Les Nouvelles procédures d’orientation ont cinquante ans (IX) L’assouplissement

Après l’échec de la réforme du lycée en 2005, la réforme Chatel s’applique à la rentrée de septembre 2010[1]. Elle sera accompagnée de décrets[2] modifiant la procédure d’orientation non seulement en seconde, mais aussi dans le second cycle. Mais c’est l’ensemble de la réforme qui devait entraîner trois modifications sur l’orientation des lycéens. On peut repérer trois modifications : l’organisation de l’offre de formation, l’aide à l’orientation et la procédure d’orientation.

L’organisation de l’offre de formation se voudrait nouvelle

On est revenue sur l’offre modulaire de la réforme proposée par Xavier Darcos, qui supposait un lycée à la carte, pour au contraire un lycée commun, avec le maximum de formation commune pour reculer le moment des choix d’orientation, et réduire leur importance.

La seconde se veut une réelle seconde de détermination avec 80% d’enseignement en commun avec des options non déterminantes ! Était-ce une nouveauté ? Cette indétermination des options était déjà décrétée depuis plus de dix ans, mais rarement mise en œuvre, car elle supposait que les établissements mettent en place des « modules de rattrapages », ce qui fut rarement mis en œuvre.

Rappelons-nous de la première seconde de détermination ou plutôt « indéterminée » comme l’appelaient les enseignants et les chefs d’établissement tant ils étaient choqués par la disparition des filières dès la seconde. Cette seconde devait permettre de découvrir des matières nouvelles, ou présentées de manière nouvelle aux jeunes lycéens. Mais surtout, ces classes devaient être hétérogènes, faisant suite à la réforme Haby du collège. Sauf que bien sûr on les organisa au mieux des emplois du temps, autour des options identiques, et même dans certains cas des dossiers des élèves, reconstituant ainsi une ébauche de filière dès la seconde.

Cette nouveauté atteint également le niveau des premières. Chaque première est organisée autour d’une communauté d’enseignements de 60%, permettant en cours d’année de faire des changements d’orientation, la spécialisation réelle se faisant au niveau de la terminale. Bien sûr les tenants d’une forte spécialisation de chaque bac sont contre, et les modifications par contre-coup des programmes sont aussi l’occasion de débats et d’affrontements[3].

Est-ce une étape vers le lycée unique ?

L’aide à l’orientation s’intègre à l’enseignement

Le fonctionnement de l’aide à l’orientation se trouve incorporé de plus en plus dans celui de l’établissement scolaire, exécuté par ses propres ressources, et relève de l’ensemble de ses personnels et non plus de personnels « spécialisés » tels que conseiller d’orientation-psychologue et professeur principal.

L’accompagnement personnalisé, obligatoire pour tous les élèves, et réalisable par tous (potentiellement), fait partie de l’enseignement commun de la seconde à la terminale. Il sera sous la responsabilité pour sa mise en œuvre du professeur principal, mais pour sa conception, du Conseil pédagogique. Où sera la personnalisation ? Qui en décidera ? Mystère, mystère, ou plutôt la personnalisation se fait du côté de la réception puisque l’élève est l’acteur de son parcours de formation et d’orientation… Il faut ajouter que trois dispositifs sont à articuler, l’accompagnement personnalisé, le tutorat, et les stages de remise à niveau et les stages passerelles.

Cet accompagnement personnalisé a pour enjeu de permettre à l’élève d’acquérir des compétences dans le cadre d’activités coordonnées de soutien, d’approfondissement et d’aide à l’orientation. IL y a également des activités de découverte des métiers et des formations, y compris in situ, contacts avec des représentants de branche professionnelles, avec des établissements de l’enseignement supérieur (orientation active) etc.[4].

On a donc à la fois, une poursuite du PDMF généralisé au collège à la rentrée de septembre 2009, et l’intégration de l’orientation active mise en œuvre deux ans avant.

Le collège a développé, non sans mal, depuis 1987 avec le TSO, puis l’éducation à l’orientation et à l’époque le PDMF (parcours de découverte des métiers et des formations) des pratiques éducatives en matière d’orientation. Qu’en sera-t-il pour le lycée ? Nous avons là une réelle innovation institutionnelle,[5] mais qui réclamera un fort accompagnement.

