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Thomas Roulet

Méga-fusions, partenariats et consortiums dans le monde des business schools: les conséquences pour la recherche ?

Le mouvement de consolidation des écoles supérieures de commerce françaises s’est récemment accéléré, avec la multiplication des annonces et rumeurs concernant les fusions d’écoles. Dans le sillage de SKEMA (fusion du CERAM Sophia Antipolis et de l’ESC Lille), les projets de fusion se sont multipliés : Euromed et BEM, Reims et Rouen, ainsi que le projet « France Business School » et la constellation d’écoles dont on soupçonne qu’elles vont prendre part à ce projet.

Comme le souligne Joël Echevarria dans son dernier billet, les acteurs de ces fusions partagent de nombreuses similarités et le principal objectif est une course à la taille critique. Mais quels sont concrètement les bénéfices en termes de recherche ?

Qui dit taille critique, dit visibilité. Et qui dit visibilité dit attractivité :

Pour attirer des chercheurs de premier plan. Recruter des professeurs nécessite de pouvoir leur offrir un environnement de recherche compétitif.  Plus grosse structure veut dire plus de moyens pour l’organisation de conférences, l’obtention de logiciels (parfois même de machines), l’accès à certaines bases de données, etc.

Pour impliquer les entreprises dans le financement de la recherche via les chaires. Une entreprise a tout intérêt à soutenir une école de plus grosse envergure : les travaux de recherche produits seront plus faciles à mettre en avant, et la présence de l’entreprise dans l’institution la rendra visible auprès d’un panel plus large de parties prenantes.

Pour se lancer dans des projets de recherche en commun avec des universités étrangères. Notamment quand il s’agit de comparer des données françaises avec des données étrangères, la « puissance de frappe » d’une grosse structure peut être mise en avant, car celle-ci a plus de moyens pour mener des enquêtes de grande ampleur.

Par ailleurs, les fusions impliquent l’émergence de départements réunissant un plus grand nombre de professeurs, et donc plus de collaborations possibles. Les écoles ont tendance à créer leur propre tradition de la recherche, selon ce qu’elles valorisent en termes de production (études de cas, types de publications, revues scientifiques ciblées). Fusionner deux écoles revient à marier ces traditions ce qui peut aboutir à une fertilisation croisée.

Mais on peut aussi voir dans ces fusions entre pairs une certaine forme de consanguinité. Les complémentarités en termes de domaines de recherche peuvent parfois s’avérer limitées : la plupart de ces écoles en cours de fusion partagent un intérêt pour certains sujets plus « à la mode » que d’autres comme la responsabilité sociale des entreprises. La situation serait potentiellement différente si les écoles de commerce fusionnaient avec des écoles d’ingénieur ou d’autres structures ayant des champs d’expertise radicalement différents.

Un des avantages des business schools américaines, dont j’ai déjà débattu sur ce blog, c’est le fait qu’elles soient intégrées à des grands ensembles universitaires. La recherche à Columbia Business School se nourrit tout particulièrement des départements de sciences sociales (Economie, Sociologie, Psychologie), mais pas seulement. Les relations avec l’école d’ingénieurs (pour les modélisations mathématiques et les problématiques de diffusion dans des réseaux), le département de droit (sur les questions de responsabilité et d’éthique), ou le département de médecine (pour la recherche en neuroscience) de Columbia, ne sont pas négligeables. Les professeurs s’engagent dans des projets de recherche transdisciplinaires pour lesquelles leurs expertises se complètent. Que fait un chercheur quand ses projets sont bloqués par des questions qui dépassent son champ d’expertise  (en statistiques par exemple) ? Il tape à la porte de son voisin de palier pour lui demander conseil.

D’autres formes de rapprochement émergent : certaines business schools ont décidé de se rapprocher d’écoles et d’institutions formant des étudiants dans d’autres domaines. Audencia, l’école supérieure de commerce de Nantes, a fusionné avec une école de communication, et a formé un consortium avec les grandes écoles d’ingénieurs de Nantes, sur un modèle similaire à celui existant pour ParisTech. L’ESC Dijon a formé une alliance avec l’université d’Oxford Brookes, bénéficiant de la pluridisciplinarité d’une université, qui plus est anglo-saxonne.

Si les écoles de ParisTech se sont d’abord focalisées sur les possibilités que leur offrait cette alliance en termes d’enrichissement du contenu éducatif, elles ont commencé à travailler main dans la main pour le financement de leur recherche, comme le prouve la candidature de Paris Saclay à l’Idex. De son côté, à la suite de la fusion, Audencia a intégré des professeurs de communication dans ses centres de recherche, contribuant ainsi au caractère pluridisciplinaire de ces initiatives. Quant à l’ESC Dijon, elle bénéficie du programme doctoral d’Oxford Brookes, pour lesquels les étudiants sont co-encadrés par des professeurs des deux institutions.

Les deux modèles semblent avoir leurs avantages. Seul l’avenir nous dira lequel s’avère le meilleur pour ce qui est d’établir une crédibilité en termes de recherche académique.