La période gaulliste s’achève. Le nouveau Président, Giscard d’Estain impose la loi, la loi dite Haby, instituant le collège unique. Nous allons donc voir les premières modifications des Nouvelles procédures d’orientation et quelques difficultés d’application.
Nouveau paysage
Commençons par les modifications du terrain. La réforme Haby en créant le collège unique poursuit un travail préalablement commencé à l’ère politique précédente : l’unification du premier cycle du secondaire : unification de lieu et de programme. L’article quatre de la loi s’ouvre par « Tous les enfants reçoivent dans les collèges une formation secondaire. » Autrement dit, tout élève rentré au collège en sixième, en sort en fin de troisième. C’est-là reprendre l’objectif gaulliste qui, en créant les BEP en fin de troisième, devait reporter l’orientation professionnelle à ce niveau, ce qui n’avait pu être fait.
Une autre modification était la création de la notion de cycle. Le collège était constitué de deux cycles, deux blocs rassemblant la sixième et la cinquième, un cycle d’observation, et le cycle d’orientation constitué de la quatrième et de la troisième. Les procédures ne s’exerçaient ainsi que sur deux paliers, cinquième et troisième. La continuité pédagogique de la notion de cycle fut en fait interprétée comme l’installation d’un passage automatique en classe supérieure, maintenant ainsi l’idée de blocs annuels et non l’étalement sur deux années des objectifs pédagogiques à atteindre.
En fait le palier d’orientation de cinquième n’est pas tout à fait supprimé. Un an après l’application de la réforme, un texte est publié par le ministère qui commence par : « À titre dérogatoire, l’orientation fin de cinquième est maintenue. » Seule restriction, pour qu’elle soit effective, il faut l’accord des parents. Faut-il encore qu’ils le sachent[1].
Les Nouvelles procédures d’orientation ont intégré les représentants des parents d’élèves (2) ainsi que les délégués des élèves (2). C’était introduire des étrangers dans des coulisses jusque-là protégées. La réforme Haby va disjoindre le conseil de classe du conseil de professeurs, le conseil de classe réunissant la totalité des membres alors que le conseil de professeurs est réservé à ceux-ci et à quelques autres acteurs autorisés ou invités. Le conseiller d’orientation qui était membre de droit sera invité par le chef d’établissement, si besoin. Mais qui décide ? Le conseil de professeur élabore la décision et le conseil de classe arrête la décision.
Tout ceci n’est peut-être pas aussi simple à mettre en œuvre comme on va le voir. Je m’appuie ici sur ma simple expérience, qui ne doit pas être unique.
Une mise en œuvre « délicate »
L’information des droits pose quelques problèmes comme vous pouvez vous en douter. Je deviens conseiller d’orientation, auxiliaire, à la rentrée 1978 à Aubervilliers dans le 95. Mon directeur me confie un collège, à La Courneuve. Au cours de l’année précédente, il a retiré la conseillère (expérimentée) de cet établissement, car la chef d’établissement refusait que celle-ci passe dans les classes pour expliquer les nouvelles procédures d’orientation. Je commence donc l’année par une rencontre entre cette chef d’établissement et mon directeur qui exige que je passe dans les classes pour donner cette information, ce qu’elle accepte finalement (le problème avait été signalé à l’IA). Informer les parents de leur droit de faire appel est insupportable. La Courneuve est une ville largement maghrébine. Comme le disait François Dubet l’attitude colonialiste se poursuit en France. On les oriente pour leur bien ! Mais, à l’époque, il est possible que le même problème se retrouvait dans les « beaux quartiers », pour d’autres raisons.
Dans ce même collège, l’interprétation de la différence entre conseil de classe et conseil des professeurs est à noter. Le conseil de professeurs, auquel j’étais invité, se réunissait dans une classe aménagée à cet effet. Après les deux ou trois conseils tenus en suivant, nous descendions au gymnase où les représentants des parents et les délégués élèves étaient réunis, et la principale annonçait les résultats des conseils de professeurs. Et bonsoir !
Deux ans après, cette fois titulaire, je travaille notamment dans un collège à Aubervilliers, qui se comporte toujours comme un premier cycle du lycée où il se trouve physiquement. Cela fait deux ans que la réforme a atteint le niveau cinquième. Dans les conseils de professeurs, auxquels je suis invité, on évoque des orientations vers le professionnel. Je rappelle, systématiquement, que cette orientation nécessitera l’accord des parents pour être effective. Et je m’aperçois qu’il n’y a eu aucune réunion d’information des parents organisée depuis deux ans. À l’issue du conseil de professeurs, on fait rentrer les parents et les élèves pour constituer le conseil de classe et l’on répète les formulations arrêtées pour l’inscription sur le bulletin scolaire. Contre la demande de la principale, je rappelle le droit des familles. Cela dit peu de ces parents et de ces élèves étaient concernés, peu de parents émigrés étaient délégués bien sûr. J’avais pris cette position avec le soutien de mon directeur. Le résultat fut que l’année suivante le collège organisa une réunion de parents d’élèves pour les cinquièmes où je fus invité à parler, dans un temps très contraint, bien sûr.
L’introduction de la notion de recours fut également difficile. On passait ainsi d’un régime où c’était à l’élève d’apporter la preuve de sa capacité à « passer » en s’affrontant à l’examen de septembre à un régime où le jugement du juge pouvait être remis en cause. L’idée d’examen avait été maintenue, avec une toute petite différence. Il n’était pas organisé en septembre, laissant le temps à l’élève de s’y préparer et de pouvoir ainsi se rattraper. Il se tenait désormais quelques semaines après les conseils de classe. Quand à la commission d’appel, dont la composition reste la même depuis sa création, elle a à sa tête des chefs d’établissement, dont l’un représente l’Inspecteur d’académie, des personnels de l’Éducation nationale et… deux représentants de parents d’élèves. À cette époque, la commission est organisée au niveau du district. Autrement dit, ce sont les chefs d’établissement concernés qui statuent sur leurs propres décisions qu’ils ont prises en conseil de classe. L’atmosphère des premières années n’était pas à la complaisance ou à la compréhension. Aussi, il était conseillé de choisir l’examen plutôt que la commission pour se donner une chance, une toute petite chance, d’obtenir l’orientation demandée et refusée par le conseil de classe.
En cette année 80-81, l’examen des appels se fait simplement avec la présentation par le professeur principal, pas de conseiller d’orientation. Notre directeur, à l’occasion de sa dernière année d’exercice, nous propose d’assister aux commissions d’appel. Il impose notre présence arguant de son départ à la retraite et d’une occasion de formation des conseillers, mais sans dire qu’il nous avait fait le pari d’obtenir 50 % de décisions favorables aux parents. Tous les arguments furent utilisés, l’analyse des bulletins, l’appel à la sensibilité, mais aussi le rappel de la réglementation (la sacoche qui l’accompagnait était remplie de numéros du BOEN, qu’il n’hésitait pas à ouvrir et à en lire quelques articles). Et il obtint « ses » 50 % alors que le taux maximum habituel était autour de 30 % ! Une belle recherche serait à faire sur l’évolution de la réponse des commissions d’appel.
Bernard Desclaux
[1] Voir un ancien article ici : La suppression des CAP https://blog.educpros.fr/bernard-desclaux/2011/04/11/la-suppression-des-cap/