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Pierre Dubois

Financer selon la performance (2)

Brève histoire du financement selon la performance (suite de la chronique Financer selon la performance“). Ce financement est ancien, mais il a pris, ces dernières années, une ampleur nouvelle avec l’instauration de la LOLF (2001, Loi d’Orientation de la Loi de Finances), loi votée sous le gouvernement Jospin. Cette chronique “historique” ne traite que des subventions de fonctionnement attribuées par l’Etat aux universités (ne sont donc pas concernées les subventions d’investissement). Les subventions de fonctionnement, allouées pour les missions d’enseignement et de recherche, prennent en compte les activités de l’université (ses formations et le nombre d’étudiants inscrits dans chacune d’entre elles), et/ou leurs projets et/ou leurs résultats.

Le financement des formations habilitées et des centres de recherche “labellisés” n’est pas nouveau : il s’agit soit d’un financement selon l’activité (organiser des enseignements et faire de la recherche coûte) et/ou selon le projet (demande d’habilitation ou de création d’un centre de recherche). Un diplôme habilité donne lieu à des dotations de postes d’enseignants-chercheurs et de BIATOSS, à une dotation de fonctionnement par étudiant, et éventuellement à des dotations de compensation si le nombre de postes est insuffisant. Selon quels critères se font ces dotations ? Ils font référence à des normes, les normes Garacès dans les années 70, les normes SanRemo depuis 1984 (H/E, Heures par étudiant). Un étudiant en master professionnel dans une discipline scientifique est davantage doté par l’Etat qu’un étudiant en 1ère année de licence générale de droit.

L’explosion de l’offre de formations professionnelles, en particulier en master, a mis le système SanRemo à mort : voulant faire la réforme LMD à coût zéro, l’Etat ne pouvait augmenter indéfiniment ses dotations pour les diplômes professionnels de plus en plus nombreux. SanRemo a donc été remplacé par Sympa et plus personne ne sait si un H/E par type de formation existe encore !

De plus, San Remo souffrait d’un point faible structurel : il distinguait ”potentiel théorique” (somme des dotations de toutes les formations) et “potentiel réel”. Un certain nombre d’universités avaient un potentiel réel bien inférieur au potentiel théorique que l’Etat aurait dû leur reconnaître, mais San Remo n’a réussi qu’à la marge à redéployer les moyens entre les “universités riches” et les “universités pauvres“.

Dotation des formations et des centres de recherche selon les projets et les activités, mais, théoriquement aussi, selon la performance. Les habilitations et les labellisations étant accordées pour 4 ans, les réhabiltiations et les relabellisations auraient dû donner lieu à des évaluations des résultats atteints. Formellement, c’était le cas, mais les évaluations à 4 ans conduisaient rarement à la fermeture de diplômes ou de centres de recherche. De fait, le financement selon la performance n’existait pas. 

La situation change peu dans les années 80, en dépit de deux innovations fondamentales : la création du CNE en 1985 et le lancement de la politique contractuelle (contrats quadriennaux) en 1989. Le Comité National d’Evaluation (CNE) a fait des évaluations institutionnelles (de l’établissement, de la formation, de la recherche) ; celles-ci se concluaient par un rapport assorti de recommandations ; aucun lien avec le financement des universités n’était opéré. Mais, au moins, le CNE a introduit une culture de l’évaluation dans les établissements.

L’introduction de la contractualisation en 1989 (contrat quadriennaux entre l’Etat et chaque université) était assortie d’une politique d’allocation de moyens aux projets définis par l’établissement et négociés avec la “tutelle”. On entre alors réellement dans un ère de financement étatique selon les projets. Logiquement, la négociation du deuxième contrat, quatre ans plus tard, aurait dû être l’occasion d’introduire un financement selon la performance. “Vous avez eu de l’argent pour tel projet. Quels résultats avez-vous obtenus ? Vous n’avez rien fait : rendez l’argent !”. Il n’en a rien été, les bilans des contrats, rendus par les universités, n’étaient pas réellement examinés par les experts ; ils se concentraitent sur les projets des nouveaux contrats, pour ne pas retarder leur signature (il est régulièrement arrivé que les contrats soient signés avec plus d’un an de retard).

Et vint la LOLF (2001) et son application dans les universités à partir de 2005, 2006 : les budgets de celles-ci ont dû être votés selon l’architecture LOLF : missions, programmes, actions, moyens, projets annuels de performance, indicateurs de performance (lire la chronique : “PAP du PLF de la MIRES“). Une vraie révolution… théorique, mais qui ne fait guère encore ressentir ses effets réels dans les universités. Financement selon la performance, un serpent de mer ?

Le financement selon les projets (et non plus selon les activités récurrentes) a poursuivi son chemin dans les années les plus récentes. L’ANR (Agence Nationale de la Recherche) lance des appels à projets, les évalue et les finance. L’AERES (Agence d’Evaluation de la Recherche et de l’Enseignement Supérieur) évalue les projets des établissements dans le cadre de leur contrat quadriennal. Bref, de moins en moins de financements de base,  récurrents (un des causes du mouvement de l’hiver et du printemps 2009)  et de plus en plus de financements selon les projets.

Le financement selon la performance refait surface avec la Loi LRU d’août 2007 et le passage des universités aux responsabilités et compétences élargies (RCE). Plus de la moitié des universités seront passées aux RCE en janvier 2010. Masse salariale des fonctionnaires intégrée dans le budget, responsabilité totale de la gestion des ressources humaines, des redéploiements, des recrutements, des mobilités, des rpomotions, des primes… Pour ne pas aller dans le mur, pour ne pas exploser leurs coûts, pour éviter de graves crises financières, les universités vont être obligées d’analyser finement leurs performances et de faire des choix. Il n’est pas dit qu’elles y soient, politiquement, stratégiquement et techniquement, prêtes.

Alors, Valérie Pécresse, sans doute dubitative sur les effets réels de sa loi LRU, en remet “une couche” pour le financement selon la performance, se recadrant sur les prescriptions de la LOLF. Elle vient ainsi de prescrire aux universités de faire des enquêtes sur le devenir professionnel de leurs diplômés car la loi de finances de 2010 prescrit un projet annuel de performances (PAP) en matière d’insertion, projet doté d’un indicateur de performance d’une “stupidité rare” et sur lequel on reviendra dans une prochaine chronique (lire déjà “Insertion performante ?“.

Prochaine chronique : comment mesurer les résultats d’une activité ou d’un projet ?

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