Je reviens d’une tournée en Californie, durant laquelle j’ai rencontré des mécènes de l’Ecole Centrale Paris, mais également des équipes de Stanford et de Berkeley, et des structures d’accompagnement à la création d’entreprises.
Ma tête est pleine de souvenirs, mais j’aimerais aujourd’hui m’arrêter sur un rendez vous avec un interlocuteur de Berkeley, en charge de ce qu’en France nous appellerions la valorisation.
Mon interlocuteur, (un vrai virtuose de Powerpoint, à l’Américaine), m’a fait une présentation très complète de la manière dont Berkeley s’assure que les résultats de la recherche irriguent l’activité économique et sont transférés vers les entreprises.
J’ai été frappé par le caractère complet et structuré de la démarche ; nous connaissons également l’ensemble de ces dispositifs en France, mais à une échelle généralement plus petite, plus fragmentée. Le dispositif de Berkeley se développe sur plusieurs fronts :
– la recherche contractuelle, faite avec des entreprises ; aux US elle n’a pas forcément la préférence des chercheurs, car ils lui préfèrent les appels d’offres, notamment ceux des grandes agences fédérales, qui leur laissent plus de liberté dans les thématiques de recherche, et dans la gestion de la propriété intellectuelle.
– La création d’entreprises, qui est bien sûr l’un des points forts des universités californiennes. Comme en France on y trouve une grande variété de situations, depuis l’entreprise portée par des étudiants, très entrepreneuriale et peu connectée aux laboratoires ; jusqu’à la start-up créée par un chercheur, sur la base d’un brevet qu’il a déposé.
Ce qui frappe là bas, c’est la masse des start-ups créées, et la proportion d’étudiants dans chaque promotion de Masters qui se lancent dans la création d’entreprise.
– La vente de propriété intellectuelle : cette activité repose sur une stratégie de dépôt de brevets, afin de constituer des familles cohérentes et attractives pour des industriels ; et sur la maturation de ces brevets, afin de les protéger juridiquement, connaître leur potentiel marketing, et passer d’un brevet à une technologie commercialisable.
C’est ce 3ème volet de la valorisation qui m’a le plus interpelé. C’est probablement celui qui, selon mon expérience, est le plus difficile pour nos établissements. Même aux US : si certaines universités américaines affirment se financer massivement par ce biais, cette activité semble rester à un niveau modeste à Berkeley : une équipe de 5 personnes pour vendre la PI (Propriété Intellectuelle), et moins de 1% des revenus de la School of Engineering.
En France (et l’Ecole Centrale Paris ne fait pas exception), la valorisation de la PI reste le maillon faible des processus de valorisation. La recherche contractuelle est souvent bien développée (Armines, Centrale Recherche SA etc …) ; la création de start ups atteint aujourd’hui la maturité (10% d’une promotion de Centraliens par exemple) ; mais la valorisation de la PI continue à se heurter à des difficultés nombreuses :
– le coût d’une politique brevets : être attractif pour un industriel, c’est souvent couvrir un champ thématique complet ; c’est une condition de solidité de la PI (les brevets se soutenant les uns les autres). Voyez par exemple les portefeuilles brevets d’entreprises comme Technicolor, ou Orange : leur force réside dans leur nombre, leur cohérence et l’étendue du champ qu’ils couvrent. Cela signifie des dépôts nombreux, soutenus dans le temps, dans de nombreux pays. Cela peut être très coûteux.
– le pay back très aléatoire et souvent très différé : le temps de constitution de familles de brevets, ainsi que la longueur du processus de maturation (invention / constitution de familles de brevets / maturation / négociation et vente / lancement et succès commercial du produit) amène à des pay back très longs, qui peuvent souvent dépasser 10 ans. Le grand nombre des étapes, qui sont autant d’obstacles, rend l’ensemble du processus très aléatoire : peu d’inventions arrivent au bout.
– la diversité des compétences nécessaires pour la maturation : maturation marketing, technologique, juridique ; identification des partenaires, négociation et vente. La valorisation de la PI est nécessairement un travail d’équipe, qui engage des profils variés (et souvent assez coûteux).
– enfin, la grande difficulté à identifier, au cœur même des laboratoires, les idées pouvant donner lieu à invention, brevet, innovation et finalement valorisation. La majorité de nos collègues se consacrent principalement à la publication ; tout le système d’évaluation et de reconnaissance etant basé sur ce principe. La valorisation par les brevets est parfois encouragée (au CNRS notamment), mais globalement, dans le monde universitaire, les chercheurs ont besoin d’être accompagnés pour traduire leurs travaux en idées de brevets ; ce travail de « détection d’invention » est un métier à part entière, qui suppose une intimité étroite avec les laboratoires.
Ma conviction est qu’une vraie politique de PI, en France comme ailleurs, suppose des structures importantes, bien financées, capables d’une vision long terme, et disposant d’équipes complètes. Une telle politique est rarement accessible à l’échelle d’un établissement ou d’une université, à l’exception probablement des grands organismes tels que le CEA, le CNRS ou l’INRIA.
L’Ecole Centrale Paris recourt aux services de l’équipe Valo du RTRA Digitéo, qui réalise un travail intéressant.
Le concept de SATT (Société d’Accélération du Transfert de Technologie), porté dans le cadre des Investissements d’Avenir, va également dans le bon sens : créer des structures de grande taille, bien capitalisées, et gérées dans une perspective à la fois « recherche » et « business ». Ces SATT doivent néanmoins définir leurs relations avec la multiplicité des structures qui existent aujourd’hui, afin de préciser leur valeur ajoutée dans le paysage français.
Pour l’Ecole Centrale, la mise en place d’une démarche de valorisation de la PI est l’un des enjeux de la création de la future Université de Paris Saclay ; la valorisation est l’un des champs dans lesquels la valeur ajoutée de la future université est la plus évidente.