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Pierre Dubois

Prof par promotion ou mutation

20ème chronique sur les Comités de sélection. La dernière traitait de la mise au concours “d’un poste de professeur en Littérature française de la Renaissance à l’université de Strasbourg. Le Conseil d’administration a rejeté la proposition du comité de sélection qui avait classé 4 candidats “externes” et n’avait pas classé une candidature locale. Le CA a retiré du concours le poste de professeur”.

Quand une université décide de mettre un poste de professeur au concours, un comité de sélection est créé ; il auditionne un certain nombre de postulants, émet une proposition de classement qui est ou non validée par le président de l’université. Les comités de sélection peuvent souhaiter promouvoir au grade de professeur des candidats “internes” ou “externes” à l’université (le plus souvent des maîtres de conférences), ou mettre en tête du classement des candidats déjà professeurs (procédure de mutation). Une question en deux temps. Les comités de sélection privilégient-ils les candidatures internes, dites “locales”, ou externes (dont les demandes de mutation) ? Quelles sont les données qui permettent de répondre ?

Dans une situation où chacun a des idées bien arrêtées (je suis personnellement partisan des recrutements externes), il faut débattre : bienfaits et méfaits, points forts et points faibles, atouts et inconvénients des recrutements internes et externes, dits également endo ou exo-recrutements ? Trois contributions analysées dans la chronique d”aujourd’hui : celles Olivier Beaud, de 3 enseignants de Poitiers, et de Pierre, professeur de mathématiques. La parole est aux lecteurs : tous les commentaires sont bienvenus !

Les données ? Elles sont très lacunaires et ne permettent pas de comparaison historique (taux de “localisme” pratiqué par les comités de sélection et par les ex-commissions de spécialistes). Souhaitons que Geneviève Fioraso fasse établir rapidement des données permettant des comparaisons d’année en année.

Dans un article de mars 2012, Olivier Beaud, professeur de droit public à Paris 2, fait une analyse remarquable de la réforme du recrutement introduite par la loi LRU : prétendre que la loi LRU a amélioré le recrutement est une assertion erronée. Bien au contraire, le nouveau système l’a aggravé”… “La seule question qui vaille est celle de savoir si l’instauration des comités de sélection a réussi à lutter efficacement contre cette tendance [le localisme]“. Mais Olivier Beaud ne fournit pas de preuve statistique de ses conclusions : en l’absence d’éléments statistiques fiables, prouvant le contraire, on peut affirmer que cette ambition a échoué ; d’ailleurs elle ne pouvait qu’échouer en raison des pouvoirs trop importants accordés à l’équipe présidentielle”.

Des chercheurs de l’université de Poitiers ont établi empiriquement le degré de mobilité géographique des enseignants-chercheurs français (communication à Montréal en mai 2012 et résumé sur le blog de l’un des auteurs, Olivier Bouba-Olga). Leur analyse est intéressante à plusieurs titres. 1. Elle se fonde sur une base de données de 12.585 individus qui ont soutenu leur thèse entre 1970 et 2000 et qui sont ensuite devenus directeurs de thèse, mais la communication ne précise pas le statut de ces directeurs (MCF HDR ou professeurs). 2. Les auteurs distinguent le localisme d’établissement (diriger une thèse dans l’établissement où l’on a soutenu sa thèse) et le localisme régional (diriger une thèse dans la région où l’on a soutenu sa thèse).

Résultats : le taux de localisme d’établissement et de localisme régional sont respectivement de 43,6% et 63,5%. En Île-de-France, le localisme d’établissement est plus faible et le localisme régional équivalent (29,4% et 61,1%).

Les auteurs sont cependant conscients des limites de leur analyse : elle ne distingue pas les MCF HDR et les professeurs ; elle ne dit rien sur l’impact des comités de sélection ; elle ne prend pas en compte les éventuelles mobilités intermédiaires (thèse dans un établissement x, recrutement dans un établissement y, première thèse dirigée après retour dans l’établissement x)…

Pierre, professeur de mathématiques, estime, dans un commentaire du blog, qu’il est parfaitement possible de connaître et de publier les taux d’endo-recrutement et d’exo-recrutement. “Comme cela se pratique en informatique et en mathématiques, publier ouvertement sur un site dédié les résultats de tous les recrutements, calculer et publier l’indice de mobilité académique”. L’AMI, Academic Mobility Index, est “le nombre de chercheurs et enseignants-chercheurs permanents (MC, PR, CR, DR) dans un laboratoire qui ont été formés et ont passé leur thèse dans un autre établissement (pour les MC et CR) ou qui ont été MC ou CR ailleurs (pour les PR et DR), divisé par le nombre total de permanents”.

De 2000 à 2012, l’AMI a fortement progressé : il a atteint 85% en 2012, taux de mobilité extrêmement fort. Ce taux est-il spécifique à ces deux disciplines ? Une limite : l’AMI ne distingue ni les grades (MCF ou PR), ni les statuts (chercheur ou enseignant-chercheur). Les résultats publiés ne permettent donc pas de mesurer l’impact du recrutement par les comités de sélection LRU.

D’autres sources de données, plus ciblées que les précédentes car concernant les recrutements des professeurs par promotion ou mutation et ce par grandes disciplines, ont été signalées en commentaire par Tétard. Elles seront analysées dans une chronique prochaine.