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Philippe de Lara

Ce à quoi nous avons échappé et ce qui nous attend

Il a été peu question de l’université dans la campagne présidentielle et cependant le départ de Nicolas Sarkozy et l’élection de François Hollande seront loin d’être sans conséquences pour les universités. Mais quelles conséquences ?

L’héritage de la LRU tient à la fois du champ de ruines et du champ de mines, ou encore du chantier en panne. La crise de l’enseignement supérieur et la confusion des programmes politiques sont telles qu’il n’est pas évident de s’y retrouver. La rupture annoncée par la gauche est ambiguë, comme le fut son attitude depuis 2007 sur la LRU. J’essaie de clarifier ce à quoi nous avons échappé et ce qui nous attend.

La liste de ce qu’il faudrait réparer est longue :

– mode de scrutin et attribution absurdes qui font des présidents d’université des dictateurs faibles, stratèges de supérette face à une collégialité académique affaiblie (voir mon billet « Plein la bouche » de septembre 2009),

– « nouvelle licence » démagogique et inapplicable,

– désastre de la « mastérisation » qui a fait des universités les complices malgré elles de la dégradation de la formation et des conditions de travail des enseignants,

– « autonomie » en trompe l’œil, dès lors que les universités n’ont pas de ressources propres et guère de moyens d’avoir une politique d’admission quelle qu’elle soit,

– centralisme tatillon des bureaux du MESR qui trahit le peu d’autonomie acquise par un chantage aux ressources (vous êtes autonomes, mais si vous ne faites pas « librement » ce qu’on vous dit — maquettes, taux de réussite, PRES, etc. —, on vous coupe les vivres),

– conception bureaucratique et brouillonne de la promotion de l’excellence, ce que j’aimerais appeler la politique du PRES purée,

– menace d’une évaluation bureaucratique préludant à la modulation des services, et Jean Noubly comme dit un philosophe !

La politique conduite était mauvaise en gros et erratique en détail, de sorte que même les quelques décisions bien intentionnées ont alimenté ce que Marcel Gauchet a appelé le « hooliganisme institutionnel » de la politique de l’enseignement supérieur. Il est fait de brutalité, d’incapacité à écouter, d’un mélange d’opiniâtreté et d’indécision, de préférence pour la démolition comme moyen de changement et, last but not least, de l’insincérité fondamentale d’élites qui ne sont le plus souvent pas passées par l’université et qui hésitent entre la réformer pour de vrai et faire semblant, en l’abandonnant à son déclin, d’où un cocktail d’élitisme bureaucratique (évaluation, machins en -EX de tout poil) et de démagogie égalitaire (nouvelle licence).

Mais il ne suffit pas d’être contre tout cela car il y a plusieurs manières de s’opposer, dont certaines peuvent être plus néfastes que ce qu’elles combattent. Il faut prendre garde que la volonté de rupture ne se traduise  par la continuité sur le pire. Le hooliganisme institutionnel devrait se calmer, mais l’horizon reste plombé par des tendances ruineuses et soutenues par des coalitions étranges mais redoutables.

Les trois clés de voûte du changement

Tous les chantiers sont importants mais il me semble que trois questions sont la clé de voûte du moment car ce sont celles sur lesquelles il est possible d’agir rapidement et qui ont une portée systémique : la gouvernance des universités, la nouvelle licence, la masterisation (avec un « é » ou un « e » ? Ce mot est tellement moche qu’il n’a même pas d’orthographe).

Ce sont je crois des enjeux bien plus cruciaux que l’évaluation quadriennale, qui est certes préoccupante, mais qui avait déjà subi une inflexion significative (obtenue de haute lutte) en étant confiée au CNU plutôt qu’aux DRH locaux. D’autant plus que le CNU élu en 2011 a encore circonscrit les périls. L’usine à gaz devrait s’effondrer toute seule (il faut cependant rester attentif), alors que la gouvernance, la nouvelle licence et la mastérisation doivent mobiliser toutes nos forces.

Gouvernance : La vague d’élections universitaires en cours amplifie les travers des modes de désignation et de fonctionnement du gouvernement des universités : présidents mal élus ou LRUnef, tensions avec les universitaires sur le recrutement, l’allocation des ressources entre facultés. Or des « petites » mesures avisées (mode de scrutin, renforcement du conseil scientifique) pourraient nous rapprocher d’une gouvernance légitime et efficace, fondée sur une saine séparation des pouvoirs académique et gestionnaire.

Nouvelle licence : il est encore temps (tout juste) de revenir sur le décret publié par Laurent Wauquiez en août dernier. A part quelques apparatchiks syndicaux, peu d’étudiants devraient se laisser tromper par cet égalitarisme soviétique, qui oblige les universitaires à distribuer les diplômes sans contrôle et transforme ainsi les titres en chiffons de papier, multiplie des horaires de cours déjà trop chargés… tout en facilitant les moyens de s’en dispenser. Il suffit d’avoir le courage de l’expliquer aux étudiants (j’ai essayé : c’est bien plus facile qu’on ne le croit).

Mastérisation : nous atteignons ici à la catastrophe, immédiatement sanctionnée par la baisse massive du nombre de candidats au CAPES et à l’agrégation : les candidats potentiels fuient en particulier la suppression de l’année de stage post-concours, qui rend encore plus violente l’entrée dans un métier déjà rude. Pour les universités, le désastre n’est pas moindre pour les disciplines concernées (lettres et sciences) : désorganisation des masters, escroquerie d’une année ramenée à un semestre et d’un semestre ramené à rien par le jeu des dates de concours, organisation de l’incompatibilité entre filière d’enseignement et filière de recherche, alors que les humanités reposent en France sur leur articulation.

