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Pierre Dubois

Comités de sélection et RCE

Dans ses déclarations au Monde du 3 juin 2012, Geneviève Fioraso n’aborde pas la question du recrutement et de la promotion des enseignants-chercheurs. Le dossier est pourtant sensible. Quel est le bilan des comités de sélection qui ont remplacé les commissions de spécialistes ? Moins de recrutements locaux qu’auparavant ? Coûts plus élevés des procédures de recrutement ? Diminution de la prise en compte des avis à cause des responsabilités et des compétences élargies (RCE) ? Toutes les chroniques du blog sur les comités de sélection.

Rappelons qu’un comité de sélection est créé pour chaque concours de recrutement, est composé pour moitié de personnalités extérieures, propose une liste de candidats selon un ordre de préférence. L’avis du comité est ou non validé par le conseil d’administration réuni en formation restreinte ; celui-ci peut changer le classement proposé par le comité ou ne pas recruter. C’est cette dernière solution qu’a retenue l’université de Strasbourg pour le recrutement d’un professeur en “Littérature française de la Renaissance“. Document qui m’a été transmis récemment : “Recrutement à l’université de Strasbourg : autonomie et localisme“.

Explications. L’instauration de comités de sélection avait pour objectif, entre autres, de faire baisser le taux de recrutement endogène, et donc de donner une meilleure chance aux candidats extérieurs à l’université organisant le concours. Cet objectif a-t-il été atteint ? Geneviève Fioraso devrait s’en préoccuper et demander à ses services d’élaborer et de diffuser dans les meilleurs délais un bilan statistique, discipline par discipline et université par université.

Rappelons qu’en définitive, c’est le président de l’université, s’appuyant sur les avis fournis par les conseils et les comités, qui décide de recruter, de valider le profil de poste proposé par la composante d’enseignement et de recherche, et la composition du comité de sélection.

La direction de l’université a tous les moyens de favoriser ou d’empêcher le recrutement local : profil ouvert ou correspondant au CV du candidat local, composition du comité de sélection orientée ou non, validation ou non de la proposition du comité de sélection. Dans le cas de figure strasbourgeois, la direction de l’université a mal verrouillé l’ensemble de la chaîne procédurale.

Elle en a maîtrisé l’amont : concours réservé aux maîtres de conférences ayant 15 ans d’ancienneté (concours excluant donc les candidatures de professeurs). L’aval : le conseil d’administration n’a pas suivi l’avis du comité de sélection, ne retenant aucun des quatre candidats classés et décidant, en définitive, de ne pas recruter. Elle n’en a pas maîtrisé le cœur, à savoir la composition du comité de sélection : les membres du comité, en toute indépendance scientifique, n’ont pas classé le candidat local, pour qui le poste avait été mis au concours ; ce comité n’a pas “été à la botte” des souhaits locaux.

L’université peut être poussée à procéder à un recrutement “localiste” – dans le cas présent, promouvoir un maître de conférences local – pour des raisons financières liées au passage aux responsabilités et compétences élargies. Recruter un professeur extérieur entraîne une progression de la masse salariale annuelle, plus élevée quand le nouveau recruté est déjà professeur (coût additionnel de l’ordre de 80.000 euros, charges comprises), moins élevée quand il est maître de conférences ; dans ce cas de figure, il faut continuer à rémunérer le MCF non promu. Promouvoir un maître de conférence local au professorat représente un coût marginal nettement moins élevé (moins de 5.000 euros par an, la 1ère année). Soulignons qu’avant les RCE, l’État prenait en charge les conséquences financières des nouveaux recrutements.

Contradictions et cercle vicieux de la réforme du recrutement. Les comités de sélection ont été créés pour faciliter les recrutements externes. Les responsabilités et compétences élargies rendent fort coûteux ces mêmes recrutements. En conséquence, les universités en difficultés financières n’ont aucun intérêt à recruter à l’extérieur. Ce faisant, l’absence de recours à du “sang neuf” peut les rendre moins performantes et accentuer à terme leurs difficultés financières.

Que faire ? Il semble qu’il n’y aura pas de retour en arrière : le passage aux RCE ne sera pas mis en cause par le nouveau gouvernement. Comment dès lors inciter les universités à recruter des compétences à l’extérieur alors que, ce faisant, elles sont pénalisées financièrement. Il fut un temps où, en Italie, les universités étaient incitées à recruter à l’extérieur par l’attribution d’une dotation spécifique. Ce temps est révolu ; les universités italiennes ne recrutent plus guère !