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Gilles Gleyze

La valorisation : nouvelle frontière pour l’Enseignement Supérieur ?

Je reviens d’une tournée en Californie, durant laquelle j’ai rencontré des mécènes de l’Ecole Centrale Paris, mais également des équipes de Stanford et de Berkeley, et des structures d’accompagnement à la création d’entreprises.

Ma tête est pleine de souvenirs, mais j’aimerais aujourd’hui m’arrêter sur un rendez vous avec un interlocuteur de Berkeley, en charge de ce qu’en France nous appellerions la valorisation.

Mon interlocuteur, (un vrai virtuose de Powerpoint, à l’Américaine), m’a fait une présentation très complète de la manière dont Berkeley s’assure que les résultats de la recherche irriguent l’activité économique et sont transférés vers les entreprises.

J’ai été frappé par le caractère complet et structuré de la démarche ; nous connaissons également l’ensemble de ces dispositifs en France, mais à une échelle généralement plus petite, plus fragmentée. Le dispositif de Berkeley se développe sur plusieurs fronts :

la recherche contractuelle, faite avec des entreprises ; aux US elle n’a pas forcément la préférence des chercheurs, car ils lui préfèrent les appels d’offres, notamment ceux des grandes agences fédérales, qui leur laissent plus de liberté dans les thématiques de recherche, et dans la gestion de la propriété intellectuelle.

La création d’entreprises, qui est bien sûr l’un des points forts des universités californiennes. Comme en France on y trouve une grande variété de situations, depuis l’entreprise portée par des étudiants, très entrepreneuriale et peu connectée aux laboratoires ; jusqu’à la start-up créée par un chercheur, sur la base d’un brevet qu’il a déposé.
Ce qui frappe là bas, c’est la masse des start-ups créées, et la proportion d’étudiants dans chaque promotion de Masters qui se lancent dans la création d’entreprise.

La vente de propriété intellectuelle : cette activité repose sur une stratégie de dépôt de brevets, afin de constituer des familles cohérentes et attractives pour des industriels ; et sur la maturation de ces brevets, afin de les protéger juridiquement, connaître leur potentiel marketing, et passer d’un brevet à une technologie commercialisable.

C’est ce 3ème volet de la valorisation qui m’a le plus interpelé. C’est probablement celui qui, selon mon expérience, est le plus difficile pour nos établissements.  Même aux US : si certaines universités américaines affirment se financer massivement par ce biais, cette activité semble rester à un niveau modeste à Berkeley : une équipe de 5 personnes pour vendre la PI (Propriété Intellectuelle), et moins de 1% des revenus de la School of Engineering.

En France (et l’Ecole Centrale Paris ne fait pas exception), la valorisation de la PI reste le maillon faible des processus de valorisation. La recherche contractuelle est souvent bien développée (Armines, Centrale Recherche SA etc …) ; la création de start ups atteint aujourd’hui la maturité (10% d’une promotion de Centraliens par exemple) ; mais la valorisation de la PI continue à se heurter à des difficultés nombreuses :

le coût d’une politique brevets : être attractif pour un industriel, c’est souvent couvrir un champ thématique complet ; c’est une condition de solidité de la PI (les brevets se soutenant les uns les autres). Voyez par exemple les portefeuilles brevets d’entreprises comme Technicolor, ou Orange : leur force réside dans leur nombre, leur cohérence et l’étendue du champ qu’ils couvrent. Cela signifie des dépôts nombreux, soutenus dans le temps, dans de nombreux pays. Cela peut être très coûteux.

le pay back très aléatoire et souvent très différé : le temps de constitution de familles de brevets, ainsi que la longueur du processus de maturation (invention / constitution de familles de brevets / maturation / négociation et vente / lancement et succès commercial du produit) amène à des pay back très longs, qui peuvent souvent dépasser 10 ans. Le grand nombre des étapes, qui sont autant d’obstacles, rend l’ensemble du processus très aléatoire : peu d’inventions arrivent au bout.

la diversité des compétences nécessaires pour la maturation : maturation marketing, technologique, juridique ; identification des partenaires, négociation et vente. La valorisation de la PI est nécessairement un travail d’équipe, qui engage des profils variés (et souvent assez coûteux).

enfin, la grande difficulté à identifier, au cœur même des laboratoires, les idées pouvant donner lieu à invention, brevet, innovation et finalement valorisation. La majorité de nos collègues se consacrent principalement à la publication ; tout le système d’évaluation et de reconnaissance etant basé sur ce principe. La valorisation par les brevets est parfois encouragée (au CNRS notamment), mais globalement, dans le monde universitaire, les chercheurs ont besoin d’être accompagnés pour traduire leurs travaux en idées de brevets ; ce travail de « détection d’invention » est un métier à part entière, qui suppose une intimité étroite avec les laboratoires.

Ma conviction est qu’une vraie politique de PI, en France comme ailleurs, suppose des structures importantes, bien financées, capables d’une vision long terme, et disposant d’équipes complètes. Une telle politique est rarement accessible à l’échelle d’un établissement ou d’une université, à l’exception probablement des grands organismes tels que le CEA, le CNRS ou l’INRIA.
L’Ecole Centrale Paris recourt aux services de l’équipe Valo du RTRA Digitéo, qui réalise un travail intéressant.

Le concept de SATT (Société d’Accélération du Transfert de Technologie), porté dans le cadre des Investissements d’Avenir, va également dans le bon sens : créer des structures de grande taille, bien capitalisées, et gérées dans une perspective à la fois « recherche » et « business ». Ces SATT doivent néanmoins définir leurs relations avec la multiplicité des structures qui existent aujourd’hui, afin de préciser leur valeur ajoutée dans le paysage français.

Pour l’Ecole Centrale, la mise en place d’une démarche de valorisation de la PI est l’un des enjeux de la création de la future Université de Paris Saclay ; la valorisation est l’un des champs dans lesquels la valeur ajoutée de la future université est la plus évidente.

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Gilles Gleyze

Grandes Ecoles et réseau d’Alumni : vers une refondation ?

Je vais parler aujourd’hui d’un sujet sensible, parfois conflictuel, et en pleine évolution : celui des relations entre les Ecoles et leurs Anciens Elèves, qu’on désigne de plus en plus sous le terme américain d’Alumni.

Sujet sensible car il porte sur des relations de nature « familiale », avec la part d’affect qui caractérise souvent les relations de famille.

Et évolutif, car les relations entre ces 2 univers sont en pleine transformation aujourd’hui.

Historiquement en France, les alumni des grandes écoles sont très organisés.

Ils ont créé des structures juridiques spécifiques, généralement anciennes ; celles-ci disposent souvent de revenus propres, et parfois d’un patrimoine qui leur assure indépendance financière, et capacité à financer des salariés permanents.

Elle tiennent à jour un annuaire des Anciens, qui est un outil clef de gestion du réseau.

Leurs activités sont larges, et diverses : gestion de carrière, entraide professionnelle, animation de groupements géographiques à l’étranger, activités culturelles, networking sectoriel, activités de relations publiques visant à assurer la visibilité globale de la communauté …

Souvent, ces associations entretiennent une relation complexe avec leur Ecole : en termes d’image, elles utilisent la marque de l’Ecole, et très souvent son logo. Aux yeux du public elles sont une composante de l’Ecole, et leurs initiatives engagent l’Ecole.

Toutefois, en pratique, elles sont très autonomes par rapport à l’Ecole ; non seulement sur le plan financier pour les raisons financières évoquées plus haut, mais parce que l’objet social de l’Association des Alumni ne se confond pas avec celui de l’Ecole :

L’objet social de l’Ecole est principalement de former des jeunes, et de produire de la recherche ; l’Ecole n’est souvent impliquée que marginalement dans la carrière de ses Anciens, et principalement sur le premier job.

L’Association des Alumni a par contre pour objectif premier de promouvoir ses membres, leur carrière, et de contribuer à leur réussite et à leur visibilité. Il se trouve que le point commun entre ces membres est d’avoir le même diplôme, mais la finalité est principalement de tisser un réseau au sein d’une communauté de professionnels, et de favoriser la réussite.

Bien sûr il y a des liens entre les deux objets sociaux : la visibilité d’une Ecole et la valeur de son diplôme sont directement liés à la réussite de ses Alumni des Anciens est indissociable.

Et c’est parce que Ecoles et Associations d’Alumni sont indéfectiblement liées par l’impératif de défendre une marque commune, alors même que leurs objets sociaux sont différents, que les relations entre elles sont parfois complexes. Les préjugés et projections sont nombreux : peur des Ecoles d’être mises sous tutelle par leurs Anciens ; sentiment des Anciens qu’ils sont les garants d’une sorte de continuité de l’Ecole, du maintien de sa qualité dans le temps ; sentiment ressenti par l’Ecole que la spécificité des métiers académique n’est pas comprise par des Anciens qui sont le plus souvent issus du monde de l’entreprise ; conviction des Anciens que leur expérience de l’entreprise (du monde « réel » selon certains) doit aider l’Ecole à s’orienter et à orienter ses élèves ….

La place des Alumni dans la gouvernance des Ecoles est très variable selon les Ecoles : majoritaires au Conseil d’Administration dans certains cas (l’Ecole étant alors perçue comme une émanation de l’Association des Anciens) ; ou simplement représentés par un siège au Conseil. Le dosage entre Anciens et professionnels issus d’autres horizons, dans les Conseils d’Administration des Ecoles mais aussi leurs Comités de Direction, est un exercice subtil qui est propre à chaque établissement, et donne lieu à des arbitrages subtils …

La coexistence a longtemps été assurée par une sorte de « Yalta » tacite, qui se vérifie dans de nombreuses écoles : l’Ecole s’occupe des étudiants jusqu’à leur diplômation, ou à la rigueur jusqu’à leur premier job ; ensuite le suivi du diplômé relève de l’Association, et l’Ecole n’a plus de rôle actif à jouer dans la carrière de ses diplômés. Ce partage facilite la coexistence pacifique.

Mais le monde change … très vite !

Ces dernières années, les Associations d’Alumni ont été fragilisées par la fin de la déductibilité fiscale des cotisations ; le législateur a en effet considéré que des associations limitées à une catégorie restreinte d’adhérents ne répondaient pas aux critères requis pour la reconnaissance d’utilité publique. Beaucoup d’Associations ont vu leurs cotisations diminuer, et leur assise financière se fragiliser.

Dans le même temps, les Ecoles ont commencé à s’intéresser aux Alumni, bien au-delà du premier job. L’évolution de l’Ecole Centrale Paris est à ce titre intéressante. Le changement est venu d’abord de la mise en place d’une démarche de Fund Raising ; pour financer ses projets stratégiques, l’Ecole Centrale, comme d’autres écoles, s’est tournée vers ses Anciens, et s’est dotée d’une équipe consacrée au Mécénat. Cette démarche passe au préalable par une étape de « Friend Raising », qui vise à renouer le contact avec les Alumni, de tous âges ; les plus âgés étant souvent les donateurs les plus importants, la frontière du Yalta que je décrivais plus haut s’est trouvée allègrement franchie !

Cette étape a permis à l’Ecole de tisser des liens avec des milliers d’alumni qui lui étaient jusque là inconnus ; et c’est là que l’Ecole a progressivement pris conscience de l’importance de ce réseau d’anciens, qui peuvent l’aider dans de multiples situations : conseil et lobbying pour soutenir ses projets stratégiques ; orientation pour ses formations, afin de préparer les élèves aux métiers de demain ; conseil aux étudiants, dans une démarche de Career Center ; accès aux grands groupes internationaux, dans des pays aussi lointains que la Chine ou le Brésil …

Bref, la relation Alumni est vite apparue comme une ressource clef pour les Ecoles (un «asset » stratégique, en termes business). Et les Ecoles comprennent que la gestion de ce réseau est fondamentale pour leuravenir ; qu’elles doitven  entretenir un lien direct avec ses Alumni, les connaître et cultiver la relation avec eux.

Ces changements, marqués par des initiatives de plus en plus nombreuses des Ecoles dans un champ traditionnellement réservé aux Associations d’Alumni, sont potentiellement déstabilisantes pour ces Associations ; notamment à un moment où elles sont fragilisées par une baisse de leurs recettes. Parfois même le succès du fund raising de l’Ecole est perçu comme une des causes de la baisse des cotisations à l’Association des Anciens !

Quelles sont les pistes pour l’avenir ? Certaines écoles regardent vers le schéma américain, dans lequel fréquemment les associations d’alumni n’ont pas de ressources propres, mais sont portées par le service Alumni de l’Université. L’adhésion à l’Association est dans ce cas gratuite ou presque (une adhésion à vie pour quelques dizaines de dollars), et les moyens de l’Association sont apportés par l’Université. C’est la voie qu’a choisi l’INSEAD par exemple.

D’autres voies sont possibles, plus respectueuses de l’héritage français, qui repose sur des associations d’alumni fortes et autonomes. Elles passent par une compréhension mutuelle des objectifs de chacune des parties ; la reconnaissance que les objectifs des Associations et ceux des Ecoles sont différents ; et l’identification de champs de coopération : suivi des carrières ; conseil aux étudiants ; financement des projets stratégiques de l’Ecole ; défense de la Marque ; valorisation des réussites individuelles et collectives …

Ces voies reposent sur le respect mutuel, la reconnaissance des différences, et la coopération. Elles supposent parfois de sortir d’une liaison de type «familiale », trop marquée par l’affectif, et d’aller vers des relations plus contractuelles, fondées sur la convergence des intérêts propres. C’est probablement la voie d’avenir la plus réaliste …

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Gilles Gleyze

Taxe d’apprentissage : quelle place et quel avenir dans les relations entre Ecoles et Entreprises ?

La taxe d’apprentissage, et notamment sa composante dite Barême (dont l’affectation est laissée à l’initiative de l’entreprise redevable) a historiquement joué un rôle fondamental dans le financement des établissements d’enseignement, qu’ils soient secondaires ou supérieurs.

Quel animal hybride et bizarre que cette taxe ! c’est un impôt, mais son affectation est laissée au libre choix de l’entreprise. Sa gestion se complexifie au fil des ans, les règles changent chaque hiver, mais jusqu’à présent l’entreprise a gardeé la main sur l’affectation du barême.

Je voudrais dans ce billet souligner les évolutions récentes de la gestion de la taxe d’apprentissage, et surtout son rôle dans les relations entre Ecoles (et Universités) et Entreprises.

La tendance de ces dernières années me semble aller vers une plus grande professionnalisation dans la gestion de la taxe, tant du côté des Entreprises que des Etablissements ; et son articulation avec des dispositifs plus larges et plus structurés de relations Ecoles / Entreprises. De plus en plus la taxe est utilisée comme un outil stratégique de pilotage de ces relations.

Il est vrai qu’on vient de loin ; autrefois, beaucoup d’entreprises traitaient la taxe avec une relative négligence. L’affectation reposait surtout sur jeu des relations d’anciens élèves (l’entreprise versait la taxe à l’école de son dirigeant, ou dans les écoles de certains cadres influents) ; dans certains cas, quand on voulait éviter le favoritisme, on donnait le même montant à toutes les écoles, ce qui aboutissait à un saupoudrage peu efficace.

