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« Grenoble », marque technologique

Groupe 6)

Un M.I.T. (Massachussets Institute of Technology) à la grenobloise, tout le monde en parle comme LA solution pour ancrer notre région dans le pelotonde tête mondial.

La stratégie que je défends pour y parvenir passe par deux chemins : celui du management technologique, la marque de fabrique de Grenoble Ecole de Management, et celle d’une gouvernance locale efficace. Objectif : offrir les meilleurs services à celles et ceux qui recherchent et entreprennent dans les secteurs d’avenir.

Grenoble, l’histoire en marche

La synergie Entreprises-Recherche-Université a construit l’identité industrielle de la ville, un paradigme qui assure, encore, un positionnement original en France comme technopole de niveau mondial. Une histoire, des femmes et des hommes d’exception, un environnent naturel sans équivalent ont construit le « mythe grenoblois », bien au-delà des frontières nationales. Mais sommes-nous prêts à passer à la prochaine étape, du mythe au M.I.T., en osant un raccourci un peu rapide ? Comment y parvenir ?

Le management technologique comme méthode

Nous ne connaissons pas encore ce que seront les produits et les services de demain, et par conséquent, les emplois de nos enfants, encore moins ceux de nos petits-enfants… Cette incertitude est au cœur du management technologique. Les schémas traditionnels qui expliquaient qu’un produit devait passer, d’abord, par le marché domestique avant l’international est obsolète. Aujourd’hui, le marché « monde » s’impose. Les cycles de vie des produits sont réduits, leur brevetabilité essentielle. Ces changements impactent fondamentalement le management où les valeurs cardinales deviennent : travail collaboratif, travail à distance, interdépendance… Le management technologique intègre toutes les conséquences de la technologie sur la vie des entreprises et des citoyens. Tout reste encore à inventer ! Grenoble Ecole de Management est prête à jouer un rôle actif. Elle forme les managers de demain…

La gouvernance comme moteur

En matière de technologie, la concurrence ne manque pas. Qu’elle se manifeste, dans les pays de l’OCDE ou dans les pays – ou continents ! – émergents, c’est la création de valeur qui fera la différence. La naissance des produits et services du futur dépend étroitement de la qualité du tissu local et du relationnel entre ses acteurs : entreprises, labos de recherche, établissements de l’enseignement supérieur, politiques. C’est ici que la gouvernance prend tout son sens. Les parties prenantes d’un projet technologique, tout en conservant leur autonomie, doivent entrer dans une démarche de développement beaucoup plus collaborative. La question du leadership ne doit pas ralentir les projets. C’est une forme de compétitivité collaborative qu’il faut inventer sous peine d’être marginalisé. Giant**, Grenoble Campus, Grenoble Ecole de Management, entre autres, convergent, leurs compétences sont croisées et complémentaires : les uns verront naître les futurs prix Nobel, les autres les managers de demain. L’objectif ultime de cette gouvernance est bien de créer les meilleures conditions d’incubation et d’accueil des talents et de leurs projets. En un mot, les meilleurs services pour une création de valeur réussie. Grenoble comme le M.I.T. doit devenir une vraie marque technologique. Jean-Charles Guibert, président de MINATEC***, en tant qu’acteur clé, partage notre point de vue, celui d’une communauté de destin.

Dans cette ville bouillonnante, management et gouvernance technologiques ne pourront se développer qu’en invitant la population au débat. Toute approche dogmatique, déconnectée des problématiques de la vie de tous les jours, bloquera les avancées. Il faudra en débattre. Et Grenoble est experte en la matière !

* « Le mythe grenoblois » paraphrase le titre de l’ouvrage de Pierre Frappat, paru en 1979, « Grenoble : le mythe blessé » où toutes les figures qui ont construit l’image de Grenoble comme laboratoire social, scientifique, industriel et environnemental sont revisitées à l’aune d’un sens critique affuté.

**Giant : initié par le CEA Grenoble en partenariat avec le CNRS, l’EMBL, l’ILL, l’ESRF, Grenoble Ecole de Management, Grenoble INP, l’Université Grenoble 1 Joseph Fourier et le soutien des collectivités, GIANT(Grenoble Institute of Nanotechnologies) a pour ambition de créer un véritable “MIT à la française”, capable de rivaliser avec les grands pôles technologiques mondiaux avec pour objectif à terme : 10000 chercheurs, 10000 étudiants. D’ores et déjà, les chercheurs de la presqu’île scientifique disposent d’un budget de 800 millions d’euros et déposent 300 brevets chaque année.

***MINATEC comme MIcro et NAnoTEChnologies est le premier pôle européen de recherche en nanotechnologies. Créé officiellement en 2006, il rassemble 4000 personnes (salariés, chercheurs, industriels et étudiants), dépose 225 brevets par an et a créé 37 starts-up innovantes.

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Le stage, démarche pédagogique à part entière…

Les vacances d’été arrivent pour la plupart d’entre nous, salariés… Mais pour bon nombre d’étudiants : été rime avec stage !

Prévu pour permettre à l’étudiant de découvrir les réalités de l’entreprise, de mieux définir un projet professionnel ou d’appliquer concrètement ses savoirs théoriques, le stage n’en reste pas moins partie intégrante du parcours pédagogique. Comme dans un orchestre, étudiant, entreprise et école ont, chacun, leur partition à jouer pour réussir une œuvre collective. Quels sont les rôles des parties prenantes ? Comment réussir la bonne alchimie entre stagiaire, école et entreprise ?

Pour l’étudiant, sa responsabilité s’engage très en amont, dans la phase de recherche active. Cette quête fait partie du jeu. Une manière de se préparer à un futur recrutement, de tester sa motivation et sa méthode de prospection, même si l’école a pour mission de proposer un flux significatif d’offres. J’insiste sur l’importance de la réflexion et de la tactique que doit adopter l’étudiant : un employeur sera sensible à un CV qui reflète une logique et une progression et non à un volume de stages effectués !

Dès son entrée en fonction, l’étudiant devient un professionnel. Il doit s’intégrer dans un existant qui fonctionne selon des règles auxquelles il doit s’adapter : horaires, tenue vestimentaire, culture d’entreprise, culture nationale, confidentialité… J’abordais la question de la jeune génération actuelle, la génération « Y », dans mon dernier post. Leurs codes ne cadrent pas forcément avec ceux de l’entreprise. Mais ils constituent une source de créativité et de développement insoupçonnée, surtout dans le domaine des nouvelles technologies.

Pour l’entreprise, accueillir un stagiaire, c’est signer un véritable engagement qui n’a rien à voir avec une quelque conque manière de pallier un manque chronique de personnel ou d’exploiter une main-d’œuvre qualifiée à faible coût. La phase d’accueil de l’étudiant est primordiale ainsi que l’encadrement et le suivi. Une bonne interface entreprise-école participe de la formation du stagiaire, que les choses se passent bien ou mal, d’ailleurs. Mais l’essentiel se joue en amont : plus l’entreprise prépare l’arrivée du stagiaire, meilleur sera le résultat final. Autre engagement : récompenser à la hauteur du travail réalisé. Pas facile en temps de crise mais pourtant essentiel…

Pour l’école, au-delà de l’appui à la recherche d’un bon stage, le premier acte passe par la validation de son contenu. L’étudiant sera-t-il en mesure de remplir sa mission ? En aura-t-il les moyens ? Ses responsabilités sont-elles acceptables, eu égard à son parcours ? N’est-il pas en train de se fourvoyer dans un stage « parking » ou dans une démarche purement lucrative, sans motivation pédagogique ?
Cette première étape validée, l’école assure un suivi. Elle accompagne l’étudiant et l’entreprise au fil du stage. C’est une partition qui se joue à trois afin de permettre à l’intéressé(e) de progresser et d’atteindre ses objectifs. Dernier acte : l’évaluation. Quelles connaissances a-t-il acquis ? Quelles responsabilités a-t il assumé ? Avec succès ? Son comportement était-il approprié ? Des questions qui offrent au stagiaire, à l’école et à l’entreprise un échange critique propre à faire progresser. Sur la forme, le traditionnel rapport de stage s’impose mais la soutenance est également importante. Trop peu d’entreprises participent à cet exercice, je le déplore.

