Le 27 septembre dans la rubrique Idées, le Monde.fr publiait deux articles qui ont attiré mon attention :
- La réussite des bacs pro, gageure pour l’université, par Pascale Krémer
- La triste histoire des bacs professionnels
Et ce même jour, la DEPP rendait public sa Note d’information 12-15 intitulée : Sortants sans diplôme et sortants précoces – Deux estimations du faible niveau d’études des jeunes
Question sous-jacente : quelle est la fonction d’un diplôme professionnel ?
Que fait l’Université ?
S’appuyant sur l’expérience actuelle de l’Université de Cergy-Pontoise, Université dans l’ouest de l’Ile-de-France, Pascale Krémer (La réussite des bacs pro, gageure pour l’université), posait le problème du côté de l’Université. Les faits sont là, ces élèves avec un bac pro se retrouvent à l’Université, et là dans une forte proportion. Je cite les chiffres qu’elle donne :
« … les bacs professionnels représentent cette année 16 % des inscrits en première année de lettres et sciences humaines (contre 7 % en 2009), 15 % de ceux d’économie-gestion (contre 9 %), 9 % en langues, 5 % en droit. Les bacheliers technologiques comptent pour 18 % ou 19 % des étudiants de première année de droit, d’économie-gestion ou de lettres, et pour plus du quart des étudiants de langues. »
Il faut rajouter de plus qu’une bonne partie de ces étudiants ne voulaient pas poursuivre des études universitaires. Les deux témoignages de l’article de Pascale Krémer sont tout-à-fait éloquents.
Voir la Note d”information de la DEPP 10-06 Que deviennent les bacheliers après leur bac ? Choix d’orientation et entrée dans l’enseignement supérieur des bacheliers 2008
Donc ils sont là, et que faire ? Les deux réponses sont mises en œuvre dans cette université. Tout d’abord, un travail en amont auprès des lycées, de prévention des lycéens, d’explication, d’accompagnement des enseignants. Et d’autre part, pour ceux qui sont là finalement inscrits à l’Université, un accueil particulier, un accompagnement pédagogique ciblé, et un arrangement des dispositifs d’enseignement. Je reprends la description qu’en fait Pascale Krémer à la fin de son article :
« D’où, encore, le renforcement à l’université du rôle d’orientation des secrétaires pédagogiques vers les différents services qui peuvent aider. Les conseils dispensés par des enseignants “référents”, proches des professeurs principaux du lycée. Les tests de français, d’anglais, de maths, organisés en début d’année pour identifier les publics en difficulté et les soumettre à des séances de rattrapage. Les travaux dirigés en groupes restreints, les cours en amphithéâtre qui se raréfient. Les réorientations possibles à tout moment, en interne (vers d’autres filières ou vers un semestre de remise à niveau) ou en externe, avec quelques places réservées en BTS. »
Et cette dernière phrase conclusive pleine d’espoir : « Réflexion rendue nécessaire par ces nouveaux publics accueillis mais dont tous les étudiants pourraient à l’avenir profiter. »
A quoi sert le bac pro ?
Le deuxième article est nettement plus morose, voire plus critique.
A en croire l’auteur, qui reste anonyme, la création des « bacs pros » par Chevènement a permis d’atteindre l’objectif des 80% d’une classe d’âge au niveau du bac. Soit même si la raison est différente.
Rappelons que Chevènement, ministre de éducation nationale est revenu d’un voyage au Japon avec la statistique : 90 % des ouvriers japonais ont un bac. Et justement un problème se posait à l’époque en France : comment faire accepter l’entrée dans un BEP alors qu’il n’y a quasiment aucune perspective de poursuite d’études. Car à l’époque le problème de l’allongement de la scolarité se posait à ce niveau. L’entrée sur le marché du travail avec un seul BEP était déjà difficile. Ainsi fut créé le bac pro, et non pour chercher à atteindre les 80%.
Et, dès sa création d’ailleurs, une question essentielle, avant même sa première année d’existence fut posée : le baccalauréat professionnel est-il bien un baccalauréat ? Donne-t-il le droit à la poursuite d’études ? Et la réponse bien entendu fut positive.
Aujourd’hui, le même phénomène se reproduit, mais au niveau du bac. Les élèves qui suivent cette formation professionnelle ne veulent, ou ne peuvent s’arrêter à ce niveau de formation. Mais derrière ce « phénomène » se trouvent en fait diverses logiques qu’il est important de distinguer.
Une première logique correspond à ce qu’Antoine Prost avait décrit dans son livre célèbre Histoire de l’enseignement en France, 1800-1967, Collin, 1968. Je le résume de la manière suivante, tout enseignement technique, professionnel, au sein de l’éducation nationale, tend à devenir théorique pour assurer sa reconnaissance, au sein même du système. C’est l’évolution systématiquement la même qu’il observait dans notre enseignement. Et derrière cette observation, il y a l’idée qu’un diplôme professionnel pour assurer sa valeur doit pouvoir assurer une entrée sur le marché du travail, mais également une poursuite d’études.
Une deuxième logique est dans la suite de cette première. Les élèves, du moins certains, cherchent à progresser dans leur formation professionnelle, ils réclament donc des poursuites de formation professionnelle, et dans le cas des bacs pros, il s’agit de formation vers l’obtention d’un BTS ou d’un DUT. Au passage, rappelons que l’inscription en section de BTS n’exige pas légalement la détention d’un bac. On connait la réalité de ce principe… En tout cas le principe de promotion professionnelle ne peut être remis en cause. Sauf que les Lycées filtrent les élèves provenant du bac pro (1) , et les IUT leur ferment la porte pour la plus part. D’où l’inscription au final de ces élèves en Université.
Enfin une troisième logique doit être formulée, c’est celle résultant de la « bifurcation » opérée par l’orientation en fin de troisième. Nombre d’élèves se trouvent orientés vers une formation professionnelle qu’ils ne désiraient pas. Une grande partie de ceux-ci vont alimenter le flux des décrocheurs (voir la Note d’information de la DEPP 12-15), et une partie des autres qui parviennent à décrocher ce diplôme vont l’utiliser comme un sésame pour leur « revanche » : faire les études générales dont ils ont été détournés à la fin de la troisième.
Un bon analyseur
Autrement dit la question du bac pro est un bon analyseur de notre système actuel.
Quel peut être le statut d’une formation professionnelle au sein du système éducation nationale ? Et rappelons que nous avons intégré, en France, l’ensemble des formations professionnelles initiales dans le système éducatif relevant du ministère de l’éducation nationale (à part l’enseignement agricole…, mais il faut y regarder de plus près).
Comment assurer « l’égale dignité » des diverses formations comme on dit dans les textes alors que ces différentes formation aboutissent à des places sociales fortement hiérarchisées elle-même ?
Et enfin comment être surpris des comportements des élèves dans un système fonctionnant, pour l’essentiel, à la contrainte des individus ? Voir cet article très intéressant : L’école française, une “fabrique de défiance” ?
(1) Rappelons que les sections de BTS sont installées en lycées général et technologique, pas en lycée professionnel ; à leur création il permettait la poursuite d’études aux élèves des Brevets techniques, transformés par la suite en Baccalauréats techniques puis de technologie.
Bernard Desclaux