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Michel Lussault

Classer/Penser (?) 1

Il parait difficile d’échapper aujourd’hui aux classements et palmarès. Tous les domaines sont désormais concernés, y compris ceux des activités qu’on tend à considérer (en France tout du moins) comme renvoyant aux services publics fondamentaux : la santé, l’éducation, la culture. Il n’est pas de semaine sans qu’un magazine, un quotidien, un site, un blog ne se fasse l’écho d’un classement, qu’il émane d’institutions publiques ou privées, qu’il soit élaboré par un tiers (ONG, association), ou produit par le média lui même — comme ces classements de ville dont certains hebdomadaires raffolent.

Les sociétés contemporaines sont donc marquées par la progression constante du souci d’évaluer, en particulier, es politiques publiques, les institutions et leurs “prestations”. Bon nombre de stratégies de modernisation des États et de leurs administrations entendent même se fonder sur ce type d’expertise. Conséquemment, le rôle et le pouvoir des instances, de quelque nature qu’elles soient, chargées de ces évaluations  et de ces classements ne cessent de croître. Situation paradoxale que celle de ces études évaluatives présentées comme non contraignantes, mais dont la publication met parfois en émoi les acteurs du champ concerné. De ce point de vue, l’exemple du classement dit de Shanghai des universités mondiales est particulièrement significatif – comme l’est celui des enquêtes Pisa : on voit bien que lorsqu’un classement est utilisé au sein du débat public par les acteurs sociaux et politiques, il devient un palmarès. Dès lors il tend à devenir un instrument dont on se sert pour discuter de la qualité, de l’efficacité, de la performance d’un système ou/et d’un établissement.

C’est que la production d’indicateurs et la réalisation de classements et de palmarès, semblent posséder un fort pouvoir de mise en visibilité des (dys)fonctionnements institutionnels. Le classement, réalisé par un tiers, appuyé sur des méthodes explicites et transposables, devient ainsi un canal courant et efficace de l’alimentation de la scène politique en problèmes sociaux sujets de débats.

Le champ de l’éducation (primaire, secondaire, supérieure) et celui de la recherche sont aujourd’hui soumis à cette pression évaluative et classante, et ce de manière croissante depuis 25 ans. L’évaluation des systèmes et des établissements d’éducation se fonde souvent sur l’appréhension des performances des apprenants (comme sur celle des personnels), sur un mode qui tend déjà à rechercher le classement au détriment de la description qualitative tournée vers la personnalisation des apprentissages. Il est tentant d’en inférer celles des systèmes éducatifs, même si l’évaluation n’a pas été conçue pour cela. La pression émane de divers opérateurs sociaux : groupements de parents, syndicats, gouvernements locaux, régionaux, nationaux, organisations internationales de statut varié. Bien sûr, les objectifs de chacun ne convergent pas nécessairement, sans compter que l’évaluation de l’éducation primaire et secondaire et celle de l’enseignement supérieur ne procèdent pas des mêmes techniques.

Si cette évolution s’est d’abord déroulée à bas bruit, de nombreuses voix critiques s’élèvent depuis quelques temps. Certains opérateurs (notamment des syndicats d’enseignants, ou encore l’Unesco qi dénonce notamment la mise en marge par les classements des systèmes de formation des pays en développement, notamment africains), se montrent réservés sinon quant au principe même de l’évaluation des performances du système de formation (notamment lorsqu’elle s’appuie sur celle des élèves), du moins quant à l’exploitation des résultats sous la forme de classements et de palmarès. Devant la généralisation du mouvement classifiant et la montée en puissance de sa mise en cause, il est important d’aborder cette question sans œillères.

C’est ce constat qui a poussé le comité de rédaction  de la revue internationale d’éducation de Sèvres à me demander de coordonner un numéro sur les palmarès et classements, qui aborde, et c’est là son originalité la question des classements et des palmarès tant dans l’enseignement secondaire que dans l’enseignement supérieur et la recherche. Je renvoie ici le lecteur de ce blog au site de la revue, où sont mis en ligne le sommaire, les résumés et l’introduction du numéro 54, qui vient de paraître : http://www.ciep.fr/ries/ries54.php.

Je reviendrai sur cette question du classement pour donner du sens au titre de ce billet et préciser un peu les choses en matière de réflexion sur ce que classer signifie.

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