Le tuteur : facteur de réussite. Acteur de l’ombre, le tuteur de stage mérite d’être valorisé, que ce soit dans l’entreprise ou à l’école. Dans l’enseignement supérieur, sa dimension pédagogique n’est pas suffisamment développée. C’est une vraie activité qu’il faut professionnaliser. D’autant que le stage long, d’une durée d’un an, prend de plus en plus d’ampleur, en tout cas chez nos étudiants. Stagiaire, école et entreprise ont donc un intérêt évident et réciproque à renforcer leurs liens.

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Au-delà de la crise… la révolution Y

Les trois dernières lettres de l’alphabet portent un sens caché, plutôt connu des sociologues, politistes ou historiens. « X », d’abord, comme une génération improbable et sans véritables repères, formée d’hommes et de femmes nés entre 1959 et 1977, qui n’ont pas connu l’euphorie des trente glorieuses. « Z », enfin dont les contours restent à définir car toute récente… Et « Y », celle qui nous intéresse, la génération des jeunes adultes d’aujourd’hui, baignée de numérique, de mondialisation post-guerre froide et de l’apparition massive du SIDA. Une génération de la rupture qui questionne nombre de pédagogues et de managers. Faut-il craindre cette « net génération » ? Comment fonctionne-t-elle ? Quelles sont ses codes et ses attentes ?

Les valeurs du Y.
Cette génération n’est plus monolithique comme les précédentes. Chaque individu constitue un projet en soi avec ses valeurs. Mais certaines sont partagées comme la contractualisation des relations humaines, pas toujours équilibrée, qui constitue l’une des branches du Y. Aujourd’hui, c’est le « donnant-donnant » et le réalisme qui gouvernent. D’accord pour s’investir, mais seulement, à la hauteur de ce qui est reçu. Leurs parents entraient dans une entreprise pour y faire carrière, coûte que coûte. Les « Y » s’engagent à durée déterminée, le pendant du contrat du même nom, en quelque sorte. Pour de l’argent, peut-être, mais également pour plus de temps libre, plus d’autonomie ou pour une bonne cause. Une anecdote : un DRH me racontait qu’un jeune en CDD n’ayant pas eu d’entretien à la date fixée des six mois de présence dans l’entreprise, déposa sa démission le lendemain… Des règles qu’ils s’appliquent à la lettre mais qui ne tiennent pas forcément compte du contexte professionnel et de celle de la société en général. Des comportements qui déroutent totalement les entreprises. Il est aussi vrai que nous ne faisons rien, non plus, pour les encourager à l’optimisme. C’est leur manière de se protéger. Autre branche du Y, la multi activité. Le qualificatif de « net génération » traduit cette disposition. Ce sont des technophiles souvent experts en numérique : à la fois capables de travailler sur un dossier, branché sur Skype avec un collègue, tout en conversant sur Msn, en actualisant leur profil Facebook, sur un fond musical téléchargé ! Cette polyvalence recèle de véritables trésors de créativité pour les entreprises. Leur monde, c’est le web 2.0, le mobile, les réseaux sociaux, les communautés, les jeux en réseaux, le travail en équipe finalement !

Enseigner, c’est changer.
Le monde de l’entreprise n’est pas le seul à devoir s’adapter. L’enseignement supérieur doit également tenir compte des valeurs « Y ». Enseigner devient plus une méthode, une attitude, une manière d’interpeller, de faire réfléchir, de surprendre son auditoire. Même si le professeur doit rester très pointu dans ses savoirs, cela ne suffit plus, tout étant maintenant disponible sur la toile. En matière de nouvelles technologies, l’enseignant doit passer du concept aux outils, tandis que pour le manager, c’est l’inverse.

Quelques solutions pour bien cohabiter.
La rupture intergénérationnelle entre les Y et leurs aînés est consommée et le retour en arrière impossible. Doit-on pour autant jouer la carte de l’autoritarisme ? Sacrifier cette génération sur l’autel de la crise ? Non. Refuser la différence en imposant les normes dominantes serait une erreur, une manière de reproduire des schémas devenus obsolètes. Je crois que l’accompagnement et le développement de la notion de responsabilité ouvrent de réelles perspectives. Il faut définir, en évitant le conflit, des règles non négociables et partagées par tous. La nature des relations à établir n’est plus celle de l’ado qui revient aux normes de l’adulte après sa crise. Il s’agit d’un vrai changement à intégrer. C’est en expérimentant à l’école et dans l’entreprise que nous trouverons les bonnes pratiques pour bien vivre la génération Y !

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Un média de plus. Pourquoi faire ?

Pour céder à la mode « blogueuse » et « buzzante » sur le net peut-être…

Pour dire ce que nous pensons, échanger, débattre, c’est certain !

Notre école se développe par la très grande variété des publics qu’elle rencontre, avec lesquels elle travaille, communique et partage des idées.

Qu’ils soient étudiants ou parents de tous milieux sociaux, professeurs, entrepreneurs et décideurs, collectivités, associations, chacun apporte sa contribution à la dynamique de notre maison. Ces publics sont déjà bien informés par des actions de communication construites autour de supports comme le web, les newsletters, les plaquettes, des ouvrages, etc. Mais il n’existe pas de canal spécifique pour nous, la Direction ! Et pourtant ce n’est pas l’envie qui manque d’aborder les sujets qui nous tiennent à coeur. C’est pourquoi, j’ai décidé de créer un média direct et interactif. D’abord sous la forme d’un blog, il utilisera toutes les formes, écrite et audiovisuelle, et tous les réseaux, sociaux ou non, pour faire connaître notre point de vue. Cette nouvelle étape renforce la tradition d’ouverture et de dialogue de l’ESC Grenoble sur nos thématiques traditionnelles comme l’entreprise, le management, la technologie, la compétitivité ou la pédagogie mais également sur d’autres, plus inattendues, comme le handicap, l’exclusion, la culture, l’art, la géopolitique…

Autant de thèmes que j’aborderai, en fonction de ce que je crois, de mes intimes convictions et au regard des temps forts de l’école que je dirige, de mes rencontres, de ce que l’actualité nous apporte, quitte à bousculer quelques idées reçues et quelques susceptibilités.

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Réforme de l’université : l’autonomie à la française

Le président de la République française, Nicolas Sarkozy, a fait de la réforme de l’enseignement supérieur et de la recherche une des priorités de son mandat (2007-2012). Il l’avait clairement annoncée pendant sa campagne et s’emploie depuis son élection à la mettre en œuvre. La nécessité d’une réforme d’ampleur qui aille au-delà des quelques ajustements réalisés ces dernières années (notamment le passage au système européen du LMD dans les années 2000) avait d’ailleurs été soulignée par tous les grands candidats à l’élection présidentielle de 2007.[1] L’université, en particulier, était unanimement considérée comme sous-dotée – en particulier par rapport à d’autres portions du système éducatif français, tel que l’enseignement secondaire ou les « grandes écoles » [2], et ne disposant donc pas des moyens d’entrer dans la « société de la connaissance et de l’innovation » voulue et promue aussi bien par l’OCDE que par l’Union européenne.[3]

Une fois élu, Nicolas Sarkozy a confié à une jeune personnalité montante de la droite, Valérie Pécresse, un ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche de plein exercice (une première dans l’histoire administrative française !) avec pour mission de mener à bien cette réforme de grande ampleur. Il annonçait dans le même temps qu’il allait doter les universités et la recherche d’importants moyens nouveaux (5 milliards d’euros sur cinq ans). La loi « liberté et responsabilité des universités » (dite LRU, « loi sur l’autonomie » ou « loi Pécresse »), adoptée dès le mois d’août 2007, et le découpage en « instituts » du CNRS, l’organisme pluridisciplinaire principal de la recherche en France, allaient vite fournir le cadre d’ensemble de la réforme envisagée.[4]

Ce n’est qu’à partir de janvier 2009, lorsque les premiers établissements universitaires (une vingtaine sur les 90 que compte la France) sont passés sous le régime dit de « l’autonomie » et que les décrets d’application déclinant pratiquement la loi LRU ont été présentés que le mouvement de protestation contre cette réforme a commencé, entraînant une large majorité d’universitaires et de chercheurs dans un conflit de plusieurs mois avec le pouvoir.