Ces dernières années, de nombreux grands groupes ont structuré leur approche académique ; en général ils identifient des établissements partenaires stratégiques, et ils concentrent sur eux l’allocation de la taxe. Conséquence : les entreprises resserrent la taxe sur un nombre restreint d’établissements partenaires.

Ce mouvement fait évidemment apparaître des gagnants et des perdants ; parmi les gagnants on va trouver : les écoles de haut de classement (pépinières des futurs dirigeants du groupe) ; les écoles positionnées sur des expertises très liées au métier de l’entreprise (souvent des écoles spécialisées) ; et enfin les écoles situées dans l’écosystème local de l’entreprise ou près de ses implantations. Les écoles « de milieu de classement » dont la relation avec l’entreprise ne repose pas sur un avantage comparatif particulier sont en revanche généralement perdantes dans cette restructuration.

Dans le même mouvement, le financement par la taxe (barême) s’inscrit de plus en plus dans un ensemble plus large d’apports et de financements par les entreprises ; pour l’entreprise, la taxe, les dons sous le régime du mécénat, le financement de chaires, le versement de quota dans le cadre des cursus d’apprentissage … contribuent tous à un même objectif : renforcer l’image employeur de l’Entreprise au sein de l’Ecole et aux yeux de ses étudiants. La taxe devient une composante parmi d’autres, dans une palette plus large d’outils au service d’une vision plus globale.

Par ricochet, la taxe se transforme en indicateur de la qualité de la relation entre l’Ecole et l’Entreprise ; à Centrale Paris, une augmentation ou une diminution de taxe n’a que peu à voir avec la manière dont le versement a été sollicité ; mais est très souvent corrélée à un renforcement ou un affaiblissement de la relation partenariale tout au long de l’année.

Cette professionnalisation du versement du côté des entreprises, amène les Ecoles à aborder la taxe de manière plus stratégique : la taxe est de plus en plus intégrée dans des dispositifs sophistiqués de partenariats, qui sont élaborés par les établissements ; PERCI à Supélec ; Programme PME à Centrale Paris ; système des partenariats d’HEC.

Avec une limite à ne pas dépasser : la taxe ne peut réglementairement pas être utilisée pour « acheter » un service ; l’établissement ne peut donc pas garantir de contrepartie au versement, ni s’engager formellement sur une quelconque « prestation ».

Enfin, la professionnalisation touche aussi la collecte elle-même ; ce mouvement est accentué par la baisse récente du barême. A Centrale Paris nous avons fait le choix d’un « call center » composé d’étudiants, qui ont envie de participer à la vie de leur Ecole. En sus de la rémunération que leur apporte ce job étudiant, ils apprennent à mieux connaître leur Ecole, et se forment à l’appel téléphonique, la négociation, la promotion ; toutes compétences qui manquent souvent chez les élèves ingénieurs.

D’autres écoles passent par des cabinets de conseil spécialisés en collecte de taxe ; ou confient le démarchage des entreprises à des Anciens bien introduits.

La collecte de la taxe passe aussi souvent par un appel à un ancien élève dans l’entreprise, les anciens restant des prescripteurs significatifs. La campagne de collecte de taxe est ainsi aussi l’occasion de resserrer le lien entre alumni et établissements ; des liens avec le fund raising sont possibles.

Nous voyons avec tous ces exemples que la traditionnelle taxe d’apprentissage s’est beaucoup transformée ces dernières années, pour devenir un outil clef de la relation écoles/ entreprises, et se professionnaliser. Cette évolution de la taxe est l’une des multiples manifestations des transformations qui affectent nos établissements.

Espérons que les menaces récurrentes qui pèsent sur le barême, et qui sont principalement liées à l’insuffisance du quota pour financer la montée en puissance des filières d’apprentissage, ne remettront pas brutalement en cause ces évolutions récentes et positives.

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Gilles Gleyze

Les nouveaux métiers de l’enseignement supérieur

Voici, en ces périodes de déprime économique, une bonne nouvelle : le secteur de l’enseignement supérieur et de la recherche académique créent des emplois. Pas forcément les emplois dont parlent les pouvoirs publics, quand ils affichent des chiffres de créations de postes ; mais des emplois nouveaux, dans des métiers émergents.

Ces nouveaux métiers accompagnent les transformations qui affectent aujourd’hui le modèle économique des établissements d’enseignement supérieur.

Le modèle traditionnel repose soit sur des subventions de l’Etat (directes ou via les salaires de fonctionnaires) – c’est le cas des universités et d’une partie importante des écoles d’ingénieurs – ; soit sur des frais de scolarité – dans le cas d’une majorité d’écoles de commerce et d’écoles sectorielles.

Aujourd’hui, l’accroissement du coût de l’enseignement et surtout de la recherche, couplé avec le tassement des financements publics, amène les établissements à développer les sources de financement alternatifs ; ceux-ci sont généralement d’origine privée (entreprises, mécènes), ou para publics sur projets (pôles de compétitivité, agences de recherche, contrats européens …).

Ces nouvelles activités génèrent l’apparition de nouveaux métiers, très liés à la recherche de financements alternatifs ; ces métiers se trouvent notamment dans les champs suivants :

La formation continue : responsables de programmes, commerciaux, responsables marketing …

Les partenariats et relations entreprises : chargés de programmes de partenariats, collecteurs de taxe d’apprentissage …

Le fund raising, le mécénat : responsables grands donateurs, responsables stewarship, prospect research …

La valorisation des résultats de la recherche, qui requiert des spécialistes de la maturation des découvertes scientifiques, du transfert …

Les métiers liées responsables des structures spécifiques liées à ces nouvelles activités : directeurs ou délégués généraux de fondations, structures de valorisation, sociétés anonymes, fonds de dotation …

Plus largement, l’immersion croissante des établissements dans un univers concurrentiel favorise l’émergence de métiers à dominante marketing, voire « commerciale » (mot tabou dans ce milieu) :

chargés de recrutement sur les différents programmes

responsables pays, de zone, afin d’assurer la présence de la marque et des services dans les pays clefs

professionnels de la communication, des relations presse (pour accompagner le poids croissant des classements, pour mettre en place des stratégies d’influence …).

Enfin, l’orientation croissante des établissements vers des publics externes, amont (les candidats) et aval (les diplômés) se traduit par la croissance récente mais très visible des métiers liés à l’animation de réseau : community managers, responsables alumni ; ces métiers prennent dans les établissements les plus structurés avoir une dimension internationale, afin d’assurer une couverture globale du réseau.

Je voudrais signaler, à partir de mon expérience à Centrale Paris, la demande très forte sur un profil particulier : la direction de projets sur financement dédié. Que ce soit l’ouverture d’un nouveau campus à l’international, une réforme pédagogique, un programme d’ouverture sociale, le montage d’un CFA… , nos établissements sont engagés dans une dynamique de changement, qui favorise le fonctionnement en mode projet. La culture projet est peu répandue dans nos établissements, notamment sous sa forme méthodologique et managériale ; nous avons en permanence besoin de bons directeurs de projet pour des périodes de quelques mois ou quelques années.

Dans le monde anglo saxon, la plupart des métiers décrits ci-dessus sont désignés par le terme « Advancement » : les métiers de l’Advancement sont ceux qui apportent les moyens matériels (financiers, en image, en capacité de réseau, en ressources humaines, en candidats) nécessaires au développement d’une recherche et d’un enseignement de haut niveau. Les professions de l’Advancement sont regroupés par l’Association CASE (Council for Advancement and Support of Education) en 4 catégories : Marketing ; Fund Raising ; Communication ; Alumni Relations.

La France n’en est qu’au début de l’essor de ces métiers ; dans les universités américaines les plus prestigieuses, la seule fonction Fund Raising peut employer plusieurs centaines de personnes, là où les plus grosses équipes en France tournent autour de 5 à 10 personnes.

D’où viennent ces nouveaux professionnels ? De quels horizons ? Beaucoup sont issus au départ de la filière enseignement/recherche, naturellement. Mais les établissements se rendent compte rapidement qu’il est indispensable d’aller chercher des compétences externes, qui se trouvent rarement dans les établissements.

La compétence projet décrite plus haut est un bon exemple. Mais manquent aussi les compétences marketing et commerciales, ainsi que de communication : toutes compétences tournées vers l’externe, le service au client et la valorisation financière des compétences. A Centrale Paris, le service de formation continue a amorcé son décollage lorsqu’il s’est doté d’une direction de profil très business, capable d’apporter une dynamique de croissance à une activité jusqu’alors à dominante très « enseignement ».

Comme tout secteur nouveau, les nouveaux métiers de l’ESR attirent des profils venus de tous secteurs ; de la formation continue privée, du management général en entreprise, des agences de communication, des ONG (pour le fund raising) … La conférence annuelle d’Enseignement Supérieur et Recherche organisée par l’Association Française des Fundraising donne un bon aperçu de ce melting pot des profils : de nouvelles têtes chaque année, un turn over rapide, un même enthousiasme partagé entre des gens très différents qui ont l’impression de participer à une même aventure …. Une ambiance pionnière très dynamisante.

Comment ces nouveaux venus s’insèrent ils dans nos institutions centenaires ? Leur arrivée est souvent perturbante, car les nouvelles recrues sont souvent issues de secteurs dont la culture est très éloignée de celle de l’enseignement supérieur. Elles arrivent souvent sur des statuts particuliers, parfois de droit privé (salariés des structures parallèles telles que les Fondations). Elles emploient un langage nouveau, parlent d’orientation client, de développement commercial, de positionnement marketing … Elles sont parfois payées sur des grilles différentes de celles de l’enseignement, attendent des évolutions de carrière plus rapides, démissionnent parfois …

La cohabitation au sein des établissements ne se fait pas sans frottements. Mais elle suscite aussi une lente transformation des métiers plus classiques ; au contact des nouvelles activités de développement, d’autres métiers évoluent. Par exemple, les chercheurs qui travaillent sur des chaires financées par des entreprises s’habituent à travailler en partenariat serré avec une entreprise ; les services financiers et comptables évoluent vers une comptabilité analytique par projet ; les structures d’enseignement sont amenées à adopter une attitude « orientées client » à l’égard des étudiants …

L’ensemble de ces transformations ne fait pas une révolution … mais contribue à une évolution d’ensemble des institutions d’enseignement supérieur et de recherche ; les nouveaux venus des métiers de l’Advancement y contribuent à leur manière.

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Gilles Gleyze

Grandes Ecoles et PME : que faire ?

Dans le billet précédent, j’ai pu laisser une tonalité un peu négative, sur les perspectives de rapprochement entre PME (terme pris au sens large), et les étudiants de Grandes Ecoles.

Et pourtant, au vu des quelques expériences que j’ai pu mener à l’Ecole Centrale, certains points m’incitent à l’optimisme.

Depuis quelques années, les jeunes évoluent dans leur représentation de l’entreprise. Les générations qui arrivent dans nos établissements ont hérité de leurs parents une certaine dose de méfiance par rapport à des grands groupes perçus parfois comme peu humains ; qui manqueraient de sens et seraient pilotés uniquement par l’impératif du profit.

A contrario, on voit chez ces jeunes émerger une image nouvelle de la PME, vue comme un univers de plus grande proximité, moins « processé », accordant plus de place aux relations humaines ; le management de la PME est alors perçu comme plus proche, laissant la place à l’individu et aux liens affectifs.

La proximité est aussi celle du produit, et celle du client : le sens du travail dans une PME est visible et accessible, car on sait quel produit on fabrique, et pour qui on le fabrique. Le travail est plus global, moins découpé en spécialités ; l’information circule mieux. Tout le monde sait pourquoi il est là …

Certes, nous sommes là dans le registre des représentations ; il y a autant de réalités que de PME. Mais le succès du Forum PME que nous avons organisé à Centrale Paris en 2012, et qui a attiré une part significative des étudiants de l’Ecole, nous a alertés ; il y a 10 nous n’aurions pas rencontré un tel échos chez les étudiants

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L’apparition du concept d’ETI a également eu un impact très favorable sur la perception que les jeunes ont de ce qu’on appelait jusque là les PME, mais qui incluait en fait l’ensemble des entreprises à l’exception des grandes multinationales. ETI signifie entreprise d’une taille significative, comptant parfois plusieurs milliers de salariés ; et donc assez grande pour offrir des perspectives de carrière ; pour nos jeunes, c’est un élément de réassurance important en début de carrière.

Nos jeunes ont, grâce à ce débat sur les ETI, mieux cerné la diversité de ce qu’on appelait autrefois les PME. Ils ont entendu que PME et ETI constituent la majorité du tissu économique en Europe ; que certains pays fondent leur réussite principalement sur elles (l’Allemagne ou l’Italie par exemple). Ils ont lu dans la presse que l’avenir de la France repose sur le renforcement des grosses PME de croissance, seules à même de prendre le relais de grands groupes tentés par les délocalisations, et dont le nombre décroît par le biais des processus d’absorptions et de fusions. Ces PME sont fortement innovantes, et s’adressent d’emblée à des marchés internationaux. D’un coup PME et ETI sont devenues porteuses de sens, dépositaires d’une partie de notre avenir collectif.

Autre élément de transformation qui peut avoir un impact important sur les relations entre étudiants et PME : les évolutions pédagogiques. Les modalités récentes dans l’enseignement me semblent mieux favoriser qu’avant les formes partenariales entre PME et étudiants. Notamment la pédagogie par projets. A Centrale Paris, des groupes de 5 ou 6 élèves travaillent sur un sujet concret proposé par une entreprise : souvent une étude technique, le développement d’un modèle, ou une analyse technico-économique. Si le sujet est suffisamment concret et ciblé, et l’accompagnement adéquat, les jeunes peuvent produire une véritable valeur ajoutée pour l’entreprise cliente. Ce format est particulièrement adapté à des PME, qui peuvent soumettre à des groupes d’étudiants des sujets ciblés, et qui les intéressent pour leur activité. C’est un moyen privilégié pour les étudiants de se rendre compte de l’intérêt et de la richesse des métiers que peuvent leur offrir les ETI ou les PME fortement innovantes. Le format du projet, très orienté résultat, et donnant la priorité à l’intéraction humaine et au travail en équipe, est plus adapté aux PME que les outils classiques de visibilité employeur (conférences, amphis, développement de cas, visites de sites), trop consommateurs de temps ; et également que les contrats de recherche avec les laboratoires académiques, souvent trop fondamentaux pour intéresser une PME.

Autre élément aussi d’attrait des PME pour les étudiants, et qui nous est apparu de manière très frappante lors des actions que nous venons de mener à Centrale : l’ouverture sur l’international.

La plupart des cursus incluent maintenant un passage à l’étranger, obligatoire pour obtenir le diplôme ; ce passage passe souvent par un stage en entreprise.

