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Pierre Dubois

CA contre Comité de sélection (CdS)

Le Conseil d’administration, réuni en formation restreinte, valide ou non les propositions de recrutement établies par les Comités de sélection (CdS) après audition d’une partie des candidats. Le CA fonctionne ainsi en jury de recrutement : le décret du 10 avril 2008 sur les CDS en a décidé ainsi. C’est un changement, de fait radical, par rapport à la situation antérieure : les Commissions de spécialités fonctionnaient en jury et le CA ne pouvait annuler leurs décisions que pour vice de forme, pour recrutement trop éloigné du profil de poste… Le décret sur les CdS a été maintes fois critiqué, en particulier par André Legrand, professeur de droit public et ancien 1er vice-président de la CPU (cliquer ici). 

Un premier cas de rejet de la proposition d’un Comité de sélection a provoqué la démission des experts extérieurs, le CA ayant préféré recruter un “local” aux dépens d’un candidat ”non-local” (chronique : “Localisme du recrutement“). C’était en sociologie à Metz.

Deux nouveaux cas de non-suivi des propositions du CdS par le CA : encore en sociologie, mais cette fois à l’université de Strasbourg ; mais les propositions de 2 autres CdS de sociologie ont été retenues par le CA. La décision passe mal dans l’UFR de Sciences sociales car le Président s’est empressé d’envoyer à la Directrice, le 14 juin, un courrier expliquant la décision (je n’ai pu me procurer ce courrier). Il n’a pas convaincu !

Fort logiquement, le conflit se déplace sur la place publique. Les 2 non-validations donnent lieu, le 16 juin, à un communiqué de Julien Fretel, président de l’Association des enseignants et chercheurs en sciences politiques (AECSP) et de Frédéric Neyrat, président de l’Association des sociologues de l’enseignement supérieur (ASES) : “La sociologie, victime de la LRU ? Le mauvais exemple de l’université de Strasbourg” (cliquer ici).

Pourquoi cette absence de validation par Alain Béretz, président de l’université ? Interprétation des deux associations : “une enquête simple conduit à penser que des tensions entre les deux équipes rivales de la sociologie strasbourgeoise ne sont pas étrangères à ces invalidations : en effet, seule l’une des équipes est touchée par les deux annulations. La présidence de l’université a manifestement été sensible aux arguments que lui aura fournis l’une des équipes en présence”. Aucune information n’est donnée sur les deux cas ; le nom des 2 équipes n’est pas mentionné.

Je fais part à Frédéric Neyrat de mon scepticisme quant à l’interprétation des faits. Pourquoi Alain Béretz interviendrait-il en faveur d’un des deux centres de recherche alors que le CS et le CA ont mis au concours 4 postes (2 par labo), après en avoir accepté les profils, et qu’ils ont tout autant accepté la composition des Comités de sélection ? Pourquoi une intervention tardive ? Pourquoi n’être pas intervenu en amont en fléchant les 4 postes sur le même centre de recherche ?  

Le 23 juin, Maurice Blanc, professeur émérite en sociologie et directeur jusqu’en 2008 du Centre de recherche et d’étude en sciences sociales (CRESS), envoie une lettre ouverte au Président , “L’avenir des Sciences sociales à l’université de Strasbourg” (cliquer ici). “Un désaveu sans la moindre justification est insupportable. Le propos de Hughes Dreyssé, vice-président chargé des ressources humaines, tel qu’il est rapporté par les Dernières Nouvelles d’Alsace ce matin, “le CA est souverain et n’a pas le droit de justifier ses choix“, est une contre-vérité grossière”. Maurice Blanc se place sur la même ligne que les 2 associations nationales : un seul centre de recherche a le soutien de l’équipe de direction. Et pourtant, “en 2008, le CRESS a été aussi bien noté que “Cultures et Sociétés en Europe” par l’Agence d’évaluation de la recherche (AERES). Pourquoi donc vouloir asphyxier le premier en empêchant les enseignants-chercheurs sélectionnés par leurs pairs, dans des conditions irréprochables, de venir le rejoindre” ? Voici donc désigné l’adversaire, le Centre de recherche qui serait soutenu par le CA et le Président : “Laboratoire Cultures et Sociétés en Europe“. Combat des maffesoliens et des anti-maffesoliens ?