Autre innovation, le tutorat qui portera sur l’enseignement, mais également sur l’orientation. Il suppose un développement de la relation duelle, enseignant-élève, pas du tout habituelle pour un enseignant français. Il avait été proposé il y a bien longtemps au moment de la consultation dite Legrand au début des années 80, et très mal accueilli par le corps enseignant de l’époque. Les représentations professionnelles ont-elles changé ?

Là encore, le tutorat comme l’accompagnement personnalisé remettent en cause la définition du contenu du temps de travail de l’enseignant français : l’heure devant la classe.

Vers une disparition des procédures d’orientation en lycée

L’évolution que nous repérons correspond à la volonté de réduire les redoublements. Rappelons que la France est la championne des redoublements[6]. A l’époque, 49% des élèves de 15 ans sont en seconde (âge normal dans cette classe).

Le Monde dans son supplément du 10 février 2010 présente ce changement de la manière suivante :

« Un stage de remise à niveau peut être recommandé à un lycéen par le conseil de classe. Il est organisé par le chef d’établissement. Le lycéen qui l’accepte s’engage à le suivre et peut ainsi éviter un redoublement. Il peut être proposé aux élèves sur la base du volontariat ou, en cours d’année, à ceux qui rencontrent une difficulté nécessitant une aide ponctuelle renforcée. Ces stages de remise à niveau sont organisés au cours de l’année ou pendant les vacances, selon les établissements. »

Le Code l’éducation (dont nous avons reconstitué[7] les modifications apportées par le décret n° 2010-100 du 27-1-2010 – J.O. du 28-1-2010 formule les choses de la manière suivante (les partie en italique sont les ajouts) :

« Article D331-34

Lorsque les propositions ne sont pas conformes aux demandes, le chef d’établissement, ou son représentant, reçoit l’élève et ses parents ou l’élève majeur, afin de les informer des propositions du conseil de classe et de recueillir leurs observations. « Le chef d’établissement présente, à cette occasion, les recommandations émises par le conseil de classe dans les conditions définies à l’article D. 331-32. »

Le chef d’établissement prend ensuite les décisions d’orientation ou de redoublement, dont il informe l’équipe pédagogique, et les notifie aux parents de l’élève ou à l’élève majeur.

« Le chef d’établissement peut assortir sa décision de faire droit à la demande d’orientation de l’élève à la condition que celui-ci s’engage à suivre un dispositif de remise à niveau, notamment lorsque le conseil de classe l’a recommandé, avec l’accord écrit de ses représentants légaux dans le cas d’un élève mineur. »

Les décisions non conformes aux demandes font l’objet de motivations signées par le chef d’établissement.

Les motivations comportent des éléments objectifs ayant fondé les décisions, en termes de connaissances, de capacités et d’intérêts. Elles sont adressées aux parents de l’élève ou à l’élève majeur qui font savoir au chef d’établissement s’ils acceptent les décisions ou s’ils en font appel, dans un délai de trois jours ouvrables à compter de la réception de la notification de ces décisions ainsi motivées. »

Pour que cela s’inscrive dans la réalité, il nous semble que trois conditions doivent être réunies.

  • Une information des familles et des élèves doit être organisée sur ce nouveau « droit ». Mais à l’époque, aucune information n’est donnée, on ne trouve rien dans le spécial Lycée après la troisième de l’ONISEP.
  • Une volonté de la part des enseignants d’organiser et de faire vivre les stages et les dispositifs de remise à niveau. Le rôle du Conseil pédagogique sera déterminant.
  • Et enfin une détermination de la part des chefs d’établissement, qui pourrait être aiguillonnée par la hiérarchie notamment par les lettres de mission, mais la DGH est une limite et une contrainte, car aucuns moyens supplémentaires ne sont engagés pour la mise en place des stages.

Un autre assouplissement qui devrait réduire également les redoublements porte sur la réorientation. Le texte dit ceci :

Article D331-29

À l’intérieur des cycles des collèges et des lycées, le redoublement ne peut intervenir qu’à la demande écrite des parents de l’élève ou de l’élève majeur, ou, sur proposition du conseil de classe, avec l’accord écrit des intéressés.