Or les grands groupes ont souvent, à quelques exceptions près, du mal à proposer des stages hors de France à des étudiants français. Cette situation est due à des contraintes d’organisation interne, qui font qu’un responsable RH étranger, par exemple américain ou allemand, est rarement incité à prendre un stagiaire français : trop cher ; sans valeur ajoutée visible par rapport au stagiaire local ; trop compliqué à organiser ; sans compter que la culture du stage n’existe pas dans tous les pays, loin de là.

En PME en revanche, c’est beaucoup plus simple : les circuits de décision sont plus courts, le dirigeant peut organiser (ou imposer ?) lui-même le passage à l’international du stagiaire qui l’intéresse. L’organisation s’adapte, et le stage se met en place. Le contraste est frappant dans certains cas entre le grand groupe qui est contraint par ses processus internes, et la PME qui décide vite.

Enfin, je vois un dernier élément de changement qui va dans le sens d’un rapprochement entre étudiants de grandes écoles et PME : l’intérêt croissant manifesté par les Ecoles pour leur réseau d’anciens (les Alumni, dit-on maintenant). Pour de nombreuses raisons, les écoles réinvestissent aujourd’hui leur communauté d’Anciens : ceux-ci peuvent en effet donner des avis précieux pour orienter les formations, intervenir dans les cours, faciliter le placement des diplômés, s’engager dans les partenariats école-entreprise, et bien sûr, depuis peu, faire des dons à leur Ecole.

Beaucoup de ces alumni travaillent en PME, souvent en tant que dirigeants. En effet les jeunes diplômés démarrent rarement leur carrière en PME, mais beaucoup y viennent ensuite, après un passage en grand groupe. Ces alumni sont aujourd’hui beaucoup plus présents qu’auparavant sur les campus, et parlent de leur métier en PME et ETI aux étudiants. Ils peuvent alors figurer aux yeux des étudiants comme des des modèles, capables de susciter des vocations.

Tous ces éléments sont encourageants, et facteurs de changement. Bien sûr, toutes les PME n’ont pas vocation à intéresser les jeunes diplômés ; à Centrale Paris, lors du forum PME, les secteurs les plus représentés étaient la haute technologie, le conseil, le service.

De même, le choix d’un début de carrière en petite entreprise ne concerne qu’une partie des étudiants ; avant toute action visant à rapprocher PME et élèves, un bon ciblage de la population des étudiants potentiellement intéressés s’impose.

La clef du succès réside dans la mise en relation des acteurs les plus motivés de part et d’autre.

Je crois que nous ne sommes qu’au commencement d’une évolution … Je suis plutôt optimiste.

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Gilles Gleyze

Grandes Ecoles et PME : si loin les unes des autres !

Partons d’un constat, souvent décrit, et qui se vérifie sur le terrain : les jeunes issus des grandes écoles s’orientent peu vers les PME. Plus l’école est prestigieuse, moins ses diplômés s’orientent vers les PME. Le choix de la PME est souvent un choix par défaut.

Traditionnellement, les grands groupes absorbent l’essentiel des promotions des grandes écoles, notamment d’ingénieurs. Un premier job dans un grand groupe, dont la marque est reconnue, et qui offre des perspectives internationales, est presque un passage obligé pour une majorité de nos diplômés.

Cette tendance s’est trouvée renforcée ces dernières années par l’ouverture spectaculaire des débouchés pour les ingénieurs ; au-delà des grands de l’industrie qui recrutaient les jeunes ingénieurs, on a vu arriver sur les campus des groupes représentant des secteurs nouveaux : le conseil, banque dans les années 1990 ; et aujourd’hui la grande distribution, le luxe, le secteur du transport et de la logistique ; et également des métiers nouveaux, tels que la Supply Chain, les Achats, le Marketing produit, les métiers de l’Innovation …

Autant de séductions nouvelles, qui renforcent l’attrait des grands groupes sur nos jeunes.

Le phénomène s’est accentué durant les 10 dernières années, car les métiers du campus management se sont spectaculairement professionnalisés ; des équipes dédiées se sont mises en place, capables de segmenter le marché de leurs partenaires académiques, de fixer des priorités, de monter des actions d’envergure, de mobiliser les réseaux d’anciens pour assurer une présence forte sur les campus.

Les PME ne peuvent concurrencer les grands groupes sur le terrain de la Marque Employeur, faute de temps, et de ressources. Un dirigeant de PME ne peut venir 10 fois sur le campus de Centrale Paris pour parler de son entreprise ; un grand groupe aura en revanche la capacité d’assurer une telle intensité de présence. Alors comment lutter ?

Et la création d’entreprise alors ? Les start-ups ne sont elles pas des PME ?

Si, bien sûr. Depuis 10 ans, de nombreuses écoles ont mis l’accent sur la création d’entreprise : ouverture d’incubateurs, mise en place de filières d’accompagnement à la création, sensibilisation massive des jeunes.

Tout cela avec un réel succès : la création d’entreprise est désormais perçue comme une option à part entière à l’issue de l’Ecole, valorisante ; la prise de risque limite moins les créations, car en cas d’insuccès dans la création, il sera toujours temps de revenir dans un grand groupe ; l’expérience de la création apparaîtra plutôt comme un plus dans le CV ! Près de 10% des Centraliens en 3ème année se lancent dans un projet de création d’entreprise aujourd’hui.

Les jeunes vont dans les PME …. à condition que ce soit la leur !

C’est au niveau des PME établies, grosses PME ou ETI, que le bât blesse ; sauf cas particulier, le jeune diplômé ne sera pas patron en premier job, encore moins propriétaire. Il devra se contenter d’un statut de collaborateur salarié, qui lui semble beaucoup moins attractif. La valeur ajoutée par rapport à un poste similaire dans un grand groupe n’apparaît pas.

La situation est aggravée par les représentations culturelles, qui séparent jeunes diplômés et PME. Pour mieux les appréhender, Centrale Paris a mené une grande enquête en 2011 sur les perceptions comparées des PME et des jeunes.

Chez nos élèves, beaucoup de préjugés sur un démarrage de carrière en PME. En vrac :

elles offrent peu d’évolution de carrière ;

ce sont des voies de garage, dans ce sens qu’il est difficile de rejoindre un grand groupe après un passage en PME ;

l’acquisition de compétences est de moins bonne qualité, la PME étant supposée être en retard sur le plan des modes de management, voire de la technologie.

les salaires, et surtout les avantages (distributions d’actions, intéressement…) sont moins attractifs.

En face, du côté des PME interrogées, beaucoup de préjugés aussi sur nos jeunes :

ils sont trop théoriques, ne sauront pas s’adapter à un quotidien très opérationnel, où il faut « accepter de tout faire ».

ils sont trop chers, décalés sur le plan salarial

ils sont culturellement difficiles à assimiler ; voire peuvent être perçus comme arrogants par leurs collègues

et surtout ils ne resteront pas ; car la PME ne pourra pas leur proposer de plan de carrière.

Au total : nos jeunes diplômés peuvent être perçus comme des collaborateurs coûteux à former, difficilement intégrables, et qui ne resteront pas longtemps dans l’entreprise.

Et pourtant, la demande des PME en jeunes diplômés est forte ; Centrale Paris a organisé, dans la foulée de l’enquête de 2011, un ensemble de rencontres avec des dirigeants de PME, pour tester auprès d’eux des pistes favorisant le rapprochement entre ces deux mondes. Le succès a dépassé nos espérances, l’intérêt et la qualité des échanges ont été très au-delà de nos anticipations.

Nous avons également organisé un forum des PME, en mars 2012, durant lequel une vingtaine de PME ont pu rencontrer dans un cadre informel, des étudiants de Centrale Paris qui avaient au préalable manifesté leur intérêt pour ce type d’entreprise. Ce fut un beau succès, marqué notamment par une ambiance très distincte de celle des grands forums des métiers, classiques dans les grandes écoles. Les échanges ont été beaucoup plus longs, approfondis ; les élèves moins nombreux, mais motivés ; les discussions allaient très au-delà de la description simple de l’entreprise ou des stages, mais touchaient aux métiers de l’entreprise, ses technologies, ses produits.

Les entreprises avaient mandaté des dirigeants ou experts seniors sur les stands ; avaient organisé des démonstrations de leurs technologies … Bref, c’était passionnant.

Ces initiatives, aussi limitées soient-elles, nous montrent que la situation actuelle n’est pas satisfaisante. Il y a là un impératif d’action. Il en va de l’intérêt des entreprises, et aussi de plus en plus de celui de nos jeunes ; et par conséquent de l’intérêt collectif.

Mais alors comment faire ?

Ce sera l’objet d’un prochain billet …

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Gilles Gleyze

Grandes Ecoles et PME : si loin les uns des autres !

Partons d’un constat, souvent décrit, et qui se vérifie sur le terrain : les jeunes issus des grandes écoles s’orientent peu vers les PME. Plus l’école est prestigieuse, moins ses diplômés s’orientent vers les PME. Le choix de la PME est souvent un choix par défaut.

Traditionnellement, les grands groupes absorbent l’essentiel des promotions des grandes écoles, notamment d’ingénieurs. Un premier job dans un grand groupe, dont la marque est reconnue, et qui offre des perspectives internationales, est presque un passage obligé pour une majorité de nos diplômés.

Cette tendance s’est trouvée renforcée ces dernières années par l’ouverture spectaculaire des débouchés pour les ingénieurs ; au-delà des grands de l’industrie qui recrutaient les jeunes ingénieurs, on a vu arriver sur les campus des groupes représentant des secteurs nouveaux : le conseil, banque dans les années 1990 ; et aujourd’hui la grande distribution, le luxe, le secteur du transport et de la logistique ; et également des métiers nouveaux, tels que la Supply Chain, les Achats, le Marketing produit, les métiers de l’Innovation …

Autant de séductions nouvelles, qui renforcent l’attrait des grands groupes sur nos jeunes.

Le phénomène s’est accentué durant les 10 dernières années, car les métiers du campus management se sont spectaculairement professionnalisés ; des équipes dédiées se sont mises en place, capables de segmenter le marché de leurs partenaires académiques, de fixer des priorités, de monter des actions d’envergure, de mobiliser les réseaux d’anciens pour assurer une présence forte sur les campus.

Les PME ne peuvent concurrencer les grands groupes sur le terrain de la Marque Employeur, faute de temps, et de ressources. Un dirigeant de PME ne peut venir 10 fois sur le campus de Centrale Paris pour parler de son entreprise ; un grand groupe aura en revanche la capacité d’assurer une telle intensité de présence. Alors comment lutter ?

Et la création d’entreprise alors ? Les start-ups ne sont elles pas des PME ?

Si, bien sûr. Depuis 10 ans, de nombreuses écoles ont mis l’accent sur la création d’entreprise : ouverture d’incubateurs, mise en place de filières d’accompagnement à la création, sensibilisation massive des jeunes.

Tout cela avec un réel succès : la création d’entreprise est désormais perçue comme une option à part entière à l’issue de l’Ecole, valorisante ; la prise de risque limite moins les créations, car en cas d’insuccès dans la création, il sera toujours temps de revenir dans un grand groupe ; l’expérience de la création apparaîtra plutôt comme un plus dans le CV ! Près de 10% des Centraliens en 3ème année se lancent dans un projet de création d’entreprise aujourd’hui.

Les jeunes vont dans les PME …. à condition que ce soit la leur !

C’est au niveau des PME établies, grosses PME ou ETI, que le bât blesse ; sauf cas particulier, le jeune diplômé ne sera pas patron en premier job, encore moins propriétaire. Il devra se contenter d’un statut de collaborateur salarié, qui lui semble beaucoup moins attractif. La valeur ajoutée par rapport à un poste similaire dans un grand groupe n’apparaît pas.

La situation est aggravée par les représentations culturelles, qui séparent jeunes diplômés et PME. Pour mieux les appréhender, Centrale Paris a mené une grande enquête en 2011 sur les perceptions comparées des PME et des jeunes.

Chez nos élèves, beaucoup de préjugés sur un démarrage de carrière en PME. En vrac :

elles offrent peu d’évolution de carrière ;

ce sont des voies de garage, dans ce sens qu’il est difficile de rejoindre un grand groupe après un passage en PME ;

l’acquisition de compétences est de moins bonne qualité, la PME étant supposée être en retard sur le plan des modes de management, voire de la technologie.

les salaires, et surtout les avantages (distributions d’actions, intéressement…) sont moins attractifs.

En face, du côté des PME interrogées, beaucoup de préjugés aussi sur nos jeunes :

ils sont trop théoriques, ne sauront pas s’adapter à un quotidien très opérationnel, où il faut « accepter de tout faire ».

ils sont trop chers, décalés sur le plan salarial

ils sont culturellement difficiles à assimiler ; voire peuvent être perçus comme arrogants par leurs collègues

et surtout ils ne resteront pas ; car la PME ne pourra pas leur proposer de plan de carrière.

Au total : nos jeunes diplômés peuvent être perçus comme des collaborateurs coûteux à former, difficilement intégrables, et qui ne resteront pas longtemps dans l’entreprise.

Et pourtant, la demande des PME en jeunes diplômés est forte ; Centrale Paris a organisé, dans la foulée de l’enquête de 2011, un ensemble de rencontres avec des dirigeants de PME, pour tester auprès d’eux des pistes favorisant le rapprochement entre ces deux mondes. Le succès a dépassé nos espérances, l’intérêt et la qualité des échanges ont été très au-delà de nos anticipations.

Nous avons également organisé un forum des PME, en mars 2012, durant lequel une vingtaine de PME ont pu rencontrer dans un cadre informel, des étudiants de Centrale Paris qui avaient au préalable manifesté leur intérêt pour ce type d’entreprise. Ce fut un beau succès, marqué notamment par une ambiance très distincte de celle des grands forums des métiers, classiques dans les grandes écoles. Les échanges ont été beaucoup plus longs, approfondis ; les élèves moins nombreux, mais motivés ; les discussions allaient très au-delà de la description simple de l’entreprise ou des stages, mais touchaient aux métiers de l’entreprise, ses technologies, ses produits.

Les entreprises avaient mandaté des dirigeants ou experts seniors sur les stands ; avaient organisé des démonstrations de leurs technologies … Bref, c’était passionnant.

Ces initiatives, aussi limitées soient-elles, nous montrent que la situation actuelle n’est pas satisfaisante. Il y a là un impératif d’action. Il en va de l’intérêt des entreprises, et aussi de plus en plus de celui de nos jeunes ; et par conséquent de l’intérêt collectif.

Mais alors comment faire ?

Ce sera l’objet d’un prochain billet …

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Gilles Gleyze

Comment les chaires d’entreprises transforment en profondeur les relations entreprises / universités ?

Depuis 1986, date de la création de la première chaire d’entreprise à l’ESSEC, les chaires se sont multipliées dans les établissements d’enseignement supérieur.

Que sont ces chaires ? Le mot, très à la mode, recouvre des réalités différentes : simple cursus d’enseignement sponsorisé, partenariat global avec un établissement, budget alloué à une équipe de recherche, ou équipe créée de toutes pièces avec une ou plusieurs entreprises.

