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Pierre Dubois

Pour un Corps unique en Licence

Je remercie très sincèrement les contributeurs/trices au débat sur la mise en place, par l’université de Bordeaux 1, de la modulation, à la baisse ou à la hausse, du service d’enseignement (lire les commentaires dans la chronique : “Bordeaux 1 invente les heures complémentaires non payées“). J’observe que les arguments avancés (”pour” ou “contre”) sont recevables et légitimes. Oui, l’enseignant-chercheur a une double mission d’enseignement et de recherche ; il est payé pour cela et il est choquant que celui qui ne fait pas de recherche puisse faire beaucoup d’heures complémentaires, de plus ”défiscalisées”, pour améliorer son revenu.

Oui, la solution de modulation inventée par Bordeaux 1 est hautement criticable pour les arguments que j’ai avancés dans la chronique. J’en ajoute un nouveau que je n’avais pas relevé dans la décision du CA du 6 juillet 2011. En fait les enseignants-chercheurs qui ne “font pas de recherche reconnue” ont le choix entre faire 96 heures de TD non rémunérées ou avoir une diminution de charge d’enseignement s’ils présentent et mettent en oeuvre un projet de recherche ! De qui l’université de Bordeaux 1 se moque-t-elle ?

Au mieux, la décision de Bordeaux 1 sera fort mal appliquée. Elle le sera de manière inégalitaire selon les composantes et selon les individus. Au pire, elle va déstabiliser, désunir, assassiner la cohésion des équipes pédagogiques et plus largement l’ensemble du corps professionnel des enseignants-chercheurs. Les résultats de la recherche sont le fruit d’un travail collectif : tout le monde l’admet. On insiste trop peu sur le fait que les résultats de l’enseignement (accompagnement, suivi et réussite des étudiants) sont aussi le fruit d’un travail collectif. La décision de Bordeaux 1 fait voler en éclat les équipes pédagogiques. Chacun pour soi !

Plusieurs commentaires posent la question-clé. Pourquoi en est-on arrivé là ? La réponse à cette question n’est évidemment pas simple. Il faut prendre en compte l’ensemble de la période historique, celle qui commence avec la loi Faure de 1968, loi qui accorde l’autonomie aux universités, en particulier en matière pédagogique (les modulations de service existent depuis cette date).

Depuis plus de 40 ans, le revenu des enseignants-chercheurs s’est détérioré eu égard à celui des cadres du secteur privé pour plusieurs raisons, dont une essentielle : leur carrière démarre dix ans plus tard qu’au début des années 70. Primes en tous genres et heures complémentaires ont été, ne sont qu’un palliatif pour faire progresser le revenu.

Heures complémentaires diaboliques. Mais pourquoi celles-ci existent-elles ? Là aussi la réponse à la question n’est pas simple. L’offre de formation a continûment progressé en volume depuis les années 70 avec la création presque incessante de nouveaux diplômes. Les arrêtés de 2002 (LMD) ont achevé de faire exploser l’offre. Le potentiel enseignant n’a évidemment pas suivi (je dirais : “heureusement”, car l’offre pléthorique est un non-sens et un gaspillage financier). Et donc, pour faire face aux nouvelles charges d’enseignement, il a fallu ouvrir le robinet des heures complémentaires.

Des causes et des effets… Des enseignants-chercheurs ont été suppliés, voire contraints de faire des heures complémentaires pour faire face à une offre de formation croissante (c’est particulièrement clair dans les IUT avec la création des licences professionnelles). Ils se sont mis à faire beaucoup d’heures et ont délaissé progressivement la recherche.

Et puis bien sûr, il y a les effets pervers, de plus en plus manifestes, de l’évaluationnite, de la quête de ressources contractuelles pour la recherche, de la pression à publier, de la course à l’excellence. Normal que les enseignants-chercheurs, qui se sont inscrits dans ce modèle et qui n’en sont pas forcément récompensés financièrement, craquent, ne supportent plus ceux qui “se font du blé” à coup d’heures complémentaires. Impossible – et heureusement – que tous les enseignants-chercheurs soient “labellisés excellents”. Ne peut-on simplement leur demander de faire leur travail “honorablement”, i.e. avec honneur pour eux-mêmes et pour les autres ?

Que faire ? Poser des rustines, comme celles inventées par Bordeaux 1, ne peut qu’aggraver la situation et accentuer la crise dans chacune des universités. Il ne sert plus à rien d’essayer de réformer. Il est trop tard. Il faut révolutionner le Supérieur, sortir de l’université le 1er cycle de l’enseignement supérieur, la Licence (chronique “Hollande doit révolutionner le SUP“). Celle-ci agonise et la réforme Wauquiez d’août 2011 est l’ultime coup de poignard qui va la tuer. Il est de temps de créer des Instituts d’enseignement supérieur, organisant la licence en 3 ans et en deux voies, une voie conduisant à l’université et une voie professionnelle permettant l’accès au marché du travail. 

Dans ces IES, il y a un corps professoral unique – celui des agrégés recrutés par concours national -, un corps d’enseignants ne faisant pas de recherche (c’est déjà le cas des agrégés dans les classes supérieures des lycées et dans les universités). Charge d’enseignement pour les agrégés des IES : 384 heures par année (soit un peu moins que la charge des agrégés en classes supérieures des lycées – indicateur 9.11 des RERS 2011). Fort logiquement, le corps de maîtres de conférences est, avec la création des IES, mis en extinction. Débattre !