Confirmation des propos de Maurice Blanc sur les évaluations de l’AERES réalisées en décembre 2007 (cliquer ici). “Le CRESS doit être assurément maintenu et soutenu“. Un point à améliorer et il est au coeur de l’affaire : “assurer le renouvellement de l’équipe (en particulier de sa direction) suite au vieillissement relatif des enseignants-chercheurs”. Le CRESS serait donc un labo vieillissant. Son directeur est aujourd’hui Roger Somé (il n’est pas professeur).

Et Cultures et Sociétés en Europe ? AERES : “Points forts : visibilité internationale, dynamisme organisationnel, forte attractivité, bon niveau de publications”. “Point faible : une hétérogénéité des sujets de recherche qui apparente l’unité à une fédération de républiques autonomes”. Maurice Blanc oublie de mentionner un point qui n’est pas sans importance : le CRESS est Equipe d’accueil, Cultures et Sociétés était une UMR CNRS, devenue Fédération de recherche en évolution (FRE3229). Ce qu’est une FRE ? Une structure de crise. Le directeur de la FRE est Pascal Hintermeyer (”Etudier comment les hommes assument les aspects désagréables de l’existence, comment ils font collectivement face à ce qu’ils maîtrisent pas. Comprendre le traitement social des figures du négatif que sont la mort, la maladie, la violence”).

La décision du CA et du Président Béretz de ne pas valider deux propositions de CdS est-elle un élément de la stratégie de recherche de l’université ? Eliminer progressivement les équipes d’accueil pour ne garder que les “équipes labellisées” ? Cette stratégie est évidemment légitime, mais la faire passer par la non-validation de propositions de CDS serait vraiment “petits bras” !

Le CRESS monte à son tour au créneau : “Deux concours annulés à l’université de Strasbourg : des faits et des questions” (cliquer ici). La plainte d’un candidat qui n’a pas été auditionné est invoquée pour ne pas valider le classement pour le poste de maître de conférences : cet argument n’est pas sérieux ! La trop grande proximité scientifique du candidat avec 2 membres du Comité de sélection (ils ont été membres du jury de son HdR) est invoquée pour casser le classement pour le poste de professeur ; à noter que le CdS concerné était composé de 10 professeurs. Ces deux raisons, évoquées oralement et jamais écrites, sont bien peu sérieuses. Faut-il donc, comme le CRESS le dit, faire l’hypothèse que la direction de l’université veut “la peau” du CRESS ? La preuve serait : “le blocage, depuis 3 ans, du recrutement d’un professeur”.

Je ne peux pas croire que la non-validation des propositions de CdS soit une méthode utilisée pour affaiblir une équipe de recherche ; il était plus simple de ne pas lui affecter de postes ! Je ne comprends donc toujours pas ce qui s’est passé, se passe à Strasbourg. Des informations supplémentaires permettraient d’avancer dans la compréhension des non-validations. Les classements des 2 Comités de Sélection sont-ils invalidés ou modifiés ? Y a-t-il deux heureux bénéficiaires de la modification du classement ?  

Quelles réactions des 5 membres extérieurs du CdS, professeurs appartenant à 5 universités différentes (cliquer ici) : pourquoi ne déclarent-ils pas qu’à l’avenir ils refuseront de travailler pour un CdS de Strasbourg ? Quelle est l’analyse de François Steudler, président du CdS et membre du CRESS ? Quelle est celle de Jacqueline Igersheim, directrice de l’UFR, membre du CRESS et vice-présidente déléguée en charge de l’orientation et de l’insertion professionnelle (chronique :”Strasbourg. Le BAIP“) ?

Et comment réagit Philippe Hamman, directeur-adjoint du CRESS, candidat classé 1er sur le poste de professeur et devenu candidat déclassé ? La non-prise en compte des propositions du CdS par le CA serait-elle l’indice d’une politique de recrutement “anti-localiste”. Mais si c’était le cas, elle devait être annoncée clairement aux membres du CdS (chronique : “Recrutements localistes“). Et si c’était le cas, les classements modifiés ne devraient pas mettre en tête d’autres candidats locaux ! Bref, cette “affaire de Strasbourg” n’est pas encore élucidée.

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