L’orientation au rapport. https://blog.educpros.fr/bernard-desclaux/2021/10/27/lorientation-au-rapport/

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4 Responses to “Un nouveau paradigme, l’accompagnement à l’orientation ?”

  1. Esnault Serge Says:

    Bonjour Bernard,
    Bien heureux de te lire ce matin depuis La Réunion.
    J’ai vu dans l’article de Magliulo une vision un peu décalée de l’histoire de l’orientation (que tu reprends au début de ton commentaire – merci); et une sorte d’euphorie (effectivement) à la découverte d’un concept ou de son avènement (l’accompagnement) bien moins récent que ce qu’il dit et auquel bon nombre de professionnels ont déjà réfléchi depuis bien longtemps en France ou ailleurs.
    Je ne pense pas qu’il s’agisse d’un nouveau paradigme de l’accompagnement comme tu le démontre, mais de l’aboutissement des vicissitudes d’une éducation à l’orientation qui en France à toujours peinée à se trouver faute de décision politique forte qui lui aurait donné les moyens de ses ambitions. Pour exemple la prolifération historique de ses appellations (EAO, PDMF, PIOEP, Parcours Avenir vs Programme Avenir).
    De même la prolifération du mot « accompagnement » me semble dans un rapport inversement proportionnel à son effectivité sur le terrain. Pour faire simple plus on en parle et on le préconise, plus c’est le signe qu’il est en difficulté. L’évolution historique du métier de conseiller d’orientation (psyen maintenant), la diminution des effectifs et des CIO, les incitations ou les incantations aux développements de l’accompagnement de ceci ou de cela, la nomination de « referents » tous azimut, la multiplication des missions des uns et des autres, me semblent mieux signifier l’existence d’un besoin non satisfait plutôt que l’avènement d’une ère nouvelle aux allures du Saint Graal.
    Comme à une certaine époque les « dispositifs » étaient censés résoudre les difficultés aujourd’hui les « référents  » et « l’accompagnement  » sont les solutions minimalistes et non soutenues de problématiques bien plus larges.
    Par ailleurs la prolifération des termes renvoie au côté performatif du langage politique. Puisqu’on en parle ça existe, soyez rassuré !
    Je te laisse, je vais accompagner…

  2. Bernard Desclaux Says:

    Bonjour Serge
    Merci de ce beau et intéressant commentaire auquel je souscrit. Reste l’interprétation de ces faits. Est-ce que l’on assiste à une déconstruction « naturelle » d’un fonctionnement (naissance, vie, mort de tout organisme, y compris social), ou à sa déconstruction organisée pour l’émergence d’autre chose ? Ou encore un échec de l’Etat, et l’émergence de la société civile dans le champ de l’orientation ? Et il y a sans aucun doute bien d’autres interprétations.

  3. Jacques Vauloup Says:

    Juste un commentaire sémantique. En deux points.

    Sur «l’accompagnement» d’abord, voici ce qu’en dit Lhotellier, dans sa conférence au Mans le 24 septembre 2010 (vidéo et texte intégral disponibles sur mon blog) :

    « Le déni du conseil. Conseil… Les embarras d’un mot qui a une longue histoire… On préfère toujours le changer. Aujourd’hui, on en est à l’accompagnement. Ma génération a d’abord parlé de l’aide. Pour ma génération, l’accompagnement, c’était pour les mourants. On parle beaucoup d’accompagnement, mais pas de cheminement, il y a toujours ce problème de la réciprocité. Le déni du conseil, c’est la maltraitance théorique d’une pratique, les embarras d’un mot
    qui a une longue histoire, la maltraitance institutionnelle, le silence des usagers, la confusion entretenue entre les néo-conseillers, les conseillers en tout genre, la multiplicité des institutions qui les emploient. Décalage grandissant entre les discours officiels et les pratiques ordinaires, entre la professionnalisation des conseillers et l’État actuel, le sens de l’orientation
    que l’on voudrait réduire à l’information seulement. Il y a vraiment un sens en danger.»
    Au fond, pour résumer, ce n’est pas tant d’accompagnement dont nous avons besoin, mais de conseil, au sens de «tenir conseil, délibérer pour agir» et non de «donner des conseils» évidemment. À réinventer dans sa dimension multi-scalaire : individuelle, interindividuelle, petits groupes, organisation, institution (cf. Ardoino, analyse mutiréférentielle des situations éducatives). Il en va au moins autant de l’avenir de la démocratie que du devenir de «sujets apprenants» et «capacitants».

    Sur la notion de «paradigme» ensuite. Avant de devenir l’abstraction des philosophes, παράδειγμα, ατος (τὸ), c’est l’exemple (exemplum des latins), le plan d’architecte, le modèle du peintre, du sculpteur. Du bien concret, donc, que l’artisan, l’artiste, le maître d’ouvrage sont censés (se)représenter, figurer, mettre en formes, en images, modeler, mettre en regard, exposer.
    Mais quel est donc, aujourd’hui, ce futur, quels sont ces futurs présentable(s), impossibles à (se)représenter tant ils défient l’entendement humain, jusqu’au déni ? Il me semble que tout commence là : penser le(s) futur(s). Après Ivan Illich, André Gorz, Edgard Morin, Bruno Latour, Baptiste Morizot, Nastassya Martin et quelques autres, il me semble que Nicolas Hervé en propose d’heuristiques et fécondes voies dans son dernier ouvrage : https://www.editionsbdl.com/produit/penser-le-futur-un-enjeu-deducation-pour-faire-face-a-lanthropocene/
    Mais le travail est immense ! En formation initiale, certes. Mais aussi ailleurs : formation tout au long de la vie, éducation populaire, vie associative et syndicale, formation des élu.e.s actuels et futurs, etc.
    La psycho-socio-éthico-politico-pédagogie de la grande transition en cours de l’Anthropocène est entièrement à inventer ! Et sans délai. Passionnant, mais inéluctablement inquiétant et anxiogène.

  4. Quairel JM Says:

    J’adhère totalement aux analyses de Serge et de Jacques ..Dans ma pratique de Conseiller puis de Directeur de CIO, j’ai toujours refusé d’inscrire mes actions dans le cadre d’un « accompagnement »..Je n’avais pas vocation à « accompagner » les élèves dans des choix qui, pour nombres d’entre eux, étaient contraints, ou de participer à l’accompagnement des élèves en situation de rupture, sans que rien n’est été tenté pour l’éviter…A mon avis, les conditions institutionnelles ne sont toujours pas réunies pour que l’on puisse parler d’une « orientation éducative ». Si les procédures d’orientation sont supprimées un jour, l’accompagnement aux choix d’orientation ( de formations en fait ) prendra tout son sens, tout comme le travail des PsyEn..En attendant, on se paye de mots qui ne correspondent pas à la réalité.

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