Je reviendrai en détail sur le programme du PS et sur le discours de Martine Aubry sur l’ES-R, comme je reviendrai sur celui des autres partis de gauche lorsqu’ils seront connus. Comme je le montrerai, le programme du PS pour l’ES-R se base sur des principes qui sont en rupture totale avec la politique actuelle, ainsi que je l’ai déjà indiqué lors du « forum » sur le sujet à Toulouse (j’y représentais Sauvons la recherche) : « Pour situer le cadre dans lequel s’intègre la critique à laquelle je vais me livrer, je voudrais dire en premier lieu que l’application de ce programme, notamment de ses principes, constituerait une rupture incontestable par rapport à la situation actuelle ». http://sauvonslarecherche.fr/spip.php?article3492
Pourtant, parmi les collègues, y compris parmi ceux qui prévoient de voter PS ou pour un autre parti de gauche, nombreux pensent que la gauche au pouvoir ne changerait que peu ou pas la situation dans nos secteurs. Même si l’auteur ne veut pas partager ce sentiment, il souhaite dans cet article en déceler les causes afin de les combattre, persuadé que sinon elles risqueraient de rendre plausible ce pronostic.
1- La communication de Pécresse qui prétend que le PS est d’accord avec tout ce qu’elle fait
Au-delà de sa communication systématiquement mensongère sur ses budgets et sur les résultats de ses réformes, la stratégie de Pécresse vis-à-vis de la gauche est double. Le premier axe consiste à dire : « j’ai déjà fait tout ce que propose la gauche » en l’illustrant par des pseudo-mesures très « light », des ficelles imaginées par ses consultants en communication comme par exemple la création de dizaine de milliers de nouveaux boursiers … en réalité seulement dispensés de droits d’inscription, la création de 3 khâgnes entre un lycée du 9-3 et une grande université SHS : Paris 13 …, etc. Autre truc : reprendre les mots de la gauche pour les détourner (démocratisation, décloisonnement, simplification, progrès, etc.). Nous y reviendrons. Le deuxième axe, complémentaire du premier, consiste à dire que le PS ne propose rien d’autre que ce que la droite a déjà fait. Elle déclare ainsi à l’Assemblée : « Hier, j’ai eu un choc, parce que j’ai lu le programme du Parti socialiste pour l’université en 2012, qui vise à conforter l’autonomie des universités ». (…) « Alors, je suis extrêmement heureuse de voir qu’aujourd’hui vous en venez à soutenir cette réforme », a-t-elle poursuivi, concluant que, selon elle, « le programme du Parti socialiste (…), c’est un bel hommage au bilan de Nicolas Sarkozy » : voir article précédent de ce blog.
Cet art du mensonge permanent, de la confusion organisée, largement orchestré par les media qui répercutent la propagande gouvernementale sans aucune vérification, exigent pour la gauche (et donc pour le PS) une grande clarté dans l’expression et la communication. Malheureusement le message du PS est lui-même quelque peu brouillé par le fait qu’il semble s’appuyer (on l’a vu au « forum », par exemple à sa tribune) sur des membres d’institutions (CPU, régions, etc.) qui, bon gré et souvent mal gré ont, de fait, coopéré à la mise en place de la politique gouvernementale.
2- L’opinion des présidents d’université n’est pas représentative du monde de l’enseignement et de la recherche
Loin de moi l’idée de voir un ennemi dans chaque président d’université, ce d’autant que depuis que le président de la CPU est de droite, celle-ci est beaucoup moins suiviste vis-à-vis du gouvernement. Si les scientifiques se défient de la CPU, c’est qu’entre 2007 et il y a peu, elle a non seulement pleinement coopéré avec Pécresse dans la mise en place de la LRU, mais aussi qu’elle a joué le rôle d’interlocuteur unique du gouvernement durant 4 ans (avec il est vrai P. Fridenson au nom du SGEN-Sup). Animée par un corporatisme institutionnel étroit et une hostilité marquée envers les organismes – particulièrement le CNRS – la CPU a soutenu depuis 2005 toutes les institutions créées par le gouvernement dès lors qu’elles étaient destinées à démolir notre système de recherche et à enlever tout rôle aux élus des scientifiques en matière de financement et d’évaluation. : ANR, AERES, Alliances et même Grand emprunt, etc.
C’est pourquoi l’article du Monde, relatant qu’avant le « forum » plusieurs présidents d’université avaient rencontré la direction du PS en l’absence du responsable du secteur, a fait l’effet d’un coup de tonnerre dans le milieu. Cela semblait signifier qu’entre les représentants des scientifiques (syndicats, associations, instances représentatives, directeurs de laboratoires) et les présidents d’université, la direction du PS avait choisi.
Certes, de Montpellier 3 à Bordeaux 3 en passant par bien d’autres, Educpros s’est fait l’écho de présidents qui n’ont pas voulu entériner tout ce que le ministère imposait. Mais ces deux là n’étaient pas au « forum » de Toulouse. En revanche, on a eu droit à 4 présidents d’université à la tribune (deux auraient suffi). L’un d’eux, alors responsable de la CPU pour la « précarité », répondait à France-Info le jour où les syndicats chiffraient à 50 000 le nombre de précaires dans l’ES-R: « Oui, j’en ai quelques uns, que les syndicats viennent me voir, on arrangera ça ». Et en vedette américaine mon (néanmoins) ami Axel Kahn, président de Paris 5 qui, la veille, dédicaçait avec V. Pécresse un livre de « dialogue ». Tout un symbole quand on sait que celle-ci est le seul ministre de la recherche, depuis un demi-siècle, à n’avoir JAMAIS eu de « dialogue », a fortiori de négociations, avec les organisations représentatives.
