Réponses aux commentaires de notre tribune

Suite aux réactions provoquées par la Tribune du 24 Janvier 2023 signée par Jean-Marie Quairel et moi-même, « Supprimer les procédures d’Orientation en Collège pour faire respirer le système éducatif », publiée sur le site du Monde il nous a semblé indispensable de faire quelques mises au point[1]

Nous avons été surpris par la tonalité généralement agressive, des 14 commentaires. Passons sur les critiques du style « la vieillesse est un naufrage » ou «  ces messieurs ne connaissent pas le sujet » qui évitent de poser les questions de fond.

   Intéressons nous plutôt aux contre-vérités et celle-ci tout d’abord : « …Il y a maintenant en place le dernier mot aux parents ».  Cette mesure s’est appliquée à titre expérimental dans quelques établissements de 2013 à 2016. Elle est abandonnée depuis, sauf peut-être dans quelques établissements qui appliquent leur droit à l’expérimentation. C’est bien toujours l’article du « Code de l’éducation » L.331-8 du 5 Septembre 2018 qui est la règle  nationale : «  La décision d’orientation est préparée par une observation continue de l’élève.  Le choix de l’orientation est de la responsabilité de la famille ou de l’élève majeur . Tout désaccord avec la proposition du conseil de classe fait l’objet d’un entretien préalable à la décision du chef d’établissement. Si cette dernière n’est pas conforme à la demande de la famille ou de l’élève, elle est motivée . La décision d’orientation peut faire l’objet d’une procédure d’appel. »  

Une autre contre-vérité : « Il n’y a plus de doublement depuis une quinzaine d’année… » Même si elle est beaucoup moins fréquente depuis 10 ans, cette disposition subsiste :  « A tout moment de l’année scolaire lorsque l’élève rencontre des difficultés importantes d’apprentissage, un dispositif d’accompagnement pédagogique est mis en place. A titre exceptionnel, (lorsque les difficultés subsistent) …un redoublement peut être décidé par le chef d’établissement en fin d’année scolaire. »( Article D.331-62 du Code de l’éducation). On pourrait s’interroger sur la réalité des « accompagnements pédagogiques », mais ceci est une autre histoire. De fait, le redoublement existe. Il peut même être demandé «  de droit » par la famille quand la décision d’orientation, après appel éventuel, n’est pas conforme à sa demande. Alors, bien sûr, dirons nos contradicteurs, si les redoublements n’ont plus cours et si les  « accompagnements pédagogiques » ne sont pas effectifs, comment s’étonner de la baisse de niveau des élèves ? Or, dans son livre « l’Orientation Scolaire.  Paradoxes, mythes et défis», Frédérique Weixler explique : « un rapport de 2015 (CNAM-CNESCO-IFE) montre que dans la majorité des études, le redoublement n’a pas d’effets sur les performances scolaires à long terme » Et ajoute que « Le redoublement, bien qu’en chute en France, y reste bien plus élevé que dans la majorité des pays européens, aux résultats scolaires pourtant supérieurs. » Comment accepter alors qu’il demeure le seul recours des familles, privées de leur pouvoir de décider de le formation désirée pour leur enfant ?

 

La violence des réactions montrent sans doute que nous sommes dans une controverse, ce qui expliquerait alors les réactions extrêmement défensives et conservatrices. Sommes nous à ce point « hors sujet » où avons-nous mis le doigt sur la plaie au contraire ?

 

    Déjà en 2012 un rapport de la Cour des comptes précise : «  La procédure d’orientation est incapable de répondre aux objectifs ambitieux de formation d’une classe d’âge… L’orientation reste vécue comme la sanction d’un parcours scolaire : Elle sert surtout à discriminer entre bons élèves envoyés dans la filière générale et les mauvais élèves ( vers la voie professionnelle )…Or dans les textes l’orientation est la construction d’une parcours de formation choisi par l’élève et non la résultante de ses difficultés scolaires que le système n’a pas été en mesure de résoudre. » En janvier 2020, un référé de la Cour des comptes adressé au Ministre de l’Éducation nationale constate que «  Les réformes successives engagées depuis 1985 et notamment celle de 2009, visant à rénover la voie professionnelle et à la rendre plus attractive, portant sur l’orientation, le parcours et le suivi individualisé des élèves, la carte des formations et des établissements… n’ont pas atteints leurs buts » Elle préconise six recommandations dont celle de «  promouvoir et étendre le modèle d’un Lycée général inclusif » offrant les différentes voies de formation. L’OCDE souligne combien la sélection précoce a un impact négatif sur les élèves assignés aux filières de second ordre (selon la hiérarchie scolaire ) et aggrave les inégalités, sans pour autant améliorer la performance moyenne. L’Italie et l’Espagne ont supprimé leurs procédures d’orientation coercitives et on peut sans doute voir quelques effets dans l’évolution des taux des peu ou pas diplômés dans une génération entre 2003 et 2021 qui ont fortement régressés. L’Italie est passé de 23 à 13%, l’Espagne de 32 à 13%.