Dans tous les cas, il s’agit d’un engagement entreprise pluri annuel (de l’ordre de 3 à 6 ans), pour des montants significatifs (entre 1 et 3 millions d’euros par chaire à Centrale Paris), visant à soutenir le développement d’activités de recherche et/ou d’enseignement dans un domaine qui intéresse l’entreprise.

Le tout passant très souvent (mais pas toujours) sous le régime fiscal du mécénat, qui permet à l’entreprise de défiscaliser 60% de son don, mais lui interdit de négocier des contreparties de type contractuel.

Sur quelles thématiques portent les chaires ? On trouve des chaires scientifiques, qui alimentent en amont la R&D des industriels en recherches trop fondamentales pour être menées en interne (c’est le cas par exemple de la chaire Air Liquide-Centrale Paris sur l’Oxycombustion) ; des chaires sectorielles, qui font découvrir aux étudiants les spécificités d’un secteur économique (ex.: “Immobilier et Développement Durable” à l’ESSEC) ; des chaires sur des sujets sociétaux, qui permettent à l’entreprise d’afficher son engagement socialement responsable (ex.: chaire HEC-Danone-Schneider Electric sur « Entreprise et Pauvreté »)

Il y a de nombreux articles sur les chaires, et notamment sur la nature de la relation entre les entreprises et le monde académique, et la qualité de la recherche qui s’y fait. J’en parlerai probablement dans un blog ultérieur, mais ce que je vous propose aujourd’hui, c’ est de regarder en quoi les chaires contribuent à la transformation des établissements d’enseignement et de recherche : transformation dans mentalités, les comportements et les modes de fonctionnement.

Pour moi, bien plus qu’un effet de mode comme on le dit parfois, les chaires modifient en profondeur les établissements.

L’ampleur de la transformation varie bien sûr selon le type de chaire, et est maximale dans le cas d’équipes de recherche entièrement créées sur chaire ; mais je crois que l’effet de transformation existe dans tous les cas.

Il suffit d’avoir négocié le montage d’une chaire, en réunissant les académiques porteurs de la future chaire et les interlocuteurs mandatés par l’entreprise, pour voir que la la transformation se fait dès la négociation de la chaire : dès les premiers échanges, les académiques sentent la nécessité de discuter leur projet de recherche avec l’entreprise et d’intégrer ses attentes dans la définition de l’ambition scientifique. A la différence des réponses aux appels d’offre de type ANR, le programme scientifique de la chaire se co-construit en dialogue entre l’entreprise et l’université.

Après la signature, la transformation s’ancre dans la réalité quotidienne, car la chaire fait entrer dans les établissements des chercheurs d’un type nouveau ; ceux-ci sont souvent plus internationaux ; car les chaires permettent d’individualiser les rémunérations et d’attirer des chercheurs internationaux. Ils sont recrutés sur un statut privé, ce qui amène l’université ou l’école à diversifier les statuts de ses personnels. Enfin, ces chercheurs savent que leur équipe de recherche et sa pérennité reposent pour partie sur la relation avec les entreprises co-fondatrices ; ils ont naturellement une « orientation-client » (ne voyez aucune provocation dans ce mot, il n’est pas péjoratif pour moi) forte.

Pr A Chakraborti, chaire BNP Paribas Ecole Centrale Paris

de Finance Quantitative

Ces transformations ne se font pas sans mal, car la diversité accrue des statuts et des rémunérations est naturellement source de tensions, que les établissements apprennent à gérer sans forcément avoir trouvé encore un point d’équilibre satisfaisant.

En outre, les chaires sont structurellement inscrites dans une dynamique de croissance. En effet c’est en général le « deal » de départ avec l’entreprise : à Centrale Paris, nous disons clairement que le financement apporté par l’industriel est un financement d’amorçage, et que la chaire a vocation à croître par recherche de financements complémentaires (ajouts de postes par l’école, thèses CIFRE, financements ANR …). Ainsi la chaire BNP Paribas Finance Quantitative de l’Ecole Centrale Paris, financée par la banque pour 2 chercheurs, regroupait-elle au bout de 4 ans plus de 10 chercheurs.

Enfin, les chaires transforment également les modes de gestion scientifiques et administratifs des établissements.

Modes de gestion scientifique car les chercheurs apprennent avec les entreprises à co-définir les sujets de recherche, et à tenir compte de leurs attentes respectives. Mon expérience à ce sujet est que, après une période initiale de « rôdage » ou de prise de connaissance, les chercheurs académiques sont souvent attachés à la qualité de la relation qui s’établit avec leurs homologues entreprise, et tiennent à son succès. La reprise par l’entreprise des résultats de leur recherche est un élément additionnel de reconnaissance pour eux, en sus des formes classiques de reconnaissance académique.

Mais transformation aussi dans les modes de gestion administratifs ; car les chaires sont des entités de gestion à part entière, souvent portées par des structures externes telles qu’une fondation. Selon le régime fiscal en vigueur, le mécène n’a droit à rien, si ce n’est à un reporting précis et très transparent sur l’utilisation de son don. Cela oblige les établissements à pister précisément la manière dont l’argent est utilisé ; à s’interroger sur la qualité de son utilisation (une sorte de retour sur investissement) ; à présenter des comptes clairs. C’est une révolution notamment dans les établissements publics, qui sont baignés dans une culture de la « non affectation des dépenses aux recettes », héritée de la comptabilité publique ; les chaires les amènent à traiter spécifiquement des entités qui ont leurs propres recettes et dépenses, dans une logique de « business unit » qui est très nouvelle pour eux.

Je suis conscient que ce tableau ne présente que les cas des chaires qui « réussissent »  ; on compte aussi de nombreux échecs : par exemple dans le cas où l’entreprise est tentée de transformer l’équipe chaire en sous-traitant, en jouant sur la possibilité ou non du renouvellement ; et surtout dans le cas (plus fréquent selon mon expérience) où l’équipe chaire, une fois l’argent encaissé, ne donne plus signe de vie et où l’entreprise a l’impression d’avoir financé pour rien.

Cela dit, mon expérience maintenant assez longue de « promoteur de chaires » me laisse penser que la majorité d’entre elles réussissent, et qu’elles jouent un rôle important dans l’évolution de nos établissements vers une recherche et un enseignement plus en phase avec le monde économique, soucieux de la bonne utilisation de ses fonds, de la qualité de ses processus de gestion, et de la valorisation sociétale de ses résultats.

Symétriquement, je suis convaincu que les chaires contribuent à transformer en profondeur le regard que les entreprises portent sur l’enseignement supérieur ; ce pourrait être l’objet d’un autre article. Il est notamment amusant, lors d’une négociation pour créer une chaire, de voir bien des entreprises découvrir ce qu’est le mécénat (absence de contreparties, logique très différentes du contrat) ; et par ce biais s’initier aux spécificités de la recherche académique. Une chaire n’est pas un contrat ; et l’université pas un sous traitant.

En outre, par le biais des chaires, et beaucoup plus que par les traditionnels contrats de recherche, les entreprises appréhendent mieux la longue durée qui est au cœur de la recherche et de l’innovation radicale ; elles acceptent de financer des recherches moins finalisées, ou dont la finalité ne se révèle qu’en cours de projet ; et des niveaux de risque ou d’échec supérieurs, qui sont inhérents à toute recherche de fond.

La transformation s’effectue à double sens, en tâtonnant, par petites touches.

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Gilles Gleyze

Non : le mécénat n’est pas de l’optimisation fiscale !

Il est courant d’entendre dire que la France bénéficie d’un système incitatif pour le mécénat individuel et entreprises ; les différentes lois depuis une dizaine d’années permettent en effet aux entreprises et aux particuliers de déduire une part significative de leurs dons des différents impôts qu’elles payent (Impôt sur le Revenu, Impôt sur les Sociétés, Impôt de Solidarité sur la Fortune).

La plupart des grands pays avancés disposent également d’un dispositif fiscal incitant à la philanthropie ; le système français se classe parmi les systèmes incitatifs.

Ce système est parfois décrit comme trop généreux ; et il est périodiquement menacé en périodes de disette budgétaire et de chasse aux « niches fiscales ». L’épisode de l’amendement Carrez en novembre 2011, durant lequel il fut question d’inclure le mécénat dans le plafonnement des niches fiscales, est encore très présent à l’esprit dans les milieux des ONG et de l’enseignement supérieur.

Certes le régime fiscal français pour le mécénat est nettement incitatif. Mais de ce fait il est efficace. Et il est nécessaire pour provoquer un changement des mentalités.

En effet, le mécénat pour l’Enseignement Supérieur, la Recherche et la Culture reste encore très émergent en France, les réflexes philanthropiques encore peu fréquents. Les Français sont certes généreux, mais cette générosité est très axée sur le secteur caritatif, et porte sur de petits montants. Ce qui reste faible aujourd’hui, c’est la philanthropie dite « des grands donateurs », celle des mécènes qui donnent des montants importants capables de transformer en profondeur la cause ou l’institution pour laquelle ils donnent. Ce sont ces mécènes-là qui sont sensibles aux incitations fiscales. Et aujourd’hui, ils sont peu nombreux, et les montants des dons ne sont souvent pas à la hauteur des enjeux.

Néanmoins, les mentalités évoluent, lentement ; la déduction des dons de l’ISF a de ce point de vue servi de déclencheur, et a permis de « redécouvrir » la déduction de l’IRPP, pourtant plus ancienne et presque aussi incitative. La déduction de l’ISF a servi de catalyseur à l’ensemble du dispositif fiscal, suscitant l’émergence d’une nouvelle génération de mécènes.

Quelques campagnes de mécénat, d’abord dans des Grandes Ecoles, et maintenant à l’Université, montrent que le réflexe philanthropique s’installe peu à peu en France. Campagnes de levée de fonds d’HEC, de Polytechnique, de Centrale, mais aussi de l’Université Pierre et Marie Curie, de la Toulouse School of Economics, de l’Université de Strasbourg …

Ces campagnes de fund raising reposent encore beaucoup sur les dons des entreprises, notamment ciblés sur les chaires ; mais on voit de plus en plus apparaître des mécènes privés, souvent des anciens élèves, qui font des dons importants. La France a vu depuis 2005 quelques dons millionnaires.

Les montants restent marginaux dans le financement global de l’enseignement supérieur, mais le mouvement vers le mécénat est fondamental ; en effet il permet notamment de financer des dépenses de croissance, d’innovation, d’investissement, qui préparent l’avenir, et que la puissance publique a le plus de mal à assurer : construction de nouveaux équipements et bâtiments, accroissement de la capacité de recherche, ouverture à de nouveaux publics, développement international.

Plus largement, l’Enseignement Supérieur fait face depuis quelques années à une augmentation sensible de ses coûts, liés à la globalisation, les nouvelles pédagogies, la nécessité d’investir dans la recherche … ; demain les financements publics ne pourront pas porter cette augmentation, qui devra reposer essentiellement sur du financement alternatif ; au premier plan desquels le mécénat.

Avantage additionnel : le mécénat d’entreprises a suscité ces dernières années, grâce notamment aux chaires, une véritable dynamique de rapprochement entre universités et entreprises ; notamment dans le cadre des Chaires d’Entreprises. Les Chaires sont des lieux hybrides, où peut se faire de la très bonne recherche, mais dans un champ guidé par l’application industrielle à terme. Sans les dispositifs de déduction fiscale sur l’Impôt sur les Sociétés, il est peu probable que cette dynamique se serait enclenchée.

Remettre en cause les déductions fiscales casserait cette dynamique. Ce dispositif est pour l’instant peu coûteux pour les finances publiques, justement parce que le mécénat est peu répandu. Les déductions des entreprises sont assez rapidement plafonnées, en pourcentage du chiffre d’affaires ; les déductions d’ISF au titre des dons restent marginales en valeur absolue pour le budget de l’Etat. Justement parce que le mouvement du mécénat est juste émergent.

Alors, faut-il supprimer le régime fiscal du mécénat au titre de la suppression des niches fiscales, et au nom de la justice fiscale ? Il est vrai que le mécénat, par nature, concerne en priorité des particuliers aisés. Mais le régime du mécénat n’est pas une niche fiscale : le don est avant tout un acte de philanthropie, car il coûte toujours plus cher de donner que de payer l’impôt.

Il est bien connu en fund raising que les gens ne donnent pas pour optimiser leurs impôts ; la fiscalité du mécénat n’est pas comparable aux incitations aux investissements (immobiliers ou autres), dont le but est d’accroître la rentabilité d’un investissement. Il s’agit de réduire un coût, qui est celui du don ; mais la déduction n’est bien sûr jamais de 100%.

Par contre la déduction fiscale :

facilite le passage à l’acte philanthropique ; dans un contexte dans lequel ce réflexe est encore nouveau.

Surtout permet d’augmenter les dons ; les « nouveaux mécènes », ceux qui découvrent le don, passent à l’acte car l’avantage fiscal leur donne l’impression que, finalement, donner beaucoup coûte moins cher que ce qui paraît ; cet effet de levier financier et psychologique permet de faire émerger une catégorie nouvelle de « major donors »

Le secteur du mécénat a besoin de ce régime fiscal ; les comportements philanthropiques, qu’ils soient d’entreprises ou particuliers, sont encore trop récents en France ; un changement brutal de politique fiscale casserait la dynamique encore fragile qui s’est enclenchée.

Bien sûr cela n’exclut pas la vigilance sur la qualité des institutions qui délivrent les reçus fiscaux, et une grande rigueur sur le caractère mécénal des actions soutenues ; la chasse aux contreparties est une condition du bon fonctionnement du système.

A moyen terme, il sera probablement possible de prévoir une diminution graduelle des avantages fiscaux, dans une perspective de « sevrage » du mécénat de son incitation fiscale. Mais cette diminution devra être progressive, et accompagner la montée en maturité du mécénat en France. Comme cela se passe dans les pays avancés dans ce domaine.

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Gilles Gleyze

Le mécénat privé : une voie d’avenir pour l’enseignement supérieur ?

La levée de fonds pour financer l’enseignement supérieur est un domaine en pleine effervescence. Il n’y a qu’à voir la floraison de fondations auxquelles nous assistons, notamment dans les Universités.

Les écoles rivalisent d’annonces sur les montants de leurs « campagnes de fund raising », dont les totaux revendiqués dépassent désormais les 100 Meuros pour les business schools les plus prestigieuses.

L’Association Française des Fundraisers (AFF), qui réunit les professionnels de la levée de fonds tous secteurs confondus, nous indique que le secteur Enseignement Supérieur et Recherche est celui qui a connu la plus forte croissance ces dernières années. Le séminaire annuel de l’AFF, consacré à ce secteur, accueille chaque année un grand nombre de nouveaux venus au fund raising universitaire.

S’agit-il d’un effet de mode ou tendance durable ?

