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Bernard Desclaux

Quatre propositions pour une organisation expérientielle

Dans cette période de concertation, je vous propose de réfléchir à ces quatre propositions formulées par Jean-Marie Quairel. Voir son dernier article publié sur ce blog : L’orientation des élèves : un marqueur politique majeur.

QUATRES PROPOSITIONS POUR UNE ORGANISATION « EXPERIENTIELLE. » DE LA FORMATION, DE L’ORIENTATION et DE L’INSERTION DES JEUNES.

……POUR UNE ECOLE EMANCIPATRICE DANS UNE SOCIETE EDUCATIVE

« Les enseignants seraient ils des dévots du savoir et des mécréants de l’expérience ? » (Pierre Bringuier, COP retraité)

Aujourd’hui, les réponses institutionnelles aux dysfonctionnements du système sont de nature curatives : Elles essaient d’agir sur les conséquences et non sur les causes des phénomènes d’exclusion et de marginalisation sociales :

Il existe d’autres réponses préventives pour s’attaquer aux causes, pouvant s’articuler autour de deux repères nécessaires si non suffisant.

. Dans un livre récent (la fabrique de la défiance) les économistes Yann Algan, Pierre Cahuc et André Zylberberg citent des expériences de neurobiologie qui montrent « que les situations où la réalisation d’une tâche se traduit par un classement conduisent à une forte élévation du niveau de cortisone et de stress ……Nous apprenons beaucoup mieux lorsque nous nous sentons soutenus et confortés dans nos aptitudes à réussir. En situation de stress ou d’angoisse, notre cerveau relâche de la cortisone qui limite nos facultés de raisonnement et de mémoire. En revanche, lorsque nous nous sentons bien (ndlr validé) notre cerveau relâche de la dopamine, qui aide au contraire nos capacités de mémorisation et de raisonnement. »

Dans son petit ouvrage ( Réflexion sur l’Université) Noam Chomsky fixe un défis pour les temps présents : « Créer des formes sociales qui concrétiseront la conception humaniste de l’homme …La responsabilité incombe aux enseignants, aux citoyens, et à nous-mêmes de libérer la pulsion créatrice et d’affranchir nos esprits et les esprits de ceux avec qui nous traitons, des contraintes imposées par les idéologies autoritaires afin de pouvoir faire face à ce défi avec sérieux et ouverture d’esprit. »

1° Mesure

Il faudrait donc changer la loi concernant l’Orientation, en accordant aux parents et aux jeunes le pouvoir ultime de décision et en rendant ainsi inutiles les commissions d’appels : c’est une application indispensable du « droit à l’égalité des chances » quand on sait à qui profite sociologiquement, l’organisation actuelle (appels et recours en TA) et comment elle alimente les cours privés de tous ordres. Cette mesure ne coûte rien, en même temps qu’elle fait respirer tout le système. Elle éviterait aussi à des parents de venir exposer des drames familiaux ou à s’humilier pour obtenir un passage en seconde : De bien tristes moments pour ceux qui en sont les témoins ! Elle créerait les conditions d’un travail plus recentré des professeurs sur leur mission principale d’enseignement, en leur évitant d’être « juges et parties » et d’une action mieux comprise des COP, perçue dans toute sa dimension de psychologie du développement personnel, encrée dans le réel. Elle atténuerait le pouvoir des enseignants qui est déjà considérable (notation) sur l’avenir d’un jeune et les préparerait à une transformation de leurs missions (inéluctable avec la révolution numérique et Internet), vers plus de « guidance ». Elle serait enfin le seul moyen de mettre à égalité de reconnaissance, les différentes voies de formations, car la persistance d’une « mise à l’écart » de fait de la voie générale, par l’orientation, de toute une population, explique en grande partie l’échec, récurant depuis 30 ans, de la revalorisation des formations professionnelles. Le temps des alliances entre partenaires est venu, en lieux et place de celui des « oppositions » : celui de la confiance en la jeunesse aussi.

Evidemment, ce changement est une première étape qui doit amener la disparition même de la notion d’orientation dans le second degré. Elle serait remplacée par celle de « choix de parcours de formation », les CIO étant transformés en « Centre de conseil en parcours de formations » et les COP devenant « Psychologues-Conseillers en parcours de formations ».

2° Mesure

En amont des choix de formations après la 3°, il faut généraliser à tous les élèves, dès la 5°, un « parcours de découverte des métiers et des formations » conçu comme une transmission inter générationnelle en vue d’une culture citoyenne commune. Ce parcours serait construit, en fonction de l’âge des élèves, à partir de témoignages de professionnels très divers, de séquences d’expériences sur le terrain et d’apports théoriques transversaux dans le plus part des matières scolaires. Il devrait représenter au moins 3 heures par quinzaine. Les Conseillers d’Orientation Psychologues pourraient en être des acteurs importants, pour aider à une intégration structurante de ses expériences par le jeune, la question de l’Orientation étant débarrassée de son aspect stigmatisant.