« À l’intérieur du cycle terminal de la voie générale et de la voie technologique du lycée, un changement de voie d’orientation peut être réalisé, en cours ou en fin d’année, sur demande écrite des responsables légaux ou de l’élève majeur, après avis du conseil de classe. Lorsque ce changement a lieu dans le même établissement, il est prononcé par le chef d’établissement dans le délai d’un mois qui suit la demande. Lorsque le changement implique l’affectation dans un autre établissement, il est prononcé par l’inspecteur d’académie, directeur des services départementaux de l’Éducation nationale, dans les conditions fixées à l’article D. 331-38, après avis du chef de l’établissement d’accueil. »

Mais quelles seront les réorientations observées ? Permettront-elles d’aller vers la terminale scientifique ou d’en sortir ? Et ces changements d’orientation se feront sans ou avec pression ? Ces questions se posent bien sûr à l’époque, mais aucunes statistiques, à ma connaissance, n’ont permis depuis d’y répondre.

On peut donc lire ces modifications de diverses manières. Assurément on a un assouplissement des procédures d’orientation, mais en même temps on voit un affaiblissement du pouvoir décisionnaire du conseil de classe et par contre un renforcement de celui du chef d’établissement en dehors du conseil de classe. Mais au final la mise en œuvre dépend du local et de l’investissement des personnels, étant donné l’absence de moyens fléchés et d’information organisée par le Ministère.

Terminons par une curiosité, les propos de Bernard Saint-Girons, Délégué interministériel à l’orientation : « Cette nouvelle architecture, qui permet des changements d’orientation jusqu’en première, se double d’un assouplissement des procédures d’orientation. Le projet de décret « orientation »introduit ainsi la possibilité de changer de voie en cours ou en fin d’année à l’intérieur du cycle terminal. Il prévoit à cet effet l’organisation de stages passerelles pour permettre l’acquisition des prérequis dans les disciplines de spécialisation. Ces dispositions constituent un pas important vers la disparition des procédures autoritaires, qui contribuent à l’image d’une orientation subie au lycée : près de 20% des décisions des conseils de classe vont à l’encontre des vœux formulés par l’élève et sa famille et les nombreux redoublements alimentent les sorties sans diplôme. À terme, la suppression du palier d’orientation à la fin de la seconde générale et technologique apparaît souhaitable. Cela permettrait de responsabiliser pleinement les élèves et leurs parents et de ne pas limiter les choix aux seuls critères de résultats. »[8]

Mais l’année suivante, il est remercié et remplacé par Jean-Robert Pitte pour une autre mission : le labyrinthe de l’AIO.

 

Bernard Desclaux

[1] La réforme du lycée entre en vigueur dès la rentrée de septembre 2010 pour la classe de seconde. Le Bulletin officiel spécial du 29 avril 2010 fixe les programmes des enseignements communs, facultatifs et d’exploration pour les classes de seconde générale et technologique. https://www.education.gouv.fr/rentree-2010-nouveaux-programmes-de-la-classe-de-seconde-au-bulletin-officiel-special-ndeg4-du-29-5738

[2] https://www.education.gouv.fr/bo/2010/special01/mene0929872d.htm

[3] Par exemple : Harlé, I. & Lanéelle, X. (2015). Enjeux et tensions autour de la réforme du lycée (2010-2012) en Sciences économiques et sociales. Éducation et sociétés, 35, 51-66. https://doi.org/10.3917/es.035.0051

[4] Le nouveau Lycée, l’accompagnement personnalisé, http://media.education.gouv.fr/file/reforme_lycee/31/2/Le-nouveau-lycee-accompagnement-personnalise_135312.pdf

[5] Cf Desclaux Bernard (2003) L’éducation en orientation en tant qu’innovation Perspectives documentaires en éducation, n° 60, 2003, L’éducation à l’orientation pp 19-32 https://www.academia.edu/es/75007356/L%C3%A9ducation_%C3%A0_lorientation_en_tant_quinnovation_L%C3%A9ducation_%C3%A0_lorientation

[6] Basil Burlum, La France, championne du redoublement scolaire. Sciences humaines, Mensuel N° 177 – Décembre 2006 http://www.scienceshumaines.com/index.php?lg=fr&id_article=15054

[7] Voir sur mon site https://bdesclaux.jimdofree.com/documents/r%C3%A9forme-du-lyc%C3%A9e/

[8] Rapport annuel d’activité, année 2009, du délégué interministériel à l’orientation, p. 5 https://www.education.gouv.fr/rapport-d-activite-2009-du-delegue-interministeriel-l-orientation-3650

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