 

   Il nous semble donc que, même si la situation a bien évolué en dix ans, notre expérience de 40 années sur le terrain ( Conseillers d’Orientation puis Directeurs de CIO ) justifie notre proposition de réflexion sur une question toujours actuelle, mais déjà posée en 2004 par Antoine Prost : «  Oui ou non l’État a -t-il le droit d’imposer à chaque enfant une orientation scolaire, c’est à dire de lui interdire toute étude autre que celle qu’il lui assigne ? Si l’on veut que le mérite scolaire décide des places sociales, il faut répondre Oui . Or, cette réponse n’a jamais été assumé politiquement, car la majorité des français y étaient hostiles, à commencer par les enseignants qui l’auraient admise pour les enfants des autres, mais non pour les leurs. ….Le système fonctionne comme s’il avait ce droit , et il en use largement envers les humbles »  .

   La question du « pouvoir institutionnel » exercé sur certaines familles, plus que sur d’autres, nous semble donc bien être le problème central qui ressort des réactions violentes à notre tribune. Actuellement, ce pouvoir, exercé par les chefs d’établissements, qui s’appuient sur l’avis du conseil de classe, empêche une certaine mobilité et mixité sociale et préserve, de fait, les situations de domination des enfants d’enseignants dont on sait qu’ils sont les plus adaptés au système. Ainsi, en 2018, Agnès Van Zanten avait piloté un numéro de la Revue française de pédagogie au titre interrogatif, “Les pratiques éducatives familiales des enseignants : des parents comme les autres ?”,.

N’est-on pas en droit de s’interroger sur les fondements de ce pouvoir institutionnel ? L’argument des résultats scolaires comme seul critère du « trie social », se traduisant dans les formes verticales (autoritaires) de transmission des savoirs et de leur mode d’évaluation (notation traditionnelle) est-il bien pertinent ? La massification est réalisés mais pas la démocratisation. Avec le recul, depuis la fin des années 70, quelle société, ce modèle éducatif (méritocratie), jamais réformé dans sa raison d’être, a-t-il construit ?

   

  Dans cette « histoire de pouvoir », il y a des gagnants et des perdants, qui, malheureusement, sont toujours les mêmes.  Apprendre à l’élève à s’orienter dans un monde incertain reste un enjeux majeur qui, jusqu’à présent, n’a pas pu être réellement mis en œuvre, car empêché par la persistance de procédures d’orientation qui « orientent ».

   Nous sommes convaincus qu’il pourrait en être autrement, en supprimant ce « détail » du système qui empêche toute dynamique de changement, de mobilité, de mixité et d’émancipation.

Les bénéfices ne concernent pas que les jeunes, mais aussi les enseignants qui pourront alors se concentrer sur leur cœur de mission, transmettre et créer les conditions pour tous d’un apprentissage.     

Ainsi, la suppression des procédures engage une transformation radicale des modes de transmissions et d’évaluations des savoirs et compétences, s’inspirant des pédagogies actives et coopératives et intégrant, de manière contrôlée, les nouvelles technologies de l’information et de la communication.

      

Jean-Marie Quairel et Bernard Desclaux

[1] La reprise de cette tribune sur ce site (Supprimer les procédures d’orientation au collège https://blog.educpros.fr/bernard-desclaux/2023/01/30/supprimer-les-procedures-dorientation-au-college/ ) a suscité des commentaires beaucoup plus constructifs.

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3 Responses to “Réponses aux commentaires de notre tribune”

  1. LORENT Says:

    Bonjour, votre tribune remet tellement en cause le système éducatif élitiste français que c’est bien normal que les réactions soient virulentes.

    Oui à la fin des procédures d’orientation au collège décidées par les établissements.
    Oui au lycée unique et polyvalent, accueillant la diversité des élèves.

    Mais pour cela il faut changer tellement de choses.

    La pédagogie doit tenir compte des différentes formes d’intelligence et non seulement de la logico-mathématique et littéraire.
    Elle doit être basée sur les projets, expérimentations, coopération, co-éducation et non plus sur compétition, sélection, tri, l’accumulation des connaissances…
    Elle doit valoriser les progrès des élèves et non uniquement les comparer
    entre eux.
    Et ainsi, dire à certains qu’ils sont nuls en permanence.
    Il faut que les élèves trouvent du sens au travail scolaire plutôt que de n’être focaliser que sur leurs notes.
    Les travaux personnels encadrés ont été une belle réussite dans ce sens. Dommage qu’ils ont été d’abord en Terminale, puis en 1ère.
    Les CPGE et les Grandes Écoles doivent être rattachées aux Universités
    voir être supprimés à l’image des états-unis et des pays d’Europe du Nord.