Ceci étant, il reste qu’un certain nombre d’élèves (moins nombreux qu’aujourd’hui), ne seront toujours pas en mesure d’émettre un projet au moment où on le leur demande : il faut leur donner du temps. D’autres constateront, qu’ils se sont trompés de formation.

3° Mesure

Au sortir du collège, on pourrait créer un « Dispositif d’aide au choix de formations ». Cette « année SAS » serait accessible : Aux élèves n’ayant pas pu faire un choix ; A ceux n’ayant pas obtenu satisfaction dans leur affectation ; A ceux qui auraient fait une erreur d’orientation en Lycée ou LP. Ce dispositif serait installé à la fois en LP, en Lycée Général et technologique et en CFA. Il fonctionnerait sur le principe de l’alternance : 1/3 de stages de découvertes professionnelles (entreprises, artisans, administrations, associations) et 2/3 de cours en enseignement général (3 mois dans chaque structure). Après évaluation de cette année (contrôle continue et rapport de stage) l’objectif serait que le jeune puisse choisir la formation qui lui convient et sa forme (Lycée ou Apprentissage) et valide le « socle commun » s’il ne l’a pas obtenu en fin de 3°.

Cette mesure n’est pas exclusive des dispositifs d’accueil, d’accompagnement et de soutien qui doivent être opérationnels en classe de seconde générale et technologique ou professionnelles, comme en CFA.

Le financement de ce dispositif pourrait être assumé par l’Etat, les Régions et les Départements.

4° Mesure

Pour faciliter la mise en œuvre de ces deux dernières mesures, il faut implanter dans chaque bassin de formation, une « Maison des métiers et des cultures » : Lieux de présentations, de démonstrations et d’expériences, elle doit favoriser le partage et les échanges entre les diverses composantes du tissu socio-économique et culturel. Elle est un lieu de ressources et de transmission intergénérationnelle, ainsi qu’un pôle fédérateur des différentes initiatives « citoyennes » recherchant la qualité du « vivre ensemble ». Elle peut s’appuyer sur les réseaux existants (Pacte éducatif, Pacte civique, associations diverses …..) pour développer une véritable approche coopérative et partenariale des questions d’éducation, de formation et d’insertion. Les rencontres entre jeunes et professionnels seraient déterminantes pour enclencher un processus de « mise en expérience professionnelle » devant déboucher sur une embauche en CDI, ou sur une entrée prioritaire en formation continue.

Son financement serait assuré à la fois par l’Etat, les Collectivités territoriales et locales, ainsi que par les Chambres des métiers et Chambres de Commerces.

Cette organisation devrait évidemment s’accompagner d’une indispensable amélioration des conditions de travail, de salaire et de santé, dans de nombreux métiers, afin de les rendre plus attractifs pour les jeunes : Une véritable reconnaissance « humaine » du salarié et de son « intelligence » au travail, se traduisant par une réelle « sécurisation » des parcours professionnel, à l’image de ce qui existe dans les pays du nord de l’Europe .

CONCLUSION

L’organisation « expérientielle » de la formation, de l’orientation (devenue choix de parcours) et de l’insertion a donc trois objectifs :

1/ Créer, pour un jeune, les conditions d’un droit à l’essai et à l’erreur dans la construction de son parcours de formation.
2/ Lui permettre l’acquisition d’une expérience professionnelle reconnue et d’une qualification à la fois désirée et utile à la collectivité.
3/ Faciliter la mise en œuvre d’une véritable « société éducative », plus juste, plus solidaire et plus responsable. Pour prendre tout son sens, elle devrait évidemment s’inscrire dans une école et une société transformées, ayant pour idéal, la formation et le « vivre ensemble », de citoyens mieux éduqués, autonomes, responsables, attentifs et respectueux de leur environnement, tout autant que des humains qui y travaillent et y vivent.

Je suis persuadé qu’elle permettrait une diminution significative du « décrochage en formation » et une augmentation du niveau général de la jeunesse et de la qualité de son insertion.

En cela, c’est une approche totalement écologique et humaniste, pour contribuer à une alternative au « monde marchand » qui veut s’imposer et s’opposer à l’avènement d’un « monde d’alliances solidaires ».

Un monde aux ressources finies, où le « chacun pour soi » libéral est une voie sans issu, une folie, aux regards des enjeux à venir : Les hommes se sauveront ensembles ou disparaîtront seul ou par petits groupes de semblables, les uns à côté des autres…. Chacun obsessionnellement effrayé par l’autre différent de soi et voulant totalement ignorer ses richesses.

Septembre 2012 JM Quairel