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Pierre Dubois

Yann, jeune et engagé

Je facebooke. Yann aussi. Il habite Strasbourg. Moi aussi. Nous nous rencontrons le 25 janvier 2001 dans un café de la Place Kleber, après ses heures de travail. Bière d’hiver. Objet de l’entretien : sa trajectoire universitaire et ses débuts dans la vie active. Entretien dans le contexte d’une nouvelle rubrique créée sur ce blog : “Jeunes et engagés”.

Yann Yver a 23 ans. Il n’est pas strasbourgeois, mais son amie y est étudiante en master… Il lui fallait trouver une activité professionnelle dans la ville européenne. Il travaille aujourd’hui à l’AFGES (Association fédérative générale des étudiants de Strasbourg). L’AFGES, 89 ans d’existence, la mère des associations de villes de la FAGE. La fonction de Yann : community manager, animateur des réseaux sociaux de l’AFGES (Facebook et Twitter), en contrat à durée déterminée de 6 mois et demi, jusque fin février 2012. Il espère et négocie un contrat à durée indéterminée.

Lycéen dans l’Aisne, Yann obtient, en 2006 et avec une année d’avance, le baccalauréat scientifique (spécialité physique), mention bien. Il ne souhaite pas entrer en prépa scientifique car il veut poursuivre deux passions, la musique et le sport ; il pratique la harpe et le rugby à un bon niveau. C’est donc la Fac à Reims, plus proche de chez lui que la fac d’Amiens.

2006-2007. Yann est inscrit en 1ère année de licence de physique, tout en ayant le statut de sportif de haut niveau. Les premiers cours sur le campus scientifique du Moulin de la Housse. “C’est un campus assez délabré, vétuste, des années 70. Lors du premier cours de physique, nous n’avons rien compris. Le prof a ânonné son cours et n’a pas daigné répondre aux questions. Nous étions plus proches des chargés de TD. Mais, j’ai suivi cette année à l’aise, en dépit de quelques difficultés en chimie. J’allais au Conservatoire (2 heures de harpe par jour) et fréquentais les terrains de sport“. 

Yann est président de la Corpo Sciences dès novembre 2006 et membre de l’Association sportive. Il se lance à fond dans la campagne électorale pour les élections au CROUS (il sera élu) et pour l’élection du président de l’université. D’où lui est venue l’étincelle du militantisme ? “Je me le suis demandé. J’ai été militant au Collège, au Lycée. 2006, ce fut le combat contre le CPE. J’ai toujours vécu dans une ambiance assez politisée ; j’allais manifester avec mes parents quand ils étaient maîtres-auxiliaires ; ma mère travaille dans l’éducation nationale et mon père a créé sa propre boite informatique à 38 ans“.

Pourquoi la FAGE ? “Sur le campus scientfique, il n’y avait qu’une Association étudiante indépendante. La voie tracée pour moi après le Lycée était l’UNEF. Mais pour les élections aux conseils de composantes, l’UNEF nationale est descendue de Paris, avec ses méthodes un peu musclées. Cela m’a dérouté et je me suis alors rapproché de la FAGE locale, InterCampus“.

En mars 2007, la campagne et l’élection de Richard Vistelle, professeur de pharmacie et professeur hospitalier, à la présidence de l’université de Reims Champagne-Ardenne (le site) reste un grand moment pour Yann. Trois candidats en présence : Richard Vistelle, Yves Delmas, directeur de l’IUT, Didier Marcotte, directeur de l’UFR de Lettres et militant SNESUP. Richard Vistelle et Yves Delmas ont passé un accord entre eux : celui qui obtient le moins de suffrages au Congrès (composé des élus des trois conseils ; la LRU n’existe pas encore) se retirera au profit de l’autre. Vu la composition des conseils, les jeux ne sont pas faits. Les négociations s’engagent avec les 20 élus FAGE (la FAGE a gagné les élections étudiantes précédentes ; 17,6% des étudiants ont voté).

Les négociations se déroulent au siège de la Fédération régionale de la FAGE, Intercampus. Les étudiants demandent aux trois candidats de se prononcer sur un cahier des charges d’une dizaine de pages, annonçant qu’ils voteront pour celui qui est le plus en accord avec eux (chroniques du blog : “les étudiants font le président“). Les 3 candidats ayant ratifié l’accord, le Conseil d’administration d’Intercampus décide que les élus FAGE s’abstiendront au 1er tour de scrutin.

Jour J du Congrès, 1er tour de scrutin. Didier Marcotte arrive en tête, Yves Delmas est deuxième et Richard Vistelle, troisième. Contrairement à l’accord passé avec le directeur de l’IUT, Richard Vistelle se maintient. L’élection est donc bloquée. Après 3 nouveaux tours de scrutin, le directeur de l’IUT se retire. Les élus FAGE apportent alors leur soutien à Richard Vistelle, le professeur de lettres ne voulant pas être “l’otage des étudiants”. Selon les rumeurs, Richard Vistelle et Yves Delmas s’affronteront de nouveau à l’élection présidentielle d’avril 2012. Cela promet !  

