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Henri Audier

Les problèmes suscités par l’organisation actuelle des Assises de l’ES-R 2- L’erreur majeure : faire des assises « régionales » sur « invitations »

2- L’erreur majeure : faire des assises « régionales » sur « invitations »

A notre avis, pour la grande majorité des scientifiques, les erreurs relatives à l’organisation nationale auraient pu être dépassées si les gens avaient eu le sentiment que les assises territoriales étaient préparées près d’eux. Comme l’auteur le demandait dès leur mise en route, http://www.sncs.fr/IMG/pdf/VRS389.pdf (page huit) : « Les assises peuvent se dérouler alors en deux phases. La première, locale, sur des territoires liés aux sites de l’ESR (c’est-à-dire territoire, région, PRES ou autres), permettant à la fois une expression au plus près des acteurs de l’ESR sur les thèmes précités et un brassage des types d’établissements, des disciplines, ou des catégories (…). »

Un mode d’organisation qui dissuade

Placer les assises régionales sous la responsabilité du préfet, du recteur et de la région, constitue une double erreur.

Tout d’abord parce que le préfet et le recteur (merci d’avoir évité le commandant de gendarmerie) sont des fonctionnaires d’autorité, dont l’intérêt pour la recherche s’est avéré nul par le passé. Voilà donc bien une tutelle inadaptée à l’objet des Assises, et on se demande, par conséquent, sur quelles bases ils vont choisir les « invités » aux assises régionales.

L’autre erreur est d’avoir imposé systématiquement le cadre régional. Non parce que la région n’aurait aucun rôle à jouer dans l’ES-R, non plus du fait que les scientifiques ne seraient pas conscients que les régions ont financièrement suppléé aux scandaleuses carences de l’Etat, mais parce que une telle procédure anticipe la solution à un choix complexe, et qui reste à faire, quant à la nature et au degré d’implication des régions dans la politique scientifique du pays. Ce d’autant que les déclarations d’un certain nombre de Présidents de région (précisons : pas tous), souhaitant avoir sous leur coupe « de grandes universités régionales » ont jeté la suspicion sur leur impartialité dans le débat. Et aussi parce que certains d’entre eux, comme quelques maires, ont soutenu sans réserve les Idex, se prêtant à un processus de compétition désastreux, alors que la coopération est la seule solution durable.

Comprendre le besoin d’expression de la communauté scientifique

Ces choix d’organisation sont ressentis par la communauté scientifique comme le signe d’une incompréhension de la situation réelle de l’ES-R. Pendant dix ans, la droite a piétiné les scientifiques, elle leur a fait ingurgiter de force de prétendues réformes dont ils ne voulaient pas. Figure de proue de la médiocrité communiquante, Valérie Pécresse les a ridiculisés en faisant croire à la population, via des médias serviles ou fainéants, que des milliards pleuvaient sur l’ES-R. Les scientifiques attendent d’être respectés, ils veulent s’exprimer et, si possible, être entendus.

Le souhait de trouver une voie commune

Il est probable que le mode d’organisation, limitant le nombre de participants sous couvert « d’invitations », a été choisi en fonction des délais et pour éviter de longs affrontements locaux. C’est une erreur. Lors des Etats généraux de 2004, l’auteur avait la responsabilité, au sein du Comité d’organisation (« CIP »), de créer des Comités locaux d’organisation des Etats généraux. Il n’a de fait rien eu à créer, il n’a eu besoin ni de préfet, ni de recteur. Il lui a suffi de vérifier que la démocratie et la pluralité étaient bien respectées dans les comités qui se sont créés partout spontanément, y compris aux Antilles.

Après dix ans de compétitions stériles opposant les établissements, les laboratoires et les individus, la communauté scientifique est fatiguée. Au-delà de quelques irréductibles, indûment bénéficiaires du système, les scientifiques comprennent aujourd’hui l’impasse dans laquelle on les a jetés. Après les nombreuses tentatives pour démolir notre système d’ES-R, après la création d’une multitude de structures nouvelles imposées d’en haut, ils aspirent à se retrouver, à définir ensemble un projet d’avenir, dans la diversité des types de recherche, des disciplines ou des établissements. Ils aspirent à recréer les conditions d’une attractivité.

Les compromis qu’il y aura à faire ne seront pas simples et ne contenteront pas tout le monde. Mais le ministère doit bien comprendre que ce que chacun est prêt à accepter après un débat démocratique avec ses collègues, il ne l’acceptera pas si, à tort ou à raison, il pense que les résultats des Assises ne sont que les choix préexistants du ministère et qu’ils ont été surdéterminés par ses « invités ».

La nécessité pour l’ES-R d’être dans la société

Les Assises de Chevènement de 1982 ont placé la science dans la société : ni au-dessus d’elle, ni à sa remorque. Le fait, par exemple, que des chercheurs du public débattent avec des chercheurs du privé leur a fait percevoir qu’ils avaient un même métier et un même devoir par rapport à l’humanité. Ce fut la fin d’une période où la recherche fondamentale s’était recluse dans sa tour d’ivoire ; nouer des coopérations avec le privé, dans le respect de ses propres missions, n’était plus un gros mot.

Le mouvement de 2004 et les Etats généraux qui l’ont suivi ont attiré l’attention de l’opinion publique sur l’ES-R et ont obligé la droite à temporiser près de deux ans, avant de reprendre ses attaques. Le fait que l’organisation était très décloisonnée entre recherche publique et privée ou entre établissements a eu un effet durable sur le positionnement des syndicats de l’ES-R. La plupart sont sortis d’un corporatisme par trop étroit pour se positionner beaucoup plus largement, permettant ainsi des fronts intersyndicaux larges.

Aujourd’hui, ce serait louper une partie de la cible que d’organiser des réunions riquiqui par régions suivies d’une réunion nationale famélique. Le ministère doit réaliser combien seraient positives pour l’ES-R (et les arbitrages budgétaires) des réunions de cent ou deux cents personnes dans les villes, en région, et une réunion nationale de mille personnes, voire nettement plus. Cela créerait une dynamique formidable !

On peut encore changer la donne, comme il le sera montré dans le prochain article.