La France fut LE pays du redoublement, il y a encore peu. Malgré la réduction drastique du nombre possible de redoublements en primaire, le taux de redoublants des élèves de 15 ans constaté lors des premières enquêtes PISA était parmi les plus élevés des pays de l’OCDE, et était évoqué pour expliquer les mauvais résultats de notre pays. Les chercheurs avaient également produit nombres études sur l’inefficacité, l’inutilité du redoublement. Pourtant, le redoublement restait une décision d’orientation très utilisée dans le secondaire, et ce malgré les injonctions ministérielles.
Du redoublement au maintien
En 2014, Najat Vallaud-Belkacem (première ministre femme de l’Éducation nationale) avait supprimé le redoublement en tant que décision d’orientation[1]. Il n’était plus qu’une mesure très exceptionnelle sous conditions et nécessairement accompagnée d’un dispositif particulier, un PPRE[2]. À l’époque je remarquais que « Curieusement cette modification n’a provoqué aucune opposition. On peut penser que la Dotation Horaire Globale permet de moins en moins ce « luxe » dans les établissements. De fait cela veut dire que la procédure aux différents paliers du collège (sauf en troisième) n’a plus réellement raison d’être. Tout le monde avance, et les parcours (le choix des options entre autres) sont théoriquement décidés par les parents »[3]
Quatre ans après, en 2018, Jean-Michel Blanquer, nouveau ministre d’un nouveau gouvernement, publie un nouveau décret[4] qui modifie à son tour le Code de l’éducation ainsi : « Art. D. 331-62. -À tout moment de l’année scolaire, lorsque l’élève rencontre des difficultés importantes d’apprentissage, un dispositif d’accompagnement pédagogique est mis en place. À titre exceptionnel, lorsque le dispositif d’accompagnement pédagogique mis en place n’a pas permis de pallier les difficultés importantes d’apprentissage rencontrées par l’élève, un redoublement peut être décidé par le chef d’établissement en fin d’année scolaire. Cette décision intervient à la suite d’une phase de dialogue avec l’élève et ses représentants légaux ou l’élève lui-même lorsque ce dernier est majeur et après que le conseil de classe s’est prononcé, conformément à l’article L. 311-7. » « La mise en œuvre d’une décision de redoublement s’accompagne d’un dispositif d’accompagnement pédagogique spécifique de l’élève concerné, qui peut notamment prendre la forme d’un programme personnalisé de réussite éducative. »« Une seule décision de redoublement peut intervenir durant la scolarité d’un élève avant la fin du cycle 4 mentionné à l’article D. 311-10, sans préjudice des dispositions de l’article D. 351-7. Toutefois, une seconde décision de redoublement peut être prononcée, avant la fin du cycle 4, après l’accord préalable du directeur académique des services de l’éducation nationale. » « La décision de redoublement est notifiée par le chef d’établissement aux représentants légaux de l’élève ou à l’élève lui-même lorsqu’il est majeur. Ces derniers peuvent faire appel de cette décision dans les conditions prévues par les articles D. 331-34, D. 331-35, D. 331-56 et D. 331-57.»
Magliulo Bruno après l’analyse de ce nouveau décret[5] a proposé un commentaire en y voyant « un renforcement du principe régulateur sélectif de notre enseignement secondaire, et ce à tous les niveaux : de la classe de sixième à la sortie des classes terminales ». Et en conclusion il rapportait les propos du nouveau ministre qui souhaitait « autoriser à nouveau le redoublement », estimant que ses prédécesseurs étaient allés trop loin en ce domaine. Il émettait à cette occasion l’idée qu’ « il y a quelque chose d’absurde à laisser passer de classe en classe des élèves accumulant des retards ». Et de conclure que « le redoublement doit rester possible quand c’est dans l’intérêt de l’élève « , tout en ajoutant que cela ne saurait que concernée « des cas qui doivent rester rares ».
De l’administratif au pédagogique
La DEGESCO a publié un document intitulé « ARTICULATION DES PROCEDURES D’ORIENTATION ET DE REDOUBLEMENT »[6], et les académies ont publié leurs documents d’accompagnement des procédures. Dans tous ces documents, consultés à l’époque, on insiste sur la distinction entre la procédure du redoublement et celle d’orientation. La distinction est apparemment simple, le redoublement est une décision pédagogique alors que celle concernant l’orientation est administrative. La décision de redoublement, par le chef d’établissement, en dehors du conseil de classe, doit être précédée par la mise en place d’un dispositif d’accompagnement pédagogique, et pour l’année de redoublement il doit en être de même. Mieux, le texte de la DEGESCO précise : « Lorsqu’une décision de redoublement est prise aux paliers d’orientation, celle-ci est incompatible avec une décision d’orientation qui implique un passage dans une classe supérieure. De manière dérogatoire, l’élève concerné ne participe pas à la procédure d’orientation : sa demande d’orientation n’est pas prise en compte. » (p. 4)
Mais la famille peut faire appel de cette décision : « Lorsque la famille, ayant formulé une demande d’orientation sans réponse de l’administration, conteste la décision de redoublement auprès de la commission d’appel, la commission d’appel qui donne satisfaction à la famille (rejet de la décision de redoublement du chef d’établissement) fait nécessairement droit à la demande de passage de la famille dans son ensemble, c’est-à-dire dans les voies d’orientation demandées par la famille. »
Ainsi, la famille dans le cadre de l’appel peut obtenir ce qu’elle veut alors que sa demande n’a pas été examinée par le conseil de classe. On peut se demander en passant qui présente le dossier de l’élève. Le conseil de classe ayant été tenu hors de la discussion d’un passage, ce serait normalement le chef d’établissement puisqu’il n’y a plus d’hésitation, il est le seul décideur en ce domaine. Mais, qui a vu s’expliquer un chef d’établissement devant une commission d’appel ?