Trois raisons expliquent, principalement, la rupture entre le gouvernement et la communauté universitaire française : l’inspiration dogmatique de la réforme, sa conception incohérente et sa mise en œuvre bâclée.

Une inspiration dogmatique

La réforme de l’université française suit, comme dans de nombreux pays européens, une logique implacable : celle de l’entrée dans la « société de la connaissance et de l’innovation » et dans un monde académique unifié par-delà les frontières.[5] Un monde rendu totalement transparent aux performances de tel ou tel établissement grâce à des classements tels que celui de l’université chinoise Jiao Tong de Shanghai.[6] Or, dans ces classements, les universités françaises font pâle figure en comparaison de leurs homologues américaines mais encore d’autres pays européens. Pourquoi ? Parce qu’elles seraient trop peu compétitives – i.e. trop peu au service de l’économie –, mal « gouvernées » et parce que les universitaires ne seraient ni évalués ni motivés… Bref, les établissements et les universitaires français ne seraient pas à la hauteur de la compétition mondiale.

Dans une telle perspective, il est indispensable de rendre plus compétitif l’ensemble du système. Comment ? En appliquant les recettes de la « nouvelle gestion publique » (New Public Management) aux universités, celles d’une meilleure efficacité de l’administration et du service public suivant des principes issus du management privé qui conduisent essentiellement, comme modalité pratique, à des économies d’emplois. C’est dans ce cadre d’ensemble que s’est mise en place la réforme de l’université et de la recherche en France – suivant les principes de réorganisation des finances publiques posés dans la LOLF (loi organique relative aux lois de finances) et ceux de la RGPP (révision générale des politiques publiques). [7]

D’aucuns pourraient juger qu’il n’y a là rien de choquant ; les discours managérial et technocratique convergeant pour condamner l’inefficacité de l’université (taux d’échec trop important et manque de suivi des étudiants, etc.). Le problème est qu’il s’agit d’une lecture partielle voire partiale de la réalité, y compris si l’on s’appuie sur les fameux classements internationaux. Leur lecture attentive laisse en effet apparaître que les universités et les organismes de recherche français y figurent malgré tout en bonne place compte tenu des moyens financiers dont ils disposent et de leur configuration institutionnelle en comparaison de leurs homologues étrangers. La charge de la preuve, si l’on peut dire, s’inverse alors : c’est grâce aux universitaires et chercheurs français que la France fait plutôt bonne figure (5e rang des publications et 6e rang au classement de Shanghai par pays) malgré le sous-financement chronique de leurs activités (18e rang de l’OCDE pour le financement de la recherche académique…). Un peu comme si on leur reprochait de ne terminer qu’à la troisième place du 100 mètres des Jeux Olympiques alors qu’ils le courent à cloche-pied et les mains attachées dans le dos.

La rhétorique catastrophiste, et riche de sous-entendus, du président de la République [8] et du gouvernement, masque en fait, outre une méconnaissance frappante du sujet, une volonté de « rationalisation » qui se limite à une réduction des coûts. Cette vision dogmatique – à la fois ignorante de la réalité des enjeux universitaires et mensongère quant à ses fins – a été relayée, au moment de définir les points-clefs de la réforme, dans la loi LRU, par la vieille habitude française de la concentration du pouvoir.

Une conception incohérente

C’est là l’incohérence fondamentale de la réforme, et elle est double : prétendre donner l’autonomie aux universités tout en concentrant les pouvoirs dans les mains de son président mais en retenant l’essentiel, c’est-à-dire le pouvoir financier, dans les méandres des bureaux de l’administration centrale. Si bien que sous le beau et nécessaire nom d’autonomie, on a créé un maître absolu dans son établissement[9] mais dépendant du bon vouloir bureaucratique de Paris pour les moyens dont il dispose in fine, cumulant ainsi l’inconvénient de la concentration des pouvoirs localement et celui de la centralisation des moyens à Paris. Alors même qu’il aurait fallu faire le contraire, en s’inspirant davantage de Montesquieu que de Bonaparte.

Résumer l’autonomie à un pouvoir donné aux seuls présidents, c’est nier à la fois le principe d’indépendance des universitaires (pourtant reconnu constitutionnellement depuis les années 1980) et la diversité du paysage universitaire (taille des établissements, spécialisation et niveau de la recherche, etc.). C’est aussi faire reposer la politique de l’université sur la qualité personnelle de tel ou tel président, tant en termes de compétences que de qualité morale, et ouvrir la porte à la dérive classique de tout pouvoir sans contrepouvoir : le despotisme. En voulant faire des présidents d’université des managers modernes, gestionnaires de ressources et acteurs de la société de la connaissance et de l’innovation – pour parler le sabir ministériel… –, on a finalement fabriqué des potentats locaux dont les moyens de satisfaire clientélisme et prébendes sont décuplés.

Ces « nouveaux » présidents d’établissements autonomes – ceux qui connaissent depuis janvier 2009 les joies du nouveau dispositif – ont d’ailleurs subi un choc lorsqu’ils ont pris connaissance de la dotation globale du ministère qui alimente l’essentiel de leur budget[10] ou encore des règles de répartition des différents financements supplémentaires promis à grand renfort de communication par le gouvernement, tel que le « plan campus » de rénovation des locaux universitaires[11]. Leur autonomie reste donc relative si l’on s’attarde non aux discours gouvernementaux mais aux moyens dont ils disposent. Ils continuent de se trouver dans l’obligation de se tourner vers le ministère à tout propos.[12]

Une mise en œuvre ratée

La mise en œuvre de la réforme sur l’autonomie par le gouvernement français va se révéler elle-même particulièrement laborieuse. Le pouvoir a si bien additionné bourdes et annonces à contretemps que l’on est en droit de se demander comment il est possible d’être aussi prompt à se prévaloir du discours de l’efficacité managériale ou de la « gouvernance du changement » et de commettre autant d’erreurs tactiques et de communication dans la mise en œuvre d’une réforme ?

Première erreur, la précipitation mise à faire voter la loi. Alors qu’elle était annoncée comme l’une des plus importantes du quinquennat de Nicolas Sarkozy et qu’elle concerne par son ampleur l’ensemble de la communauté universitaire et de la recherche, pourquoi l’avoir fait voter au beau milieu de l’été (août 2007) au moment où toute la France, universitaire en particulier, est en vacances ? Les syndicats (enseignants-chercheurs, étudiants, personnels administratifs) ont été consultés en vitesse juste avant les vacances. Seule la Conférence des présidents d’université (le lobby qui regroupe les présidents) a été mise dans la confidence au point d’ailleurs de finir par « co-écrire » la loi avec le gouvernement – les parlementaires de la majorité se contentant de la voter en l’état (même si certains d’entre eux ont protesté contre le procédé). Aucun débat public n’a eu lieu, aucune concertation avec les acteurs n’a été menée. Alors que chacun sait combien il est difficile de réformer sans voire contre les agents de l’organisation concernée.

La deuxième erreur tactique fondamentale du gouvernement a été de tenter de noyer le poisson en ouvrant plusieurs chantiers à la fois. Pour masquer la réforme sur l’autonomie, le ministère a déployé plusieurs leurres : l’amélioration de la vie étudiante (bourses, prêts, logement, santé), la réforme du premier cycle, le « plan campus » ou encore la réforme de la formation des enseignants du primaire et du secondaire… La collision de toutes ces initiatives a bel et bien brouillé le message, permettant dans un premier temps de faire passer l’activisme ministériel pour une authentique volonté de réforme. Mais une fois la poussière retombée, chacun a pu constater que le roi était nu. L’amélioration de la vie étudiante ainsi conçue s’apparente à un cautère sur une jambe de bois tant les montants du nouveau système de bourses et le programme de construction de logements sont dérisoires au regard des besoins dans ce domaine.[13] La réforme du premier cycle n’est pas à la hauteur des problèmes massifs que connaissent les universités dans l’accueil et l’encadrement des étudiants en première et en deuxième années de licence, notamment en raison de la suppression nette d’effectifs enseignants alors que le nombre d’étudiants global continue d’augmenter. Et le « plan campus » ressemble à un marché de dupes (cf. note 11). Quant à la réforme de la formation des « maîtres », la mesure est immédiatement apparue pour ce qu’elle est : une économie de bouts de chandelle conduisant à la suppression d’une année de stage pratique rémunéré – considérée pourtant comme indispensable pour les nouveaux arrivants dans le métier.

Reste la troisième bourde du gouvernement, celle qui a déclenché la révolte des universitaires du printemps 2009 : la révision du décret régissant leur statut.[14] Les réformateurs ministériels se sont ici surpassés : atteinte frontale au principe d’indépendance et aux libertés des universitaires, sanction d’une « recherche insuffisante » par augmentation du service individuel d’enseignement, évaluation des enseignants-chercheurs sur des critères flous et inadaptés, et surtout, concentration des pouvoirs sur la carrière, le service et les rémunérations de chacun dans les mains du président de son université. L’idée sous-jacente de cette transformation substantielle du statut universitaire étant de rendre possible la gestion par le président de la pénurie dans son établissement, en maintenant un service d’enseignement global – rendu obligatoire par la loi et fixé par avance – alors que sa « masse salariale enseignante » d’ensemble diminue (du fait des suppressions nettes de postes) ou qu’il doit de plus en plus arbitrer entre crédits consacrés à la recherche et à l’enseignement.

Une victoire à la Pyrrhus du gouvernement

La lecture des communiqués et commentaires ministériels annonçant la fin du conflit, pourrait laisser penser que le gouvernement a remporté une « victoire » sur les universitaires malgré leur importante mobilisation. La publication, au beau milieu des vacances d’avril, des décrets contestés (selon le même procédé que pour la loi LRU en août 2007) a permis à la ministre en charge du dossier de claironner que la partie engagée depuis des mois contre les universitaires était terminée. Et qu’elle l’était par une victoire de sa part puisqu’elle aurait enfin réussi à, selon ses propres termes, « réformer l’université ».

Cette interprétation est erronée, pour deux raisons. D’abord parce que les intentions gouvernementales de départ (économie de moyens, mise au pas des universitaires par la « normalisation » de leur statut, concentration des pouvoirs…), masquées par un discours emphatique sur l’entrée dans « la société de la connaissance et de l’innovation », ont été largement mises à jour à l’occasion du mouvement de protestation. Ensuite parce que la méthode employée pour « réformer » a été désastreuse tant en termes d’image que de gestion politique : le refus obtus de toute négociation réelle de la part du gouvernement a conduit à souder comme jamais une communauté universitaire qui a pris, à l’occasion de ce mouvement et pour la première fois depuis longtemps, conscience de ses intérêts communs bien au-delà de ses divisions traditionnelles.[15] Le gouvernement devrait donc se garder de crier victoire.

L’université française a en effet été profondément et durablement affaiblie par cet épisode alors même que le gouvernement prétendait la renforcer. D’une certaine manière, la communication gouvernementale – relayée d’ailleurs par une presse très largement complaisante – a atteint son but. Aidé par l’ampleur de la crise économique et sociale que traverse le pays, cet effort de propagande a sans doute réussi à convaincre une partie de l’opinion publique que les universitaires étaient non seulement des fonctionnaires fainéants, surpayés et improductifs – une description en conformité avec celle, récurrente, faite par le président de la République lui-même – mais encore des ingrats doublés d’idiots, incapables de comprendre les bienfaits que le gouvernement entend leur prodiguer – une rhétorique ministérielle tout aussi habituelle.

Pourtant, en tentant de discréditer les universitaires auprès des Français, en masquant constamment les objectifs réels de la « réforme » et en jouant le pourrissement de la situation lors du mouvement de protestation, le pouvoir s’est aussi tiré une balle dans le pied. Car c’est la capacité même de la société française d’entrer dans cette « société de la connaissance et de l’innovation » dont on nous a tant dit qu’elle était notre seul espoir face aux bouleversements de l’ordre du monde, qui est aujourd’hui atteinte de plein fouet. L’université a en effet perdu dans la bataille un peu plus encore du déjà faible crédit dont elle dispose auprès des Français qui n’y envoient leurs enfants que contraints et forcés lorsque ceux-ci n’ont pas été admis, après le bac (en fin d’études secondaires), dans les filières sélectives de l’enseignement supérieur (classes préparatoires aux grandes écoles, écoles spécialisées, BTS ou IUT). En prétendant réformer comme il l’a fait, le pouvoir actuel n’a fait que démolir un peu plus un des rares instruments de cette double aspiration que représente encore, bien que très imparfaitement, l’institution universitaire en France, celle d’une relative égalité des chances et de la possibilité d’une ascension sociale ouverte à tous ou presque.

Autre conséquence de cette politique calamiteuse, toute tentative de réforme de l’enseignement supérieur, quels que soient son objet et son urgence, sera désormais beaucoup plus difficile à réaliser. L’occasion d’une réforme qui permette à l’université française d’entrer de plain-pied dans le XXIe siècle a été gâchée par un pouvoir qui n’aura finalement montré dans cette affaire que son appétence pour une idéologie de meeting électoral et sa courte vue politique. La communauté universitaire française, à la fois humiliée et trahie, aura d’ailleurs très certainement à cœur de faire payer à la droite française, dans les urnes, cet épisode.

Pis encore, les universitaires, dans leur grande majorité, et notamment les plus jeunes, ne participeront désormais que contraints et forcés à la mise en œuvre des mesures finalement décidées par le gouvernement. L’autonomie telle qu’elle a été conçue ne fonctionnera pas ou si mal que les effets positifs qui pouvaient en être attendus seront dilués dans la résistance sourde et passive, mais efficace puisqu’en prise directe avec son terrain, d’un « corps universitaire » (selon l’expression du philosophe Vincent Descombes, voir note 15) qui a pris, à cette occasion, conscience de lui-même et de sa puissance.


[1] Voir sur les enjeux de la réforme lors des élections présidentielles de 2007, L. BOUVET, « Réformer les universités : le radicalisme du possible », Le Banquet, Paris, n° 24, février 2007, p. 113-128.

[2] Ainsi, par exemple, un élève de lycée (second cycle secondaire) coûte-t-il plus de 10000 euros par an alors qu’un étudiant à l’université ne coûte que 6700 euros – et dans le supérieur : 9160 pour l’étudiant d’IUT, 12300 pour l’élève de STS et 13760 pour l’élève de classe préparatoire aux grandes écoles) – chiffres pour l’année 2006. Voir pour une vue d’ensemble du système d’enseignement supérieur français : M. VASCONCELLOS, L’enseignement supérieur en France, Paris, La Découverte, « Repères », 2006.

[3] Voir sur ce point : L. BOUVET, « Réformer l’université : un enjeu européen », Questions d’Europe, n° 40, Fondation Robert-Schuman, Paris, octobre 2006 et I. BRUNO, A vos marques®, prêts… cherchez ! La stratégie européenne de Lisbonne, vers un marché de la recherche, Bellecombe-en-Bauges, Editions du Croquant, 2008.

[4] On laisse volontairement ici de côté la question de la réforme du CNRS pour ne s’intéresser qu’à l’université stricto sensu, sachant qu’une bonne partie des laboratoires de recherche sont communs aux universités et au CNRS et donc que chaque institution est aussi touchée, collatéralement, par la réforme de l’autre.

[5] Voir sur ce point L. BOUVET, loc. cit. ; R. LAMBERT & N. BUTLER, The Future of European Universities. Renaissance or Decay ?, London, CER, 2006 ; F. SCHULTHEIS, M. ROCA I ESCODA & P.-F. COUSIN, dir., Le cauchemar de Humboldt. Les réformes de l’enseignement supérieur en Europe, Paris, Raisons d’agir, 2008.

[6] L’université Jiao Tong (Shanghai) publie chaque année, depuis 2003, un classement qui intègre l’ensemble des établissements universitaires mondiaux selon des critères de taille (nombre d’étudiants et de professeurs), de notoriété (Prix Nobel scientifiques), de publications… Mais d’autres classements existent. On mentionnera en particulier ceux du Times Higher Education Supplement (moins uniquement centré sur les sciences exactes), du CSIS (le conseil supérieur de recherche scientifique espagnol qui classe en particulier les centres de recherche, ce qui donne à la France un avantage) ou encore de l’Ecole des Mines de Paris qui a retenu des critères permettant aux grandes écoles françaises de faire bonne figure. Tous ces classements sont contestés quant à leurs méthodes d’élaboration et aux critères retenus. Les ministres de l’enseignement supérieur européens ont même décidé d’élaborer leur propre classement afin de lutter contre l’influence grandissante de celui de Shanghai sur les décisions d’inscription des étudiants.

[7] Voir sur cet important mouvement en France :P. BEZES, Réinventer l’Etat. Les réformes de l’administration française (1962-2008), Paris, PUF, 2009 ; et sur son application à l’enseignement supérieur : A. AMARAL, V. L. MEEK & I. LARSEN (eds), The Higher Education Managerial Revolution ?, Dordrecht, Kluwer Academic Publishers, 2003.

[8] Le président de la République a tenu devant les représentants de la communauté universitaire et de la recherche, un grand discours de cadrage le 22 janvier 2009. Au cours de celui-ci, sur un ton alternant la désinvolture et la menace, en traitant tour à tour les universitaires et les chercheurs de conservateurs désireux de garder un mauvais système, de quémandeurs de deniers publics incapables de gérer correctement leur utilisation, de fonctionnaires refusant l’évaluation, incapables d’affronter la concurrence internationale…, le chef de l’Etat a réussi la performance de faire se lever contre lui, son gouvernement et la réforme, le plus important mouvement social que ce milieu ait jamais connu, jetant dans la rue et dans la grève, ensemble, l’extrême-gauche la plus radicale et la droite la plus conservatrice.

[9] Le conseil d’administration que « préside » le président de l’université est en fait réduit au rôle de chambre d’enregistrement (tout comme le conseil scientifique) compte tenu des nouvelles règles de désignation de ses membres (en nombre réduit désormais par rapport à la version précédente) selon les nouveaux principes de la loi LRU.

[10] Les présidents d’université ont bénéficié seulement de 175 millions d’euros supplémentaires en 2009 pour mettre en place le « plan licence » (la réforme du premier cycle de trois ans des universités) et passer à l’autonomie. Alors que le budget de l’enseignement supérieur a, nominalement, augmenté de 1,154 milliards d’euros par rapport à 2008 – le reste étant consacré aux dépenses incompressibles de personnel, de vie étudiante, d’immobilier, etc. Et encore, cette somme a-t-elle été répartie de manière très différenciée entre les établissements – certains voyant leur dotation augmenter de 25% (Lyon II) alors que d’autres n’ont droit qu’à 0,5% (Montpellier II) – alors que la ministre avait annoncé que chaque université verrait ses crédits augmenter d’au moins 10%. Outre cette différenciation selon des critères que les présidents eux-mêmes jugent opaques, il est fort possible que les sommes allouées soient finalement en baisse compte tenu de l’inflation et des annulations de crédits en fin d’année dans la loi rectificative du budget.

[11] Le « plan campus » a été conçu comme un effort exceptionnel visant à la rénovation et à la construction de nouveaux bâtiments pour les universités qui seraient capables de présenter le meilleur projet. Les quelques-unes qui ont été retenues, après une sélection par le ministère – selon des critères là encore contestés par la quasi-totalité des présidents et de la communauté universitaire… – devaient recevoir, sous forme de dotation travaux spécifique, le produit du placement du capital issu de la vente d’une partie de ses actions d’EDF (la compagnie nationale d’électricité française) par l’Etat en 2008, soit 3,7 milliards d’euros. Or cet argent ne sera versé qu’à l’issue des travaux, dont le paiement devra être avancé par les universités sur leur budget « normal », et entre temps conservé par le ministère des finances qui en a bien besoin pour limiter le déficit budgétaire. Résultat : les travaux n’auront pas lieu ou avec un retard considérable car les universités n’ont pas les moyens d’avancer les sommes nécessaires.

[12] Les universités « autonomes » sont soumises pour l’élaboration de leur budget comme pour son exécution, pour le recrutement comme pour le système de paiement des salaires au double contrôle de l’administration du ministère de l’enseignement supérieur (via le recteur dans les régions) et du ministère des finances. Ce qui limite considérablement leur autonomie si l’on croise ces données administratives avec la faiblesse des nouvelles dotations et leur répartition entre établissements. Aucune dotation propre en capital que les universités pourraient gérer de manière totalement autonome n’est prévue. Seules les universités qui pourront créer et financer leur propre fondation (grâce aux revenus des brevets ou à des financements privés par exemple) pourront disposer de (faibles…) marges de manœuvre supplémentaires.

[13] Les travaux de l’Observatoire national de la vie étudiante (OVE) montrent année après année l’urgence d’une véritable politique du logement étudiant ou encore l’insuffisance des bourses et des systèmes de prêt. Voir le site : http://www.ove-national.education.fr/

[14] Les universitaires (professeurs et maîtres de conférence des universités) sont fonctionnaires d’Etat et donc soumis au statut général de la fonction publique. Ils disposent cependant, compte tenu des caractéristiques particulières de leur métier et de son exercice, d’un statut particulier sur de nombreux points, ceux qui font précisément l’objet du décret évoqué ici.

[15] Voir, à ce propos, le texte de V. DESCOMBES, « L’identité collective d’un corps enseignant », Paris, La Vie des Idées, mars 2009.

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Bienvenue sur ce nouveau blog !

Rien de ce qui est universitaire… n’est étranger à ce blog. Il est entièrement consacré à l’université, à propos de laquelle vous trouverez ici à la fois des informations, des réflexions et des idées.

Son auteur, Laurent Bouvet, universitaire et citoyen engagé dans le débat public, est plus particulièrement intéressé par la réforme de l’université et ses effets concrets sur les étudiants, les enseignants-chercheurs, la société… ainsi que par les expériences étrangères en la matière, notamment dans les pays de langue anglaise.

Bonne lecture ! Et n’hésitez pas à laisser des commentaires.

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Des antédédents paradoxaux à la réforme du lycée?

 Les Ecoles centrales révolutionnaire
Vers la fin de la période révolutionnaire, et avant le lycée institué par Napoléon I en 1802, des ‘’Ecoles centrales’’ ont été créées par la loi du 25 février 1795 au ‘’centre’’ de chaque département français selon un modèle qui peut nous paraître inédit en France puisque leurs élèves pouvaient très librement choisir leurs parcours ( selon un mode de fonctionnement que l’on qualifierait d’ ’’optionnel’’ voire ‘’modulaire’’ en termes contemporains ) .
Création vraiment originale, les écoles centrales opérèrent certes fugitivement – elles ne durèrent que sept ans ! – mais réellement un bouleversement à la fois dans les matières enseignées et leur organisation générale. Alors que les collèges d’Ancien Régime avaient peu à peu créé les classes sinon d’âge, du moins de niveau, on y renonce en faveur de cours autonomes et facultatifs donnés d’année en année par le même professeur. Les élèves du même âge pouvaient donc suivre des sections différentes dans chacun des cours, à leur choix. C’était d’ailleurs une idée de Condorcet ( et même de Talleyrand ) qui avait pour elle “ l’autorité des hommes les plus considérables du XVIII°siècle ”, celle des hommes des Lumières.

Et pourtant, contrairement à ce que l’on pourrait être porté à croire, “ ce n’est pas leur insuccès qui a entraîné la disparition des écoles centrales, car il est remarquable qu’en si peu de temps et avec tant de difficultés de tous ordres, la plupart des écoles se soient ouvertes et que beaucoup aient connu une pleine activité ”, comme le souligne Françoise Mayeur, une historienne très au fait de cette période.

Le lycée napoléonien

 Avec Napoléon I, c’est le retour à l’ordre ( à un certain ordre ) après l’effervescence révolutionnaire, là comme ailleurs. D’où la création, en 1802, du lycée dit ‘’napoléonien’’.

Le temps des ”études”

L’espace temps privilégié est celui de l’étude, des ‘’études’’ ( pour les internes, et même les externes ). La journée type du lycéen, durant tout le XIX° siècle se déroule selon l’horaire journalier suivant : 7 heures 30 en études ( de 6 H à 7 H 30, de 10 H à 12 H, de 13 H 30 à 14 H 30, de 17 H à 20 H ) pour 4 heures de classe ( de 8 H à 10 H et de 14 H 30 à 16 H 30 ). Et encore convient-il de savoir que les heures de ‘’classe’’ sont rarement des heures de ‘’cours’’ ( sauf en histoire et philosophie ) : on y corrige surtout des exercices et des devoirs qui ont été faits en études. C’était une époque – pourrait-on dire – où les élèves ‘’étudiaient’’ au lieu de ‘’suivre’’ des ‘’cours’’.

Les lycées et leurs études, au seuil du XXI° siècle

 D’où d’ailleurs, en un certain sens, le célèbre rapport de l’historien Antoine Prost sous le ministère Savary, en 1983,  intitulé de façon suggestive ” Les lycées et leurs études, au seuil du XXI°siècle ”, où figuraient des recommandations qui n’ont pas manqué de susciter alors de fortes réactions. “ On en arrive à la conclusion que 4 heures de cours proprement dits par jour est un maximum à ne pas dépasser. Il n’est pas exagéré de dire que le dépassement de cette limite constitue une escroquerie pratiquée par les adultes aux dépens de la majorité des élèves. Et nous insistons bien sur le fait que cette exigence doit s’appliquer à la lettre :  4 heures de cours par jour, et non pas 24 heures par semaine, réparties en journées inégales ” ( p. 101 ). “ Dès maintenant, il faut assouplir les horaires des enseignements pour en réduire le total, et permettre le travail personnel des élèves, au domicile et/ou au lycée ” ( p. 105 ). “ L’aide au travail personnel est un des moyens les plus efficaces de lutte contre l’échec scolaire. Sa réalisation demande la création de petites salles, où l’on puisse commodément parler à huit ou dix au plus […]. L’influence du cadre spatial sur l’activité pédagogique est telle qu’il n’est pas possible de laisser les choses en l’état. Des locaux standardisés invitent à penser un enseignement standard ( pp.95 et 97 ).  On a vu la suite…

 

 

 

 

 

 

 

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Le temps des enseignants

Les enseignants-chercheurs du supérieur ont repris leur travail d’enseignement : examens de la session de rattrapage ; rentrée dans les IUT. Depuis le 1er septembre, le temps de travail de ces enseignants est devenu plus encadré : un référentiel national des équivalences horaires s’applique désormais (arrêté du 31 juillet 2009), pris conformément à l’article 7 du décret de 1984, modifié par le décret du 23 avril 2009, réformant le statut des enseignants-chercheurs (circulaire du 30 avril : 2009).

Après les très fortes polémiques sur la modulation du temps de service, l’arrêté est le fruit d’une négociation réussie, commencée le 4 juin, entre le ministère, les syndicats et la CPU. La plupart des syndicats sont contents d’avoir co-produit de nouvelles règles pour empêcher les inégalités de traitement entre enseignants d’un établissement à l’autre. “Il faudra certes affiner ce référentiel d’année en année” (SGEN-CFDT). Le SNESUP aurait aimé que davantage d’activités des enseignants soient listées dans le référentiel et en profite pour demander une réduction du nombre d’heures d’enseignement (150 au lieu 192 heures TD !).

Référentiel national ? Décompte des heures pour chaque activité de l’enseignant-chercheur ? Fourchettes d’équivalences horaires ? De quoi s’agit-il concrètement ? Lire la suite

Chronique éditée sur le Monde.fr le 2 septembre 2009

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Réformer l’université

Chronique du 2 juin 2009. Onze modestes propositions pour une réforme démocratique de l’Université française. Texte d’Alain Caillé et de François Vatin, publié à La Découverte (cliquer ici) (reproduit avec l’aimable autorisation des auteurs), dans l’ouvrage : “L’université en crise. Mort ou résurrection ?”. Débattre de la réforme des cursus, de la réorganisation des disciplines, de la réorganisation du statut des universités : cliquer ici pour accéder au texte.

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118,98 euros l’heure !

Arrêté du 27 juillet 2009 fixant les taux de rémunération des heures complémentaires assurées par les enseignants chercheurs : 60,86 euros pour une heure de cours magistral, 40,58 euros pour une heure de travaux dirigés.

Ne pas oublier qu’un taux supérieur est possible : “la rémunération des personnes qui assurent une activité en vertu d’un contrat conclu conformément aux dispositions des articles 3 et 4 du décret du 23 décembre 1983 susvisé ne peut être supérieur à 7 615,05 euros par année universitaire et à 118,98 euros par séance, la durée des séances étant d’une heure au moins et d’une heure trente au plus” : cliquer ici. Combien d’universités paient à ce niveau les professionnels qui interviennent dans leurs formations ? Des témoignages sont attendus ! Il se pourrait que des universités fassent l’objet de recours parce qu’elles paient ces professionnels au tarif prévu pour les enseignants chercheurs ! Pas de petites économies !

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Le PS et l’université

Université d’été du Parti Socialiste. Atelier 30 : “Relever le défi de la recherche et de l’enseignement supérieur“. Lire le compte-rendu de la table ronde, signalée par Michel Abhervé. Rien de neuf à l’horizon : nombreuses critiques de la politique gouvernementale en matière d’enseignement supérieur et de recherche, propositions classiques de réformes, bref : absence d’une réelle stratégie alternative. Lire également la chronique du blog en date du 19 mars 2009 et déjà intitulée “Le PS et l’Université“. Celui-ci est invité à lire la rubrique “Débattre” de ce blog !

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Président Peccoud

Les Universités de technologie (Compiègne, Troyes et Belfort-Montbéliard) ont un statut différent de celui des autres universités. François Peccoud est le 3ème directeur de l’Université de Technologie de Compiègne. Il succède à Guy Deniélou (1923 – 2008), fondateur de l’UTC et directeur de 1972 à 1987 (biographie sur Wikipédia) et à Michel Laveau

François Peccoud, interviewé par le blogueur en avril 2004 (cliquer ici pour lire l’interview), décrit précisément les différences de statut : Conseil d’administration composé à égalité de personnalités extérieures et d’élus par les enseignants, les étudiants, les personnels administratifs, et présidé par une personnalité extérieure à l’université, Directeur nommé par le Ministre au sein d’une liste établie par le CA (un enseignant de l’université ne peut être candidat), autonomie plus forte des universités de technologie (en particulier en matière financière).

François Peccoud, après 9 ans de mandat en 2004, développe sa stratégie pour l’UTC : formation à distance appuyée sur les nouvelles technologies, innovations techniques qui n’ignorent pas les avancées des sciences humaines et sociales, incitations à la création d’entreprises par les ingénieurs, développement à l’international en Chine en particulier. Il n’évoque pas de coopération avec les 2 autres universités de technologie (lire les chroniques : “Fusion des UT?“, “Président Stéphan“).

2ème quinquennat pour François Peccoud (2000) : cliquer ici. Cérémonie de départ en images (22 septembre 2005) : cliquer ici. Création de l’Association “Rendez-vous Création” par François Peccoud (2005) : cliquer ici.

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Président Stéphan

Ronan Stéphan, né en 1960, ingénieur et professeur associé des universités, président de l’Université de Technologie de Compiègne depuis 2005, a été nommé en conseil des ministres du 29 juillet 2009 et à compter du 1er septembre, Directeur Général pour la Recherche et l’Innovation (DGRI) au Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche (organigramme du ministère, organigramme de la DGRI). Après avoir travaillé de longues années dans l’industrie, Ronan Stephan a été, de 2003 à 2005, directeur des relations industrielles et du transfert de technologie au CNRS. CV sur EducPros.

Autres chroniques sur Ronan Stephan : “L’Institut Européen de Technologie (IET) apposera un label sur les diplômes nationaux” (EducPros, juillet 2008). “Universités – Entreprises : le loup est-il dans la bergerie?” (France Inter, décembre 2007). Chevalier de l’Ordre National du Mérite (photos de la cérémonie, juillet 2009).

Chroniques de ce blog sur la réorganisation de l’administration centrale du ministère. 2 avril 2009 : ”Mammouth dégraissé“. 6 avril 2009 : ”Mammouth dégraissé (suite)“.

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Fusion des UT ?

Le Monde du 28 août 2009 : “Les trois universités technologiques françaises (Compiègne, Troyes, Belfort-Montbéliard) rêvent de fusionner pour exister au niveau mondial“. 10.000 étudiants inscrits, 1.600 ingénieurs diplômés par an, 700 enseignants chercheurs. Les 3 universités vont déposer au ministère, d’ici décembre 2009, un projet de rapprochement qui devrait s’intituler “Université Technologique de France” : développement des coopérations, ou création d’une holding (concentration des services fonctionnels), confédération ou fusion ?

Lire les 3 chroniques précédentes de ce blog. 9 juin 2009 : “Du PRES au PREST“. 23 mars 2009 : “Pas de PRES à Reims“. 8 mars 2009 : “L’Université de Technologie de Troyes en photos“.

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Embauches : alerte !

L’Association Pour l’Emploi des Cadres (APEC) a publié en juillet 2009 sa Note de conjoncture sur l’emploi des cadres : “les embauches de cadres toujours sur le déclin“. “35% des entreprises prévoient de recruter au moins un cadre au cours du 3e trimestre 2009, soit 9 points de moins qu’un an auparavant”.

En septembre 2008, l’APEC publiait les résultats de son enquête sur le devenir des diplômés du supérieur en 2007 : “les diplômés 2007 ont le sourire“. Dans un mois, l’APEC devrait publier les résultats de l’enquête sur les diplômés 2008. Osera-t-elle titrer “les diplômés 2008 pleurent” ? Tout le laisse prévoir. Quand les embauches de cadres se restreignent, ce sont toujours les jeunes qui paient, les premiers, les pots cassés ; on leur reproche leur manque d’expérience. Lire les chroniques précédentes de ce blog : “moins 27%“, “62% de chômeurs“.

Mauvaise insertion des diplômés 2008 et voilà les diplômés 2009 qui arrivent sur le marché du travail. La file d’attente des demandeurs d’emploi, diplômés du supérieur, va s’allonger.

Aucune anticipation des pouvoirs publics. Livre vert de Martin Hirsch (juillet 2009). Quelles sont parmi les 57 propositions de ce rapport celles qui peuvent directement et immédiatement concerner les nouveaux diplômés du supérieur qui ne parviennent pas à trouver un premier emploi. 4 propositions pourraient les concerner mais aucune n’est opérationnelle à ce jour.

Proposition 23. “Accompagner la recherche d’emploi des jeunes diplômés qui ont le plus faible réseau relationnel”. Proposition 38. “Soutenir les revenus des jeunes en emploi sans discrimination par rapport aux plus de 25 ans” (mais la Commission n’a pas tranché en faveur de l’accès des jeunes au RSA). Proposition 39. “Créer une banque non lucrative pour soutenir les projets des jeunes”. Proposition 55. “Faire du service civique une étape naturelle dans la vie des jeunes”.

Alerte ! Il n’est pas possible que 2 générations de diplômés du supérieur soient significativement “massacrées”. Que faire en urgence ? Relire la chronique de ce blog parue le 9 janvier 2009 : “diplômés au chômage“.

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Deux ans de LRU

Dossier de rentrée d’EducPros. “Autonomie des universités : retour sur deux ans de loi LRU“.

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Professions sociales

La DREES a publié en juillet 2009 le numéro 696 d’Etudes et Résultats : “les étudiants se préparant aux diplômes de travail social en 2006” (cliquer ici). Occasion pour ce blog de rappeler que des diplômes d’enseignement supérieur sont préparés en dehors des universités ; dans ce cas, ils le sont dans des centres de formation aux professions sociales. Un exemple : l’Institut Régional de Travail Social de Champagne-Ardenne (IRTS Reims).

En 2006, ces centres préparaient 14 diplômes d’Etat. 3.137 étudiants (dont 1.550 en 1ère année) étaient inscrits dans un diplôme de niveau I et II (CAFDES, CAFERIUS, Ingénierie sociale, médiateur familial). 28.540 étudiants (dont 10.055 en 1ère année) étaient inscrits dans un diplôme de niveau III : assistant de service social, conseiller en économie sociale et familale, éducateur de jeunes enfants, éducateur spécialisé, éducateur technique spécialisé. C’est le diplôme d’éducateur spécialisé qui accueillait le plus d’étudiants : 13.394.

Les étudiants inscrits dans les formations de travail social ont des caractéristiques tout à fait spécificiques. Ils sont plus âgés que les étudiants entrant à l’uiversité : 25 ans en moyenne à l’entrée des diplômes de niveau III, 42 ans en moyenne à l’entrée des diplômes de niveau I et II (on y accède dans le cadre de la formation continue ; des diplômes de ce niveau sont délivrés dans le cadre d’une VAE partielle ou totale).

Les étudiants sont plus souvent des femmes, mais le taux de féminisation varie fortement d’une formation à l’autre : il est de plus de 95% pour les assistants de service social et pour les éducateurs de jeunes enfants ; il est de 73% pour les éducateurs spécialisés et seulement de 24,5% pour les éducateurs techniques spécialisés ; il est plus équilibré dans les formations préparant aux fonctions de direction (niveaix I et II).

Le taux de réussite au diplôme est globalement élevé dans les formations en travail social : cela n’est pas étonnant car les étudiants font l’objet d’une sélection à l’entrée et car ils sont fort motivés (obtenir un diplôme de niveau II pour accéder aux fonctions de direction). Le taux de réussite varie toutefois d’un diplôme à l’autre : il est supérieur à 90% pour les éducateurs de jeunes enfants et pour les éducateurs spécialisés ; il n’est que de 56% pour le diplôme de médiateur familial.

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Une philosophie de la formation en forme autopromotionnelle

Pourquoi s’intéresser à la formation des futurs ingénieurs à l’informatique ? C’est que, contrairement à ce que l’on pourrait de prime abord penser, les jeunes sont assez peu attirés vers ces métiers, en dépit d’une demande qui ne fait que croître sur le moyen terme et que la formation qu’ils reçoivent n’est pas véritablement en phase avec leur univers mental, pas plus qu’avec les besoins du monde de demain.

Dans un ouvrage préfacé par Jacques Lesourne qui devait initialement être sous-titré « éloge de la transversalité », j’ai décidé de m’attaquer de front aux lourdes traditions et autres idées reçues qui président à la fois au mode de pensée des écoles d’ingénieurs et aux relations qu’elles entretiennent avec des entreprises tout aussi conservatrices. L’investissement de celles-ci dans l’effort de formation de l’enseignement technologique est, en particulier, beaucoup trop tourné vers des préoccupations à court terme, telles que le recrutement immédiat de ressources dont elles n’ont pas su anticiper le besoin.

Il est par exemple coutumier, mais profondément dramatique, de voir des recruteurs se plaindre, en ne plaisantant qu’à moitié, de leur difficulté à trouver des « débutants confirmés » : des jeunes diplômés, en raison de leur faible coût, mais dotés de 3 à 4 ans d’expérience, ce qui correspond effectivement à nombre de besoins opérationnels.

Mais ceci est en grande partie dû au fait que les modèles pédagogiques en vigueur ne préparent pas nécessairement de manière idéale les futurs ingénieurs à concevoir et mettre en œuvre des systèmes de qualité, de plus en plus tournés vers le secteur tertiaire ou des processus inter-fonctionnels. Nos écoles d’ingénieurs s’appuient sur des principes, certes éprouvés, mais fondés sur les approches verticales des sciences et technologies des deux siècles précédents et une prégnance du stéréotype de l’ingénieur industriel à la Zola. Cette sclérose s’est accentuée au cours du dernier quart de siècle sous l’effet d’une normalisation de l’enseignement sur un modèle universitaire : peu importe leur absence de pratique des métiers auxquels ils préparent, les enseignants sont en grande majorité des enseignants – chercheurs, écartelés, comme on vient de le voir dans la crise printanière qui vient de frapper l’université, entre leur mission d’enseignement et celle de recherche. C’est cette dernière qui, dans les écoles aussi, sert de base unique à leur évaluation. C’est aussi elle qui les enferme dans des silos peu ou pas communicants, alors que les ingénieurs qu’ils forment seront appelés à comprendre et partager les approches de toutes sortes d’interlocuteurs d’autres spécialités. C’est particulièrement vrai pour les informaticiens, car les technologies de l’information et de la communication ne sont jamais un but en soi et impliquent une familiarité assez approfondie avec les secteurs économiques dont elles sont censées fluidifier le fonctionnement.

Comment, par exemple, construire les systèmes de gestion d’une société sans avoir de notions sérieuses sur la comptabilité analytique, la notion de modèle économique d’entreprise ou les dimensions psycho-sociologiques d’un projet, comme la gestion du changement ? Comment élaborer des systèmes informatiques enfouis dans des avions, des centrales énergétiques ou des objets communicants comme un i-Phone sans comprendre les problématiques auxquelles ces ensembles complexes sont censés apporter des réponses et les bases des technologies qui les font fonctionner ?

Il est donc devenu indispensable de proposer une conception résolument transversale de ces formations qui n’impliquent pas uniquement sciences et technologies. Les applications et usages de ces dernières posent des problèmes relevant largement d’approches pluridisciplinaires. Elles impliquent également de ne pas oublier les dimensions éthique ou philosophique. Et ceci, alors même que la somme des connaissances et des savoir-faire inhérents à ces disciplines ne cesse de s’enrichir et demande donc davantage de temps d’enseignement.

Alors que le monde de l’enseignement supérieur se débat dans les contradictions d’un modèle obsolète et que les politiques ont les yeux rivés sur les mesures catastrophiques – du moins en première analyse – affichées par le thermomètre du classement de Shangaï, on pourrait accepter avec réalisme la distinction entre, d’une part, des ingénieurs à Bac + 5, devenus très souvent l’équivalent des techniciens supérieurs Bac + 2 d’il y a 30 ans – simplement parce que les problèmes sont plus complexes -, et, d’autre part, les ingénieurs, au plein sens du terme, qui concevront les systèmes de demain, plus soucieux que leurs aînés des conséquences humaines ou environnementales de leurs décisions. Mais ils doivent être formés au standard international du Bac + 8, qui ne devrait plus nécessairement être un cursus de thèse classique, orientée vers l’enseignement et la recherche.

Je pense que, pour construire des systèmes de plus en plus complexes, et reposant toujours davantage sur les technologies de l’information et de la communication, les successeurs des polytechniciens ou des centraliens, stéréotypes emblématiques de l’ingénieur dans l’imaginaire populaire, devront se former sur le modèle du PhD, cette norme internationale de facto issue des pays de tradition universitaire anglo-saxonne qui prépare à des carrières de haut niveau et extrêmement diversifiées. Un tel cursus, qui pourrait accompagner d’une renaissance du terme d’ingénieur – docteur, ne devrait nullement être une formation à la recherche construite, aujourd’hui comme dans la Sorbonne du 14è siècle, pour préparer la prochaine génération d’enseignants – chercheurs, mais bien d’une formation par la dure école de la recherche, le plus souvent appliquée, avec ses contraintes temporelles et budgétaires, en liaison étroite avec la réalité économique.

De quoi se faire quelques amis avec la mise en évidence de ce rocher de Sisyphe que constitue toute tentative de réforme dans l’enseignement supérieur… Mais, compte tenu de son omniprésence, tant dans la vie des individus que dans le monde de la gestion et des services, le secteur des technologies de l’information et de la communication ne peut plus se dispenser d’une action en profondeur pour rénover son enseignement.

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Pourquoi un nouveau blog ?

Si j’ai répondu favorablement à l’invitation de la rédaction d’EducPros de tenir un blog, c’est pour ouvrir un espace de débat sur des thèmes qui me sont chers, ceux de la relation entre enseignement supérieur scientifique et technologique (écoles d’ingénieurs et universités) qui constitue le cœur de mon activité, particulièrement dans le domaine des TIC.

En tant que Délégué Carrières de l’association des diplômés Telecom ParisTech Alumni, j’ai également l’occasion de mesurer au quotidien l’empreinte de l’enseignement supérieur sur le profil et la carrière de professionnels de haut niveau, de tous âges  et dans toutes les situations.

J’espère avoir l’occasion, sur la Toile, de rencontrer des interlocuteurs aussi passionnés, à l’heure où, simultanément, un nombre insuffisant de jeunes s’investissent dans ces domaines essentiels pour l’avenir, non seulement de notre économie, mais de nos modes de vie et notre société, et où la crise vient ternir leur entrée dans la vie active.

Mais je persiste à penser que l’optimisme doit rester de rigueur.

Jean-Louis Bernaudin