3- Des régions qui ont, bien trop souvent, accepté le principe de la concurrence entre elles
Il est incontestable que les régions ont effectué un effort considérable pour financer l’ES-R. Malheureusement, tout comme la plupart des laboratoires et des universités, elles sont tombées dans le piège du Grand emprunt en jouant le jeu de la concurrence entre elles, donnant ainsi l’occasion au ministère d’imposer de nouvelles conditions via les Idex. Certes, si elles n’avaient pas appuyé les candidatures de « leur » IdEx, les médias officiels les auraient immédiatement stigmatisées : « des milliards pleuvaient, il suffisait de les ramasser et les élus territoriaux n’ont rien fait pour les capter ».
De la région Ile-de-France au maire de Toulouse, nombreux sont ceux qui ont eu une attitude courageuse. Par contre, dans beaucoup de régions, les exécutifs régionaux ou les maires ont soutenu sans aucune distanciation ni dénonciation politique « leur » IdEx. La palme revenant à la région Languedoc-Roussillon (qui a menacé de couper les crédits régionaux s’il n’y avait pas de candidature IdEx à Montpellier) et au maire de Lyon, dont la prestation fait peine. Or, les prises de position du PS sont connues pour partie via la presse locale et l’écho qu’elle donne des positions et de l’action des élus. Pour le meilleur, mais aussi pour le pire. Et c’est souvent le pire que notre milieu retient le mieux.
4- Certains responsables sont tombés dans le piège de confondre LRU et « autonomie »
« L’autonomie des universités » est l’un des rares aspects du bilan de Sarkozy considéré, parait-il, comme positif par les Français. Si ce terme généreux et populaire d’«autonomie » ne me choque pas, il faut ajouter qu’il s’agit d’un terme particulièrement vide de sens si on ne définit pas un contenu à cette autonomie : elle n’est a priori pas de droite, mais pas non plus de gauche, contrairement à ce que prétendent Salzmann, Béréziat ou Fridenson dans un article, pour une fois confus, de Clarisse Jay dans La Tribune.
Et, comme le montre le précédent article de ce blog, l’autonomie telle que définie dans le « forum » du PS, quoiqu’on puisse penser par ailleurs du manque de précision de certaines propositions, n’a rien à voir avec l’autonomie sarkosiennne de la LRU. Celle-ci, et les procédures qui l’ont suivies, tout en transférant aux universités des prérogatives sans leur donner les moyens indispensables pour les exercer, dépossèdent en fait les instances universitaires et souvent même les présidents de tous les grands choix, au bénéfice de l’ANR, des dédales du grand emprunt, des multiples fondations et fondations de coopération scientifique, des PRES etc., à quoi s’ajoute l’affectation des financements de base au gré du seul ministre. Sans revenir ici sur la centralisation du pouvoir sur le président, l’absence de collégialité, etc.
Pour l’auteur, l’autonomie future ne peut se décliner qu’après avoir en précisé le cadre national -diplômes et statuts nationaux des personnels, aménagement du territoire – les moyens matériels et humains, l’organisation territoriale des établissements, les liens avec les organismes de recherche, avec les régions voire avec le secteur privé etc. Autant dire qu’il ne suffit pas de « réformer » quelques articles de la LRU. Il faut repenser l’ensemble de l’organisation de l’ES-R au cours des Assises proposées lors du « forum » et, dans ce cadre, REMPLACER la LRU par une autre loi. C’est bien ce que propose le texte du « forum », mais nombreux sont ceux qui ont remarqué, qu’à un autre endroit du texte, le terme « réformer » la LRU était resté (ou réintroduit ?). Puissance du lobby que représente la CPU ou bataille d’arrière-garde de ce dernier ?
Cette confusion entre « autonomie » et LRU, soigneusement entretenue auprès des politiques, touche de hauts responsables socialistes comme en témoigne une interview récente, dans le JDD, de Jean-Christophe Cambadélis. A la question de savoir s’il y aurait quelque chose de positif dans le bilan de Sarkozy, il répond : « L’autonomie des universités et le changement de pied sur l’investissement dans la recherche ». Alors qu’une des pires catastrophes de ce quinquennat est bien le sacrifice de la recherche et de l’enseignement supérieur, donc le sacrifice de l’avenir.
Et si Cambadélis ou d’autres ont encore des illusions sur les origines idéologiques de la loi sur les Libertés et Responsabilités Universitaires, qu’ils s’imprègnent de cette déclaration de Pécresse, faite il y a 8 ans (Le Progrès, 11/03/03) : « On a redécouvert les valeurs de la droite, le couple liberté-responsabilité, l’autorité, le respect de l’autre et de la loi, le travail. C’est sur ces thématiques du travail et du respect de la loi que la gauche a perdu les élections. Les gens en ont assez de l’ordre moral de Mai 68 : il est interdit d’interdire, le politiquement correct, c’est bien de ne pas travailler, on a toujours des excuses pour cracher à la gueule de son professeur … ».