Donc au bout du compte, si la commission d’appel ne donne pas le passage, la seule possibilité restante est le « maintien ». La FAQ sur Eduscol « Questions/réponses concernant le droit au maintien »[7] indique :
« À l’issue de la seconde GT, la famille peut-elle demander le maintien dans la classe d’origine si elle n’a pas obtenu de décision d’orientation conforme à sa demande ?
OUI. L’article D331-37 du code de l’éducation, qui concerne, au lycée, uniquement les élèves de seconde générale et technologique, prévoit que « lorsque les parents de l’élève ou l’élève majeur n’obtiennent pas satisfaction pour les voies d’orientation demandées, ils peuvent, de droit, obtenir le maintien de l’élève dans sa classe d’origine pour la durée d’une seule année scolaire.
Ce droit peut s’exercer dès lors que la décision d’orientation du chef d’établissement n’est pas conforme à la demande de la famille, sans être tenu de faire appel. Ce droit peut également s’exercer à l’issue de la commission d’appel, lorsque la décision prise par la commission n’obtient pas l’assentiment des représentants légaux de l’élève ou de l’élève majeur, conformément à l’article D331-35 du code de l’éducation. »
Autrement dit, on maintient l’élève dans la même classe, il refait son année, mais sans aucune aide particulière. Comme si son opposition à la décision du chef d’établissement était un affront à l’autorité qu’il fallait payer !
En résumer
On peut résumer le télescopage de ces deux décrets aux objectifs opposés, l’un cherchant à supprimer le redoublement et l’autre à le restaurer de la manière suivante. On parlera de redoublement lorsqu’il s’agit d’une décision du chef d’établissement et qui sera accompagnée alors d’un dispositif pédagogique, puis qu’il s’agit d’une mesure pédagogique. Mais on parlera de maintien lorsqu’il s’agit d’une décision de la famille ou d’un échec d’affectation. et dans ce cas il n’y a bien sûr aucun dispositif pédagogique à mettre en œuvre. C’est simple, et quant aux statisticiens, qu’ils se débrouillent. Mais reste une opération réussie : le redoublement n’est plus une proposition d’orientation prise en conseil de classe.
Bernard Desclaux
[1] Décret Évaluation des acquis, accompagnement pédagogique des élèves, dispositifs d’aide et redoublement : modification (NOR : MENE1418381D, décret n° 2014-1377 du 18-11-2014 – J.O. du 20-11-2014 MENESR – DGESCO A1-2) https://www.education.gouv.fr/bo/14/Hebdo44/MENE1418381D.htm
[2] Les Programmes Personnalisés de Réussite Educative : objectifs et organisation, présentation sur Eduscol. https://eduscol.education.fr/cid50680/les-programmes-personnalises-de-reussite-educative-ppre.html
[3] Interviewé dans Orientation scolaire : la grande oubliée de la réforme du collège ? par Eric Eymard https://www.tonavenir.net/orientation-scolaire-la-grande-oubliee-de-la-reforme-du-college/
[4] Décret n°2018-119 du 20 février 2018 Dispositions relatives au redoublement https://www.education.gouv.fr/bo/18/Hebdo8/MENE1800673D.htm
[5] Magliulo Bruno, (20 mai 2018). Redoublement et rôles du conseil de classe et du chef d’établissement : on resserre les boulons. https://www.educavox.fr/accueil/debats/redoublement-et-roles-du-conseil-de-classe-et-du-chef-d-etablissement-on-resserre-les-boulons
[6] Ce document a disparu du site du ministère, dès 2020. Il restait visible à cette date sur le site de l’enseignement catholique de Paris d’où il a disparu également.
[7] (mise à jour : mai 2023) https://eduscol.education.fr/838/questionsreponses-concernant-le-droit-au-maintien
La situation était loin d’être partout la même. Quand j’étais directeur de CIO à Brioude en Haute-Loire, le taux de passage de CM2 en 6ème était de 80% dans cette circonscription en 1970. Muté à Avranches à la fin de cette année scolaire j’ai observé que le taux de passage de CM2 en 6ème n’était que de 56%. Par contre le Finistère en Bretagne avait des taux de passage équivalent à ceux de la Haute-Loire. Sur toute la scolarité, les résultats du Finistère était du même ordre que ceux de l’Académie de Paris, quand l’Académie de Créteil était dans les choux. Se saisir de « l’outil scolarisation » est avant tout une question de « mentalisation » dans les populations. C’est une question psycho-sociale. Depuis cette époque l’état d’esprit des populations s’est profondément dégradé. A l’intérieur d’une région comme la Bretagne, il a fallu plus de 10 ans pour que les départements du Morbihan et de l’Ille et Vilaine atteignent le niveau de scolarisation du Finistère. En ces temps là, l’approche Wallonienne du développement de la personne marquait encore fortement le système éducatif. Aujourd’hui qui sait encore qui était Henri Wallon. La mentalité bourgeoise qui l’emporte à notre époque a laissé démolir le systèmpe éducatif.
En effet, la scolarisation ne fut une évidence que bien tard et de manière très différenciée sur le territoire. Le thème de l’obligation scolaire a progressivement disparu dans les années 60-70 au profit de celui de l’échec scolaire. Et dans les années 90, c’est celui du décrochage. Le rapport à l’école a fortement évolué.