Je propose dans ce billet de me focaliser sur la tendance la plus novatrice de la levée de fonds, celle qui se tourne vers les donateurs particuliers, les « nouveaux philanthropes ». J’aurai l’occasion de parler plus tard des entreprises, qui sont des donateurs plus « traditionnels » des établissements.

Mon pari est que, comme beaucoup de nouveautés dans les modes d’organisation et les technologies, nous assisterons à un phénomène en forme de crosse de hockey : comme pour l’adoption d’internet par les entreprises à la fin des années 1990, ou un peu plus tard des outils de e-learning dans la formation executive, nous verrons se succéder 3 phases :

– une phase d’engouement, pleine d’enthousiasme, mais aussi d’une dose de naïveté

– une phase de « retour sur terre », durant laquelle on se rend compte que les résultats ne sont pas aussi faciles à atteindre qu’initialement escompté ; c’est une phase douloureuse, de confrontation à la réalité.

– une phase de redémarrage, sur des bases probablement plus réalistes, mais aussi plus professionnelles ; qui verra le fund raising s’inscrire dans la réalité, et prendre sa pleine place dans le financement de l’enseignement supérieur.

Sur quoi puis-je me baser pour imaginer une telle évolution en courbe de hockey ?

1- L’engouement est réel, engagé depuis plusieurs années, et porté par des fondamentaux solides.

Les faits déjà : quelques grandes écoles de 1er plan arrivent à réaliser des campagnes de plusieurs dizaines de millions d’euros auprès des particuliers. Polytechnique annonce une campagne auprès des donateurs individuels de 35 millions d’euros, qui sont à ce jour presque atteints. Centrale Paris et Science Po ont déjà levé chacun 10 millions d’euros sur cette cible ; l’ESCP revendique près de 4 millions d’euros.

Plus que les montants, encore modestes par rapport aux standards internationaux, c’est le nombre de donateurs qui est encourageant. Centrale Paris a collecté les dons de 2700 diplômés en 4 ans, soit près de 14% de l’ensemble des alumni, un taux proche de celui des Universités américaines.

Le contexte fiscal est (pour l’instant) très favorable : la loi TEPA a été un vrai catalyseur pour le mécénat individuel, permettant une défiscalisation importante de l’ISF, qui vient compléter les dispositifs déjà existants pour l’Impôt sur le Revenu et l’Impôt sur les sociétés.

Ce climat d’engouement accompagne un vrai changement de mentalités, qui est déjà perceptible dans les communautés d’alumni : dans un pays où on évite traditionnellement d’afficher sa réussite financière, on commence à voir apparaître des palmarès publics de donateurs, et des mécènes qui sont publiquement fiers du don qu’ils ont fait à leur Ecole. Là encore ce n’est pas encore l’Amérique, mais on s’en approche lentement.

2- Et pourtant, le retour sur terre est déjà perceptible :

Les pionniers du fund raising (dont Centrale Paris, que je peux observer de près), après désormais quelques années d’expérience, ont une pleine conscience des difficultés du fund raising dans un pays dans lequel cette démarche reste nouvelle.

Les objectifs affichés en début de campagne se révèlent très ambitieux, et leur atteinte est incertaine. Les donateurs individuels sont nombreux, mais les très grands donateurs, ceux qui font le succès des campagnes, avec des dons en centaines de milliers ou en millions d’euros, restent trop rares.

Le recrutement « d’ ambassadeurs » (ces grands donateurs qui sollicitent d’autres donateurs potentiels dans une démarche de « peer to peer »), reste difficile ; faire un don entre dans les mœurs ; mais solliciter, demander est encore difficile et les bons ambassadeurs sont rares.

Le climat chronique d’insécurité fiscale qui affecte notre pays, avec ses rumeurs récurrentes de remise en cause du statut fiscal des dons, aggrave la timidité de certains donateurs. La situation actuelle n’est à cet égard pas du tout favorable.

3- Je suis optimiste sur le long terme, et certain que le fund raising auprès des particuliers va s’inscrire durablement dans le paysage universitaire français.

Pour affirmer cela, je m’appuie tout d’abord sur les exemples étrangers : des pays tels que le Royaume Uni, le Canada, et dans une moindre mesure les pays scandinaves sont passés par les mêmes phases ; alors qu’ils étaient dans une situation comparable à la France il y a 20 ans, le fund raising y est aujourd’hui un secteur à part entière dans les universités, employant des équipes nombreuses, et jouant un rôle important dans l’équilibre financier des universités.

Plus précisément, plusieurs tendances de fond soutiendront le succès à long terme du mécénat auprès des particuliers en France :

Très simplement, les besoins croissants de financement par les établissements les poussero,t à persévérer dans la voie du fund raising, à consentir les investissements nécessaires dans la durée.

Les Etablissements réinvestissent aujourd’hui la relation avec leurs Anciens. Ils prennent conscience qu’ils ne peuvent réussir sans leurs alumni : ceux-ci sont indispensables pour participer aux enseignements, assurer l’adéquation des programmes avec le marché de l’emploi, faciliter le placement des diplômés … Et bien sûr participer au financement. Une relation alumni forte est une condition indispensable au fund raising ; et cette relation se renforce aujourd’hui, pour des raisons qui dépassent largement le fund raising.

Une raison paradoxale : les frais de scolarité croissants, bien sûr en écoles privées, mais peut-être demain dans les universités et les écoles sous tutelle publique, sont en fait un excellent vecteur de dynamisation du fund raising : les alumni donnent d’autant plus à leur école qu’ils ont payé cher la scolarité (car ils sont conscient de la valeur de l’éducation qui leur a été dispensée) ; et le financement de bourses de scolarité est la meilleure cause de mécénat qui soit.

Enfin, la mise en mouvement récente du monde de l’Enseignement Supérieur, qui désormais fourmille de projets, fournit un terreau idéal pour le mécénat. Rapprochements d’écoles, projets de croissance internationale, construction de nouveaux campus, etc …tous ces projets de rupture sont à même de mobiliser la générosité publique. C’est bien connu : les mécènes ne financent pas les fins de mois, mais les projets de transformation et de rupture.

La route est encore longue, mais le fund raising auprès des particuliers a encore de beaux jours devant lui dans l’enseignement supérieur.

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Gilles Gleyze

L’incubateur Centrale Paris fête ses 10 ans

Une fois n’est pas coutume, je vais décrire un événement particulier, qui s’est déroulé dans mon Ecole.

Il s’agit de l’événement organisé par cette Ecole à l’occasion des 10 ans de son incubateur, dans les locaux d’Ernst & Young à La Défense, lundi 21 mai.

L’objet de ce blog n’est pas événementiel, mais permettez-moi une exception pour cette fois-ci ; je crois en effet que cet événement est emblématique du rôle que les Ecoles et les Universités peuvent jouer dans la création d’entreprises.

L’incubateur de Centrale Paris a été créé il y a 10 ans, sur l’initiative spontanée d’un entrepreneur-professeur (Jean-François Gallouin, actuel directeur de Paris Région Innovation Lab) et du Directeur de la Recherche de l’époque (Hervé Biausser, l’actuel directeur de l’Ecole).

Son ambition à l’époque était de soutenir les vocations d’entrepreneurs chez les Centraliens, qui se dirigeaient alors massivement vers des carrières salariées dans des grands groupes.

Il visait principalement à accompagner les élèves issus de la filière de 3ème année Création d’Entreprise, en leur proposant locaux et accompagnement pendant un ou deux ans.

Déjà s’affirmait ce qui est le cœur de l’incubateur de Centrale : l’accompagnement du créateur. Accompagnement réalisé par des entrepreneurs confirmés (et non des permanents salariés) ; accompagnement portant plus sur la personne de (des) l’entrepreneur que sur le projet lui-même. L’incubateur a pu dès son origine accueillir des projets à peine ébauchés, ou amenés à changer du tout au tout en cours d’incubation, pourvu que l’équipe entrepreneuriale ait le potentiel de réussir.

Coaching des hommes plutôt que coaching des projets.

L’incubateur a démarré quasiment sans moyens : coaching bénévole ; entreprises logées dans les laboratoires de l’Ecole ; pas de budget dédié ni de permanets.

10 ans après, où en sommes nous ?

Le bilan est réconfortant : 8 à 10 projets nouveaux entrent à l’incubateur chaque année, issus de Centraliens mais aussi d’entrepreneurs externes ; une capacité d’accueil de 20 entreprises en même temps, quasiment saturée aujourd’hui ; des locaux neufs ; des coachs professionnels et rémunérés ; plusieurs centaines d’emplois créés et un taux de survie des start ups à 5 ans supérieur à 80% ; quelques très belles réussites telles qu’Anevia, Making Prod, Naskeo …

L’événement des 10 ans était l’occasion de partager la fierté de cette réussite avec l’ensemble de l’écosystème qui soutient l’incubateur : incubés, coachs, anciens incubés investisseurs et business angels, professeurs ….

Qu’est l’événement des 10 ans, en quelques mots ? Dans les locaux neufs d’Ernst & Young à La Défense, dans la tour First : un concours de pitchs de projets, issus d’un appel à projets totalement ouvert (aucune exclusivité centralienne dans cet appel). Sur 128 projets, 8 ont été préalablement pré-sélectionnés ; ces 8 projets disposent de 5 minutes pour se présenter devant une audience de 200 personnes et un jury de 7 personnalités ; suivent quelques questions, puis on passe au projet suivant.

A la fin, le jury remet 2 prix, tandis que le public vote avec des clickers pour attribuer le Prix spécial du Public.

Le tout tonique, rythmé et rapide.

8 projets portés par des jeunes bourrés d’énergie, et finalement pour la plupart très à l’aise dans ce genre d’exercice.

Le 1er prix et le Prix Spécial du Jury ont été attribués à WANDERCRAFT, projet très abouti d’exosquelette pour personnes paraplégiques. Un dispositif de haute technologie, permettant à des personnes handicapées de retrouver la capacité à marcher, de manière rapide et stable.

Le 2nd prix est allé à MARBOTIC, concepteur d’outils pédagogiques pour les très jeunes enfants, alliant design, innovation pédagogique et technologie.

Citons également :

– LIWIO (sites web modulables pour améliorer l’impact des sites marchands) ;

– 3,14 INNOVATION (peintures intelligentes pour le bâtiment) ;

– EGGSEED (solution de sauvegarde de données en mode SaaS) ;

– CHARLIE JASMIN (cosmétiques innovants et naturels) ;

– MANZALAB (création d’interlocuteurs virtuels dans le domaine de la relation client) ;

– MUSE ET PYGMALION (personnalisation dans la création de vêtements).

Pourquoi une Ecole telle que Centrale Paris organise-t-elle de tels événements, qui représentent une mobilisation non négligeable de ressources en temps et en argent ?

Pour l’Ecole, l’événement des 10 ans est principalement un outil visant à dynamiser et fédérer l’écosystème entrepreneurial qui lui permet d’accompagner efficacement ses start ups et ses élève créateurs d’entreprises.

En effet, la création d’entreprise est largement une affaire de réseau, de rencontres et de croisements. Une Ecole peut servir de lieu de convergence, de fédérateur, mais sa réussite repose largement sur l’engagement d’entrepreneurs amis, de coachs, de business angels, de chercheurs, d’associations de professionnels, d’anciens incubés, etc …..

Comme tout réseau, cet écosystème se dynamise à l’occasion de rencontres professionnelles et festives à la fois, durant lesquelles on a plaisir à se rencontrer, échanger de nouvelles idées et découvrir des projets.

Les retombées sont multiples. Les 10 ans de l’incubateur de Centrale Paris ont permis de remercier et de mettre à l’honneur les entrepreneurs-coachs qui s’impliquent auprès des start ups depuis des années ; de faire connaître les entreprises actuellement incubées auprès d’un public plus large ; de faire savoir que l’incubateur de Centrale Paris n’est pas réservé aux Centraliens ; de donner un coup de pouce médiatique aux 8 projets pré sélectionnés, et un appui matériel aux 2 lauréats ; et probablement d’avoir généré des contacts individuels qui pourront donner lieux à d’autres aventures entrepreneuriales ultérieures.

C’est bien sûr de la communication, mais elle est vitale car elle permet de reconnaître l’engagement de parties prenantes très diverses sans lesquelles l’effort de l’Ecole en faveur de l’entrepreneuriat ne pourrait réussir. L’écosystème qui porte la création d’entreprise autour d’un point focal tel qu’une Ecole est largement informel et virtuel ; mais de ce fait il a besoin d’occasion de rencontres physiques pour se ressourcer et se renforcer.

Là aussi nos Ecoles et nos Universités ont un rôle à jouer.

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Gilles Gleyze

Les grandes écoles détournent-elles les jeunes de la création d’entreprise ?

C’est un lieu commun souvent entendu: les grandes écoles détourneraient les jeunes français, et parmi eux ceux qui sont considérés comme une élite, de la création d’entreprise. Les Ecoles, par leur fonctionnement intrinsèque, décourageraient la création d’entreprise et porteraient une responsabilité lourde dans le déficit entrepreneurial de la France.

Au cœur de cette argumentation : nos grandes Ecoles seraient essentiellement focalisées sur les grands groupes, type CAC 40 ; leurs étudiants y sont tellement recherchés, qu’ils disposent d’une sorte de rente de situation en matière de débouchés (débuts de carrière rapides, salaires attractifs) ; cette rente les dissuaderait de créer leur entreprise.

A l’appui de cette thèse, on invoque souvent des facteurs de type culturel ; notamment :

Les classes prépas ne prépareraient pas à la prise de risque, car elles sanctionneraient systématiquement l’initiative et ne sélectionneraient que des « bons élèves » qui n’ont jamais connu l’échec, et ne veulent surtout pas courir le risque d’échouer.

les grandes écoles et leurs rituels d’intégration (esprit de promotion, effets de corps …) pousseraient au conformisme, et ne favoriseraient pas la diversité des cursus.

Et pourtant, à Centrale Paris, je ne peux faire qu’un constat : les Centraliens créent depuis longtemps de nombreuses entreprises, grandes et petites, avec succès.

On cite toujours les Peugeot, Bouygues, et Michelin, Accor. Mais je croise au quotidien beaucoup de réussites plus récentes : Business Objects, Eurofins Scientific, Videolane, Neurones, Fullsix, Powéo, Ligaris … Toutes entreprises à l’origine desquelles on trouve des Centraliens.

L’Ecole a-t-elle contribué à leur réussite ?

Je pense que oui, et je soutiens l’idée que les Ecoles (et d’ailleurs aussi les Universités) ont une responsabilité dans la dynamique entrepreneuriale de leurs étudiants ; je crois effectivement qu’elles peuvent influencer significativement cette dynamique.

En revanche je ne crois pas que les Ecoles soient par nature un milieu défavorable à la création d’entreprise. Si elles le veulent et s’en donnent les moyens, elles peuvent bien au contraire constituer un puissant levier d’aide pour nos entrepreneurs de demain, et jouer un rôle puissamment positif pour favoriser la création.

Mon point de vue est bien sûr partiel ; il part de ce que je vois à l’Ecole Centrale Paris, au sein de laquelle je dirige l’incubateur ; et à partir de laquelle je peux observer ce qui se passe dans plusieurs autres grandes écoles (ESSEC, HEC, Télécom Paristech, Supélec …).

Centrale Paris a structuré, il y a une dizaine d’années, un écosystème entrepreneurial complet, qui se compose de :

un ensemble de conférences, rencontres, en 1ère et 2ème année, destinées à faire découvrir la création d’entreprise aux étudiants et à donner l’envie de créer

des modules dès la 2ème année contenant les fondamentaux de la création (business plan, positionnement marketing, droit des sociétés, droit de la propriété intellectuelle …)

une mineure de 3ème année consacrée à la création elle-même ; appelée Centrale Entrepreneur, son accès est réservé aux étudiants ayant un projet. Ce n’est pas un parcours de sensibilisation à la création, mais un lieu de mise en œuvre, d’expérimentation et de prise de risque.
Les étudiants qui s’y engagent commencent d’ailleurs par une prise de risque personnelle, puisqu’ils renoncent au fameux stage de fin d’études, qui est le sésame vers les grands groupes

un parcours de pré incubation puis une entrée dans l’incubateur de l’Ecole pour les projets les plus prometteurs. Ces parcours proposent du coaching intensif, l’hébergement, la prise en charge de nombreux frais, l’utilisation de la marque Centrale Paris et la domiciliation.

La mobilisation d’un environnement entrepreneurial qui s’appuie sur les réseaux de l’Ecole : entrepreneurs centraliens, business angels, contacts dans le monde du capital investissement …

Le 21 mai 2012 se tiennent à La Défense les 10 ans de l’Incubateur de Centrale Paris ; ce sera l’occasion de réunir et remercier l’ensemble des parties prenantes à cet écosystème.

Ce dispositif d’encouragement à la création,  très complet, et qui repose sur l’engagement de quelques ingénieurs-entrepreneurs qui ont la passion de transmettre leur expérience, se retrouve dans d’autres lieux.

Citons par exemple : Télécom Paristech qui a créé il y a plus de 10 ans le plus grand incubateur d’école d’ingénieur de France ; HEC dont la pédagogie HEC Entrepreneurs est largement connue et franchisée ; l’ESSEC qui dispose d’une très grande capacité d’accueil de start-ups sur plusieurs sites à Cergy et à Paris …

Ma conviction, issue de ma pratique d’acteur et d’observateur de cet écosystème, est qu’il existe une pédagogie de la création d’entreprise.

Bien sûr tout le monde n’est pas destiné à créer son entreprise ; bien sûr il existe un environnement culturel dans les grandes écoles qui peut sous certains aspects détourner de la création d’entreprises. Mais un dispositif pédagogique et incitatif bien structuré, et porté sur toute la durée du cursus, peut être déterminant sur bien des vocations d’entrepreneurs.

A Centrale Paris ce dispositif repose largement sur :

la rencontre avec des entrepreneurs, qui parlent aux jeunes de leurs succès et aussi de leurs échecs. A 22 ans on recherche souvent des modèles d’identification, des sources d’inspiration. Peu de théorie, un rôle discret des enseignants, et une mise en valeur visible des praticiens.

l’accompagnement individuel, le coaching. Le choix de Centrale Paris est d’accompagner l’entrepreneur, avant même d’accompagner l’entreprise. Distinction trop subtile ? Pas vraiment : le coaching porte avant tout sur l’envie d’entreprendre, le processus complexe d’émergence du projet, sa maturation, ses transformations. Durant un processus de coaching, un même entrepreneur pourra changer 2 ou 3 fois de business plan, voire modifier du tout au tout son projet ; au travers des différents projets d’entreprises, le coaching concerne toujours le même entrepreneur et le même désir d’entreprendre.

Cet accompagnement nous semble adapté aux phases très précoces de l’émergence, en particulier auprès de publics de jeunes créateurs, peu expérimentés.

L’envie et la capacité d’entreprendre reposent certes sur des facteurs innés, spontanés ; mais il est possible de cultiver et faire réussir cette envie et cette capacité. Nos écoles et universités ont un rôle à jouer dans ce processus, et aussi une responsabilité. Par la pédagogie qu’elles mettent en place, elles peuvent significativement influencer le dynamisme entrepreneurial parmi leurs étudiants, et contribuer à cette dynamique au niveau national. Ce processus est déjà à l’œuvre dans plusieurs écoles et universités ; espérons qu’il ira en s’intensifiant à l’avenir.

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Gilles Gleyze

Formation continue et enseignement supérieur : quel rôle pour les enseignants chercheurs ?

Selon les textes officiels, la formation continue est l’une des missions fondamentales des établissements d’enseignement supérieur ; leur rôle est en effet d’accompagner l’évolution des compétences des personnes qu’elles forment, tout au long de leur vie professionnelle ; l’importance de cette mission s’accroît d’ailleurs aujourd’hui, du fait de l’allongement des carrières, et de leur caractère de plus en plus évolutif.

Chacun de nous est probablement appelé à avoir plusieurs vies professionnelles en une.

Et pourtant, la majorité de nos enseignants chercheurs sont peu habitués à faire de la formation continue. Il y a bien sûr des exceptions : dans quelques grandes business schools, certaines écoles d’ingénieurs et universités …

Mais globalement, parmi les grandes missions d’un enseignant chercheur, la mission de formation continue est peu développée.

Quand un établissement d’enseignement supérieur souhaite faire croître de manière pro active ses activités de formation continue, sur quel corps enseignant peut-il s’appuyer ?

Doit-il partir du principe que l’ensemble des formations continues est réalisé par les enseignants-chercheurs statutaires ? Ou s’autorise-t-il à faire appel de manière plus ou moins large à des intervenants professionnels extérieurs, de type vacataires ou sous-traitants ?

Cette question est loin d’être anecdotique ; pourquoi recouvre-t-elle un enjeu important ?

– dans un premier temps, le bon choix en matière d’intervenant conditionne la réussite ou l’échec de l’établissement en formation continue ; la formation continue est en effet un secteur concurrentiel. Choisir un corps de formateurs inadapté, insuffisamment réactif ou disponible, est se condamner à l’échec. Dans ce domaine, éminemment commercial, la première sanction est celle du marché et des clients.

Ensuite, le choix conditionne aussi l’acceptabilité interne de la formation continue, activité habituellement peu considérée par nos collègues. Faire reposer ces activités uniquement sur des enseignants externes présente le risque de créer une entité totalement séparée de l’établissement, et qui au fond n’intéressera pas grand monde et ne contribuera pas à la transformation de l’établissement.

Quels arguments militent pour un recours principal sur les enseignants chercheurs de l’établissement ?

Les enseignants disposent d’une base de ressourcement unique : la recherche. C’est ce qui fait leur spécificité par rapport aux formateurs externes de type consultants. Un chercheur qui fait de la formation continue en management de projet, par exemple, pourra (schématiquement) présenter des approches très expérimentales, innovantes dans ce sujet, basées sur des cas récents ou des approches encore émergentes Un formateur sans ce type de ressourcement s’appuiera davantage sur des méthodes anciennes, diffusées et parfois périmées.

Les entreprises perçoivent généralement la valeur de ce ressourcement recherche ; quand elles sollicitent une école ou une université, c’est pour trouver un service différent de ce que proposent les sociétés de formation ; elles attendent par conséquent des formateurs différents.

S’appuyer sur les enseignants chercheurs est la garantie du bon alignement thématique de la formation continue sur l’établissement, les sujets de formation étant naturellement alignés sur les domaines d’expertise des laboratoires de l’établissement.
Quand Supélec propose des formations continues, c’est sur des thématiques dans lesquelles ses laboratoires sont très reconnus.

Enfin, l’un des enjeux très prosaïques de la formation continue est de permettre aux enseignants chercheurs d’améliorer leurs rémunérations, si le modèle de rémunération de l’établissement leur permet de cumuler leur rémunération de base et des prestations de formation continue. A l’heure où nos établissements souhaitent accroître leur attractivité vis-à-vis des meilleurs enseignants chercheurs, c’est un enjeu important.

Tout cela plaide pour une formation continue reposant principalement sur le corps enseignant de l’établissement.

Et pourtant cela ne marche pas toujours. Centrale Paris, par exemple, a tenté au milieu des années 2000 un développement de sa formation continue sur ces bases, et a échoué. Ce qui nous a amenés à modifier fondamentalement notre perspective.

A quels obstacles nous sommes-nous heurtés ?

Le manque de disponibilité. Lors qu’un client grand compte émet un appel d’offre, et demande une proposition complète sous 10 ou 15 jours, il est rare que les enseignants puissent se libérer aussi vite dans le temps imparti. Le rythme de la formation continue commerciale, fait de coups et d’à-coups, n’est pas le même que celui de l’enseignement supérieur, dont les programmes et engagements se construisent des mois à l’avance.

La formation continue suppose une disponibilité pour le client, une souplesse dans les organisations, dont nos établissements, organisés pour gérer un environnement stable dans la durée, sont souvent dépourvus.

Les clients eux-mêmes, entreprises et particuliers, demandent une approche distincte de celle des enseignements classiques ; moins d’enseignement ex cathedra, plus de mises en situation, des pédagogies plus ludiques, un lien étroit avec le monde professionnel … Face à des enseignants chercheurs ils craignent de se retrouver à l’école, et de s’y ennuyer …

Le client est difficile : il veut bénéficier de tous les apports de la recherche, mais surtout ne pas avoir des cours comme quand il était à l’université …

Comment faire ?

Chaque établissement trouve son système ; l’équilibrage est subtil, car certains enseignants chercheurs auront le bon profil pour la formation continue, et d’autres non.

A Centrale Paris, nous avons fait le choix de recourir aux intervenants extérieurs pour la plus grande part du présentiel, mais de réserver aux enseignants de l’établissement les principales fonctions stratégiques.

Les enseignants se focalisent sur la conception, les ressources humaines, le contrôle qualité, la certification. Toutes fonctions dans lesquelles ils excellent, et qui sont suffisamment récurrentes pour ne pas exiger une réactivité au quart d’heure incompatible avec leur organisation de travail.

Conception des programmes : les enseignants définissent l’architecture globale des grands programmes de formation. Ainsi, les responsables de programmes à Centrale Paris (Management de la Supply Chain, Management des Systèmes d’Information, Qualité, Innovation…) sont des enseignants étroitement liées à un laboratoire, et très au fait des dernières avancées de la recherche.

Ressources humaines : la sélection des intervenants issus du monde professionnel est faite par et avec les responsables de programmes, qui sont des enseignants. Nous pouvons ainsi nous assurer d’une sélection rigoureuse, et surtout d’un bon alignement sur les priorités thématiques de l’établissement.

Contrôle qualité : les enseignants assurent la supervision des programmes proposés par les intervenants professionnels, prennent des initiatives pour modifier les thèmes en fonction des avancées de la recherche, réagissent aux évaluations et font des propositions correctives.

Certification : les programmes certifiants ou diplômants donnent lieu à remise d’un certificat qui engage l’établissement ; ce processus de certification est validé ou supervisé par un enseignant chercheur, garant de la marque de l’établissement.

En revanche, la majorité des activités qui sont en interface directe avec les clients (avant vente, propositions commerciales, et ensuite production des formations) repose en majorité sur des intervenants professionnels ; cela garantit ainsi la réactivité, l’orientation client, le caractère très opérationnel des formations et des cas proposés ; et permet aussi laisser une large part à l’innovation pédagogique et l’expérimentation (e-learning, modalités ludiques …)

Peu d’esprit de système dans tout cela ; tout est une question d’adaptation permanente.

Une conséquence pratique toutefois, dont il faut être conscient : nos établissements qui s’engagent résolument sur la voie de la formation exécutive s’exposent à voir émerger un corps spécifique de formateurs en formation continue, lié aux enseignants-chercheurs mais largement distinct. Ce corps de formateurs rejoint partiellement celui des vacataires et intervenants professionnels en formation initiale (professeurs associés, professeurs chargés de cours …), mais peut aussi être largement distinct.

Assurer une bonne intégration et une bonne coopération entre les 2 groupes deviendra un enjeu clef d’efficacité et d’harmonie pour nos établissements.

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Gilles Gleyze

Marque et Marketing dans l’enseignement supérieur : gros mots ? ou mots clefs pour l’avenir ?

Marque et Marketing sont des mots peu employés dans l’enseignement supérieur, à la notable exception des Business Schools. Dans les écoles d’ingénieurs et la plupart des départements d’universités, on considère souvent que la valeur de l’établissement repose essentiellement sur la qualité de ses contenus : un corps professoral de haut niveau, de bons étudiants, des publications reconnues …

Le terme « Marque » ravalerait presque l’institution au niveau d’un vulgaire produit de grande consommation … Il serait péjoratif.

Quand il faut parler de l’image projetée à l’extérieur par l’institution, on préfère utiliser des mots tels que prestige, réputation, visibilité ou rayonnement.

Et pourtant, la réputation repose sur des marques, qui elles-mêmes s’appuient sur des formes telles qu’un nom, un logo, un symbole …

Quel que soit le mot employé, il est incontestable que le nom de l’institution constitue un actif immatériel très important, quoique rarement valorisé ; une part majeure de la « valeur » d’une école ou d’une université repose sur le fait que son nom est connu, associé à une promesse de qualité, de recherche de haut niveau, de cadre de vie, d’emploi ; et par conséquent cette institution attirera les meilleurs professeurs et étudiants, qui eux-mêmes contribueront à accroître encore la qualité et à attirer encore plus de professeurs et étudiants de valeur.

Si la réputation baisse, c’est tout le système qui s’enraye.

C’est le cercle vertueux des leaders de l’enseignement supérieur, Harvard, Stanford, Oxford et autres universités anglo-saxonnes qui managent leur marque comme un actif-clef.

Nous sommes ici typiquement dans un effet marque. L’importance de la valeur de marque dans l’équilibre global des institutions d’enseignement supérieur va s’accentuer encore à l’avenir, au fur et à mesure que les financements publics se raréfieront : les institutions devront alors se questionner sur les actifs qui assureront leur avenir, et les valoriser au mieux.

Et pourtant, en France, à l’exception de quelques business schools d’élite, la marque est largement sous-estimée. Il n’y a qu’à voir le sort réservé à la marque française la plus connue au monde, la Sorbonne, saccagée et écartelée entre 3 institutions différentes qui se la disputent (Panthéon-Sorbonne ; Paris-Sorbonne ; Sorbonne-Nouvelle).

Sans parler des écoles qui continuent à se faire appeler par des sigles aussi peu compréhensibles et reconnaissables les uns que les autres : ESC – ESCP – ECP – ESPCI – ESCPI – ESTP – ENTPE – ENSCI – ENSTP- ENPC- ENS…

Etonnamment, il semble qu’on ait à l’international une meilleure perception de la valeur de nos marques françaises qu’en France même ; l’Emirat d’Abu Dhabi a bien compris la valeur de la marque Sorbonne, lorsqu’il est venu chercher l’Université Paris Sorbonne pour créer la Sorbonne Abu Dhabi.