Il n’est pas très difficile de voir que les concours de recrutement sont, pour les disciplines concernées (lettres et sciences, cela fait du monde tout de même), la mère de toutes les batailles à l’université.

Or les concours nationaux de recrutement de l’enseignement secondaire sont mis en cause de toute part. Les « libéraux » fanatiques (comme l’IFRAP), le SGEN, une bonne partie de la majorité parlementaire UMP (voir le rapport Grosperrin), la Cour des Comptes et quelques autres progressistes s’accordent sur ce mal français que représenteraient les concours de l’enseignement et tout particulièrement le plus prestigieux et le moins soluble dans la dégradation du statut, l’agrégation. Ce serait cocasse, si ce n’était désespérant.

Nicolas Sarkozy proposait benoîtement dans son programme de faire passer l’horaire hebdomadaire des certifiés de 18 h « de cours » à 26 heures « devant les élèves », en échange d’une augmentation du traitement. Cette mesure, qui ressemblait d’ailleurs à une proposition de Mme Royal en 2007, ne lui a gagné la voix d’aucun professeur ou futur professeur. Mais on n’a pas toujours remarqué qu’elle revenait surtout à supprimer l’agrégation sans le dire, du moins en tant que voie d’accès à l’enseignement secondaire, car une telle réforme est impraticable avec les agrégés, qui font 15 h de cours. Il est temps d’en finir s’écrie la meute. Le député UMP Grosperrin — qui est également favorable à la suppression du concours d’agrégation, comme Eva Joly et EELV —­ reconnaît dans son rapport (Assemblée nationale, 2011, voir l’article de Sylvestre Huet) l’échec de la masterisation… et propose de passer à l’étape suivante, la suppression des concours nationaux de recrutement des professeurs, que la mastérisation a rendus impraticables.

Ce dont le concours est le nom

Le lecteur se demande peut-être si je ne me trompe pas de blog depuis trois paragraphes. Non, car le statut des professeurs de l’enseignement secondaire concerne directement les universitaires pour trois raisons.

1) Pour une raison de principe d’abord, parce que la mise en cause par nos « réformateurs » de tous bords de la définition du service en heures de cours menace également les universitaires dont le service, bien que constitué d’enseignement et de recherche, est mesuré en heures de cours. Or ce système est comme la démocratie : c’est peut-être le pire, mais à l’exception de tous les autres. Contrairement à ce que racontent ses détracteurs, il n’interdit nullement la prise en compte, y compris quantifiée, des autres tâches qui incombent aux universitaires. Il favorise en revanche un quantité considérable de travail « gratuit » ou plus exactement surérogatoire de notre part (comme de la part des enseignants du second degré). Nous perdrions beaucoup à un statut « souple » à la merci des DRH, mais les réformateurs avides de contrôle et d’économie budgétaire ne gagneraient rien à une transparence rigidifiante dans laquelle chacun ferait ses heures et rien que ses heures, sinon le fait d’alimenter les joies sadiques des petits chefs.

2) Les universitaires sont eux aussi recrutés par concours et, pour certains d’entre eux, par concours national. Ils sont donc concernés par l’avenir de l’agrégation qui fournit les PRAG dont nos premiers cycles ont et auront de plus en plus besoin, et qui sont en outre dans de nombreuses disciplines le vivier le plus fiable et le plus riche de docteurs capables de devenir des enseignants-chercheurs de qualité.

L’agrégation est donc un enjeu crucial pour tous les universitaires et pas seulement les agrégés ou futurs agrégés.  Pierre Blazevic, professeur à l’Université de Versailles Saint Quentin, se présente à la présidence de la Société des agrégés contre l’équipe sortante. Il représente les sociétaire qui se mobilisent pour le renouvellement de la direction de la vénérable Société des agrégés car ils s’inquiètent du manque de rigueur d’une direction sortante brouillonne et complaisante, qui avait laissé passé par exemple la nouvelle licence ou le rapport de la Cour des comptes cité supra. Les universitaires devraient suivre de près cette élection.

Si je signale cette actualité corporative (je rappelle que je ne suis pas agrégé), c’est que je suis navré et inquiet de voir une partie de la communauté universitaire, qui s’est battue contre la LRU, notamment contre la modulation des services à la discrétion des présidents, contre l’évaluation bureaucratique, enfourcher aujourd’hui l’antienne de la critique des concours en général et de l’agrégation en particulier.

3) Je reviendrai plus longuement sur la question de la valeur des concours nationaux. Je voudrais ici alerter nos collègues sur le danger d’une campagne qui vise directement les agrégations du supérieur (en droit, économie, gestion et science politique) mais a aussi pour cible l’existence de deux corps à l’université et, en fait, le principe du recrutement par concours, au profit d’un improbable corps unique de la maternelle à l’université. Je suis navré de voir des collègues avisés et qui m’ont si souvent éclairé et convaincu être tentés par ce combat douteux. Les trois revendications s’emboîtent en effet selon une logique redoutable : les agrégations du supérieur sont accablées de tous les maux de la terre (je discuterai ce qu’il en est dans mon prochain billet), mais celui qui compte réellement est qu’elles empêchent par leur seule existence la suppression de la distinction entre maître de conférence et professeur. Celle-ci exigerait l’unification du recrutement des universitaires par concours local, qui est aujourd’hui la règle pour les maîtres de conférences et certains professeurs, mais pas pour les professeurs des quatre disciplines à agrégation (la médecine est un cas à part, qui n’entre pas dans le champ de cette discussion). Enfin, l’unification des deux corps d’universitaires est la première étape d’une unification d’ensemble qui, il faut bien le comprendre, malgré les dénégations intéressés de certains militants, implique la mort du principe du concours.

Je n’ai pas de certitudes sur la meilleure façon de réformer la LRU, mais je suis sûr que ce n’est pas celle-là.