2007-2008, 2ème année de licence de physique pour Yann. Le décrochage ? Engagé dans des activités militantes, Yann rate cette deuxième année de licence. Il “repique” l’année suivante en 2008-2009, et encore en 2009-2010, et encore en 2010-2011, s’inscrivant tour à tour en psychologie, en droit, puis en année spéciale du DUT Gestion des entreprises et des administrations. Il ne va quasiment pas en cours, abandonne la harpe et le sport. Il acquiert des compétences par l’action. Il est militant à 100%, même davantage : il travaille jusqu’à 100 heures par semaine, y compris la nuit. Allers et retours entre Reims et Paris. “Je dors où, cette nuit” ?

Le plus important pour Yann, ce ne sont plus les études, c’est l’amélioration de la vie étudiante, des conditions de vie et d’études des étudiants. Et pour cela, il faut s’investir, prendre des responsabilités : vice-président du CROUS régional, membre du bureau de la fédération régionale InterCampus, puis élu au CNOUS. Pour cela, il faut aussi créer de nouvelles structures de représentation des étudiants : en janvier 2010, il crée avec d’autres l’ARES, la fédération FAGE des étudiants en sciences sociales. Pour cela, il faut enfin mobiliser les étudiants à chacune des élections (CROUS et CNOUS, Conseils de composantes, Conseils centraux d’universités). Il faut se déplacer sur les campus, à Reims, à Charleville-Mézières, à Chalons en Champagne. Yann est heureux car la FAGE fait des “très gros scores” au CROUS régional, aux élections universitaires.

Mais le plus important, bien sûr, ce sont l’action pour les étudiants et ses résultats. “Je crois qu’on peut faire évoluer les situations”. L’action se fait autour de “projets”. Le CROUS de Reims veut se retirer de la cafétéria de l’IUT ; les étudiants montent le projet d’une cafétéria associative ; le CA de l’IUT leur fait confiance ; le CROUS met des batons dans les roues et finit par maintenir une cafétéria. Mais ce dont Yann est le plus fier, c’est la grande enquête lancée par InterCampus sur les conditions de vie des étudiants en Champagne-Ardenne, enquête dans les universités mais aussi dans les classes supérieures des lycées. 

Au terme de l’enquête et 2.700 réponses, en juin 2011, 100 propositions pour améliorer la vie étudiante en Champagne-Ardenne (pédagogie, orientation, vie culturelle et sportive, transports, santé, logement, insertion professionnelle, étudiants étrangers). Yann me dit que le rapport d’enquête figure sur le site d’InterCampus. Hélas, non. On n’en trouve comme trace qu’un communiqué de presse et un article dans la presse locale.

2010-2011, c’est l’année de la transition. Yann n’est pas diplômé du supérieur. Mais il décide d’arrêter en fin d’année. Il s’enquiert auprès du service de formation continue de l’université pour une validation des compétences qu’il a acquises par son militantisme. Il déchante : “Monsieur, pour une VAP ou pour une VAE, il vous faut trois années d’expérience professionnelle et vous ne les avez pas”. Le service applique les règles à la lettre. Je conseille à Yann de se rapprocher de la licence professionnelle “Management des organisations de l’économie sociale” à Marne-la-Vallée, licence qui a diplômé Jean-François Martins et Claire Guichet, deux présidents de la FAGE. Yann a été inscrit en deuxième année et, vu ses compétences, il peut demander à s’inscrire en 3ème année de licence, dans une licence professionnelle et répondre au cahier des charges de la licence. 

“Le 10 juin  2011, j’arrête tout à Reims. Je pars à Strasbourg. Je cherche un emploi dans la communication ou dans l’évènementiel. Je n’ai pas de diplôme du supérieur, mais les entretiens se passent très bien ; on reconnaît les compétences en gestion de projet que j’ai acquises en étant militant étudiant à Reims ; j’ai une proposition d’emploi et cela est gratifiant pour moi. Mais, j’ai besoin de souffler un peu et de reprendre le sport et la musique. L’AFGES me fait une offre : chargé de projet et community manager. Opérations de rentrée, concert de musique classique, actions de prévention  et de formation, communication sur les réseaux sociaux ; c’est en 2009 que nous avons découvert et utilisé Facebook pour les élections”.

L’entretien avec Yann Yver fut un grand bonheur pour un professeur des universités, blogueur retraité. Demain, j’irai prendre de ses nouvelles à l’AFGES : où en est-il de la négociation d’un CDI ? Jeunes et engagés ! Ils sont nombreux. Je souhaite qu’ils soient de plus en plus nombreux !