    Il faut également arrêter de hiérarchiser les enseignants en créant par exemple un corps unique.

    En fait, ce modèle français élitiste est le ferment de l’incompréhension entre les classes ouvrières et employées qui ne sont pas écoutées, dont il a maltraité l’estime de soi et alimenter le ressentiment et les élites qui croient tout savoir mieux que les autres et méprisent les premiers.

    Les élites sociales et culturelles, dont les enseignants, tiennent beaucoup à ce système éducatif élistite qui permet de maintenir leurs privilèges.

    Bravo d’avoir relancé le débat sur le sens de l’école…

  2. Véronique Ezratty Says:

    J’ai l’impression que l’auteur joue sur les mots. Le dernier mot aux parents a été prudemment testé. Macron a promis de le généralisé en 2018 mais ce n’a pas été le cas, les procédure d’appel ont été conservés. Toutefois les chefs d’établissements ont des pressions pour supprimer les redoublements et pour donner satisfaction à plus d’élèves possibles, y compris quand cela rend les classes de 2NDE GT ingérables et ce n’est pas l’intérêt de l’élève.
    Je rappelle qu’aucun dispositif a des conséquences mesurables à long terme (à cause du bruit de fond des paramètres non mesurables). Il est vrai que le redoublement ne sert à rien pour un élève qui a de trop fortes lacunes.
    Le problème est que le lycée unique dans le modèle du collège unique a déjà été testé c’est le modèle américain. Ce pays où il faut aller dans des lycées privés pour être accepté dans les universités sélectives et où les élèves qui sortent du lycée ont tellement peu de connaissances qu’ils sont obligés d’avoir des formations complémentaires et doivent s’endetter pour cela.
    Nous sommes d’accord sur un point : aucun élève ne doit être orientée contre son gré dans une filière professionalisante. Je préconise comme en Finlande une 3ème bis qui a un programme différent de la troisième pour celles et ceux qui n’ont pas trouvé de points de chute.

  3. Bernard Desclaux Says:

    Réponse à Véronique Ezratty
    L’expérimentation dite du dernier mot aux parents a été lancée suite à Refondation lors du ministère Peillon. Elle a duré trois ans et a suscité deux rapports de l’inspection générale que j’ai discuté dans divers posts sur ce blog : « Expérimentation des procédures d’orientation en troisième » https://blog.educpros.fr/bernard-desclaux/2013/02/23/experimentation-des-procedures-dorientation-en-troisieme/ , « Orientation : le retour de l’expérimentation » https://blog.educpros.fr/bernard-desclaux/2013/05/29/orientation-le-retour-de-lexperimentation/ , « L’orientation à la main des parents, une si bonne idée ? » https://blog.educpros.fr/bernard-desclaux/2013/11/22/lorientation-a-la-main-des-parents-une-si-bonne-idee/ , « Orientation : jeux de mains… » https://blog.educpros.fr/bernard-desclaux/2016/02/04/orientation-jeux-de-mains/. L’expérimentation s’est terminée sans aucune décision officielle. Personnellement, je n’ai jamais lu ou entendu le président Macron évoquer cette volonté de généraliser ce « dernier mot aux parents ». Je serai très intéressé de connaître vos sources en la matière.
    Lors du ministère Vallaud-Belkacem, en effet une circulaire a promu une réduction des redoublements en collège, mais le ministère Blanquer a relancé l’affaire en renforçant notamment le pouvoir du chef d’établissement dans ce domaine. Voir mon article Les subtilités du redoublement et du maintien https://blog.educpros.fr/bernard-desclaux/2020/06/09/les-subtilites-du-redoublement-et-du-maintien/comment-page-1/
    Il est certain, comme vous le dites, que l’on ne peut prévoir toutes les conséquences à long terme, mais on peut également mesurer les conséquences dans l’état actuel. Et il ne me semble pas certain que la situation actuelle soit très positive. Qu’on le veuille ou non, les décisions d’orientation sont prises à partir de l’étalon de l’enseignement général.
    Il y a bien d’autres modèles de « collège unique » par le monde, et pas seulement l’américain. Et nombre de ces collèges, non seulement fonctionnent sur des pédagogies bien différentes visant l’acquisition, l’apprentissage, le développement et non pas ma performance, et surtout ne se terminent pas par une orientation imposée. L’Italie et l’Espagne ont fait ce choix il y a plusieurs années, et leur taux impressionnants de décrocheurs a été réduit très fortement. Curieux.

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