Catégories
Bernard Desclaux

Conséquences du collège unique

Il y a un an, François Dubet et Christophe Paris écrivaient une tribune libre dans le Monde

du 16.09.09 :

Il faut avoir le courage de réinventer le collège unique


Ils y écrivaient notamment :

« Nous ne sauverons pas le collège unique si nous n’avons pas le courage politique de nous attaquer à la contradiction dans laquelle il se trouve aujourd’hui : celui d’être à la fois un lieu d’accueil pour tous les publics, avec une grande hétérogénéité sociale et scolaire, et un lieu de sélection chargé de faire émerger une élite, qui suivra ensuite les meilleures filières du lycée et de l’enseignement supérieur. Un lieu où chaque enfant est censé trouver sa place, mais où il fait l’expérience de la compétition.

Compétition pour l’accès à des chemins scolaires différenciant après la troisième. Mais qui est l’arbitre d’une telle compétition ?

Une hésitation tragique


La France a hésité durant plusieurs années, jusqu’à la réforme Haby, entre deux conceptions pour l’étage collège. Est-il une école moyenne, soit le deuxième étage de l’éducation obligatoire pour tous, ou bien la préparation et la sélection de ceux qui seront autorisés à poursuivre leurs études générales au lycée, puis dans le supérieur ?


Deux corps enseignants y ont été mélangés :

  • les PEGC. A l’origine, il s’agissait d’enseignants du primaire, mais très vite ce furent des étudiants s’arrêtant au DEUG, n’ayant pas eu la possibilité de faire la licence, ou de décrocher le CAPES.

  • les certifiés et quelques agrégés. Il s’agissait là d’enseignants du secondaire, recrutés jusque là pour enseigner en lycée (de la sixième à la terminale.


Les premiers avaient notamment un horaire supérieur au deuxième groupe, et par contre une paye inférieure. Lesquels espéraient devenir les autres ? Et sans doute que nombre d’entre eux espéraient un poste dans un lycée (seconde-terminale). Aussi peut-on faire l’hypothèse que les corps enseignants du collège, inconsciemment bien sûr, protégeaient le lycée en exerçant une forte sélection. En 1974, le taux de passage en seconde était de 51%, en 1995, il était de 57%, et en 2010, quinze ans plus tard ? Il est de 57,3% ! Le formatage de la sélection a donc peu bougé, ainsi que la protection du lycée.


Evaluation ou orientation ?


Les auteurs poursuivaient :

Seconde piste, l’obsession évaluative. Pourquoi cette omniprésence des interrogations et des contrôles, conduisant parfois à y consacrer un cours sur quatre ? Outre le stress qu’elle peut nourrir chez les élèves les plus fragiles, cette évaluation n’est pas conçue dans une logique d’amélioration permanente mais, encore une fois, de compétition.

Libéré du carcan de la sélection, le collège pourrait devenir un lieu réellement accueillant, un lieu éducatif au sens large. Ce serait autant de pression en moins pour les enseignants et les équipes pédagogiques. Une atmosphère plus sereine permettrait à ces derniers de remplir leur rôle éducatif et de créer avec les jeunes une relation de confiance. »

Peut-on dire que la question de l’orientation dans notre système est ainsi posée ?

Remarquons que le mot « orientation » n’est pas écrit. On parle encore pudiquement d’évaluation, plus précisément d’obsession évaluative. Au fond on parle de l’effet et non de la cause.

Si les enseignants français ont développé cette obsession, ce n’est pas pour des raisons « culturelles » ou nationales, mais bien parce qu’ils ont un rôle bien particulier dans la gestion de la circulation des élèves à l’intérieur du système. Chez nous, ce sont les enseignants qui enseignent aux élèves qui sont également chargés de la tâche de fournir les arguments pour décider de leur orientation, de leur circulation dans le système scolaire. Et depuis Edgard Faure, qui a supprimé les compositions trimestrielles, c’est à chaque enseignant de fourbir ses évaluations. Ainsi, on a, à la fois, un pouvoir et une peur d’exercer ce pouvoir qui alimente cette obsession évaluative.

Conséquences pédagogiques et structurelles

Donc admettons qu’enfin la question de l’orientation aboutisse, et que le collège n’ait plus à faire ce salle boulot, comme le disait Dubet. Deux conséquences seraient à envisager :

  • à partir de quoi reconstruire notre pédagogie ? La notre est fondamentalement construite sur le principe de la recherche de l’erreur qui permet des méthodologies plus simples de l’évaluation, que celles liées à l’évaluation formative. La relation pédagogique est elle-même à reconstruire ;
  • sur quoi argumenter la gestion du parcours scolaire de l’élève, ? Si le tri n’est pas fait au collège, alors le/les lycées ne reçoivent plus une population répartie. Il faut alors, réellement penser à une vraie seconde indifférenciée rassemblant tous les élèves sortant du collège. Tollé assuré. Ou encore pire, il s’agirait de construire un lycée unique ! Avec la réforme actuelle du lycée, sa « seconde, une classe de détermination » (c’était son nom depuis 1982), son insistance sur l’égale valeur des bacs, on n’est pas très loin de cette idée du lycée unique, mais sans le nommer ainsi. A mais j’oubliais, la voie professionnelle reste maintenue.

L’objectif d’un réel collège unique a donc quelques conséquences lourdes. C’est pourquoi cette question se doit d’être travaillée longuement avant d’avoir une chance d’aboutir et d’être acceptable dans notre système scolaire.


Bernard Desclaux

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *