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Bernard Desclaux

Les contributions, sur la bonne voie de l’orientation

A l’occasion de la reprise des débats de la concertation, ce lundi 20 aout, je publie ces quelques remarques.

Lors du dernier débat sur l’éducation (« le Grand débat » de 2004)  il fut très peu question d’orientation. Lorsqu’elle était abordée, c’était essentiellement du côté du manque d’information. La lecture des premières contributions et de quelques autres apports montre un autre angle d’attaque du problème.

Le SGEN-CFDT

Ce syndicat général a publié sur le site de la concertation un long document.


Dans la fiche 2, consacrée au Socle commun et à la scolarité obligatoire, page 6, on trouve : « L’objectif de l’acquisition d’un socle commun de connaissances et de compétences par tous entraîne une modification de la structure en aval et a pour première conséquence la fin du dispositif de sélection qui organise la répartition des flux d’élèves vers les trois voies du lycée, puis dans le supérieur. La construction des parcours de formation s’effectue à partir de la seconde qui est une classe de découverte. ». Mais la fiche 5 consacrée au Collège ne reformule pas ce thème. Et dans la fiche 6, l’organisation par module est évoquée….

La fiche 12 consacrée explicitement à l’Orientation me semble présenter un compromis :


« À l’issue du parcours en collège qui valide l’acquisition du socle commun, l’élève et sa famille décident du parcours de formation. Ils sont accompagnés dans ce choix par l’équipe éducative et notamment par le conseiller d’orientation psychologue.
Au lycée, la modularité des parcours de formation et des modalités d’évaluation au service de la validation des acquis permettent d’ajuster tout au long du cursus les choix des parcours vers des diplômes professionnels, technologiques ou généraux, en fonction des unités de formation choisies et des niveaux validés. »


Donc s’il semble qu’il y ait un accord sur la suppression de la procédure d’orientation en fin de troisième, rien n’est dit sur les paliers précédents (6ème et 4ème). Le SGEN-CFDT insiste sur la notion de cycle, avec l’évaluation des acquis pour accompagner l’apprentissage et la validation pour la certification. Mais que devront choisir les parents et les enfants à l’issue de la troisième ? De quel parcours s’agit-il ?


La FSU

Cette fédération renvoie sur un document installé sur son site.

Je relève un passage dans la déclaration importante à mes yeux, mais qui me semble également ambiguë :

« La Fsu pose la question de la prolongation de la scolarité à 18 ans. Cela non seulement parce que 90% des jeunes sont scolarisés jusqu’à 17 ans mais surtout parce qu’on ne peut viser l’élévation du niveau de qualification sans prendre en charge leur scolarité dans ce cadre. Ceci permettrait à tous les jeunes d’entrée dans l’une des trois voies du lycée. Une telle mesure aurait par ailleurs l’avantage de dégager le collège de la contrainte de l’orientation, la seule restante étant le choix de l’une des voies du lycée en fin de troisième, lui ouvrant enfin réellement la possibilité de devenir le collège de tous. »


Ici la position semble clair quant au post-troisième qui reste en l’état : on maintien les trois voies actuelles, professionnelle, technologique, générale. Mais reste une interrogation : qui fait le « choix » de ces voies en fin de troisième ?


La FCPE

Dans sa fiche « Orientation », la Fédération fait les propositions suivantes :

  • Respecter le choix des élèves et l’avis de leurs familles en matière d’orientation, choix qui ne peut intervenir qu’après une information de qualité sur les métiers, les branches professionnelles et les voies de formation.
  • Mettre en place une éducation à l’orientation tout au long du collège pour tous les élèves, avec des temps de découverte des métiers et des voies de formation. La formation à l’orientation n’est pas un cours, mais un temps d’échange et de rencontre.
  • Créer un véritable service public de l’information et de l’orientation.
  • Dispenser à tous les enseignants une information sur les enjeux de l’orientation.
  • Créer des lycées polyvalents, lieux uniques réunissant tous les types parcours permettant d’accéder au baccalauréat, avec de réelles passerelles favorisant le passage d’une voie à l’autre ou d’une filière à l’autre. »

L’AFAE

L’AFAE (association des administrateurs de l’éducation) se définit comme un « espace d’échanges, de libre expression et de proposition rassemble en dehors de tout dogmatisme et de toute préoccupation politique ou syndicale TOUS LES personnels de l’éducation nationale qui, par leur action professionnelle ou leurs recherches, veulent concourir à la qualité, à l’efficacité et au renouveau du service public d’éducation ».


Cette association ne s’est pas encore exprimée dans le cadre de la concertation, mais elle a consacré le n° 2 de sa revue de 2012 au socle commun : Le socle dans tous ses états.


François Jaraud sur le Cafépédagogique ouvre sa présentation de la manière suivante : « Après tant d’innovations opaques, après tant de mouvements peu coordonnés, voire contradictoires, est-il fondé de poursuivre ? ». La question du maintien du socle commun est ainsi posée.


Je retiens le dernier paragraphe qui termine cette présentation :


« Un débat franco-français ?
On rejoint dans cette vision du pilotage par les examens du système éducatif une vision française classique de l’Ecole qui, par la suite, forcément, est la limite de ce numéro. Face au souci légitime d’élever le niveau de qualification de la jeunesse et de limiter le gâchis des sorties sans qualification, le débat s’organise sur les questions de pilotage, celles du socle et de l’école du socle. Les débats de la concertation nationale ont rappelé que, si l’accord existe sur l’objectif, cette approche est toujours fortement minée. Par contre peu d’intérêt est accordé aux questions de savoir comment on fait pour évaluer le niveau réel des élèves, quelles pratiques pédagogiques peuvent être recommandées et comment former les enseignants. Trois questions qu’il faut souhaiter voir invitées au débat. »


En effet, se focaliser sur la « diplomation » évite de s’interroger sur la circulation dans le système, comme la centration sur l’évaluation-notation évite la question de l’identification des acquis et des modalités de leur apprentissage. La question des procédures d’orientation semble ainsi évacuée.


Mais je m’interroge également sur le questionnement final de François Jarraud. Pourquoi mettre en interrogation les pratiques d’évaluation du niveau réel des élèves dans le cadre du socle commun, alors que ces « pratiques » exercées au sein du conseil de classe n’ont jamais été remises en question ? Cette évaluation pour l’orientation a pourtant de lourdes conséquences pour les élèves, en tout cas beaucoup plus que celle permettant l’obtention du DNB ou celle du socle actuellement.

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Les relations professionnelles dans l’établissement

Au moment de la réflexion sur le « métier » d’enseignant, à l’occasion de la refondation, je reprends la matière d’un petit texte écrit il y a 3 ans. A l’époque, MM Durepaire (Inspection générale de l’éducation nationale) et Renoult (Inspection générale des bibliothèques) venaient de publier un rapport intitulé :
L’accès et la formation à la documentation du lycée à l’université : un enjeu pour la réussite des études supérieures.

La question des relations entre les personnes et les professionnels au sein d’un établissement sont peu étudiées, sont peu prises en considération. Nous reprenons ici la matière d’un stage réalisé dans le bassin d’Argenteuil en mars 2003 avec Monique Dupuis-Richel (voir le détail).


Le modèle de Erving Goffman

Il est sans doute possible d’utiliser la théorie de Erving Goffman sur la représentation théâtrale comme modèle de l’action sociale pour comprendre la difficulté des nouvelles relations pédagogiques qui sont préconisées par le ministère… : les TPE, les travaux croisés, les PPCP, les problèmes liés aux heures de vie de la classe, à la recherche documentaire et son apprentissage… (à propos de Goffman).

La particularité du professeur documentaliste, c’est d’être, comme l’enseignant dans sa classe, seul sur la scène de la représentation. La différence, c’est que le professeur documentaliste est dans un espace non seulement publique, mais également ouvert au public. Il ne peut au fond pas en contrôler l’entrée.


L’enseignant par contre est normalement « maître dans sa classe ». Pratiquement personne ne peut y rentrer sans son autorisation.

Cette solitude est rompue dans les nouvelles formes pédagogiques telles que les TPE. Le poste de l’enseignant est dédoublé. Deux personnes doivent collaborer ensemble face à/ dans, la classe. Ce couple peut alors être interprété comme une équipe de représentation au sens de Goffman, et bien sûr avec tous ses risques. Ainsi il y a la nécessité de l’existence de la coulisse et ses trois fonctions de préparation, de contrôle et de détente. Elle doit être assurée et défendue par les membres de l’équipe.


Au risque de la confiance

Mais il y a une autre sorte de risque : du fait qu’ils sont membres d’une même équipe, les personnes se trouvent placées dans une étroite relation d’interdépendance mutuelle qui nécessite la confiance inter-individuelle.

En effet, premièrement, tout membre de l’équipe, lors du déroulement d’une représentation d’équipe, a le pouvoir de “vendre la mèche” et de casser le spectacle par une conduite inappropriée. Chaque équipier est obligé de compter sur la bonne conduite de ses partenaires qui, à leur tour, sont obligés de lui faire confiance. Il en résulte nécessairement un lien de dépendance réciproque qui unit les équipiers les uns aux autres.

A partir de là on peut tirer pas mal de situations possibles, risquées, difficiles, et qui expliquent les réticences des acteurs.

Le cas de la solitude de l’acteur


La particularité de la solitude. Le professeur documentaliste est une « équipe » à lui tout seul (la plupart du temps en Collège, moins en Lycée). Cela, à la fois, réduit les risques du ratage par d’autres, mais augmente la responsabilité personnelle de l’acteur. Personne ne peut le rattraper lors de la présentation.


Un autre thème doit également être pointé, c’est la solitude professionnelle au sein d’une organisation. Il y a quelques acteurs dans un établissement qui ont une propriété très particulière (habituellement), celle d’exister à l’unité seulement. Il en est ainsi le plus souvent pour le professeur documentaliste, le CPE, les « para » (infirmière, médecin, assistante sociale), le COP.

On peut introduire également le thème de la pyramide plate pour décrire l’organisation de l’établissement scolaire : une organisation plate, avec très peu d’intermédiaire, d’organisateurs, c’est ce que pointait Robert Ballion (1994, Le Lycée, une cité à construire, Paris, Hachette-Éducation). Il y a un chef et surtout beaucoup d’acteurs. Pratiquement aucun intermédiaire. Ce qui fait que les fonctions réelles d’organisations sont largement « réparties » entre les acteurs, et prises en charge au cours de l’action même. On est face à une organisation de professionnels qui ont à décider au fur et à mesure de l’action, des moyens à employer tout en étant dans une organisation bureaucratique (statut, emploi du temps, fonctions, classes…) ce qui peut créer quelques conflits entre ces deux points de vue : appliquer une règle et s’adapter aux événements.

Donc deux aspects.

  • Le thème de la solitude, de l’isolement à relier avec celui du semblant de travail. Sa fonction est toujours à « prouver » par soi-même. On ne peut pas compter sur d’autres pour la défendre.
  • L’action est directement « organisante », au sens où il n’y a pas, ou très peu de temps collectifs organisés, prévus… pour assurer cette fonction d’organisation, de prévision, de construction de projet.


Une autre conception peut être utilisée, c’est celle de Monica Gather-Thuller (Innover au cœur de l’établissement scolaire, ESF, 2000), et en particulier l’organisation « en boîte d’œufs » : chacun dans sa case et protection maximum sur les contacts. C’est le cas en particulier pour la situation habituelle des enseignants. On peut lister les protections organisées pour assurer l’absence de contacts. Mais bien sûr dans une organisation cette perfection ne peut être assurée pour tout le monde. Certains doivent, au contraire, assurer un minimum de « liant », et je pense entre autre aux deux postes particuliers propres aux établissements, le CPE et le professeur documentaliste, et aux intervenants extérieurs comme le conseiller d’orientation-psychologue par exemple.

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Le conseil de classe comme espace de neutralisation du politique

Dans la poursuite de ma réflexion sur le fonctionnement de nos procédures d’orientation, je propose ici quelques idées qui prennent appuis sur le travail très riche et complexe de Virginie Calicchio et de Béatrice Mabilon-Bonfis . Les auteures de ce travail, qui prend la suite de ceux de Patrick Boumard et de François Baluteau , ne sont pas de la corporation enseignante, ce qui sans doute ouvre d’autres pistes à explorer.

Le principe de laïcité

La France, la république française a construit son école avec le principe de la laïcité. Une interprétation simpliste ne renvoie ce thème qu’à la question religieuse. Mais il faut aller au-delà et considérer que ce principe s’applique à la « politique » dans son ensemble. Ce qui place d’emblée l’école dans une contradiction.


Elle est, elle-même, un instrument politique. Elle a pour objectif de produire les membres d’une société. Quoi de plus politique ? Mais en même temps elle doit le faire en neutralisant tout débat politique en son sein selon le principe de laïcité. Le conseil de classe, avec sa fonction d’orientation, résume bien cette contradiction. La plupart des travaux sur le conseil de classe font état des conflits que l’on peut y observer, des contradictions dans lesquelles les acteurs se trouvent pris. Et une partie importante de ce livre porte également sur ces observations.


Mais, ce qui nous semble neuf, c’est l’accent mis sur les processus de « neutralisation » du conflit entre les acteurs présents dans le conseil de classe. De ce point de vue on peut retrouver un parallèle avec ce que je développais à propos des fonctions non-prévues du conseil de classe (voir cet article). Mais le point supplémentaire c’est l‘idée que cette neutralisation entre les acteurs est également une neutralisation du politique précisément.


Alors que ce dispositif se veut défendre l’égalité des chances, mettre à distance les critères sociaux dans les prises de décision d’orientation, il semble bien que le résultat soit à l’inverse de celui espéré. La différenciation scolaire est de plus en plus corrélée avec les différences sociales, c’est ce qui apparaît dans les résultats du dernier PISA.


Le conseil de classe permet l’expression des conflits tout en évitant tout dérapage grâce au rituel qui tient les acteurs. Dérapages verbaux et publics sont évités. Mais l’argumentaire individuel de chaque membre du conseil restant caché et n’étant pas mis en délibéré, seuls les arguments scolaires sont formulables, et les critères sociaux ne sont que très, très, rarement évoqués, et pourtant ils fonctionnent dans l’inconscient des membres.


C’est donc sans doute également pour cela que le conseil de classe perdure, il est à la fois conteneur des conflits et protecteurs. Et chacun étant à l’abri peut juger, formuler son jugement sans avoir à le justifier réellement.

Et l’orientation est pourtant une affaire d’état

Une particularité française centrale pour ce qui concerne l’orientation est de la considérer comme une action politique de l’Etat. Fondamentalement, avec les procédures d’orientation, c’est l’état en France qui oriente.


Cette conception s’est en partie assouplie par l’existence même des procédures d’orientation en introduisant le choix, la demande des familles, de l’élève, et dès lors en se trouvant dans l’obligation de « préparer le choix » en développant des supports et des pratiques pour informer.


On peut dire que dès lors l’Institution était en danger, elle devenait une administration comme une autre, ayant des « usagers » avec leurs droits, ces droits s’appuyant à une réglementation une juridiction externe. L’externe fait horreur à toute institution. On est dedans ou dehors. Décider d’une exclusion institutionnelle est une décision de mort institutionnelle. Ceci peut expliquer l’ambiguïté de la mission générale d’insertion de l’éducation nationale par exemple. C’est à la condition de ne plus être « élève » c’est-à-dire de ne pas être affecté dans un établissement, qu’il peut « bénéficier » du dispositif et obtenir pour un an un statut scolaire.


Tout le processus de l’appel a également transformé l’institution en administration. Processus sans doute pas encore terminé. Ainsi le rôle de décideur du chef d’établissement au troisième trimestre, après et hors du conseil de classe, est encore très peu exercé, et n’est pas l’objet de mesure nationale (il n’existe aucune statistique). Pire le principe de la commission d’appel est d’entendre les protagonistes du désaccord. Depuis 1992, à la suite du désaccord entre parents et conseil de classe (la proposition n’est pas conforme à la demande des parents), il y a une rencontre des parents avec le chef d’établissement. Celui-ci prend alors une décision d’orientation, et c’est par rapport à celle-ci, et non pas par rapport à la proposition du conseil de classe, que les parents font appel. Or qui vient à la commission d’appel pour justifier de cette décision ? Le chef d’établissement ? Pas du tout, c’est toujours et encore le professeur principal !


Mais même si elle devient « administration » l’école reste un instrument de l’état. Avec l’Europe et la confrontation qui s’y joue, c’est une autre ligne d’évolution qui s’annonce. L’orientation devient une préoccupation importante pour l’Europe. Sa préoccupation n’est pas celle de l’orientation scolaire, mais celle de la formation tout au long de la vie. Si les états ont à agir dans ce domaine, c’est pour favoriser et rendre possible l’accès à des services sûrs, efficaces, utiles aux personnes, et faire en sorte que les personnes soient capables de s’en servir et d’y avoir recours si besoin. Cette conception basée sur la notion de service aux personnes ne sera sans doute pas sans conséquences pour l’orientation scolaire et pour l’école française en générale.

Références
Virginie Calicchio, Béatrice Mabilon-Bonfis
: Le conseil de classe est-il un lieu politique ? Pour une analyse des rapports de pouvoirs dans l’institution scolaire. L’Harmattan. 2004.

Patrick Boumard : Le conseil de classe – Institution et citoyenneté. PUF, 1997.
François Baluteau
: Le conseil de classe : peut mieux faire ! Hachette. 1993.

Conclusions de la Présidence, Conseil européen de Lisbonne, 23 et 24 mars 2000.
http://consilium.europa.eu/ueDocs/cms_Data/docs/pressData/fr/ec/00100-r1.f0.htm

Et sur ce blog de nombreux articles sur les procédures d’orientation et sur le conseil de classe.

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De vrais CIO, enfin ! 10 bonnes raisons, maintenant

Suite aux échanges autour du texte de Marie-Anne Gachet à propos de la formation des directeurs de CIO, Jacques Vauloup m’a proposé de publier le texte qui suit.

Il est absolument nécessaire d’inclure une réflexion sur les CIO dans la concertation engagée par le ministère de l’éducation nationale.


En un quart de siècle d’activité d’IEN-IO de terrain – 2 académies, 4 départements, 11 IA-DSDEN-DASEN, 9 CSAIO, plusieurs centaines d’EPLE visités -, je n’ai cessé de présenter tout ce que le système éducatif devait aux CIO et tout ce qu’il pourrait attendre d’eux s’il se donnait la peine de les mériter, de les valoriser, de les reconnaître tout simplement. On peut consulter notamment Cinq CIO en Sarthe, cinq priorités (janvier 2008) , 22 ans 24 directeurs (juillet 2011) , Il faut sauver le soldat CIO (août 2011) , Refaire le lien (septembre 2011) , 10 roses pour une autre orientation (mai 2012) , Conseiller technique, conseiller éthique (3)

En juillet 2011, à mon départ du Mans-Sarthe pour rejoindre mon nouveau poste d’IEN-IO à Angers-Maine et Loire, j’écrivis ceci en reconnaissance vis-à-vis des CIO et des directeurs de CIO avec lesquels j’avais œuvré de 1989 à 2011:

On ne travaille pas impunément pendant 24 ans en tant qu’IEN-IO, comme je l’ai fait dans les académies de Caen et de Nantes et dans 3 départements, sans dette vis-à-vis de là d’où on vient et de qui nous a forgé. Quand je suis entré pour la première fois dans un CIO, j’avais 26 ans, je venais rencontrer un ancien collègue prof qui s’avisait de m’expliquer son travail et la richesse protéiforme du champ de l’orientation, des études en Institut et des activités professionnelles ultérieures. Une fois le concours d’élève conseiller obtenu, j’ai passé une semaine d’observation-immersion en CIO, et ce fut une vraie découverte et un enthousiasme praticien et réflexif qui ne m’a jamais quitté depuis lors. C’était en 1978. Je dois beaucoup aux directeurs de CIO et suis de plus en plus scandalisé par les contraintes que vous impose votre institution sans contrepartie statutaire, indiciaire et de carrière, et sans faire déboucher les CIO sur une véritable identité juridique. Merci à vous. Votre fidèle et permanent soutien.

Au moment où la Concertation nationale pour la refondation de l’École bat son plein depuis son lancement le 5 juillet 2012 , je voudrais ici résumer ce qu’à mes yeux, en près de 75 ans d’histoire, les CIO ont apporté à l’École depuis leur création en 1971 – les ancêtres des CIO actuels, appelés Offices d’orientation professionnelle, datent du décret-loi du 24 mai 1938 ; après le décret du 10 octobre 1955 leur ont succédé les Centres publics d’orientation scolaire et professionnelle jusqu’en 1971 -. J’aimerais aussi indiquer les bonnes raisons de les instituer enfin, et maintenant.

Les 10 bonnes raisons d’instituer les CIO, maintenant

1. Leur croyance en l’homme, en la femme et en toutes leurs potentialités individuelles. « Le respect de la personne dans sa dimension psychique est un droit inaliénable ». cf. Code de déontologie des psychologues, février 2012. Les CIO ont été depuis des décennies les moteurs et les diffuseurs de ce postulat à l’École.
2. Leur croyance en l’homme, en la femme et en toutes leurs potentialités collectives. Comment fera-t-on société si ne prime qu’une orientation individualiste, comptable, capitalistique ? On doit au contraire apprendre à s’orienter pour soi et pour les autres, par les autres.
3. Leur action inlassable, quotidienne, au service de la promotion individuelle et sociétale par l’École, grâce à l’École. André Legrand, ancien recteur, directeur des lycées et collèges, président d’université, l’avait bien vu : « Une fonction dont on a honte, on ne l’exerce pas soi-même, on la confie à un corps spécialisé. Les enseignants n’ont pas de vraie conscience qu’ils orientent. C’est pour eux l’affaire des services d’orientation. Sur ces services d’orientation courent d’ailleurs les bruits les plus divers : selon l’opinion commune, ils n’en feraient qu’à leur tête. Au contraire, ils ont loyalement plié l’exercice de leur fonction aux évolutions des politiques ministérielles ». André Legrand (1994), Le système E, Denoël, pages 59-60.
4. Mettre du tenir conseil dans le moteur de l’orientation ordinaire. La confusion entre « donner des conseils » et « tenir conseil » (Lhotellier, 2001) continue de sévir. Et l’on continue d’oublier que les élèves gagneraient à leur présence en conseil de classe, du moins à certains moments de leur scolarité. Les CIO peuvent aider à cette conversion indispensable du conseil.
5. En orientation, l’Internet ne peut pas tout. Si l’on ne peut nier le rôle des technologies de l’information et de la communication dans l’information, on ne peut réduire le conseil à la personne à des interactions électroniques à distance. Le conseil nécessite la présence de spécialistes de l’entretien, du conseil, de l’examen psychologique lorsqu’il est nécessaire.
6. En orientation, le prof ne peut pas tout. S’il est hors de question de minimiser le rôle et les tâches des professeurs soit dans leur discipline (Éducation à l’orientation, Parcours de découverte des métiers et des formations, Éducation au devenir), soit en tant que professeurs principaux, il est illusoire et contre-productif de les enjoindre, comme on l’a fait depuis des années, d’en faire plus en matière d’orientation, au risque de leur avoir laissé entendre qu’ils devraient remplacer les conseillers d’orientation-psychologues.
7. Laisser tomber la lancinante incantation à l’avenir – que personne ne peut prévoir et à peine imaginer – et construire une véritable éducation au devenir pour tous, de l’école élémentaire à l’université, et tout au long de la vie. Cf. Drévillon (1970) : « Qu’importent les raisons pour lesquelles je veux devenir avocat, médecin, professeur… J’attends de l’orientation de ma vie qu’elle soit une orientation d’espoir » (p. 15). Lhotellier (2010) : « Je plaide pour une formation au devenir ». Et Heslon (2010) : « C’est moins à la prédictivité, sur laquelle s’est bâtie toute une époque du conseil en orientation, qu’à la disposition à devenir du fait même et grâce à l’incertitude des autorités et des transmissions, que doit sans doute s’attacher désormais le projet d’orientation ».
8. L’orientation se fait d’abord à l’École, par l’École. D’après le MEN, les taux de scolarisation par âge n’ont cessé d’augmenter : à 16 ans, 94,5% des jeunes sont scolarisés ; à 17 ans, 90 % ; à 18 ans, 79% ; à 19 ans, 65% ; et à 20 ans, 52%. Comme jamais auparavant, l’orientation se fait d’abord à l’école, au collège, au(x) lycée(s), à l’université. Plus que jamais, des choix d’orientation fondamentaux sont pris au collège, au(x) lycée(s), à l’université. Plus que jamais, on a besoin de spécialistes de l’orientation à l’école, et entre l’école et l’après-école. Cf. Repères et références statistiques 2011, MEN, octobre 2011, p. 23.
9. Le CIO interface, un atout majeur. Aurait-on oublié tous les avantages que représente ce positionnement ? Objectivité et neutralité des informations dans un contexte ambiant de marketing et de communication commerciale. Autonomie et déontologie du conseil individuel face à des situations personnelles délicates, tendues ou inextricables. Connaissance des parcours réels d’études et de formation du collège au(x) lycée(s) ou à l’apprentissage, du lycée au post-bac, de la fin de la formation initiale à l’emploi. Place éminente des CIO dans la formation des professeurs principaux ou des parents d’élèves, l’animation des bassins d’éducation et de formation, la mise en place du Service public d’orientation, le pilotage des Plates-formes de suivi et d’appui aux décrocheurs, la construction de Forums d’information sur les métiers et les formations, etc. Nous perdrions gros à perdre cet atout. Nous perdrions autant à ne pas le renforcer, à ne pas l’instituer comme il se doit.

10. Les CIO oubliés de la décentralisation : les remettre dans le jeu, maintenant. « Les lois de décentralisation des années 1983-1985 ont oublié les CIO » nous a dit à plusieurs reprises l’historien Antoine Prost. Si l’on a vraiment besoin de CIO forts, structurés, au coeur des parcours de formation et du conseil tout au long de la vie, à l’interface des collèges, lycées et du post-bac, alors il est grand temps de leur donner une identité morale et juridique qu’on leur aura toujours refusée. Il est aussi grand temps de les assurer de moyens humains et de fonctionnement décents. Ils n’en seront que plus efficaces encore au service des missions qui leur sont allouées et qu’ils remplissent avec intelligence et dévouement depuis des décennies. Serait-ce bien sérieux de demander tant aux conseillers d’orientation-psychologues quand, depuis des années déjà, on ne recrute que tout juste 50 élèves conseillers par an alors qu’il en faudrait au moins 300 à 350 ne serait-ce que pour renouveler les départs ? Ne risque-t-on pas à ce rythme de déprofessionnaliser dangereusement la profession en faisant recours de manière outrancière à la précarisation de personnels contractuels ? En octobre 2011, le Sénat lui-même s’en était ému. Et si, enfin, on lançait un signal de confiance à cette profession valeureuse et indispensable qui, loin de démériter et pendant des décennies, a loyalement plié son activité aux priorités du système éducatif ?

Pour engager plus avant la transformation attendue, engageons dès septembre les États généraux de l’orientation : notre orientation existentielle, ontologique, humaniste le vaut bien !


Par Jacques Vauloup, IEN-IO

6 août 2012

Jacques.vauloup@ac-nantes.fr

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Si la sélection est naturelle, faut-il que notre école le soit également ?

Suite aux positions que je défends à propos de l’orientation et de la notation (voir plusieurs articles précédents), j’ai reçu divers commentaires et questionnements, qui semblent s’opposer à ma thèse (la nécessité de supprimer les procédures d’orientation, et la notation) et la considèrent sans doute largement utopique étant donné que la fonction sélective de notre école paraît naturelle et normale. Je vais donc tenter d’expliquer.

La sélection comme évidence


Christine Vallin des Cahiers pédagogiques m’a envoyé ce questionnement il y a quelques temps : « La sélection perdurera, bien forcément. On est bien d’accord qu’il n’y aura pas 200 000 majors de l’ENA. Alors quoi faire ? Faire progresser un peu tout le monde en termes de connaissances acquises, capacités à se débrouiller dans le monde et à l’école ? Et arrêter d’accentuer les inégalités sociales/scolaires ? Vous attendez cela ou autre chose encore ? Et pour vous c’est surtout en supprimant tout palier visible ou invisible au cours du collège. C’est ça ? » Et elle me proposait d’essayer d’établir une liste simple des gestes efficaces pour une orientation… écologique.


Annick Soubaï, directrice de CIO m’a également questionné suite à mon petit article « La notation et la procédure d’orientation » :


« Maintenant, il faut bien un système pour légitimer la sélection, donc la distinction… La note est arbitraire, c’est sûr, mais qu’y a-t-il de réellement juste ? » Plus loin : « C’est une question épineuse… Peut-être pourrais-tu réfléchir à l’idée même qu’il faut telle note pour être admis en classe supérieure. Et s’il n’y avait plus de classe supérieure mais des modules… Peut-on éviter les niveaux dans la progression pédagogique? ». Et encore : « Le problème est l’étalon, la mesure. Dans les concours, on introduit une certaine équité par la double correction qui atténue peut être un peu la subjectivité.
Dans ton sujet, il y a 2 niveaux : celui du principe, c’est la note qui détermine le passage et l’autre niveau celui de la manière dont la note est obtenue (là encore plus ou moins juste). »


Et à propos du même article, un certain « numéro 6 » dans son commentaire écrit : « Mais hélas, je crois une hiérarchisation des élèves socialement nécessaire et éthiquement souhaitable. Bien sûr certains disent et à juste raison que cette hiérarchisation participe de la reproduction. Mais elle reste le seul moyen par exemple, de faire de la sélection positive pour de grands établissements parisiens, elle préside à l’établissement de certaines bourses à caractère sociaux, elle permet même marginalement à quelques francs-tireurs d’accéder à des cercles sociaux et économiques dont l’accès leur aurait autrement été formellement proscrit. »

Exaltation ou souffrance ?


Le projet pour 2012 de l’UMP dessinait l’Ecole de la sélection


L’UMP le 3 novembre 2011 à Paris avait organisé le “Rendez-vous pour la France“. “Tout commence par l’éducation” explique le parti présidentiel. A quelques mois de l’élection présidentielle, l’UMP avait mobilisé ses ténors pour présenter un programme conservateur pour l’éducation nationale : autorité, mérite, sélection. L’UMP avait ancré ses militants et son programme bien à droite, les mots
autorité, mérite, sélection, s’y bousculaient, tout un programme…


De l’autre côté, François Dubet dans une petite vidéo sur curiosphère rappelle à propos des finalités de l’école et sélection que l’école classe, c’est sa fonction. Mais la qualité de l’école s’apprécie à la manière dont elle traite les plus faibles. Et au cours du colloque organisé par Education & Devenir, il pose la question : la production de “champions” suppose-t-elle la mise en souffrance des autres ?

Quelle est donc la fonction de l’école ?

Marcel Crahay et Arlette Delhaxhe dans « L’école obligatoire en Europe, des conceptions divergentes » Sciences humaines  2003 écrivaient :

« En Europe, l’école se voit attribuer deux missions : doter chacun des connaissances indispensables à la vie dans nos sociétés, et préparer les individus à assumer des fonctions spécialisées. La comparaison des systèmes scolaires européens indique comment chacun tente de trouver l’équilibre entre ces deux missions. ».

Mais est-ce une question d’équilibre ?


Dans les différents systèmes décrits, on voit que la fonction « cohésion » s’arrête plus ou moins tôt dans l’organisation du système par rapport à celle de la « répartition ». Parmi les trois modèles repérés par les auteurs, la France se trouve représenter un modèle particulièrement ambigüe. Si le modèle germanique fait débuter la répartition dès la fin du collège, le modèle nordique la place dans la deuxième partie du secondaire. Et la France ? Depuis 1976 et la réforme Haby, nous serions du côté du modèle nordique. Sauf, sauf que la fonction répartition reste exercée par le collège, avec toutes ses conséquences que nous avons déjà indiquées dans plusieurs billets précédents.


Une position simple, simpliste (?), que je défends, serait de considérer que la partie « obligatoire » assume totalement la fonction cohésion, au reste du système d’assurer la répartition.

Bernard Desclaux

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Bernard Desclaux

Formation des directeurs de CIO : impressions d’une néoformatrice

Dans un post précédent d’avril 2012 j’ai cherché à répondre à la question « Pourquoi la formation des Directeurs de CIO est nécessaire ? »  . En commentaire, Dominique Odry qui était le coordinateur jusqu’en 2010 de la formation des nouveaux directeurs de CIO à l’ESEN, a rappelé l’histoire et ses objectifs. Je viens d’apprendre que je ne suis plus responsable de cette formation, qui va s’engager vers d’autres objectifs.
Vous trouverez ci-dessous le témoignage d’une des intervenantes de mon ancienne équipe, Marie-Anne Gachet, directrice du CIO de Libourne. Ce témoignage me semble particulièrement important pour comprendre les enjeux autour de cette formation.

Quelques impressions, réflexions d’une néoformatrice
Formation des nouveaux DCIO à l’ESEN

Le principe de cette formation nationale des DCIO dans le cadre de l’ESEN, bien que les DCIO ne bénéficient pas du statut de cadre de l’Education Nationale, avait été décidé depuis 15 ans à l’ESEN sur fonds résiduels , par un chargé de projet particulièrement sensible à cette carence pour les DCIO (Francisco Pernias) et mise en œuvre par Dominique Odry. Depuis deux ans la formation initiale et continue des DCIO à l’ESEN est conduite par Bernard Desclaux, DCIO retraité depuis 2008 et formateur depuis le début des années 90, secondé par trois DCIO de l’académie de Versailles et de Bordeaux.


Or l’ESEN est assujettie à des réductions de moyens qui impactent tous les segments des formations initiales et continues de tous les corps (inspections, directions, ect…). Dans ce contexte la formation des DCIO, bien qu’extrêmement réduite dans son volume (4 sessions de 4 jours sur 2 ans) est fortement interrogée. Pour l’heure, contrairement aux dernières promotions formées, aucun directeur promu n’a été convoqué à la première session de formation traditionnellement prévue la dernière semaine d’aout, car destinée à préparer l’entrée en fonction. Tout indique que les inquiétudes sur la non reconduction de la formation soient probables. Un groupe de travail s’est réuni fin juin, trop tardivement pour organiser une session en aout.
Il est donc particulièrement utile d’apporter un regard sur les dernières promotions en formation, regard d’une formatrice débutante issue d’une promotion 2008/2010.

Les dernières promotions


Les deux groupes rencontrés, la promotion 2010/2012 et celle de 2011/2013, apparemment différents dans leurs postures, attitudes, comportements et âges (la dernière promotion étant sensiblement plus jeune), présentaient néanmoins des similarités au regard de ma propre promotion agrégées aux témoignages des collègues d’années antérieures.


L’évolution des politiques publiques sur l’orientation, leur impact sur la fonction du directeur de CIO aurait suscité chez les collègues des années antérieures de vives réactions. Ce ne fut pas le cas pour les première et deuxième années.


Pour le PDMF et l’AP (le PDMF en lycée), si l’engagement et l’ingénierie des services n’est pas contesté, il demeure très faiblement compris. Le changement de paradigme que cette architecture de l’orientation induit n’est pas ou peu repéré. Les néodirecteurs persistent dans l’ensemble à concevoir qu’il s’agit juste d’une nouvelle appellation de l’EAO et pour certains appauvrie, car le volet « connaissance de soi » y apparait sous un angle très différent. Or cette approche nouvelle de l’orientation s’inscrit dans la notion de compétences à acquérir, c’est-à-dire l’acquisition de compétences à utiliser dans le futur, totalement déconnectée de l’accompagnement et la préparation aux vœux post 3ème. La résistance à cette évolution demeure très présente. La transition entre la notion de projet et la notion de parcours qui sous tend le PDMF est faiblement adossé aux enjeux sociétaux par les deux groupes de néodirecteurs. Le PDMF , démarrage méthodologique dans la formation initiale de la capacité à s’orienter tout au long de la vie est encore abordé comme un programme d’accompagnement aux procédures, avec la même erreur d’interprétation qui s’était jouée pour l’EAO.


De plus, l’abandon de la formation continue dans de nombreuses académies en raison d’arbitrages budgétaires, se révèle désastreuse en terme d’appropriation des politiques publiques et leur lien avec les questions sociales. La formation continue est un lieu de réflexion, de concertation, de mise en perspective des enjeux. Ce n’est pas sans conséquence sur les modalités d’engagement des acteurs dans la mise en œuvre des politiques publiques, celles-ci s’orientent sur des représentations et des lectures erronées.
Il en va de même quand le groupe de formateurs a abordé dans la formation « le conseil technique ». L’académie de Nantes (Jacques Vauloup) dans sa dernière édition du « guide du néocop » a redimensionné de façon conséquente cette mission auprès de tous les acteurs de la communauté scolaire, notamment auprès des personnels de direction. Nous avons abordé à l’ESEN l’évolution du conseil technique vers un conseil de plus en plus politique (analyse des indicateurs APAE, contrats d’objectifs, connaissance des parcours, stratégies d’actions, …) autant d’éléments d’expertise attendus autour de la collaboration sur le projet d’établissement. De fait dans certaines académies, les audits à visée participative ont révélés l’attente forte des établissements sur ces aspects faiblement investis par les personnels des CIO. Cependant nous avons pu observer que l’évolution des groupes durant la formation à l’ESEN était plus nette sur cet enjeu de mangement que sur le PDMF.


Les deux promotions révèlent en revanche un fort engagement sur les « plate-formes de suivi et d’appui aux décrocheurs » avec des disparités sur les territoires concernant les modes de pilotage, mais une réelle et totale appropriation de cette nouvelle mission par les services. Ce qui par contre est clivant entre la DGESCO et les néodirecteurs, ce sont les analyses et éléments de réflexion après les premières campagnes. Le SIEI enregistre bien plus de 150000 sorties non diplômées, mais il y a deux lectures différentes du travail mené par les plate-formes. Pour les institutionnels présents le travail d’enquête mené par les plate-formes recense pour la grande majorité des solutions très fragiles, qui sont éloignées d’une probabilité d’obtention du diplôme, laissant présager un long parcours avant un emploi durable. Pour les néodirecteurs le résultat du traitement de ces campagnes redéfinit le périmètre de la notion de décrocheur, circonscrit autour des injoignables et des refus d’accompagnement, ce qui dans cette lecture réduit très sensiblement l’annonce réitérée depuis plusieurs années des 150000 sorties prématurées à moins de 20% de ce chiffre.


Nous avons aussi mesuré au-delà de nos impressions partagées, que cette implication active est individuelle, en tant que directeur. Elle ne repose que sur un relais quasi inexistant des équipes. Cela accentue le statut ambigüe du DCIO vis-à-vis de son équipe.


Concernant le SPO, l’état des lieux au moment des deux formations révélaient une faible mise en route, très peu d’académies ayant construit une politique et un pilotage associant les services de l’état (Recteur/Préfet) et/ ou Région avec le plus souvent des consignes données aux structures de conduire elles-mêmes du démarchage auprès des partenaires labellisables. La disparité évoquée par bon nombre de collègues peut être intra- académique, voire intra- départementale. On serait enclins à être stupéfaits par de telles inégalités de mise en œuvre, significatives des engagements politiques divers des Rectorats. Ce qui nous apparaissait marquant, c’est le fatalisme de ces générations de directeurs rompus au tissage artisanal du partenariat, sans cadre juridique, cependant conduit avec vaillance et conviction.


Pour conclure je dirai que ce qui m’a profondément frappée concernant ces deux promotions, dans cette période de difficulté extrême où l’absence de statut réel des DCIO handicape plus que jamais la mise en œuvre des nouvelles missions, c’est que l’engagement demeure intact. A la lumière de ces paroles de néodirecteurs dans les ateliers durant la formation, le plus accablant pour eux c’est la conduite de direction de CIO d’équipes composées d’une majorité de contractuels.

Marie-Anne Gachet, DCIO Libourne

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Contribution pour la refondation de l’orientation

La lecture de ce jour des contributions rendues publiques sur le site « Refondons l’école de la République »  m’a rendu très heureux : le thème de la suppression des procédures d’orientation était enfin exprimé par un internaute. Je viens donc de déposer sur le site du ministère le texte qui suit.

L’objectif du socle commun à acquérir par tous est un levier essentiel pour modifier profondément le fonctionnement de notre système scolaire. Mais faut-il encore en tirer toutes les conséquences.


Le principe de l’égalité des chances n’a pas empêché le fonctionnement profondément sélectif et socialement discriminatoire de notre système. Face aux lois, notre système, s’est toujours « arrangé » (« La résistance de l’Education nationale face aux décisions politiques »  .


Il est fondamentalement paradoxal d’affirmer l’objectif du socle commun et de laisser en place les procédures d’orientation.


Le collège, et ses enseignants se trouvent placés dans un paradoxe pragmatique, faire réussir tout le monde et produire des différences justifiant la sélection-répartition opérée par l’orientation. Jusqu’à présent la sortie de ce paradoxe se fait du côté du choix de la sélection et de toutes les conséquences pour le collège : il n’a jamais pu être « unique ». Les « parcours » différents, dérogatoires, justifient et atténuent la bifurcation fin de troisième (voir d’autres articles sur mon blog).


La suppression des procédures d’orientation permettrait enfin la mise en œuvre d’une réelle éducation à l’orientation (”Nouvel objectif de l’éducation nationale : l’orientation tout au long de la vie“  ).


Elle permettrait sans aucun doute de dédramatiser les rapports école-parents.


La « notation » des élèves ne serait plus nécessaire, et l’enseignant français pourrait enfin se préoccuper d’abord de l’apprentissage, des dispositifs pédagogiques, d’une individualisation. Il y aurait là une réelle révolution pédagogique (”La notation et la procédure d’orientation” ).


Mais il y a également une conséquence structurelle. L’école unique (la suppression des petites classes des lycées) a engendré le thème du collège unique. Et aujourd’hui une réelle mise en œuvre du collège unique suppose à son tour un « lycée unique ». Nécessairement il y aura la réorganisation du deuxième étage de notre secondaire (« Conséquences du collège unique »  ).

Bernard Desclaux

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Le CIO, entre réclamation et lamentation

Le dernier jour d’ouverture d’un CIO, le 17 juillet, les établissements sont fermés, les dernières procédures d’affectation ont été réalisées, il faut maintenant attendre fin aout, début septembre pour tenter, et espérer une modification de son affectation, une place dans une formation, etc. Et pourtant ils viennent au CIO, ou téléphonent. Ma collègue Annick Soubaï, directrice du CIO de Nanterre (92) a relevé ces « demandes » qui n’en sont pas, ces réclamations sans attente de réponses favorables, ces lamentations sans rituel du mur.

A quelles questions répondent les Conseillers d’orientation-psychologues ?

A quelles questions répondent les conseillers d’orientation-psychologues le jour de la fermeture du CIO avant les grandes vacances ?

Quelles questions leur sont adressées au moment même où les établissements scolaires sont fermés, où les procédures d’inscription sont pour ainsi dire terminées…au moment même où les désirs tapis se travestissent en questions d’orientation ?


Nous sommes le 17 juillet 2012.

Une jeune fille de seconde vient au CIO avec son élégante maman pour simplement partager son choix de redoubler sa seconde. Elle ne s’inscrira pas en bac professionnel gestion administrative, comme le lycée le lui avait conseillé…Elle va recommencer, ne plus se décourager…
La maman n’a presque pas de questions. Elle veut simplement être rassurée. Ambre ne dit presque rien. Elle regarde sa jolie maman volubile.

Monsieur X téléphone. Il vient d’être reçu en médecine et soudain veut devenir pilote de ligne.

Monsieur Y très confusément explique, que lors de la procédure d’inscription APB, il avait tapé « oui mais » pour l’université de Montpellier. Il est allé à l’université de Nanterre pour s’inscrire et on lui a répondu qu’il n’a plus droit à la procédure complémentaire puisqu’il a obtenu Montpellier, qu’il avait demandé… mais, il ne veut plus y aller à Montpellier. Alors, pourquoi, il l’avait demandé ???

Accompagnée par une éducatrice, Katia, le visage blanc, les yeux cernés s’avance claudiquant. Katia, avec cette mine de papier mâché, est-elle fatiguée ?
Non, répond-t-elle, assurée. Elle est là, toute repliée. Elle sera inscrite l’an prochain en bac professionnel « gestion administrative » pour raisons médicales. Elle a été opérée d’un kyste à la moelle épinière. L’opération ne s’est pas bien déroulée. Elle est paralysée d’un pied. Elle ne pourra plus travailler dans la restauration et doit quitter la formation hôtelière qui l’intéressait. Elle est triste. Elle ne dit presque rien. Elle n’aime pas la gestion administrative. Elle veut s’occuper de personnes âgées, d’enfants en difficulté.
Elle veut bouger quoi ? Elle a 16 ans.

Un papa se présente. Son fils vient d’obtenir le CAP Cuisine qu’il a préparé dans un lycée réputé. Il veut maintenant s’inscrire en CAP ouvrages électriques, ça n’ a rien à voir. Ce n’est pas la même chose, vous l’avouerez. Le père en convient. Et son fils, qui n’est pas là, qu’est-ce qu’il en sait du CAP ouvrages électriques ? Il en sait rien, répond le père, il en sait rien de ce que son fils sait sur le métier d’électricien. Et alors, il a bien le droit de changer.

Ourdia entrera en classe préparatoire à la rentrée après avoir réussi son bac littéraire. Elle pourrait se réjouir. Mais non, elle veut s’occuper d’animaux. C’est sa passion. Elle n’ a pas d’animaux chez elle. Son père n’en veut pas. Elle a même pensé épouser un agriculteur pour être dans la nature et s’occuper d’animaux. Elle aime les langues étrangères et voudrait quitter le foyer familial. Elle voudrait voler de ses propres ailes et faire une formation courte. Mais laquelle ? Elle n’a pas d’idées.

Annick SOUBAI, Directrice du CIO de Nanterre

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La notation et la procédure d’orientation


Dans un billet de décembre 2010, suite à l’appel de l’AFEV j’avais affirmé que “orientation et notation se tenaient la main ». La suppression des procédures d’orientation que je défends dans mes présents billets, suppose de réfléchir à cette liaison dangereuse.

Que réclame la procédure d’orientation à la française ?

Face à la demande d’orientation formulée par les parents (passer dans telle classe) la réponse du conseil de classe ne peut avoir que deux valeurs : oui ou non.

  • L’élève peut ou non passer dans la classe supérieure.
  • L’élève doit ou non aller vers la voie professionnelle.
  • L’élève doit ou non redoubler.

Pour répondre à une question binaire, le système de la notation est parfait. Le chiffre attribue à une performance une valeur qui ne décrit en rien cette performance. Elle va simplement permettre de la hiérarchiser par rapport à une autre. Cette opération d’oubli de la cause étant faite, on va pouvoir combiner ce chiffre à un autre, et obtenir à nouveau … Un chiffre !

Et oh merveille, un chiffre à également une propriété binaire : on a 15 ou on n’a pas 15. C’est simple. Et la circulaire de 1880 que je citais dans le billet, reposait sur cette simplification. Mais elle allégeait encore plus le travail du conseil de classe en édictant une limite, la norme qui permettait de prendre la décision du passage en classe supérieure : la sacrosainte moyenne.

Y a pu de norme extérieure

Mais pépin d’importance, en 1969, on supprime les compositions trimestrielles, chaque enseignant produit ses épreuves, et dans la foulée, les nouvelles procédures d’orientation de 1973 n’édictent plus aucune norme, laissant les acteurs locaux avec ce travail de définition et de régulation des flux scolaires.

Donc Reste la question épineuse “combien faut-il pour passer ?”. Et l’on obtient la fameuse réponse de Fernand Reynaud (pour les anciens, l’histoire du fut de canon) : “ça dépend” ! Mais ça dépend de quoi au fond ?

Protection et paix scolaire

En résumé cela ne peut dépendre de rien de sérieux puisque dans ces différentes opérations la nature des performances à été effacée par l’opération de la notation. On n’obtient plus qu’un système de comparaison-hiérarchisation des élèves de la classe. Depuis l’apparition des logiciels de traitement de notation, les choses ont d’ailleurs empirées. Leur capacité de visualisation des comparaisons et autres statistiques étant très importante, les conseils de classe se passent de plus en plus dans une fascination face à l’écran. Les chiffres et les courbes de plus en plus sophistiquées se multiplient, et les “systèmes d’évaluation” l’emportent sur une réflexion sur l’évalué.

Maintenir la notation permet ainsi d’éviter la question épineuse “qu’est-ce qui a été appris”. Mais pas seulement cette question… Il y en a une autre qui est évitée et qui en le faisant maintien la paix scolaire : “quelle justification donner à cette note ?”.

Notre enseignant français reste à l’abri de ce questionnement.

Bernard Desclaux

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De l’efficacité de nos procédures d’orientation

Après avoir fait quelques remarques concernant la justesse de nos procédures d’orientation dans un post précédent, je vais explorer leur efficacité.
L’efficacité qualifie la capacité d’une personne, d’un groupe ou d’un système de parvenir à ses fins, à ses objectifs (ou à ceux qu’on lui a fixés). Donc allons y voir de plus près pour ce qui concerne nos procédures d’orientation.

Nos procédures participent-elles à la défense de l’égalité des chances ?

Faut-il répondre à cette question ? Les résultats du dernier PISA ne vont pas dans ce sens. Quelques citation du dossier de l’IFE PISA : CE QUE L’ON EN SAIT ET CE QUE L’ON EN FAIT relevées aux pages 3 et 4 :

« Le problème de la France n’est pas tant celui de la moyenne globale de son niveau de formation mais le fait que l’essentiel des difficultés se situe en bas de la pyramide scolaire. »


« Les inégalités sociales sont bien plus marquées dans l’hexagone que dans la moyenne des pays développés et une lecture attentive des résultats montre un système éducatif à l’opposé de ce qu’il prétend être : mieux défini par la cooptation sociale et la ségrégation des curricula que par les visées démocratiques du collège « unique » estime Felouzis (2009). »


« La pratique intensive du redoublement est au centre du paradoxe français : si l’on ne retenait que les résultats des élèves « à l’heure » dans le système, la France figurerait facilement dans le peloton de tête des performances mesurées dans PISA… mais si l’on retient les résultats de ses redoublants (assez nombreux), elle affiche des performances comparables à celles des pays les plus pauvres de l’OCDE. (Forestier, 2007) »


Les procédures ont-elles accompagnées le collège unique ?

Pas particulièrement ! Les « nouvelles procédures d’orientation » de 1973 ont sans doute « freiné » la mise en œuvre du collège unique. La réforme de 59 avait maintenue des procédures pour chaque année du secondaire. Le collège de Haby l’organise en deux cycles et laisse seulement deux niveaux d’orientation au collège, le niveau cinquième et le niveau troisième. Le taux de redoublement en 6ème reste équivalent à celui des sixièmes précédant la réforme “Haby”. Le pallier d’orientation de cinquième, même s’il faut l’accord des familles, oriente vers le professionnel un quart des élèves. Au fur et à mesure cette séparation des élèves se fait en interne du collège (selon le même pourcentage d’ailleurs). Rappelons que la loi votée était : tous les élèves rentrent en sixième et sortent du collège… après la troisième. Il faut attendre la réforme Bayrou (1994) pour supprimer le palier cinquième en créant… trois cycles et en terminant extinction des CAP “cinquième”, et donc trois paliers d’orientation, et la parcours « particuliers » de fleurir.


Et bizarre, le taux d’orientation vers la voie professionnelle après la troisième est resté constant jusqu’à ce jour, autour de 30%, et cela quelques soient les diverses modifications des flux de collégiens atteignant cette classe.

Les procédures ont-elles permis la compréhension de l’éducation à l’orientation ?

Au milieu des années 90 la question du travail et de l’emploi stable se pose de plus en plus pour les futures générations. D’où un effet en retour sur la conception jusque-là largement adéquationniste de l’orientation dans l’éducation nationale. Une éducation à l’orientation au sein des collèges et lycée devrait permettre l’acquisition et le développement de compétences permettant de s’orienter au cours de sa vie. Sauf que cette innovation apparait dans un système où la circulation des élèves est contrainte par les procédures d’orientation. Dès lors un biais de compréhension s’installe s’appuyant pour beaucoup sur la culpabilité des acteurs : et si cette éducation permettait aux élèves de faire des choix d’orientation plus « réalistes », il y aurait alors moins de tentions… Aujourd’hui le PDMF a remplacé l’EAO, mais les mêmes erreurs d’interprétation ont cours. Il doit permettre d’améliorer la circulation dans le système scolaire, et s’étend même dans l’enseignement supérieur avec l’orientation active.


Une réelle éducation à l’orientation, telle que réclamée par la commission européenne, suppose une confiance dans l’éducabilité des élèves, or nos procédures reposent sur l’idée qu’il faut des garde-fous aux désirs des élèves et des parents et qu’elles permettent des rectifications de ceux-ci. Parole largement entendues en conseil de classe : « c’est trop risqué ». Et je posais alors la question : « pour qui est-ce vraiment risqué ? ».

Les procédures accompagnent-elles l’objectif du socle commun ?

Nous avons déjà abordé cette question dans un petit article proposé au site soclecommun2012 : Bernard Desclaux : une condition oubliée pour le socle commun .


Le socle commun, à la différence de la lotion de programme, ne s’arrête pas à la détermination d’un contenu de formation, mais surtout, ce qui est nouveau, à l’objectif de le faire acquérir par tous les élèves. C’est l’objectif indiqué pour la période de l’obligation scolaire, soit chez nous l’école primaire et le collège. Or les procédures d’orientation du niveau troisième, à la fin du collège, supposent que les élèves ne sont pas capables tous de poursuivre dans l’enseignement général et technologique. Si l’objectif du socle était atteint, que cela se passerait-il ? Sur quelle base cette répartition se ferait-elle ? Idée naturaliste : les élèves sont ainsi, ils ne sont pas capables ; ou bien effet fonctionnel : ils sont produits ainsi pour assurer la possibilité de cette répartition ? Idée violente, mais il faut bien y réfléchir.


Le débat violent lui aussi sur l’évaluation du socle et le maintien du système de notation s’inscrit dans cette interrogation. La notation est un système de discrimination et de hiérarchisation des élèves. L’évaluation est autant évaluation de l’élève qu’un moyen de piloter les modalités de l’apprentissage. Il faut libérer l’enseignant français de cette contrainte pour qu’il puisse se centrer sur les modalités d’apprentissage de ses élèves.


Pour terminer je vous invite à la lecture de l’interview de Andreas Schleider : Education : comment concilier performance et équité. Andreas Schleider dirige le Programme international pour le suivi des acquis des élèves de l’OECD, connu sous le nom de PISA. Il tire les leçons de la comparaison entre systèmes scolaires.


Bernard Desclaux

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La justesse de nos procédures d’orientation

A l’occasion du lancement de la concertation pour préparer la future loi, je voudrais intervenir sur le thème de la justice et de l’efficacité de nos procédures d’orientation dans notre système en rappelant quelques thèmes déjà abordé ici sur ce blog, et ce premier post portera sur la justice.

À propos de justice… et de son sentiment

Une structure de domination

L’idée de justice suppose au moins deux acteurs : un juge exerçant le pouvoir de produire un jugement et un individu qui subira ce jugement. Structurellement c’est une relation de domination de l’un sur l’autre. Et le cas de nos procédures d’orientation relève bien de cette structure basique.

Plaider sa cause

L’individu, objet du jugement peut, plus ou moins « plaider » sa cause. Cette possibilité de se faire entendre du juge, et donc de pouvoir agir sur la représentation du juge est un élément important pour la constitution du sentiment de justice. Mais il faut aussi que l’individu perçoive le fait que sa plaidoirie ait eu un effet sur l’élaboration du jugement.
Il y a bien des échanges prévus, en partie obligatoires entre professeur principal et parents et/ou élève, mais ils interviennent en dehors de la scène et du moment de la justice : le conseil de classe. Les représentants de parents d’élèves et les délégués élèves ont parfois ce rôle, mais ce ne sont pas des « avocats », c’est-à-dire des représentants institués de l’individu.
Le seul moment où une plaidoirie est exercée, ou peut être exercée, c’est au moment de l’appel : la famille et l’élève majeur ont le droit de s’y exprimer. Et n’oublions pas la rencontre de la famille avec le chef d’établissement à l’issue du conseil de classe du troisième trimestre, nouveau moment introduit en 1992 dans nos procédures, et dont aucune statistique peut nous indiquer ses effets.

Sur ce thème de la « plaidoirie », nos procédures d’orientation sont donc bien pauvres

La légalité

Sur quoi d’autres peut s’appuyer le sentiment de justice ? Sur un principe de fondement du jugement sur la légalité. N’importe qui ne peut pas juger, n’est pas en droit de juger. Le juge doit être institué par la communauté, l’état. Dans nos procédures, il y a un versant d’institution : il y a des textes, lois, décrets, circulaires qui organisent de manière réglementée le fonctionnement et les pouvoirs des différents acteurs qui interviennent dans ces procédures. Il y a en cela légalité des procédures. Mais…
La formule, « le chef d’établissement formule la proposition d’orientation sur avis du conseil de classe », crée une certaine ambiguïté. Et on peut se demander « qui c’est le conseil » ? Est-ce que les représentants et les délégués ont le sentiment de faire partie prenante dans la formulation de cet avis du conseil de classe ? Le chef d’établissement est-il tenu de « suivre » l’avis du conseil de classe ?
Mais la légalité du jugement, c’est aussi celle de son argumentation, et alors là, on peut dire que nos procédures sont particulièrement floues. La justification habituelle des propositions et décisions d’orientation repose sur l’idée que l’individu pourra ou non « suivre » dans la formation ou la classe demandée. Cela suppose deux choses : une « mesure » de cette capacité et une description des exigences pour suivre la classe en question. Or il n’existe aucune mesure de cette capacité, et le ministère n’a jamais produit de description des exigences. Depuis la création des procédures d’orientation, en 1959 tout d’abord, puis en 1973, l’état s’est bien gardé de légiférer en la matière, et à considérer que les acteurs locaux étaient capables de réguler par eux-mêmes ces décisions. Sauf que plusieurs loi sur la motivation des décisions administratives sont apparues depuis, et lorsque les parents rentrent en contestation judiciaires ils obtiennent raison en particulier sur cette absence de motivation légale.

La justesse du jugement

Elle concoure également au sentiment de justice. Qu’est-ce que la « justesse » ? C’est sans doute l’idée que le jugement suppose équivalent les individus face à la justice. Il n’y a pas de favoritisme. Le jugement s’applique de la même manière au sein d’un groupe. Car il y a l’idée et la possibilité d’un comparatisme des jugements. Ceux qui suivent de près le fonctionnement des conseils de classe savent que c’est une source de conflits et de ressentiments. Les élèves et les familles, souvent au cours des commissions d’appel invoquent ce principe de comparatisme et d’équivalence, ou plutôt de non-respect du principe d’équivalence dans l’élaboration des jugements : des résultats identiques ne reçoivent pas le même jugement !

Un jugement se doit d’être pertinent

Enfin le jugement s’applique bien à cet individu ; pour sa formulation, il a été tenu compte des caractéristiques de l’individu. Il s’agit bien d’un jugement « personnalisé ». Les caractéristiques de l’individu, ses particularités, ce qui fait qu’il est lui et pas un autre, et en particulier ses désirs, ses motivations, sont pris en compte… Oui, apparemment la proposition est formulée par rapport à une « demande » des parents ou de l’élève, il est même précisé que la proposition doit « répondre » à la demande, soit l’accepter ou la refuser. Mais que s’est-il passé au cours du premier trimestre ? Les résultats de ce trimestre vont influencer la formulation de la demande. Entre la réponse du deuxième trimestre, et la formulation de la demande pour le troisième, il y a diverses rencontres, et autant de « négociations » tentées, de part et d’autres. Mais combien de propositions et de décisions d’orientation ressenties comme allant contre le désir de l’enfant ? Et cela va sans doute en empirant. Avec le travail éducatif concernant l’orientation dès la cinquième, les élèves élaborent de plus en plus leur projet d’orientation, pas toujours « réalistes » comme disent les enseignants et les chefs d’établissement, et les jugements scolaires viennent briser les rêves.
Prochain article à venir : Nos procédures sont-elles efficaces ?

Bernard Desclaux

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Aux origines du conseil de classe

Je propose un autre éclairage au conseil de classe suite à mon précédent article sur ce blog (A quoi sert le conseil de classe ? ) en reprenant quelques éléments que j’avais présentés dans l’article « La procédure d’orientation scolaire : une évidence bien française » publié dans la revue TransFormations n° 3 mars 2010, pp. 77-96.

On peut supposer que les enseignants se sont réunis traditionnellement dans les établissements scolaires pour gérer les « affaires scolaires » et ce de manière « spontanée ». Mais il faut attendre la fin du XIXe siècle pour que l’Etat cherche à en réglementer leur usage et nous verrons quelques évolutions depuis.

La gestion du passage en classe supérieure

La liaison notation-décision de passage est sans doute l’élément le plus ancien dans la constitution du conseil de classe dans le secondaire. Elle apparaît dans une circulaire de 1890 présentée ainsi par André Caroff :

” Une circulaire en date du 27 mai 1890 relative aux examens de passage avait fixé une procédure qui, moyennant quelques retouches, est demeurée valable pendant 70 ans. Selon cette procédure, chaque professeur devait dresser en fin d’année la liste des élèves de la classe par ordre de mérite en attribuant à chacun d’eux une note pour sa matière d’enseignement. Toute note supérieure à la moyenne dispensait de l’examen. Après examen, les élèves étaient classés en trois catégories “par le chef d’établissement, sur l’avis collectif et concerté de tous les professeurs de la classe réunis ” :


-I – élèves admis à entrer dans la classe supérieure
-2 – élèves ajournés à une nouvelle épreuve au moment de la rentrée d’octobre
-3 – élèves ajournés définitivement c’est-à-dire reconnus incapables de suivre avec fruit la classe supérieure


On voit que la décision finale est déjà collégiale pour les élèves dont le cas pose problème. (Caroff, A. (1987). L’organisation de l’orientation des jeunes en France, Evolution des origines à nos jours. Paris : EAP, p. 151)

Sur la « collégialité » de la décision, on doit introduire une nuance en insistant sur la formulation utilisée par la circulaire : « Après examen, les élèves étaient classés en trois catégories “par le chef d’établissement, sur l’avis collectif et concerté de tous les professeurs de la classe réunis. ». On retrouve identifié deux acteurs, le chef d’établissement qui classe, et l’ensemble des professeurs qui donnent un avis « collectif et concerté ». Qu’est-ce que prendre une décision en prenant avis d’un collectif ?


L’ambiguïté n’a toujours pas été levée. Qu’est-ce qu’un « collectif » en sachant que le vote est interdit en conseil de classe ? Et qu’est-ce qu’un avis d’un collectif ?


Il est curieux, et sans doute pas anodin, que dans la même circulaire on trouve une description très précise des modalités et des critères de prise de décision (l’utilisation des notes et des seuils) et en même temps cette ambiguïté concernant le fonctionnement du pouvoir entre les acteurs quant à la production de cette décision. Apparence de formalité, de clarté, de simplification, d’automaticité, et en même temps reconnaissance d’une autre source possible pour prendre la décision, celle d’un « avis collectif ». Laissons les acteurs de terrain se débrouiller.


Pour assurer la solidité de la note on a introduit le principe des compositions, des épreuves trimestrielles. Celles-ci furent supprimées en 1969 par le ministre de l’époque, Edgar Faure. A partir de cette date, chaque enseignant, seul, produit alors ses évaluations et ses notes. Ainsi chaque enseignant détient un pouvoir sur un territoire pédagogique qui lui est considéré comme personnel.


Ajoutons que les fameux seuils désignés dans cette première circulaire ont disparus et qu’il n’existe plus aucun critère explicitement formulés pour justifier et motiver une proposition et une décision d’orientation. On trouve une formulation particulièrement vague dans le Code de l’éducation :  Article D331-34 En savoir plus sur cet article… Modifié par Décret n°2010-100 du 27 janvier 2010 – art. 4.

« Les motivations [des décisions]comportent des éléments objectifs ayant fondé les décisions, en termes de connaissances, de capacités et d’intérêts. Elles sont adressées aux parents de l’élève ou à l’élève majeur qui font savoir au chef d’établissement s’ils acceptent les décisions ou s’ils en font appel, dans un délai de trois jours ouvrables à compter de la réception de la notification de ces décisions ainsi motivées. »

Sauf qu’il n’est nulle part question des critères de « connaissances, capacités et intérêt » pertinents et nécessaires pour s’engager dans une formation. A chacun son exigence !


La sentence institutionnelle


A. Caroff poursuit : « On voit aussi que la responsabilité de l’établissement fréquenté par l’élève cesse au moment où celui-ci le quitte. Il est remis à sa famille, à charge pour elle de lui trouver une nouvelle voie. »
Ainsi la sentence du conseil de classe à l’origine est du même ordre que celle de l’Eglise concernant hérétique : c’est une sentence de mort institutionnelle. Si le passage ou le redoublement ne sont pas acceptés, l’enfant est alors remis à sa famille.


Cette puissance du conseil de classe a été remise en cause de différentes manières.


Tout d’abord indirectement : avec la réforme de 59, et la mise en système qui en résulte, la notion d’affectation apparaît, et petit-à-petit, elle devient un pouvoir d’état exercée par l’inspection académique aux alentours des années 70. D’une certaine manière les familles n’ont plus cette préoccupation de « chercher la place », et en même temps les établissements n’ont plus la possibilité (ou du moins de manière réduite) de choisir leurs élèves.


Après 68, la notion d’appel apparaît : la décision d’orientation devient une proposition, et une possibilité de contestation est organisée, soit sous la forme de l’examen soit sous la forme de la commission. Aujourd’hui il n’existe plus que la commission d’appel, toujours assez mal vécue par les enseignants comme une remise en cause de leur jugement. Remarquons que les commissions d’appel donnent « raison » aux parents pour la moitié des cas présentés, mais que cette remise en cause représente moins de 0,5% de l’ensemble des décisions d’orientation aux quatre paliers d’orientation (sur deux cents décisions, une sera remise en cause). La remise en cause est donc toute symbolique et très marginale par rapport à la machinerie des procédures d’orientation.


Reste la formulation des décisions d’orientation. C’est le ministère Savary qui va combattre explicitement cette puissance de mort institutionnelle en introduisant trois modifications aux procédures d’orientation :

– interdiction de la formule « vie active » (que l’on voyait fleurir en particulier dans les lycées) ;
– obligation aux paliers d’orientation de formuler une proposition d’orientation scolaire ;
– droit au redoublement.

Mais est-on sûr de leurs applications ? N’avez-vous pas quelques exemples ? Ainsi, on ne donne pas de proposition d’orientation à un élève qui veut aller en apprentissage. Ou encore que fait-on de l’élève qui redouble déjà ? Maître Piau a une conception très claire en la matière « Un élève de seconde générale ou technologique peut-il refuser une réorientation en voie professionnelle ? »

La coordination impossible

Et si le conseil était aussi une instance de régulation du travail enseignant ? André Caroff rappelle que cette fonction a bien été formulée :


« La réunion collégiale des professeurs est une réunion ” ad hoc “, spécialement organisée pour prendre les décisions de fin d’année. Une autre circulaire du 19 juillet 1898 formulait, par ailleurs, le souhait suivant : ” Il est également désirable qu’à certaines époques de l’année, tous les professeurs d’une même classe se réunissent pour s’entretenir de l’état de la classe, du travail et des progrès des élèves “. ”


On voit que cette fonction a été formulée dix ans après la première circulaire citée. Mais est-ce que cette fonction organisationnelle de l’équipe enseignante, comme on dirait aujourd’hui a été exercée ? En tout cas il semble qu’elle a bien du mal à être même simplement formulée.


Lors de la réforme Haby de 1976, on introduit une distinction entre conseil des professeurs et conseils de classe. Le premier est formé par les enseignants seuls avec le chef d’établissement, et le second s’adjoint les étrangers : les représentants des parents et les délégués des élèves.

Dans le décret n° 76-1305 du 28 décembre 1976 relatif à l’organisation administrative et financière des collèges et des lycées (JO du 4 janvier 1977) nous relevons ces deux formulations :


« Le conseil des professeurs prépare le bilan scolaire de chaque élève et établit les propositions qui en découlent, notamment les propositions d’orientation. » (article 23)
« Il (le conseil de classe) examine les questions pédagogiques intéressant la vie de la classe et les résultats des travaux du conseil des professeurs. » (article 24).


Sur le site Service-Public.fr http://vosdroits.service-public.fr/F1394.xhtml on trouve ceci :

« Rôle du conseil de classe
Le conseil de classe, présidé par le chef d’établissement ou par son représentant, se réunit au moins trois fois par an et chaque fois que le chef d’établissement le juge utile.
Il examine les questions pédagogiques intéressant la vie de la classe, notamment les modalités d’organisation du travail personnel des élèves. »

Au fond il s’agit de s’interroger sur la nature de l’équipe pédagogique ou de l’équipe éducative (nous ne rentrerons pas ici dans la nuance). Cette équipe peut-elle exister dans le secondaire, et sur quelle base ?

Le temps de travail de l’enseignant français
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(c’est-à-dire le temps de travail contraint) en étant comptabilisé seulement sur les heures de cours rend très difficile la coordination pédagogique. Elle est vécue comme étant d’ordre privé. Si cette coordination ne peut être prévue, organisée durant le temps de travail enseignant, elle pourrait l’être au cours de réunions reconnues comme faisant partie du temps de travail. Ce ne peut pas être bien sûr au cours des conseils d’enseignement qui regroupent les enseignants d’une même discipline. Ce ne peut être également le rôle du Conseil pédagogique qui concerne l’ensemble de l’établissement. Reste … le conseil de classe.

Oui, en effet le conseil de classe pourrait être cette instance permettant la coordination du travail enseignant. Mais dans ce même espace-temps-groupe comment est-t-il possible, à la fois,


  • d’évaluer individuellement les élèves, c’est-à-dire les différencier,
  • et d’organiser le travail pédagogique qui est censé faire réussir tous les élèves.


Philippe Perrenoud le rappelait :

l’évaluation de l’élève nécessite de l’expliquer par le travail… de l’élève, et surtout pas par celui des enseignants

(L’évaluation des élèves. De la fabrication de l’excellence à la régulation des apprentissages. Entre deux logiques De Boeck Université, 1998).

Bernard Desclaux

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Bernard Desclaux

A quoi sert le conseil de classe ?

Dans le secondaire, en cette fin d’année scolaire, la période des conseils de classe touche à sa fin. Dans ce blog nous remettons souvent en question le rôle des procédures d’orientation qui imposent à l’enseignant français de privilégier le rôle de juge scolaire devant celui de « coach » scolaire. Nous nous interrogerons ici sur le fonctionnement des conseils de classe, espace-lieu de l’exercice de ce jugement.

A quoi servent les conseils de classe : à la production de ce jugement ou à tout autre chose ?

Une contradiction non problématique

Marie Duru-Bellat et François Dubet , Claude Lelièvre , Jean-Louis Dérouet , etc disent tous la même chose. Le collège unique, français, a reçu deux objectifs contradictoires : assurer l’obligation scolaire jusqu’à 16 ans, sans définir politiquement ce que certains appellent la culture commune, et d’autre part, sur la base de la « réussite scolaire » fonder la répartition dans les voies de formation à l’issue du collège . La Loi n°2005-380 du 23 avril 2005 d’orientation et de programme pour l’avenir de l’école ( dite Loi Fillon) introduit la nécessité de l’acquisition du socle commun à la fin de la période le l’obligation scolaire. Ceci aura sans doute des conséquences sur l’évaluation des élèves et les décisions d’orientation, mais à ce jour (juin 2012) nous attendons toujours les décrets d’application concernant l’orientation des élèves.

Ainsi l’objectif de faire acquérir par tous les élèves un « contenu » d’enseignement se trouve nécessairement réduit par le besoin de produire des différences dans la réussite pour fonder le « tri » des élèves. On peut affirmer que tous les sociologues de l’école posent le problème ainsi. Mais il ne semble pas qu’il en soit de même de l’opinion publique si on en croit le Grand débat qui s’était tenu il y a quelques années : aucune remise en cause des procédures d’orientation.

Cette contradiction traverse le conseil de classe qui est défini comme à la fois le lieu de la coordination pédagogique et le lieu de l’élaboration de l’orientation. On pourrait donc s’interroger, sur les « raisons » qui peuvent expliquer que malgré cette contradiction qui le travaille le conseil de classe ne se trouve à aucun moment remis en cause.

Des fonctions non-attribuées et pourtant essentielles

Notre hypothèse : le conseil de classe sert à bien d’autres choses qui assurent une régulation du fonctionnement de l’établissement scolaire.

Cinq fonctions s’y exercent et sans être prévues :


– la mise en visibilité du travail ;
– l’appréciation de la compétence des autres acteurs ;
– la régulation des activités individuelles
– l’atténuation des offenses.


La visibilité du travail

Les trois types d’acteurs (chef d’établissement, enseignant, conseiller d’orientation-psychologue) ont une particularité : leur travail se fait habituellement dans un espace protégé à la vision des autres. E. Goffman avait indiqué que l’une des grandes activités des travailleurs consistait à produire le semblant de travail , et cela en particulier chez les travailleurs qui sont sous la visibilité permanente. L’attitude de travail doit être continue. Pour des travailleurs pour qui la production matérielle prouve qu’il y a continuité dans le travail, cela ne pose pas trop de problème. Pour certain, et notamment les travailleurs du tertiaire (bureau) c’est la constance de l’attitude qui doit être manifestée. La difficulté se pose pour des travailleurs qui exercent dans un espace protégé, non-visible, et dont la production n’est pas matérielle. Leur problème est comment rendre visible leur travail ?

Pour des enseignants, le travail des élèves est la preuve de leur propre travail (cours effectué et en partie compris, production d’interrogations, de devoirs, d’épreuves, de corrections-notations). Ces actes sont accomplis, mais il faut encore les rendre visibles, et l’on peut penser que les résultats exprimés en conseil de classe servent de signes de ce travail.


L’appréciation de la compétence des autres acteurs

Celle-ci est possible en partie parce qu’il y a nécessité pour chacun de manifester son travail. Mais l’occasion de juger et d’être jugé, on le sait est une situation dangereuse pour toute personne. Or le jeu qui s’instaure à ce sujet dans le conseil de classe est particulièrement protégé et protégeant. L’ensemble du rituel permet à chacun de montrer sa compétence mais d’une manière « pré-formatée » pourrait-on dire. Chacun étant catégorisé par son statut, son rôle, sa discipline, ce qui est montré est déjà par avance apprécié, catégorisé, hiérarchisé, interprété.

On peut rajouter également une règle particulièrement appliquées dans le conseil de classe : le principe de non-agression qui permet d’assurer que personne ne risque de perdre la face . Avec une précision d’importance : cette règle s’applique en priorité à ceux qui font « vraiment partie » du conseil de classe. Dans toute institution il existe une classe de personnes qui ne possèdent aucune autorité sur les autres. Dans l’école, si le parent et l’élève n’ont plus tout à fait cette position (existence de droits de plus en plus importants) beaucoup pensent que c’est bien regrettable…

Enfin, et dans le même sens, toute critique éventuellement d’un membre de la corporation est aussitôt bloquée, car interprétée comme une critique possible de la corporation elle-même.


Le conseil de classe est donc un lieu possible, relativement public, de l’exhibition et de l’appréciation de la compétence, mais sans grand risque, et donc très utile.

La régulation des comportements individuels

Fondamentalement l’enseignement est une activité non-normée. Il n’y a aucune réalité reproductible. La notation est un jugement, une appréciation, elle n’a rien d’automatique. Toutes les études de docimologie montrent qu’il s’agit d’une activité extrêmement variable, extrêmement dépendante du champ. Les chefs d’établissement qui démarrent un nouvel établissement avec une nouvelle équipe d’enseignants savent bien qu’il y a, au début, une très grande variabilité des manières d’apprécier. Une hypothèse qui, à notre connaissance, n’a jamais été travaillée, serait que le conseil de classe par la confrontation des résultats des systèmes individuels de notation permet à chaque enseignant de se réguler par rapport au groupe.

Il semble exister un premier niveau de régulation purement individuel concernant la distribution des notes. Une expérience assez classique en docimologie consiste à faire noter un paquet de copies. On obtient alors une distribution “normale” (courbe de Gauss) des notes. Ensuite on fait un extrait par la moitié de ces copies, la moitié des notes supérieures. Puis on donne à noter ces copies à d’autres enseignants, et l’on obtient à nouveau une distribution “normale”. Il semble que la distribution normale des notes est en quelque sorte la distribution “normalement” attendue, et que chacun s’y conforme . Mais les bornes, la moyenne, des notes est très variable entre les notateurs.On retrouve la loi de Posthumus, formulée dès 1947. M. Crahay l’exprime de cette manière : “Un enseignant tend à ajuster le niveau de son enseignement et ses appréciations des performances des élèves de façon à conserver d’année en année, approximativement la même distribution (gaussienne) des notes”.

On peut penser que pour un groupe de notateurs, une manière d’objectiver la notation serait de la rendre “consistante”, c’est-à-dire que la variabilité des systèmes de notation individuels (propre à chaque enseignant et à chaque discipline) ne soit pas trop importante. Sauf que cet effort ne peut être poursuivi officiellement. Son officialité montrerait au contraire sa non-consistance de base. Cela ne peut donc se faire qu’à “l’insu de son plein gré” comme le diraient Les guignols. L’humour parfois désigne des processus psychologiques ou sociologiques fondamentaux. Le conseil de classe par cette situation normale de confrontation des notes et des systèmes de notation permet cette régulation, qui n’est pas bien sûr immédiate, mais qui se construit au fur et à mesure.

De temps en temps un acteur “craque”, et remet en cause la consistance des notes. En général un tir de barrage s’installe alors pour protéger le système. Et il est réclamé de rechercher un système plus objectif, une recherche d’un accord entre les enseignants pour réaliser des devoirs en commun, pour échanger les copies… Nous n’avons jamais entendu accepter cette critique de base, que la notation est fondamentalement un jugement subjectif et non une mesure objective. Le mouvement qui se développe autour de la constante macabre d’André Antiby touche précisément à cette question.

Le conseil de classe comme atténuateur de l’offense

Ce passage est inspiré par la lecture d’un article d’Erving Goffman peu connu . On peut sans doute interpréter la procédure d’orientation comme une méthodologie de l’apaisement. L’orientation consiste à modifier le statut d’une personne, et globalement cette modification peut être positive ou négative pour la personne elle-même.

Toutes les étapes de la procédure consistent à apaiser la perte narcissique possible qui peut en résulter :

– la demande de la famille ou de l’élève consiste à engager, impliquer la personne dans le processus ;

– l’évaluation scolaire, c’est-à-dire, le travail scolaire, les notes, la notation, le conseil de classe, tout ceci consiste à ” justifier ” la décision, aux deux sens de justice et de pertinence.

– les différents recours, tels que la rencontre avec le professeur principal, le conseiller, le chef d’établissement, et finalement la commission d’appel, sont autant d’occasions d’apaisement.

– penser enfin à la temporalité. Ce processus se déroule sur toute une année et donne l’occasion de multiples modifications ” insensibles ” et donc non-problématiques pour le sujet.


Le conseil de classe, en tant qu’ensemble de personnes identifiées-identifiables est l’origine de la décision. Elle ne provient pas d’un « ailleurs » inhumain. Et en même temps, le conseil de classe en tant que collectif ne peut être « attaqué ». Sauf à basculer dans une paranoïa, il est un espace où le pour et le contre ont été débattus. Même si la décision peut être discutable, en aucun cas elle peut être considérée comme arbitraire.

Une conclusion ?

Au regard de ces cinq fonctions que nous avons ébauchées, il semble que le conseil de classe soit nécessaire au bon fonctionnement de notre système scolaire. En effet. Mais il faut rajouter que cette nécessité semble reposer sur notre mode très particulier de fonctionnement des établissements scolaires. Sans doute qu’une organisation plus coopérative réduirait en partie cette contrainte.

Références :

François Dubet, Marie Duru-Bellat : l’Hypocrisie scolaire. Pour un collège démocratique. Le Seuil, 2000.

Claude Lelièvre : L’école obligatoire : pour quoi faire ? Une question trop souvent éludée. Editions Retz, 2004.

Sous la direction de Jean-Louis Dérouet : Le collège unique en question. PUF, 2003.

Erving Goffman, La mise en scène de la vie quotidienne, 1. La présentation de soi. Les éditions de Minuit, 1973. Concept développé dans le chapitre 3 (pp. 105-135), les régions et le comportement régional.

Erving Goffman : Les rites d’interaction. Editions de Minuit. 1988.


Bernar Desclaux

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Bernard Desclaux

La société civile éducative, une aide pour l’orientation ?

La réussite éducative se concrétisera dans un bon fonctionnement de l’orientation des personnes. Cela suppose comme je le répète dans ce blog une modification radicale de notre conception de l’orientation scolaire, et la suppression des procédures d’orientation au collège. Mais cela supposera alors un renforcement de l’aide auprès des élèves, des jeunes, pour leur permettre de construire des choix, des projets, des représentations de leur avenir. L’éducation à l’orientation permettant l’acquisition des compétences à s’orienter au cours de la vie adulte devra être également réellement mise en œuvre.

Pour tout cela les enseignants et les personnels d’orientation seront les premiers impliqués, mais ils ne sont pas les seuls acteurs, nécessaires et pertinents en ce domaine. D’autres acteurs seront sollicités : les parents, les collectivités territoriales (ville, département, région), les entreprises, et la société civile.

Nous consacrerons ce billet à cette « société civile » et à quelques débats qu’elle agite.

La société civile, un terme flou

« Le terme de société civile est employé pour parler globalement de personnes et groupes de personnes organisés collectivement, indépendamment de l’Etat.

Sous cette appellation, on regroupe des mouvements, organisations, associations qui agissent en dehors de l’Etat et des pouvoirs constitués, pour faire prendre en compte leurs valeurs ou leurs intérêts par les décideurs politiques et économiques. Les ONG, les syndicats, les associations d’usagers, les groupements paysans, les entreprises par exemple, font en théorie partie de la société civile. » Une définition parmi d’autres.

Parmi toutes ces formes d’organisation, celles qui nous intéresseront ici seront les associations, organisation à but non-lucratifs qui s’investissent d’une manière générale dans l’aide auprès des jeunes. Elles sont une multitude sur le territoire français, de taille variable. Certaines ne représentent que leur président, d’autres des intérêts locaux. Certaines sont affiliées à des organisations politiques, religieuses, professionnelles. Aider les jeunes et en particulier en ce qui concerne leur orientation est une thématique particulièrement partagée.

L’éducation étant contrôlée majoritairement par l’état, reste le périphérique. L’insertion en tant que moment de connexion avec la réalité sociale est particulièrement importante pour ces associations. C’est un » entre-deux » mondes, un moment d’incertitude et donc de malléabilité des jeunes et qui pour beaucoup dure de plus en plus longtemps.

Le laisser-faire dans ce domaine peut-être dangereux socialement. Toutes les dérives sont possibles.

L’observation des politiques éducatives locales

L’institut Français de l’Education et le laboratoire Triangle, de l’Ecole Normale Supérieure organisaient à Lyon le 30 mai 2012 le lancement de l’Observatoire des Politiques Educatives Locales, sous la houlette de Daniel Frandji, sociologue. Le Cafépédagogique en a rendu compte : Quel avenir pour les politiques éducatives locales ?

Nous retiendrons deux interventions qui y sont rapportées.

Et tout d’abord celle de Nathalie Mons :
“Plus que la décentralisation politique, c’est l’autonomie scolaire et pédagogiques qui semble soutenir positivement les apprentissages scolaires, plus que l’autonomie administrative du chef d’établissement noyé sous un ensemble de tâches sans rapport avec les apprentissages. Et le consensus se fait sur l’importance de la régulation par l’état central, en matière de contrôle des curriculum. »
Cette conception de l’autonomie ouvre le thème, au moins possible, de la participation des acteurs locaux à la production éducative.

Dominique Glasman de son côté à pose une série de questions :
“Encore faudrait-il comprendre dans le détail ce qu’on y fait. Un observatoire ne peut pas faire l’impasse sur ce qu’on met derrière le terme “éducatif”, et notamment l’apport qui est réellement fait par les associations d’éducation populaire, pour jouer le rôle d’aiguillon des politiques publiques. En effet, elles disent elles-mêmes que la nécessité de professionnalisation de leurs acteurs a nécessité qu’elles soient progressivement intégrées aux politiques publiques. – quelle évaluation de la qualité, de la diffusion des innovations ? – quelle relation entre le public et le privé sur un territoire ? Les entreprises de soutien scolaire privé font des appels d’offre aux collectivités.”

Mais une « observation » ne fait pas une politique.

Actualité riche de cette préoccupation

De son côté, PRISME organise sa huitième Université d’été les 5 et 6 juillet 2012 au CNAM Paris, dans le cadre de la Biennale de l’Education et de la Formation.
« En quoi les projets éducatifs territoriaux sont-ils facteurs de réussites éducative et sociale pour tous les acteurs de l’éducation dans sa globalité (enfants, jeunes, familles, professionnels, associations, institutions publiques, collectivités territoriales…) ?
Quels accompagnements et leviers mobiliser dans les différents temps et lieux ayant vocation et finalités éducatives, dans l’école et hors de celle-ci ? »

L’éducation, et tout ce qui en découle, orientation, formation, insertion… ne relèvent plus seulement de l’Etat. Un consensus s’installe sur ce partage de responsabilité. Ainsi, lors de son dernier congrès, la FCPE prône de son cote une “coéducation” parents/enseignants.

Mais ce partage ne va pas de soi.

A l’ouverture du 5ème Forum des enseignants innovants à Orléans, le 1er juin 2012, l’innovation est replacée dans son contexte local. Ainsi, la complémentarité Etat, collectivités est importante pour donner de la cohérence au-delà des contraintes ressenties par les acteurs. Les acteurs internes à l’éducation nationale se méfient souvent de l’intrusion des autres acteurs, et ceux-ci considèrent le plus souvent ses règles comme étant des restrictions à leurs actions.

Une proposition parmi d’autres

L’association Actenses vient de lancer un appel intitulé :
La Société civile doit se mobiliser pour l’égalité des possibles dans l’éducation
.

« Mais l’Ecole ne peut pas, seule, faire face à l’ampleur du chantier de restauration de l’égalité. C’est la société civile dans son ensemble qui doit se mobiliser, aux côtés de l’Education Nationale. Il s’agit là d’un chantier majeur : apporter aux élèves de tous niveaux, dans les territoires délaissés, l’accompagnement, la connaissance des métiers, les réseaux, le soutien indispensable à la confiance en soi, qui sont des éléments déterminants d’un parcours, quel qu’en soit la nature et la durée, choisi et réussi. »

Ce texte se termine par la proposition suivante :

« Nous proposons la création ‘un label «association référent Egalité des chances ». Ce label serait attribué aux associations partenaires de l’Education Nationale, après un examen attentif de la qualité des interventions, de leur pertinence, et de leur caractère désintéressé.
La lutte pour l’égalité réelle passe impérativement par une action concertée de la communauté éducative, des élèves, des parents, et des associations, intermédiaires avec la société civile qu’il faut aussi mobiliser. L’analyse de nos complémentarités avec l’Ecole, et la reconnaissance de notre légitimité par ce label, constitue le cadre qui nous permettra de rassembler nos énergies. A l’heure où notre pays s’interroge sur son avenir collectif, nous devons remettre l’égalité au centre du débat. En 2012, les français naissent toujours égaux en droits et en talents, unissons nos forces pour qu’ils le demeurent ! »

Le principe de labellisation peut permettre une « vérification » de la nature de chaque association, mais surtout comme l’indiquait Dominique Glasman, elle permet par ses exigences de faire évoluer la professionnalité des intervenants, sans pour autant transformer les acteurs bénévoles en professionnels.

Bernard Desclaux

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L’orientation, entre l’action sur les élèves et l’accompagnement des personnes

Deux ministères, deux problématiques

Le thème de l’aide à l’orientation doit d’être traité par le Ministère de la réussite éducative. Ce sera le deuxième point développé ci-dessous. Mais il est nécessaire, si on veut réellement une évolution positive du fonctionnement de notre système scolaire, de reprendre la réflexion abandonnée depuis très longtemps à propos des procédures d’orientation, et cela relève alors du MEN. Et je ne parle pas ici de l’orientation concernant l’enseignement supérieur.

Position du/des problèmes

1/ L’orientation des personnes

Depuis le début du XXe siècle, l’orientation est devenue une affaire d’état.

Après être née dans le champ professionnel, elle fut rattachée au ministère de l’éducation nationale. La structuration de notre système scolaire a nécessité la mise en place de procédures d’orientation pour gérer la circulation des élèves en son sein, la formation professionnelle ayant été intégrée après la seconde guerre mondiale dans l’éducation nationale. La fonction d’orientation des élèves attribuée au collège l’a empêché d’être réellement unique, et de prendre réellement pour objectif le socle commun.


Depuis les années 90, une autre fonction de l’orientation s’est formulée (soutenue par l’Europe), celle non pas de gérer la circulation interne des élèves, mais celle de préparer nos jeunes à être capables de se gérer dans un monde de plus en plus incertain, tant sur le plan économique (instabilité de l’emploi), que technologique (transformation des activités et des formes de travail). La grande difficulté actuelle tient à ce que ces deux fonctions sont « contradictoires », et ne peuvent exister ensemble ou très difficilement. Le choix, sans doute nécessaire de la deuxième suppose de supprimer la première.


J’ai déjà abordé la nécessité de la suppression des procédures d’orientation et de la fonction d’orientation attribuée au collège dans mon blog. C’est une nécessité pour pouvoir engager une réelle réforme du système scolaire. La question alors se posera dans le « deuxième secondaire » qui inclue nos trois voies de formation (générale, technologique et professionnelle). Il y aura donc nécessairement à repenser la configuration de cette partie du système, et à concevoir l’orientation et l’affectation vers les différentes voies selon peut-être d’autres modalités que celle des procédures actuelles.

2/ L’aide aux personnes

L’autre problème de l’orientation, c’est l’aide aux personnes pour les accompagner dans les différentes tâches à exercer pour s’orienter dans un monde à la fois incertain mais aussi de plus en plus complexe.

Notre histoire, ou notre tradition, a fait que cette fonction se trouve exercer par une multitude d’organismes, pour la plupart officiels (mais ce domaine devient également de plus en plus marchand). Certains de ces organismes sont chargés d’appliquer des « mesures de traitement » de publics particuliers. L’Europe, là aussi a préconisé l’idée de développer un ou des services d’aide aux personnes, à la disposition du public. En France cet objectif est engagé avec la mise en œuvre du « service public d’orientation tout au long de la vie » par le DIO (Délégué à l’information et à l’orientation). Il s’agit de favoriser la coordination localement des organismes d’orientation dans cette perspective. Actuellement l’impulsion administrative est sous la responsabilité du préfet. Sans doute, la question de la coordination se posera au plus près du local : la région, la coordination d’agglomération, etc ? Mais il faut savoir que les différents organismes, et leurs personnels sont très inquiets par ce mouvement, et craignent, fusion, disparition, réduction des personnels, dépendance vis-à-vis du « local », etc…


Mais sur cette thématique de la « coordination locale » existe une autre perspective, celle de la coordination des actions d’aide à l’orientation sur un territoire. Ce qui suppose des accords sur des objectifs d’actions et des objectifs de résultats des différents partenaires.


Ainsi deux thématiques se croisent au niveau local :

  • services aux personnes vs actions auprès des personnes ;
  • affaire d’état vs affaire locale.

Une des difficultés touche, pour ce qui concerne l’éducation nationale, à ce que les mêmes personnels sont concernés par les deux problèmes. Et ces deux problèmes sont de nature différente : l’un touche à l’organisation et au fonctionnement de notre système scolaire (et derrière à toutes les pratiques pédagogiques qui en découlent), et l’autre à une fonction sociale touchant toute la population locale (et par là aux différentes conceptions de politique locale).

Un point de rencontre des deux thématiques

Dans le cadre de l’évolution de la structuration du système scolaire, que nous avons indiquée dans notre premier point, que la fonction d’aide à l’orientation des élèves sera également nécessairement à redéfinir. En sachant que cette fonction d’aide ne peut être efficace que dans un environnement où la contrainte administrative est suffisamment abaissée, ce qui suppose au moins trois leviers :

  • une réduction du jugement des enseignants au profit d’un réel conseil ;
  • une offre de formation suffisamment étendue mais aussi modifiable ;
  • une coordination des partenaires locaux (de services et d’actions).

Et tout ceci se doit d’être centré sur la demande des familles et des jeunes et non sur le « bon » fonctionnement de la circulation des élèves. Cette réorganisation de l’aide on le voit touche aux deux points traités ci-dessous. Les personnels d’orientation seraient alors positionner en tant que coproducteurs de l’accompagnement des jeunes (et leurs familles) dans leurs parcours scolaire et social, ils auraient à développer de nouvelles compétences à propos des ressources éducatives. D’autres pratiques que celle des journées métiers, forums, carrefours et autres nuits de l’orientation permettraient une autre identification de l’orientation et de ses professionnels.

Quelques développements de ces thèmes
Sur mon blog, il y a plusieurs billets touchant en particulier au premier thème :

On trouvera d’autres billets à propos du « service public d’orientation » en sélectionnant le tag « SPOTLV ».

Bernard Desclaux

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L’orientation dans le contexte d’aujourd’hui

Mon billet précédent intitulé “L’orientation après le 6 mai 2012” vous proposait la conclusion d’une conférence.

Cette conférence a eu lieu le 4 mai 2012 à Argentan, au lycée Mazeret. Je m’y adressais au personnel d’orientation de l’académie de Caen, soit 90 personnes.

Le texte de cette conférence est maintenant installé sur mon site consacré à la formation, à l’adresse suivante : http://bdesclaux.jimdo.com/conf%C3%A9rences/sur-l-orientation/.

J’ai utilisé une présentation “prezi” que vous trouverez à l’adresse suivante : http://prezi.com/v6cx8mbl2jwr/nouveaux-positionnements/. Je vous recommande cet outils, facile à comprendre et à utiliser, et visiblement très agréable à regarder pour les “spectateurs”.

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L’orientation après le 6 mai 2012

Le 4 mai, je suis invité dans une réunion académique pour les personnels d’orientation. Je publierai la conférence dans son intégralité ultérieurement. Dans l’immédiat j’en propose les éléments de conclusion. Après le 6 mai beaucoup de questions se poseront concernant l’orientation. J’essaye d’en identifier quelques unes.

A court terme, le résultat des élections présidentielles et législatives

On a deux horizons politiques très dissemblables. Il y a bien des manières de les opposer, notamment sur les moyens. Mais je prendrais un autre thème, celui des objectifs et de l’organisation. Et pour les repérer j’utilise les quatre modèles repérés par Francine Vaniscotte :

Du côté de la droite on indique une déconstruction du collège unique, un développement de l’apprentissage dès 14 ans, et certains ont même évoqué le retour à un examen d’entrée en sixième abandonné depuis 1956.
A gauche, il semble que le modèle finlandais de l’école fondamentale serait la référence.


On est bien là face à deux conceptions très différentes. Nathalie Mons a formalisé ces quatre modèles en s’appuyant sur le principe de l’intégration (Les nouvelles politiques éducatives. La France fait-elle les bons choix ?, PUF, 2007).


Concernant l’orientation on peut dire qu’elle devrait sans doute jouer un rôle très différent dans ces deux systèmes.

Dans le premier, le principe d’orientation d’autrui serait renforcé et s’appliquerait très tôt selon le principe de séparation des publics en s’appuyant sur la notion de méritocratie.

Dans le deuxième, je défends l’idée que les procédures d’orientation doivent disparaître du territoire du collège. La séparation des publics dit se faire après la troisième, en dehors du collège. Aujourd’hui les enseignants sont placés dans un paradoxe pragmatique. Ils doivent à la fois faire réussir tout le monde, faire acquérir le socle à tous les élèves, et en même temps ils doivent être capable de les différencier pour l’orientation. La séparation des publics par rapport à des voies de formation différentes suppose donc dans ce modèle de l’école fondamentale de créer un autre processus. Et il n’y en a pas 36. Soit elle repose sur le choix familial, soit elle repose sur la mise en épreuve du candidat, et les deux sont souvent combinés, soit une réelle classe de seconde de détermination et d’orientation doit être créée.

Un autre effet du choix de ce modèle irait sans doute dans la suite d’une évolution récente que l’on peut observer : une intensification de l’aide à l’orientation au lycée, dans la charnière lycée-enseignement supérieur, et après. On peut faire l’hypothèse que la question de l’orientation se translate le long du système de formation au fur et à mesure de son extension.

Sur un plus long terme, quelques pistes de réflexions pour conclure

Ce sera sous forme de questions :

Quelle peut-être l’évolution des formes pédagogiques ?

Notre forme pédagogique actuelle est largement « frontale » (je parle, vous écoutez, enfin j’espère encore quelques minutes). On voit apparaître notamment avec l’ordinateur, mais aussi avec l’idée de coaching, une pédagogie que j’appelle côte-à-côte. Mais reste assez individualisante. Il y a une troisième forme qui sans doute va se développer, c’est la pédagogie latérale, ou active, ou groupale, basé sur la coopération.

Dans quel sens la forme scolaire peut-elle évoluer ?

Notre système actuel est très marqué par le principe du menu imposé. Même l’enseignement supérieur qui devrait être bouleversé par le LMD et ses modules à combiner a conservé très globalement la fermeture de ses filières. Je fais quand même l’hypothèse que l’organisation de la formation et de l’éducation évoluera nécessairement vers le principe de la carte. A chacun de composer son menu.

On recommence à voir apparaître des discussions sur l’organisation spatiale de l’école. Voir par exemple l’article : « Pour un grand concours national d’architecture scolaire » Par Jean-Louis Auduc , http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2012/04/17042012_architecturescolaire.aspx .

On peut se dire également que la frontière école-environnement évolue. Quelques indices, on a une montée des intervenants extérieurs, et à l’inverse un développement des stages à l’extérieur. Plus globalement les territoires locaux s’impliquent de plus en plus dans l’éducatif, de la commune à la région.


Enfin l’école elle-même est remise en question au moins de deux manières : on commence à voir un mouvement notamment aux Etats Unis vers l’école à domicile, d’autre part, et plus généralement il y a un développement des ressources virtuelles. Sur ce point, Michel Serres insiste sur l’idée d’un changement très profond dans sa tribune dans « Le monde » date du 12 avril 2012. Pierre Frackowiak vient d’en publier un commentaire « Ecole du futur et ” vieux pépés” ». Petit extrait :


« …on utilise, en général, le numérique pour améliorer le modèle pédagogique qui résiste depuis la nuit des temps, celui de la transmission magistrale, de l’explication, comme s’il était universel, éternel, indiscutable. On ne change pas de modèle. Ceux qui le contestent provoquent encore sarcasmes et colères. Les programmes catalogues de notions surmontent les socles de compétences et les finalités. Les organisations semblent immuables : « la classe, la discipline émiettée, l’heure, le prof ». Les savoirs sociaux, les acquis de plus en plus importants extérieurs à l’école restent hors de ses murs. La compréhension du monde, du milieu, de l’environnement, l’histoire et la géographie des savoirs, le sens des apprentissages scolaires restent maintenus dans l’ombre.
L’exemple de l’architecture cité par Michel Serres est lumineux. Si l’on continue à construire des bâtiments pour l’enseignement sur le même modèle que ceux du 19ème siècle, c’est-à-dire des classes le long de couloirs, on peut toujours les rendre plus beaux, y ajouter des classes, toujours des classes, spécialisées, et des équipements modernes, on ne permettra pas les travaux en petits groupes autonomes, les rassemblements de grands groupes pour des auditions, des rencontres avec des savants, des artistes, des porteurs de savoirs pour lesquels la classe est une unité trop petite, des lieux de réunions et d’expositions, des lieux de rencontres avec les parents, des lieux de travail pour les enseignants. » (http://www.educavox.fr/actualite/debats/article/ecole-du-futur-et-vieux-pepes#.T55StxjpqoA.twitter).

Je terminerais par le développement de l’incertitude professionnelle

Sur deux aspects : et le premier l’insertion des jeunes. Le CEREQ vient de publier sa dernière étude d’insertion des jeunes. Je vous en lis un extrait :


« Le système éducatif, secondaire et supérieur, assure toujours sa mission de préparation des jeunes au monde professionnel. Chacun le sait, les difficultés sont ailleurs. Il y a au moins deux problèmes que les décideurs publics devront un jour affronter.
Les non-diplômés, les exclus du système éducatif secondaire ou supérieur, restent durablement éloignés de l’emploi. Or, la société française offre peu d’opportunités à ces jeunes de se rattraper. Pendant de nombreuses années, la plupart vivront « la galère » des petits boulots, de la difficulté à se loger, sans parler de l’illusion de pouvoir recommencer une formation. Leur bonne volonté n’y fera rien. Le vrai drame de la société française, c’est cette incapacité à offrir une deuxième chance aux jeunes de bonne volonté qui ont connu un échec.
Depuis trente ans, nous vivons sur l’illusion d’une possible adéquation entre les offres d’emplois pour les jeunes et les diplômes délivrés. Cela aboutit à spécialiser de plus en plus les formations, bac pro ou licences professionnelles, par exemple. C’est méconnaître les trajectoires d’insertion dans l’emploi qui durent souvent plusieurs mois, voire plusieurs années. C’est ignorer les pratiques de recrutement des entreprises. C’est nier qu’il y a un manque de confiance dans le potentiel des jeunes diplômés en France.
L’insertion professionnelle est devenue un sujet essentiel des politiques publiques au niveau national, comme au niveau régional. Les acteurs ont besoin d’enquêtes régulières d’envergure, incontestables sur le fond et indépendantes. L’enquête Génération du Céreq remplit cette fonction sociale depuis près de quinze ans. » p. 4 de l’étude du CEREQ « Quand l’école est finie… » Premiers pas dans la vie active d’une génération, enquête 2010. (http://www.cereq.fr/index.php/actualites/Quand-l-ecole-est-finie-Premiers-pas-dans-la-vie-active-d-une-generation-enquete-2010)


L’autre aspect, c’est l’accélération des évolutions technologiques et des crises économiques. Elles rendent très incertaines les situations de travail. Permanence et stabilité des métiers et des emplois s’installent dans nos modes de vie. Le principe qui liait formation-diplôme-métier-emploi est fortement remis en question. Où placer la formation professionnelle ? Renforcer sa position dans la formation initiale ou l’alléger pour renforcer une formation générale de plus en plus nécessaire pour les multiples adaptations à venir. La maintenir au loin des situations de travail ou l’y intégrer comme un mode permanent du fonctionnement de l’entreprise ?

De ces différents éléments, on peut envisager au moins deux conséquences pour le champ de l’orientation :
• L’orientation « scolaire » sera de plus en plus un accompagnement permanent pédagogique.
• L’orientation des adultes sera sans doute un secteur en pleine expansion dans l’avenir.

Bernard Desclaux

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Professeur principal, la complexité du rôle

Nous avons en France, rassemblé sur une seule personne, le professeur principal, un ensemble de fonctions et de responsabilités très important. C’est l’état actuel de l’organisation de notre système. Dans certains établissements, on voit apparaître différents rôles de coordination attribués à d’autres enseignants, mais c’est encore rare.
Notre professeur principal a donc plusieurs fonctions :

  • Pédagogique. Coordination de l’action pédagogique de l’ensemble de l’équipe.
  • Animation de la classe. A la fois dans ses aspects disciplinaires et maintenant « expressif » avec notamment la gestion des heures de vie de classe.
  • Orientation. Dans de multiples directions : administratives, informatives, de conseil, de préparation de l’évaluation…
  • Educative. Coordination de l’équipe pour notamment l’éducation à l’orientation, mais également l’organisation de nouveaux champs d’intervention (éducation à la santé, éducation routière…, etc).

La complexité du rôle est donc traditionnellement expliquée par la multiplicité des tâches et des acteurs avec lesquels il est amené à agir. Voir la dernière circulaire du professeur principal qui remonte à 1993 : Rôle du professeur principal dans les collèges et les lycées. Circulaire n° 93-087 du 21 janvier 1993.
Je voudrais ici insister sur une autre source de complexité.

La complexité temporelle concernant l’orientation

Le rôle du professeur principal s’inscrit dans trois horizons temporels.


Un premier horizon est le présent immédiat. Il s’agit de stimuler l’investissement de chacun des élèves dans ses activités scolaires, mais aussi dans ses activités extra-scolaires, qui le constituent. Sans oublier ses activités de recherches d’information, de curiosité… Au fond créer, offrir des occasions de grandir, d’acquérir des connaissances, et des compétences, de nourrir des envies, des motivations, des intérêts.


Un deuxième horizon est celui de l’orientation scolaire, la préparation des projets scolaires, des choix, des décisions. C’est l’horizon le plus encadré par les procédures d’orientation.


Il y a toujours un lien plus ou moins conflictuel entre ces deux horizons. Si les résultats scolaires ne sont pas en cohérences avec la nature du projet scolaire envisagé, que faire ? Modifier les comportements présents pour améliorer la réussite ? Mais il faut s’y prendre suffisamment tôt dans l’année pour espérer une modification efficace. Modifier le projet ? Proposer une décision d’orientation basée sur un pari ? Persuader l’élève, et souvent sa famille qu’il doit renoncer à ce projet.

Mais il existe un troisième horizon, celui de l’avenir, hors l’école. Jusqu’à présent nous avions un consensus qui supposait qu’il existait un lien, une relation très forte entre la réussite scolaire et l’insertion dans la vie active, entre les formations professionnelles et l’activité professionnelle. Nous savons que ce consensus qui peut-être était une illusion, est en tout cas aujourd’hui en très grande partie faux et le sera encore plus à l’avenir.


Le temps de l’insertion à la sortie de la formation est de plus en plus long, et l’observation réelle des activités professionnelles des personnes montrent qu’elles sont de plus en plus déconnectées de la formation reçues pour toute une série de raisons. Des raisons qui tiennent à la complexité extrême et à la mouvance des champs professionnels, mais aussi à l’accélération des changements technologiques.


Bien sûr, et malheureusement (?), les changements sont aussi provoqués par des ruptures d’emplois pour diverses raisons.


Et il ne faut pas oublier les comportements des personnes elles-mêmes qui mettent de plus en plus de temps à se « trouver ». La construction de soi dépasse aujourd’hui de beaucoup le temps de la scolarité, de la formation initiale (qui s’étend dans l’enseignement supérieur).


Cette construction de soi se fait dans le présent de la classe et donc dans ce premier horizon temporel, et elle se poursuivra bien au-delà.

L’éducation à l’orientation, c’est la prise en compte de ces différents temps : aider au développement de soi, gérer les parcours de formation, acquérir des comportements et des attitudes qui permettront l’orientation tout au long de la vie.

Ps : texte écrit il y a 10 pour le lancement de la formation des professeurs principaux dans l’académie de Versailles. Etait-il pertinent à l’époque ? Et l’est-il encore aujourd’hui ?

Bernard Desclaux

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Pourquoi la formation des Directeurs de CIO est nécessaire

Suite à la formation à l’ESEN que je viens de coordonner des nouveaux directeurs de CIO (DCIO), je constate de très fortes évolutions dans les activités des services d’orientation pour lesquelles les nouveaux directeurs, qui étaient jusque-là conseillers d’orientation-psychologues, ne sont pas préparés.
Je vais ici tenter d’identifier ces évolutions.

De nouvelles contraintes au métier

Les politiques nationales

Si on examine le travail contraint du DCIO, on constate qu’il se trouve engagé dans des politiques nationales avec applications territoriales. Et dans ces dispositifs territoriaux, pilotés par le préfet, il supporte de fortes responsabilités « institutionnelles ». Il y représente l’éducation nationale, il est parfois responsable vis-à-vis du préfet de la « production » du dispositif. Il engage parfois la responsabilité de son service.

Deux opérations nationales sont engagées actuellement :

  • Les plates-formes pour les décrocheurs.
  • Le service public d’orientation tout au long de la vie.

D’après ce que l’on sait, entre la moitié et le tiers de ces dispositifs territoriaux sont coordonnés par un DCIO. Pour ce qui concerne les plates-formes, les DCIO sont fortement sollicités non seulement par le préfet, mais également par la hiérarchie de l’EN qui est elle-même sollicité par le préfet.

Pour ce qui concerne le SPOTLV, un tour des régions montre que l’état de signature des conventions est très variable selon les régions, les départements, les territoires. On peut faire l’hypothèse que les différentes administrations et organismes s’investissent de manières différentes dans l’opération. Et pour ce qui concerne les DCIO, selon les académies, ils sont fortement encouragés, ou au contraire dans l’attente de directives.

L’autre pression vient des partenaires qui s’engagent, encouragent, ou au contraire résistent, en participant à des jeux de pouvoir dans ou autour du dispositif.

Le DCIO se trouve ainsi à la croisé de trois champs de pouvoir, le pouvoir politique, le pouvoir administratif, et l’environnement local.

A cela il faut rajouter qu’il se trouve confronté la plupart du temps à l’inertie ou même à la résistance du personnel du CIO, qui ne voit pas l’intérêt de participer à ces dispositifs, considérant qu’ils ne sont pas concernés.

Les politiques locales

Les régions se sont engagées plus ou moins dans des politiques locales concernant l’orientation sous l’appellation AIO, accueil, information, orientation. La visée ici, est le plus souvent la coordination d’actions auprès de divers publics, impliquant divers organismes d’orientation.

Les départements s’engagent également dans le pilotage ou la coordination d’actions, le plus souvent d’information auprès des publics du collège.

Et les villes ou les agglomérations développent également des projets éducatifs locaux, impliquant également des actions concernant l’orientation.

A ce niveau, il s’agit de participer à des actions auprès de publics désignés, au côté de divers partenaires, l’organisateur étant celui qui sollicite, désigne le public et les partenaires, ainsi que la forme de l’action à mener.

Dans la plus part des cas, les DCIO ne reçoivent aucune directives de leur propre hiérarchie. Ils engagent leurs personnels selon l’intérêt qu’ils apprécient pour le public concerné, et pour l’entretien des bonnes relations avec les pouvoirs locaux.

Et l’une des grandes différences avec l’implication dans les politiques nationales, c’est qu’au niveau local, c’est le plus souvent l’ensemble des personnels qui participent à l’action, et le DCIO doit être capable d’argumenter et de convaincre son personnel.

On doit remarquer également que les secteurs géographiques du CIO ne recouvrent pas les différentes territorialités des partenaires, parfois un CIO sur deux départements, et bien sûr de nombreuses villes sur le secteur. Toutes ces actions, nécessitant des réunions de coordination, impactent très largement l’emploi du temps du DCIO et le tiennent hors de son CIO.

En interne dans l’éducation nationale

La mise en place de nouveaux « dispositifs éducatifs » (pdmf, accompagnement personnalisé, orientation active, etc), modifient la pratiques des conseillers d’orientation-psychologues (COP) vis-à-vis des élèves, mais également cela réclame le développement de nouveaux rôles, ceux de conseiller technique auprès du chef d’établissement, auprès des équipes, d’ingénierie, de formateur des personnels.

Une montée de la préoccupation concernant l’orientation des « personnes », hors du jeu des procédures, l’articulation lycée-enseignement supérieur. Il s’agit de soutenir les différents dispositifs, accompagnement personnalisé, orientation active, APB, etc.

Ajoutons que les établissements sont amenés à développer de plus en plus leur autonomie ainsi que leur responsabilité dans la nouvelle gouvernance de l’éducation nationale qui se met en place autour du pilotage par les résultats. Le chef d’établissement se doit d’être en capacité de faire un diagnostic des résultats de son établissement, mais aussi du fonctionnement qui les produisent. Les COP et les DCIO sont et seront de plus en plus sollicités pour aider ce travail d’auto-évaluation. Et les DCIO devront soutenir, préparer leur personnel à ces nouvelles pratiques.

Enfin, selon les résultats des élections présidentielles et législatives, sans doute une reconfiguration de l’architecture du système scolaire aura des conséquences sur la conception de l’orientation dans le système.

Pour les services d’orientation eux-mêmes

Nous allons sans doute sur une reconfiguration des services, et sans doute vers une concentration.

Plusieurs raisons se combinent actuellement. Rappelons qu’il existe deux statuts pour les CIO. Es CIO départementaux dépendent pour leur budget du Conseil général, les services d’orientation ayant été créés pour la plus part par les départements. En 1970 dans la loi portant création des CIO, il était prévu qu’à l’horizon de 1975 l’ensemble des CIO seraient étatisés. Aujourd’hui seulement la moitié l’est. Beaucoup de Conseils généraux ayant de plus en plus de difficultés financières veulent se désengager du financement des CIO.

Le SPOTLV posera sans doute des questions sur le maillage des services dans les territoires.

Et du côté de l’éducation nationale il est possible que les bassins jouent un rôle de plus en plus affirmés, et le CIO avec. Ce qui est parfois compliqué lors qu’existent plusieurs CIO sur un même bassin.

Enfin, la taille actuelle d’un CIO peut varier de 1 COP et 20 COP.

Tout ceci fait qu’il y aura sans doute de plus en plus de regroupements, des fusions de CIO, avec parfois une responsabilité de plusieurs structures pour un même directeur (ce cas de figure existe déjà).

Une formation est nécessaire

Tout ceci à des effets très profond sur la conception du fonctionnement du CIO et sur les pratiques professionnels des CIO. Non seulement le DCIO devient un « manageur » d’équipe, et un acteur important dans l’interface éducation nationale et autres partenaires, mais il doit également accompagner ces changements de pratiques des différents acteurs et en particulier les COP.

Or les nouveaux directeurs de CIO sont d’anciens COP. Même si pour beaucoup il y a une prise de conscience de la nécessité de ces évolutions-changements, il y a un deuil à faire du modèle d’origine, et ce temps de formation est nécessaire pour soutenir de processus.

Dans ces périodes de changements profonds, de reconfigurations, il est important d’accompagner, de soutenir les acteurs engagés dans ce processus, et de leur donner un espace-temps pour réfléchir, se ressourcer, s’outiller pour cette nouvelle posture, et en comprendre les enjeux.

Chaque année il y a une soixantaine de nouveaux directeurs de nommés. Les petites académies peuvent avoir de temps en temps un nouveau directeur. Il est impossible pour les académies d’assurer à elles seules une formation pour des groupes aussi restreints. Cette formation se doit d’être nationale.

Bernard Desclaux

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Conseiller d’orientation : de l’action individuelle à l’action collective

Nous poursuivons notre réflexion sur l’évolution du métier de conseiller d’orientation entamé dans un précédent billet. Nous aborderons des questions sur l’histoire de l’organisation du travail dans les centres, la conception de l’orientation et des tâches du DCIO et des conseillers.

Période Orientation professionnelle

L’orientation devient une affaire d’état, une affaire politique au début du XXème siècle. Le thème, en France, c’est celui de l’apprentissage. Il s’agit à la fois de développer la formation professionnelle, et pour cela de remettre en vigueur l’apprentissage, de contrôler l’apprentissage, les employeurs, les organismes de formation, et d’autre part de s’assurer de l’adéquation entre les capacités de l’apprenti et les nécessités de la formation afin notamment d’éviter les accidents du travail.


Cette période s’étend de la création des premiers offices et bureaux de l’orientation, jusqu’à la réforme de 1959, approximativement.


On est alors sur un principe de l’orientation des personnes. L’état a attribué à un expert, le conseiller d’orientation professionnel la capacité à synthétiser les informations sur la personne afin de lui délivrer un « avis ». L’armature légale de l’avis repose sur la loi de 1938, la première loi sur l’apprentissage datant de 1919 (Loi Astier).


Le contexte du scientisme de l’époque fait que cet avis est préconisateur. Même si l’état s’en défend, l’idéologie pratique est celle de l’action sur autrui. L’orientation est d’abord orientation de l’autre.


Au tout début : il n’y a qu’un professionnel sur un territoire. Il décide de ses interventions. Au fur et à mesure du développement de l’OP, Il y a une organisation, un directeur et des conseillers et aides-conseillers. Le directeur organise le travail des conseillers et leur donne leur emploi du temps de la semaine : aller dans telle école et faire passer les tests aux élèves. Le conseiller n’a pas la maîtrise de ses activités. C’est globalement un exécutant.


L’expertise en matière d’information repose sur une élaboration personnelle de celle-ci. Mais l’armature de l’action collective est assurée par le testing. Autrement dit le pouvoir sur l’autre n’est pas personnel, il s’impose aux acteurs par la croyance en la science et l’utilisation d’outils avec une méthodologie d’utilisation très encadrante (conditions de passation).


Le temps de travail du conseiller est « univoque ». Il est consacré à l’orientation vers l’apprentissage.
Le directeur est un chef. Il commande. Les quelques témoignages que nous avons (GREO) montre des centres isolés avec un directeur appliquant sa « politique », sa « conception ». Il recrute ses personnels. C’est une « forte personnalité » qui impose sa conception de l’orientation. Il a un rôle très important socialement, et c’est un notable sur le territoire.

Scolarisation de l’orientation

Au retour de la seconde guerre mondiale, le thème de la poursuite de la scolarité intéresse les conseillers. Puis en 1959 avec la réforme Berthoin, l’orientation devient scolaire et professionnelle. Il s’agit d’unifier le système après le primaire.


Avec la mise en place des procédures des procédures d’orientation, on a d’une part la poursuite de la conception antérieure : l’orientation d’autrui (les décisions, les jugements, le testing…), mais en même temps on a l’idée d’un choix d’orientation par le sujet lui-même qui se développe. L’état ne peut lui-même exercer ce pouvoir, il le délègue d’une certaine manière aux acteurs du terrain, sous des formes diverses et qui vont se stabiliser petit à petit. Sur le plan des procédures elles-mêmes, le conseiller va participer (par le testing notamment) à l’élaboration de la décision, et il interviendra sur l’après, notamment pour ceux qui ne poursuivent pas dans l’enseignement secondaire général. Il facilitera la recherche de la place de formation, affaire des familles jusqu’à l’apparition de la responsabilité de l’IA dans l’affectation des élèves. S’ouvre alors le combat entre chef d’établissement et IA.


Pour le conseiller, il y a perte du pouvoir. Il résolvait une difficulté pour les familles. Il n’oriente plus, et il ne place plus (au sein du système scolaire).


Dans cette période, l’objectif du choix d’orientation, c’est la circulation dans le système scolaire. Et les procédures supposent que la personne soit capable de formuler un choix. Deux actions sont nécessaires : l’information et le conseil.


Sur le plan organisationnel, il faut attendre les suites de 1968, pour que deux innovations organisationnelles se mettent en placent et se généralisent : la réunion de centre et le travail en secteur.
La fabrication de l’information est organisée, l’ONISEP sera créée en 1970. Le conseiller devient distributeur, présentateur, “traducteur”.


Le conseiller organise son travail autour de trois pôles :

  • L’information collective, l’intervention en classe…
  • La réponse à la demande individuelle, le conseil.
  • La participation au processus décisionnel en matière d’orientation

Avec cette évolution, et le développement des services, le travail en responsabilité, par secteur s’impose. Mais ce sont les services d’orientation (SAIO) qui définissent le contenu des tâches. Il y a une armature bureaucratique qui perdure longtemps, au travers des dossiers individuels des élèves. La documentation centrale créée dans les années 50 va évoluer… La documentation individuelle des conseillers va disparaître au profit de la documentation centrale d’abord, puis de l’auto-documentation.


On a une organisation en silo. Chaque CIO est isolé, et chaque conseiller est responsable dans son secteur. D’où le développement d’un travail conçu sur le mode individuel. Pas d’équipe d’activités si ce n’est parfois pour le montage de carrefour, forum…


La notion de projet personnel
qui se trouve confirmer par la loi de 1989, est l’extension de la notion de choix du début de cette période. Mais elle se trouve contrainte par le fonctionnement des procédures d’orientation. Cette centration sur le personnel trouve son écho dans la pratique des conseillers, l’entretien individuel est conçu comme le cœur du métier.


Une politique de l’orientation scolaire s’élabore dans cette période. Le directeur, tout comme le chef d’établissement, reçoit des circulaires. Il doit les faire appliquer. Mais comme pour le chef d’établissement, les personnels sont isolés dans leurs classes, leur secteur. La réunion de centre est le moment du passage, de l’explication, de la compréhension des consignes.


Alors que l’on peut penser qu’il y avait unité de pensée entre directeurs et conseiller dans la période précédente, on observe une distanciation entre les deux acteurs. Le conseiller se centre sur les personnes (élève, famille) et son territoire (ses établissements), le directeur se trouve porteur de la politique « sociale » du ministère et de l’Etat, du rectorat, de l’IA.

L’éducation à l’orientation

A partir des années 80, l’aide à l’orientation, puis l’éducation à l’orientation sont considérées comme des missions de l’établissement scolaire (voir sur ce blog ce texte et celui-ci . L’idée que l’orientation est celle qui porte sur la période scolaire se poursuit, mais une autre idée apparaît : il s’agit de préparer le futur non pas seulement par le bon choix de la formation professionnelle, mais par la capacité à faire de « bons choix » : savoir se piloter.


Le conseiller devient un acteur parmi beaucoup d’autres… L’idée d’expertise exclusive, protégée, disparait. La notion de « partagé » se développe, se généralise. Tout devient partageable entre les acteurs, et cela est vécu comme une dévalorisation, il y a une perte de la spécificité de sa profession.


Mais en même temps on dira qu’il y a un déplacement de l’expertise, qui passe du « quoi faire » au « comment faire ». La fonction de conseiller technique devient nécessaire. Il se trouve à la fois acteur et en surplomb.


L’autre tendance, c’est le développement d’actions collectives organisées et réclamées par l’administration, par exemple le pdmf, l’aide personnalisée, l’orientation active, les plates-formes des décrocheurs, etc. Le centrage n’est plus alors sur l’établissement, comme dans la période précédente, mais sur l’opération à mener. Cette opération suppose une organisation, une collaboration entre les acteurs…


On n’est plus sur l’activité professionnelle individuelle, mais sur l’élaboration de dispositifs d’actions collectives. Les acteurs ressentent cela comme une imposition de leur action, alors que certains d’entre eux réalisaient spontanément ces actions, avant.


Cette troisième période qui s’est engagée depuis quelques années cherche à répondre à une question : comment participer à une activité collective éducative auprès des personnes ?


Le rôle du directeur dans cette période sera sans doute de créer les conditions d’actions communes permettant aux acteurs de sortir de la logique de silo dans laquelle ils évoluent depuis très longtemps.

Mais il ne faut pas oublier que l’évolution sociale n’est jamais franche : les trois conceptions perdurent et produisent toujours plus de demandes (contradictoires d’ailleurs). Il y a là un double effet sur les acteurs : un épuisement de ceux-ci et un sentiment de perte de liberté, de possibilité d’investissement personnel dans le travail, par les actions collectives imposées.

Bernard Desclaux