La situation évolue peu à peu. Sous l’effet de la concurrence notamment. La mondialisation de l’enseignement supérieur oblige les établissements à travailler leur attractivité auprès de publics étudiants qui ne les connaissent pas. Lorsque Polytechnique ou Centrale veulent recruter des étudiants chinois, ils ne bénéficient d’aucune notoriété spontanée ; un travail sur la marque, ses valeurs, ses significations, est alors incontournable : quelle est notre spécificité ? qu’est-ce qu’un ingénieur ? sur quoi fonder notre revendication d’excellence ?

Petit à petit les Ecoles se dotent de services marketing, qui se confondent souvent avec des services de recrutement, et sont amenés à travailler avec des agences de communication, qui elles les interrogent sur les composantes de leur marque.

Les mentalités évoluent peu à peu ; la labellisation récente des IDEX a consacré 2 projets portant le nom Sorbonne : Sorbonne Université et Université Sorbonne Paris Cité, à l’issue de discussions acharnées sur la marque.

Cette double utilisation est révélatrice d’une maturité inachevée : conscience de la valeur de la marque Sorbonne (puisqu’on se la dispute) ; mais inconscience du mal que la multi-utilisation de cette marque, appliquée à 2 projets différents, fait à la marque elle-même. Comment les étudiants internationaux vont-ils réagir, quand ils comprendront que la marque Sorbonne, en sus de désigner 3 universités différentes, est aussi le nom de 2 regroupements d’institutions dont la plupart n’ont historiquement rien à voir avec la Sorbonne (l’INSEAD et l’UTT dans Sorbonne Université par exemple, Sciences Po et l’EHESP pour Sorbonne Paris Cité)

Les Ecoles découvrent aussi les joies des produits dérivés. Pas seulement les casquettes et les tee-shirts ! Mais aussi les formations dérivées : Mastères Spécialisés, cycles courts en tous genre, MBA pour les business schools … Toutes ces formations s’appuient sur la marque historique, celle qui était auparavant réservée au diplôme de master d’origine (diplôme d’ingénieur, diplôme de grande école de commerce), pour labelliser et vendre des formations dont le recrutement est différent ; ces formations dérivées bénéficient du prestige de la marque ombrelle. Faire un Mastère à Centrale, c’est un peu devenir centralien …

Ce développement des produits dérivés alimente un vieux rêve dans le monde académique : celui de se financer en franchisant leur marque. Cela reviendrait à vendre de l’ingénierie de formation sous un modèle de franchise, comme un réseau de boutiques. L’Ecole ou l’Université commercialiserait ainsi en packages des cursus prédéfinis, qui pourraient être opérés par des partenaires sous la marque de l’Ecole, dans le respect d’un cahier des charges strict, et moyennant royalties.

Est-ce là l’une des solutions à la difficile équation du financement de l’enseignement supérieur demain ?

C’est un peu tôt pour le dire ; il y a encore peu de cas de franchises de marque à proprement parler dans le secteur de l’enseignement supérieur, permettant de financer l’établissement franchiseur. Le cas de l’Ecole Centrale de Pékin est à ce titre intéressant : la marque Centrale est assez forte en Chine pour intéresser le partenaire chinois et l’amener à co financer le projet de nouvelle école ; mais elle ne l’est pas encore assez pour que l’opération soit bénéficiaire pour l’Ecole Centrale Paris.

Un exemple précurseur toutefois : HEC labellise son parcours HEC Entrepreneur, et le vend à d’autres écoles en France qui assurent l’ensemble des coûts des cursus, les commercialisent sous la marque HEC et rémunèrent HEC.

Ce cas est encore assez rare en France ; question de culture probablement ; et témoin de la relativement faible notoriété des marques françaises à l’international à ce jour.

Néanmoins, la valorisation de la marque est probablement l’une des voies d’avenir pour le financement des établissements d’enseignement supérieur ; à condition que ces marques deviennent mondiales. Et dans l’immédiat, la construction de marques globales d’institutions suppose des investissements massifs ; HEC, INSEAD sont déjà des marques globales. Mais pour la plupart des institutions, la route est encore longue …

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Les Ecoles et les Universités : quel avenir en formation continue ?

Les grandes Ecoles et les Universités doivent-elles développer leurs activités de Formation Continue ?

Qu’auraient-elles à faire dans un secteur économique déjà structuré, dont le chiffre d’affaires représente plusieurs milliards d’euros, et qui s’organise autour d’acteurs majeurs publics (réseau des GRETA, CNAM …) et privés (CEGOS, DEMOS etc …).

La Formation Continue semble relever soit de l’action de l’Etat, soit du pur business ; en tous cas d’univers éloignés de l’enseignement supérieur.

La question est d’actualité pour la plupart des écoles d’ingénieur et des universités, chez qui les activités de Formation Continue restent souvent marginales.

Et pourtant, cette question n’en est déjà plus une pour les plus grandes Business Schools en France, qui réalisent des chiffres d’affaires importants en Formation Continue (plus de 50 Meuros pour HEC, près de 25 M euros pour l’ESSEC). Le succès des Executive MBA’s a contribué à asseoir la légitimité de ces écoles dans la formation tout au long de la vie.

La question est également traitée dans d’autres pays européens, tels que le Royaume Uni, où les Universités disposent de départements importants en Executive Education.

A première vue, beaucoup d’arguments militent pour dire que les Ecoles et Universités ne doivent pas se disperser, voire se perdre, dans la Formation Continue.

– C’est une activité qui demande des compétences très spécifiques qui sont rarement disponibles dans les Ecoles. Des compétences de gestion de projet, pour les formations intra ; des compétences de marketing et de vente, pour savoir remporter des affaires dans un environnement très concurrentiel. Une capacité de vitesse, réactivité, notamment pour répondre aux appels d’offres, souvent peu compatible avec le « temps long » de la recherche …

Si l’on questionne plus profondément ce qui fait la spécificité de la formation continue, on se rend compte que les clients demandent un type de formation qui ne rejoint que partiellement les pratiques académiques. A Centrale Paris, les clients nous ont indiqué qu’une formation continue portée exclusivement par des enseignants de profil académique leur paraîtrait coupée de la réalité, traditionnelle, ennuyeuse. Ils attendent aussi, en sus des professeurs de l’Ecole, des formateurs de légitimité professionnelle, capable de développer des pratiques pédagogiques innovantes.

Ces formateurs doivent être capables de répondre dans l’urgence à un appel d’offre, d’être réactifs et très orientés clients. Ce type de posture n’est pas forcément partagé par l’ensemble de nos collègues.

Les universités se lancent souvent dans la formation continue afin de générer des financements. Cela se révèle souvent décevant, car ce secteur, soumis à une forte concurrence, génère des marges assez faibles. Une activité complète de formation continue peut dégager, les bonnes années, une marge avant impôts de l’ordre de 10%, dont une partie doit être réinvesti dans le développement de l’activité. L’apport au financement de l’Ecole sera par conséquent assez marginal.

Et pourtant de plus en plus d’écoles d’ingénieur et d’universités investissent le champ de la formation continue ; Centrale Paris s’est par exemple fortement développée dans ce champ depuis 4 ans. Les Business Schools connaissent de fortes croissances. Les pouvoirs publics ne cessent d’inciter les universités à s’y lancer.

Alors pourquoi ?

A l’analyse, on se rend compte que la formation continue peut, si elle est bien pilotée, apporter beaucoup à une institution ; sa valeur ajoutée va beaucoup plus loin que le simple apport de financement. Plusieurs points méritent d’être soulignés :

Tout d’abord, la formation continue en établissement d’enseignement supérieur répond à une demande sociétale très forte, pour un service pour lequel ces établissements sont perçus comme légitimes : délivrer des formations certifiantes pour les adultes.

Les carrières de plus en plus longues, la frontière de plus en plus floue entre études et vie professionnelle (carrément gommée dans le cas de l’apprentissage) suscitent une demande croissance de formations lourdes en cours de vie, reconnues (et visibles dans un CV), et permettant des progrès visibles dans la carrière. Les entreprises, initialement méfiantes devant un dispositif favorisant la mobilité des meilleurs, sont maintenant de plus en plus partantes.

Du coup la marque devient décisive : qui d’autre que Centrale Paris peut délivrer un Executive Certificate (formation de 15 à 25 jours) sanctionnée par un certificat ? Certification qui est de plus est reconnue comme titre de niveau I au RNCP ?
CEGOS et DEMOS ne peuvent pas rivaliser sur ce champ là.

Cette tendance amène les institutions d’enseignement supérieur à s’interroger en profondeur sur leur cœur de métier : devons-nous limiter notre mission à la formation des jeunes ? La formation des adultes ne fait-elle pas partie de nos missions fondamentales, au même titre que la formation initiale et la recherche ? Les textes officiels nous y incitent d’ailleurs.

En outre, la formation continue est un moyen privilégié pour les institutions de favoriser la promotion sociale ; dans un contexte où les écoles sont fortement interrogées sur leur caractère élitiste, la formation continue diplômante permet de délivrer des certificats, diplômes d’établissement, certifications RNCP, voire diplômes d’Etat, à des personnes ayant une formation initiale courte, mais un parcours professionnel démontrant leur capacité à accéder à des diplômes du meilleur niveau.

Enfin, je suis persuadé que la Formation Continue sera la matrice d’une partie de l’innovation dans l’enseignement supérieur.
Les manières d’enseigner demain seront probablement très différentes de celles d’aujourd’hui : réduction du présentiel, changement du rapport entre professeurs et étudiants, animation de communautés éducatives, cours dématérialisés en e-learning, enseignement à distance, plateformes collaboratives, wiki-éducation …
L’ensemble de ces évolutions reposera probablement sur une utilisation des nouvelles technologies afin de mieux utiliser le potentiel d’apprentissage des étudiants, en collant mieux coller à leur manière d’apprendre.

Et la Formation Continue, lieu soumis à la concurrence, lieu d’exigence car les stagiaires adultes n’hésitent jamais à challenger leur professeur, sera probablement l’endroit par lequel cette innovation passera.

C’est en effet là que l’étudiant est réellement dans une posture de client, qu’il inverse la proposition éducative : s’il échoue, c’est que la formation n’était pas adaptée …

On voit déjà dans les département de formation executive des grandes écoles des initiatives très intéressantes : mises en situation, serious games, intéractivité forte, retours d’expérience, utilisation des nouvelles technologies pour répondre à des contraintes logistiques spécifiques (cours du soir, activités projet entre des acteurs dispersés, programmes internationaux …)
Citons à titre d’anecdote significative l’ESSEC, qui offre à ses étudiants de l’executive MBA un Ipad en début de formation, contenant l’ensemble de la documentation pédagogique.

On le voit : la formation continue pour les établissements d’enseignement supérieur porte des enjeux fondamentaux, bien au-delà d’une simple contribution financière. Elle apparaît de plus en plus comme une part intégrante de leur activité, et souvent pas la moins dynamique.

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Gilles Gleyze

Les Ecoles et les Universités : quelle avenir en formation continue ?

Les grandes Ecoles et les Universités doivent-elles développer leurs activités de Formation Continue ?

Qu’auraient-elles à faire dans un secteur économique déjà structuré, dont le chiffre d’affaires représente plusieurs milliards d’euros, et qui s’organise autour d’acteurs majeurs publics (réseau des GRETA, CNAM …) et privés (CEGOS, DEMOS etc …).

La Formation Continue semble relever soit de l’action de l’Etat, soit du pur business ; en tous cas d’univers éloignés de l’enseignement supérieur.

La question est d’actualité pour la plupart des écoles d’ingénieur et des universités, chez qui les activités de Formation Continue restent souvent marginales.

Et pourtant, cette question n’en est déjà plus une pour les plus grandes Business Schools en France, qui réalisent des chiffres d’affaires importants en Formation Continue (plus de 50 Meuros pour HEC, près de 25 M euros pour l’ESSEC). Le succès des Executive MBA’s a contribué à asseoir la légitimité de ces écoles dans la formation tout au long de la vie.

La question est également traitée dans d’autres pays européens, tels que le Royaume Uni, où les Universités disposent de départements importants en Executive Education.

A première vue, beaucoup d’arguments militent pour dire que les Ecoles et Universités ne doivent pas se disperser, voire se perdre, dans la Formation Continue.

– C’est une activité qui demande des compétences très spécifiques qui sont rarement disponibles dans les Ecoles. Des compétences de gestion de projet, pour les formations intra ; des compétences de marketing et de vente, pour savoir remporter des affaires dans un environnement très concurrentiel. Une capacité de vitesse, réactivité, notamment pour répondre aux appels d’offres, souvent peu compatible avec le « temps long » de la recherche …

Si l’on questionne plus profondément ce qui fait la spécificité de la formation continue, on se rend compte que les clients demandent un type de formation qui ne rejoint que partiellement les pratiques académiques. A Centrale Paris, les clients nous ont indiqué qu’une formation continue portée exclusivement par des enseignants de profil académique leur paraîtrait coupée de la réalité, traditionnelle, ennuyeuse. Ils attendent aussi, en sus des professeurs de l’Ecole, des formateurs de légitimité professionnelle, capable de développer des pratiques pédagogiques innovantes.

Ces formateurs doivent être capables de répondre dans l’urgence à un appel d’offre, d’être réactifs et très orientés clients. Ce type de posture n’est pas forcément partagé par l’ensemble de nos collègues.

Les universités se lancent souvent dans la formation continue afin de générer des financements. Cela se révèle souvent décevant, car ce secteur, soumis à une forte concurrence, génère des marges assez faibles. Une activité complète de formation continue peut dégager, les bonnes années, une marge avant impôts de l’ordre de 10%, dont une partie doit être réinvesti dans le développement de l’activité. L’apport au financement de l’Ecole sera par conséquent assez marginal.

Et pourtant de plus en plus d’écoles d’ingénieur et d’universités investissent le champ de la formation continue ; Centrale Paris s’est par exemple fortement développée dans ce champ depuis 4 ans. Les Business Schools connaissent de fortes croissances. Les pouvoirs publics ne cessent d’inciter les universités à s’y lancer.

Alors pourquoi ?

A l’analyse, on se rend compte que la formation continue peut, si elle est bien pilotée, apporter beaucoup à une institution ; sa valeur ajoutée va beaucoup plus loin que le simple apport de financement. Plusieurs points méritent d’être soulignés :

Tout d’abord, la formation continue en établissement d’enseignement supérieur répond à une demande sociétale très forte, pour un service pour lequel ces établissements sont perçus comme légitimes : délivrer des formations certifiantes pour les adultes.

Les carrières de plus en plus longues, la frontière de plus en plus floue entre études et vie professionnelle (carrément gommée dans le cas de l’apprentissage) suscitent une demande croissance de formations lourdes en cours de vie, reconnues (et visibles dans un CV), et permettant des progrès visibles dans la carrière. Les entreprises, initialement méfiantes devant un dispositif favorisant la mobilité des meilleurs, sont maintenant de plus en plus partantes.

