Catégories
Henri Audier

Des fruits blets dans les vœux du Président de la République

« Et l’année 2011 s’annonce comme porteuse d’espérance. La croissance revient. Les grandes réformes engagées commencent à porter leurs fruits. Nos universités enfin autonomes s’ouvrent et se modernisent comme jamais elles ne l’ont fait dans le passé. Nos chercheurs se sont vus dotés de moyens financiers considérables grâce au grand emprunt. Nos entreprises utilisent à plein le crédit d’impôt recherche pour innover. »

Tel est le constat fait par le Président de la République au début de ses vœux. Et quand on connaît la situation de l’enseignement supérieur et de la recherche, il y a de quoi se faire du souci ! Car si ce sont là ses plus grands succès depuis 2007, dans quel état se trouve le reste ?

Bien entendu, ce discours ne s’adresse ni aux chercheurs ni aux étudiants, mais bien « au grand public », victime d’une désinformation systématique sur la réalité dans ces secteurs. Et même dans notre propre milieu, ceux qui préfèrent détourner le regard par intérêt, par idéologie ou par paresse, sont encore nombreux.

Pourtant le fait est là et nous le répèterons : il n’y a pas eu un sou de plus pour l’enseignement supérieur et la recherche depuis 2007. Nous le démontrons année après année. Terra Nova l’a réaffirmé à nouveau tout récemment, pratiquement sans aucun écho. Et ce sera l’une des pires catastrophes de tout le quinquennat, puisqu’il s’agit d’une coupable impréparation de l’avenir.

L’auteur, qui s’est battu durant des décennies pour l’autonomie du CNRS, notamment comme membre de son CA, est favorable à son application dans les universités. Mais jamais, même dans les pires périodes, on n’y a vu une telle chienlit, sans même parler du tarissement des financements et des emplois. Mères-porteuses de décisions auxquelles elles sont totalement étrangères, les universités et autres établissements n’ont d’autonomie sur rien. Tout comme aux organismes de recherche, les structures caporalistes que sont l’ANR et le soi-disant « grand emprunt » leur ont enlevé toute marge et tout rôle. Les instances élues sont devenues de pure forme.

C’est tous contre tous. Des Labex (laboratoires d’excellence) déposant des projets en hâte, sans avis du Conseil de laboratoire et des Conseils d’universités, souvent sans même en informer des personnels pourtant concernés. Des projets d’Idex, organisés par découpages scandaleux d’universités et de PRES voire de laboratoires, allant jusqu’à piquer tel ou tel individu prétendument excellent en semant la zizanie partout. Le must : des débats confinés au sein d’aréopages très restreints, porteurs de ces mascarades, et qui se croient investis d’une mission salvatrice. Dès lors pourquoi s’embarrasser de formalités comme les votes des C A, a fortiori des Conseils scientifiques. Belle application de la LRU !

Quant aux « chercheurs [qui] se sont vus dotés de moyens financiers considérables grâce au grand emprunt », ce qu’ils ont vu c’est qu’on leur fait rembourser l’emprunt par des baisses budgétaires, avant même qu’ils aient vu un seul sou du dit emprunt. Les crédits de l’Institut National des Sciences mathématiques baissent en 2011 de 30 %. Moins quinze pour cent par médaille Fields. Ça c’est « l’excellence » !

Nous ne reviendrons pas ici sur le scandale du Crédit d’impôt recherche (CIR) : la Cour des Comptes, les commissions et rapports de l’Assemblée et du Sénat, ont tenté en vain de limiter ce gaspillage colossal qui consiste à faire des dons de l’Etat providence aux grands groupes, sans effets – et c’est démontré – sur leur potentiel de recherche.

Pourtant, pris mot à mot, tout n’est pas faux dans le discours du Président de la République. Et en en changeant quelques-uns, on s’approche même de la réalité. Qu’on en juge :

« Et l’année 2011 s’annonce comme porteuse d’angoisse. La croissance est désespérément molle. Les grandes réformes de destruction du service public aggravent la situation. Nos banques et institutions financières, qui nous ont plongés dans la crise, font des bénéfices comme jamais elles ne l’ont fait dans le passé. Nos riches rentiers se sont vus dotés de revenus financiers considérables. Nos entreprises utilisent à plein le crédit d’impôt recherche pour augmenter leurs profits. »

Malgré tout, bonne année à tous !  et merci à Educpros d’aider à animer le débat

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *