L’appel de l’AFEV à la suppression des notes à l’école primaire a déclenché de nombreuses réactions que l’on peut trouver sur le net et dans la presse. Pour exemple : Philippe Mérieux , Michel Lussault , Nathalie Mons .
Pour la plupart, ces réactions se sont centrées me semble-t-il essentiellement sur la dimension pédagogique ( de même que l’appel). Je proposerais donc une autre contextualisation de la notion :
comment et pourquoi l’évaluation à la française (la notation) et l’orientation de l’élève dépendent l’une de l’autre en France ?
J’ouvre ici une série de posts pour tenter d’éclairer ces relations dangereuses, qui si elles ne sont pas travaillées, remettront en question toute tentative de réforme de notre système scolaire.
Traduisons tout d’abord ces deux mots
- évaluation : pratique permettant d’attribuer à chaque élément une valeur différentiante à l’intérieur d’un groupe ;
- orientation : règles d’autorisation de circulation à l’intérieur d’un système, gérant trois états :
- stagner = redoublement
- passer = passage en classe supérieure
- sortir = vie active
- stagner = redoublement
Petite histoire de cette liaison
La liaison notation-décision de passage est très ancienne. Elle apparaît dans une circulaire de 1890 présentée ainsi par André Caroff :
“ Une circulaire en date du 27 mai 1890 relative aux examens de passage avait fixé une procédure qui, moyennant quelques retouches, est demeurée valable pendant 70 ans. Selon cette procédure, chaque professeur devait dresser en fin d’année la liste des élèves de la classe par ordre de mérite en attribuant à chacun d’eux une note pour sa matière d’enseignement. Toute note supérieure à la moyenne dispensait de l’examen. Après examen, les élèves étaient classés en trois catégories “par le chef d’établissement, sur l’avis collectif et concerté de tous les professeurs de la classe réunis “ :
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I – élèves admis à entrer dans la classe supérieure
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2 – élèves ajournés à une nouvelle épreuve au moment de la rentrée d’octobre
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3 – élèves ajournés définitivement c’est-à-dire reconnus incapables de suivre avec fruit la classe supérieure
On voit que la décision finale est déjà collégiale pour les élèves dont le cas pose problème. On voit aussi que la responsabilité de l’établissement fréquenté par l’élève cesse au moment où celui-ci le quitte. Il est remis à sa famille, à charge pour elle de lui trouver une nouvelle voie.
La réunion collégiale des professeurs est une réunion “ ad hoc “, spécialement organisée pour prendre les décisions de fin d’année. Une autre circulaire du 19 juillet 1898 formulait, par ailleurs, le souhait suivant : “ Il est également désirable qu’à certaines époques de l’année, tous les professeurs d’une même classe se réunissent pour s’entretenir de l’état de la classe, du travail et des progrès des élèves “. “1
La note semblait-être alors une représentation de l’appréciation de l’élève par le professeur. Donc, pour assurer la solidité de la note on a introduit le principe des compositions, des épreuves trimestrielles. Celles-ci furent supprimées en 1969 par le ministre de l’époque, Edgar Faure. A partir de cette date, chaque enseignant, seul, produit alors ses évaluations et ses notes. Ainsi chaque enseignant détient un pouvoir sur un territoire pédagogique qui lui est considéré comme personnel : il enseigne, il créé des épreuves dont il définit les barèmes, il corrige, il note, il décide des coefficients de ces épreuves, il fait la moyenne…
Et l’on voit bien que lorsque l’administration produit cette circulaire, en 1890, c’est pour réglementer la prise de décision du passage en classe supérieure, et non pour gérer une pratique pédagogique. Mais du coup, l’enseignant français est pris dans un paradoxe : faire réussir tout le monde (du moins créer les conditions de cette réussite), tout en étant obligé de produire des différences significatives entre les élèves de sa classe.
Ainsi s’il y a prolifération de moments d’évaluation dans chaque matière, ce n’est pas tant pour évaluer les acquis de l’élèves afin d’ajuster son apprentissage ou le cours, mais bien pour fonder l’appréciation qui sera réclamée à chaque enseignant au conseil de classe afin de formuler la proposition d’orientation.
Et un bon enseignant est un bon « distingueur ».
Comment va évoluer cette pratique professionnelle ?
On assiste à une forte critique de l’évaluation par la notation qui empêche de se centrer sur l’apprentissage et les acquis, et qui a des effets désastreux sur la motivation de l’élève. C’est le thème en particulier de l’appel de l’AFEV. L’inspection générale avait porté une autre critique en estimant que la notation à la française ne permettait pas de mesurer les acquis2 . Par ailleurs, en primaire et au collège, le socle commun de connaissances et de compétences va introduire de nouvelles pratiques évaluatives qui vont cohabiter avec la notation traditionnelle3. Enfin on a une montée de l’importance des évaluations extérieures à l’établissement qui rentreront sans doute un jour en concurrence avec l’évaluation « locale ».
Dans ce nouveau contexte, sur quoi vont s’appuyer les décisions d’orientation ?
1Extraits de A. Caroff (1987) L’organisation de l’orientation des jeunes en France, Evolution des origines à nos jours. Paris : EAP., p.151.
2Les acquis des élèves, pierre de touche de la valeur de l’école ?
Rapport conjoint IGEN-I.G.A.E.N.R. Juillet 2005 : http://www.education.gouv.fr/cid2216/les-acquis-des-eleves-pierre-de-touche-de-la-valeur-de-l-ecole.html ). Voir notamment le chapitre 1.2. Petite histoire de l’évaluation des acquis des élèves (p. 7-19)
3Voir B. Desclaux (2009) Une nouvelle logique pour l’école. In J.M. Zakhartchouk & R. Hatem, Travail par compétences et socle commun. CRDP et Crap-cahiers pédagogiques .