Du coup la marque devient décisive : qui d’autre que Centrale Paris peut délivrer un Executive Certificate (formation de 15 à 25 jours) sanctionnée par un certificat ? Certification qui est de plus est reconnue comme titre de niveau I au RNCP ?
CEGOS et DEMOS ne peuvent pas rivaliser sur ce champ là.

Cette tendance amène les institutions d’enseignement supérieur à s’interroger en profondeur sur leur cœur de métier : devons-nous limiter notre mission à la formation des jeunes ? La formation des adultes ne fait-elle pas partie de nos missions fondamentales, au même titre que la formation initiale et la recherche ? Les textes officiels nous y incitent d’ailleurs.

En outre, la formation continue est un moyen privilégié pour les institutions de favoriser la promotion sociale ; dans un contexte où les écoles sont fortement interrogées sur leur caractère élitiste, la formation continue diplômante permet de délivrer des certificats, diplômes d’établissement, certifications RNCP, voire diplômes d’Etat, à des personnes ayant une formation initiale courte, mais un parcours professionnel démontrant leur capacité à accéder à des diplômes du meilleur niveau.

Enfin, je suis persuadé que la Formation Continue sera la matrice d’une partie de l’innovation dans l’enseignement supérieur.
Les manières d’enseigner demain seront probablement très différentes de celles d’aujourd’hui : réduction du présentiel, changement du rapport entre professeurs et étudiants, animation de communautés éducatives, cours dématérialisés en e-learning, enseignement à distance, plateformes collaboratives, wiki-éducation …
L’ensemble de ces évolutions reposera probablement sur une utilisation des nouvelles technologies afin de mieux utiliser le potentiel d’apprentissage des étudiants, en collant mieux coller à leur manière d’apprendre.

Et la Formation Continue, lieu soumis à la concurrence, lieu d’exigence car les stagiaires adultes n’hésitent jamais à challenger leur professeur, sera probablement l’endroit par lequel cette innovation passera.

C’est en effet là que l’étudiant est réellement dans une posture de client, qu’il inverse la proposition éducative : s’il échoue, c’est que la formation n’était pas adaptée …

On voit déjà dans les département de formation executive des grandes écoles des initiatives très intéressantes : mises en situation, serious games, intéractivité forte, retours d’expérience, utilisation des nouvelles technologies pour répondre à des contraintes logistiques spécifiques (cours du soir, activités projet entre des acteurs dispersés, programmes internationaux …)
Citons à titre d’anecdote significative l’ESSEC, qui offre à ses étudiants de l’executive MBA un Ipad en début de formation, contenant l’ensemble de la documentation pédagogique.

On le voit : la formation continue pour les établissements d’enseignement supérieur porte des enjeux fondamentaux, bien au-delà d’une simple contribution financière. Elle apparaît de plus en plus comme une part intégrante de leur activité, et souvent pas la moins dynamique.

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Gilles Gleyze

Universités et entreprises : apprendre à se connaître

Les relations entre écoles ou universités d’une part, et entreprises, constituent l’un des serpents de mer de l’enseignement supérieur.

Sur le principe, depuis longtemps, pouvoir publics et une partie du monde académique appellent à un plus grand rapprochement, dans la perspective de faciliter l’insertion professionnelle des jeunes.

La pratique au quotidien est difficile, se heurtant à plusieurs écueils : une approche souvent trop « publicitaire » des entreprises, qui rebute enseignants et étudiants (les fameux « amphis retape ») ; des entreprises qui ne savent pas à qui s’adresser dans un monde universitaire peu structuré, en apparence confus (à qui parler ? au directeur ? à certains professeurs ? à des conseillers d’orientation et responsables service carrière ?) ; des enseignants inquiets de perdre leur autonomie ; voire des syndicats brandissant la menace tout idéologique de « marchandisation » de l’enseignement supérieur ….

Et pourtant, dans certains lieux, principalement dans des grandes écoles mais de plus en plus aussi en université, çà marche. Le succès repose souvent sur une approche pragmatique des apports et des attentes de chacune des parties prenantes.

Qu’attendent les entreprises des universités ? Principalement d’identifier les futurs collaborateurs, de détecter de bons candidats, et de faire connaître leurs métiers pour attirer les bonnes candidatures. La préoccupation des entreprises, c’est le sourcing de talents.

Ce sont généralement des attentes simples, et le succès se mesure en nombre de stages proposés à des étudiants issus de l’université cible, et au taux d’embauche à l’issue du stage.

Les entreprises ont ces dernières années spectaculairement structuré leur approche école et université, en créant des fonctions de Campus Managers chargés de développer la « Marque Employeur » de l’entreprise. Ces campus managers assurent la présence de l’entreprise dans les forums, pilotent des actions de sponsoring de clubs étudiants, organisent des jeux et concours (le Défi Bouygues Construction, le Challenge du Monde des Grandes Ecoles et Universités …).

De plus en plus, les entreprises les mieux organisées créent des réseaux d’ambassadeurs, collaborateurs de l’entreprise qui interviennent dans leur ancienne école au nom de leur entreprise. Elles démultiplient ainsi la surface de contact entre l’entreprise et l’école, en jouant sur le lien affectif qui existe entre les diplômés et leur école.

Quelle valeur, concrètement, les universités peuvent elles retirer de cette attente des entreprises ?

Essentiellement une connexion avec le monde économique facilitant l’insertion des étudiants. Dans le domaine de l’ingénierie, que je connais bien, les professionnels en entreprise apportent une vision actualisée des applications technologiques ; en sciences de gestion, ils permettent d’identifier les grands enjeux managériaux présents et futurs des entreprises globalisées.

En outre, l’implication des entreprises n’a de sens dans la durée que si elle se traduit par des recrutements (qui passent souvent par le sas intermédiaire du stage) ; un partenariat réussi d’une entreprise avec un cursus (un programme de 3 ème année de cycle ingénieur par exemple, un cursus spécifique, un M2 à l’université) se traduit par un flux soutenu de stages qualifiés, conçus par l’entreprise pour les étudiants du cursus et présentés de manière structurée aux étudiants. Un partenariat réussi signifie aussi une meilleure insertion professionnelle des étudiants.

La clef du succès ? Je donnerais 2 recommandations :

privilégier le contenu ; les étudiants n’ont que faire des discours institutionnels sur les entreprises ; le cours de bourse et le nombre de pays d’implantation de l’entreprise ne les font pas rêver. L’intervenant de l’entreprise à l’université doit apprendre à se faire discret, à privilégier l’expertise, le témoignage sur son métier, la prise de recul et l’esprit critique. Il n’est pas l’homme sandwich de l’entreprise, mais un professionnel passionné qui parle de son métier. Les étudiants feront d’eux-mêmes le lien avec l’entreprise pour laquelle il travaille.

laisser aux professeurs le dernier mot. En aucun cas une entreprise ne peut imposer un contenu, un intervenant à un responsable de programme. Ainsi la cellule de relations entreprises de Centrale Paris propose-t-elle aux professeurs les entreprises qui souhaitent devenir partenaires de cursus ; mais le professeur reste libre de décider ; quand bien même l’entreprise serait prête à financer l’école de manière généreuse.

Cela permet au professeur d’équilibrer son club d’entreprises partenaires, de garder la main sur les intervenants professionnels, de contrôler la qualité. L’aspect pédagogique doit rester premier, l’aspect financier second. Et les enseignants doivent rester in fine décisionnaires sur les intervenants qu’ils convient à leurs cours.

Ainsi à Centrale Paris, le Département en charge des relations entreprises a le souci d’équilibrer sectoriellement les partenariats entreprises, afin de respecter le caractère généraliste de l’Ecole. Sans ce travail de filtrage, le secteur du conseil serait par exemple massivement sur représenté dans les partenariats, ce que l’Ecole ne souhaite pas.

Tout cela relève-t-il d’une « marchandisation » de l’Education ? La marchandisation relève à mon avis du phantasme : les entreprises n’ont le plus souvent ni le temps ni les ressources pour influencer durablement l’enseignement supérieur. Elles sont le plus souvent assez démunies devant un monde qu’elles connaissent mal, et dont les codes sont très différents des leurs.

L’écueil que je rencontre le plus souvent est même strictement inverse : un manque d’implication de l’entreprise, qui se traduit tôt ou tard par une mauvaise gestion des stages, peu de candidatures de qualité ; le jour du bilan, le partenariat s’arrête.

Combien de partenariats échouent parce que l’interlocuteur entreprise qui l’a monté a changé et n’a pas été remplacé ?

Je suis convaincu que les partenariats entre entreprises et monde académique ont un grand avenir devant eux ; ils sont sous tendus par des tendances lourdes : nécessité pour les universités de se préoccuper davantage de l’insertion professionnelle ; raréfaction des talents pour les entreprises ; besoins financiers croissants de l’enseignement supérieur …

C’est l’une des voies de rénovation de l’enseignement supérieur, qu’Ecoles et Universités doivent aborder sans crainte.

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Gilles Gleyze

Quand les grandes écoles publiques et les universités réinventent leur modèle économique …

La fin d’un monde …

Les établissements publics d’enseignement supérieur sont confrontés à des changements majeurs dans leur environnement. Universités, grandes écoles publiques (une partie notable des écoles d’ingénieur notamment) ont longtemps vécu dans un univers protégé par la tutelle de l’Etat.

Longtemps, ces établissements ont rempli une mission de service public (la délivrance de diplômes nationaux), en échange d’une subvention de fonctionnement calculée selon des formules automatiques, et de la prise en charge directe des salaires de leurs professeurs par le Trésor Public.

Pour les grandes écoles notamment, ce système était très protecteur. Les « bons » élèves français allaient en classes préparatoires, choisissaient ensuite leur école selon un classement établi de longue date sur la base du prestige historique des écoles, obtenaient leur diplôme et entraient ensuite très majoritairement dans une entreprise du CAC 40.

Le vent du grand large

Depuis quelques années, l’environnement évolue à grande vitesse pour ces institutions ; le vent de la concurrence souffle. L’ouverture au grand large. Avec quelques années de retard sur les business schools, qui connaissent ces phénomènes depuis une vingtaine d’années, écoles d’ingénieurs et universités font l’expérience d’un monde plus ouvert.

La concurrence porte sur les étudiants, internationaux mais aussi de plus en plus souvent français, qui sont tentés par d’autres systèmes d’éducation. La Grande Bretagne exerce ainsi une attraction de plus en plus grande sur des bacheliers français, par son système réputé plus soucieux du bien-être de l’étudiant (le système des colleges), la réputation internationale de ses universités et le caractère plus progressif de la sélection.

La concurrence porte aussi sur les professeurs ; à l’image des professeurs de finance que les business schools s’arrachent à prix d’or, on commence à voir des pénuries dans certains segments des sciences de l’ingénieur. En systèmes d’information, dans certains segments des sciences de l’entreprise par exemple.

S’imposer dans un contexte concurrentiel coûte cher. Coût des campagnes marketing pour attirer les bons candidats ; coût de la construction d’une marque dans des pays lointains dans laquelle tout le travail de création de la notoriété de marque est à faire ; coût croissant des professeurs les plus côtés, pour lesquels nos établissements publics pourtant corsetés dans des réglementations serrées, imaginent des systèmes compliqués de rémunérations complémentaires, afin de retenir les meilleurs.

Etre visible dans un monde ouvert peut tenir à des éléments très matériels ; un beau campus, une signature d’architecte prestigieux pour un nouveau bâtiment sont des éléments importants de visibilité auprès d’étudiants issus des pays émergents, qui cherchent une institution pour étudier à l’étranger. Lorsque l’Ecole Polytechnique Fédérale de Lausanne réalise le Rolex Center, elle investit dans un élément clef de son image internationale, et se démarque ainsi de la concurrence.

Il est évident que la subvention de l’Etat, qui plus est d’un Etat de plus en plus impécunieux, ne peut suffire aux besoins financiers accrus des établissements.

Alors comment faire ?

De nouvelles activités pour financer les établissements

Les institutions développent plusieurs voies, depuis quelques années, pour accroître et diversifier leurs financements. On peut distinguer :

les activités contractuelles, de type business, qui consistent à réaliser des prestations pour le compte de clients ; les marges sont ensuite reversées à l’établissement. Il s’agit par exemple de la formation continue, ou des contrats de recherche

les activités de réponse à des appels d’offres, publics, para publics ou privés. Agence Nationale pour la Recherche ; pôles de compétitivité ; projets régionaux ; mais aussi des fonds privés tels que le Fonds Axa pour la Recherche ou le Fonds Exane. Le financement sur projet se substitue de plus en plus à la subvention directe pour financer la recherche.

Les activités de type sponsoring, notamment de partenaires entreprises qui souhaitent développer leur «image employeur », pour identifier les bons candidats et les recruter. Le partenariat est censé être gagnant, quand l’entreprise sécurise son recrutement, tandis que l’université améliore sa capacité à mieux insérer les étudiants dans le marché de l’emploi.

Les activités de mécénat, de type philanthropique. Mécènes privés (grands et petits donateurs aux Fondations d’universités) ; mécénat d’entreprises soucieuses de développer leur image d’entreprises responsables.

Les nouvelles activités transforment en profondeur les institutions

L’impact de ces nouvelles activités sur les institutions est massif ; outre leur rentabilité, qui est variable selon les cas, ces activités amènent les établissements sur des voies inédites.

Elles les amènent à développer des structures nouvelles, telles que les entités de formation continue ; à prendre des risques nouveaux, de type commercial ; à apprendre à vendre, suivre la satisfaction d’un client, respecter la volonté d’un mécène ; à répondre dans l’urgence à un appel d’offre…

… et également à développer la traçabilité des financements, et faire du reporting ; à mettre en place un système de contrôle interne, distinguant activités bénéficiaires (par exemple les activités commerciales) et activités déficitaires (souvent les formations pour les diplômes nationaux).

…. à recruter des profils nouveaux, des compétences nouvelles ; telles que par exemple les formateurs spécialisés en formation continue.

… à rémunérer de nouveaux personnels sur des grilles de salaires internationales, souvent plus élevées que les grilles françaises issues de la fonction publique ; ainsi pour les professeurs « stars » recrutés sur chaires.

Toutes ces transformations ne vont pas sans tensions, questionnements ; elles posent des interrogations sur le fond, la gouvernance, l’éthique.

La proposition de ce blog, au fil des articles que je vous proposerai, est d’explorer ces nouvelles formes d’activités induites par l’ouverture des universités et écoles à la concurrence, et par l’aiguillon de la recherche de nouveaux financements. Pour chacune d’elle je vous proposerai une perception de sa dynamique, de son potentiel, de ses écueils. Et de son impact sur l’établissement qui la développe.

C’est à un voyage dans un monde en pleine transformation que je vous convie. C’est mon quotidien professionnel, et il est passionnant.