Luc Ferry et Michel Maffesoli ont bien des points en commun. Hommes, soixantenaires, mais non encore retraités. Professeurs des universités, en sciences humaines et sociales, tous deux à Paris. Auteurs de fort nombreuses publications, ouvrages “scientifiques” et essais “politiques” ; produire des best-sellers me semble un de leurs objectifs. Personnalités connues, voire reconnues par un large public (ils sont régulièrement invités par les médias), mais aussi agitateurs d’idées, moralistes, polémistes voire provocateurs. Bref des personnages controversés. Ils ne détestent pas cela. Cela leur vaut encore plus d’invitations à la télé et ailleurs. Je les classe dans la catégorie des ”intellectuels mondains”. Un avant-dernier point commun : ce sont des hommes appartenant à la droite politique.
Une différence cependant. Luc Ferry a une carrière professionnelle plus brillante que celle de Michel Maffesoli. Agrégé de philosophie, il réussit le concours d’agrégation du supérieur en sciences politiques et devient ainsi professeur des universités à 31 ans. Il exerce à l’IEP de Lyon, puis à Caen. Depuis 1996, il est professeur de philosophie à l’université de Paris VII Denis Diderot. Son heure de gloire arrive en mai 2002 : il est nommé ministre de la Jeunesse, de l’Education nationale et de la Recherche, sous le gouvernement Raffarin. Mais il est “viré” avant la fin de la mandature : il est remplacé par François Fillon fin mars 2004. Que faire quand on a fait le ministre ? Retourner enseigner à l’université ?
Michel Maffesoli doit attendre l’âge de 37 ans pour être nommé professeur de sociologie à l’université Paris V René Descartes. Ses “amitiés” politiques lui valent une série de nominations importantes à partir de 2005 : au Conseil d’administration du CNRS (2005), au Conseil national des universités (section sociologie) en 2007, à l’Institut universitaire de France en 2008. Ces trois nominations sont contestées par les associations professionnelles de sociologie. Il vient de publier Sarkologies. Pourquoi tant de haine(s) ? Chronique du blog : ”La sociologie. De Charybde en Scylla“. Notons une récompense pour la suite de cette chronique : “en 1992, il reçoit le grand prix des Sciences humaines de l’Académie française pour La transfiguration du politique“.
Pourquoi traiter de ces deux personnalités dans cette chronique ? Elles partagent un autre point commun. Elles sont professeurs des universités mais elles n’enseignent pas. C’est normal pour Michel Maffesoli : il est membre de l’Institut Universitaire de France. C’est anormal pour Luc Ferry. Le Canard enchaîné de ce jour titre : “Un emploi fictif pour le moraliste Luc Ferry. Le philosophe ne donne pas de cours et ne philosophe plus qu’à la télé. En dépit des injonctions du président de son université, il n’y met plus les pieds, mais touche un salaire”.
Pour comprendre cette situation, il faut faire un détour par le statut des enseignants-chercheurs, statut de 1984 modifié en 2009. Ce statut prévoit que les enseignants-chercheurs peuvent bénéficier d’une délégation, d’une durée de 5 ans (articles 7 à 10). La délégation peut dispenser de la charge de cours. Une ”décharge” de 2/3 de service d’enseignement est automatiquement attribuée lors d’une nomination à l’IUF (cas de M. Maffesoli). La dispense de services est par contre négociée, cas par cas, entre l’université et une organisation d’accueil.
Le Canard enchaîné indique que l’organisation en question pour Luc Ferry est le Conseil d’analyse de la société, créé en juillet 2004. N’étant plus ministre, Luc Ferry a été nommé (”recasé”) président de ce Conseil. Une convention de délégation (ou de détachement) a été signée. Quels en sont les termes ? Plusieurs cas sont précisés par le statut : soit le salaire de professeur continue d’être versé par l’université ; soit il est pris en charge par l’organisation d’accueil (salaire net ou soumis à cotisations sociales) ; soit l’organisme d’accueil ”rembourse” l’université (en heures complémentaires ou en équivalent du salaire). Je ne connais pas la réponse : peut-être un(e) des conseillers d’administration de Paris VII laissera-t-il un commentaire à cette chronique pour fournir la précision ? Toujours est-il que la convention est venue à son terme le 1er octobre 2010. Le conseil d’administration de Paris VII a refusé de voter une prolongation pour 3 ans. Malgré ce refus, Luc Ferry n’a pas fait cours depuis. Il s’est mis dans une situation non conforme à son statut. Le président et le CA de Paris VII le convoqueront-ils en section disciplinaire ? Une intervention au plus haut niveau accordera-t-elle à Luc Ferry un passe-droit tout à fait immoral ?
L’ancien ministre de l’éducation nationale, après son heure de gloire, s’est mis dans une posture plutôt fâcheuse. A l’inverse, Michel Maffesoli prospère ! Il devra prendre sa retraite en 2012. Et il tente de se préparer un fauteuil confortable et prestigieux, à l’Académie française. Il est candidat pour remplacer Claude Levi-Strauss, titulaire du fauteuil 29. L’élection aura lieu le 23 juin 2011. Michel Maffesoli continue de faire des pieds de nez aux sociologues !