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Jean-François Fiorina

Le Tour du monde en 80 clics…

GEM Digital day - 29 novembre 2012

GEM Digital day – 29 novembre 2012

Le numérique modifie en profondeur notre environnement. Ne pas en prendre la pleine mesure en tant que directeur d’école serait une faute grave. Ces bouleversements touchent la pédagogie, la vie scolaire, la vie professionnelle et privée… Tout se dit, partout, tout le temps comme ce tweet d’un élève (pas de chez nous !) qui déclare : « nous ne sommes que 3 sur 50 en cours aujourd’hui avec la photo d’un professeur esseulé… ». Créer une journée spéciale numérique qui embrasse la totalité de cette révolution pour sensibiliser nos étudiants, c’est l’ambition du premier GEM Digital Day qui se déroule demain dans nos locaux.

Accepter la vague. Notre responsabilité est d’accepter, d’accueillir cette vague numérique. Une révolution « petite poucette » comme le dit si bien le philosophe Michel Serres A cette génération qui parle avec ses pouces sur les écrans tactiles des smartphones et autres tablettes, le pédagogue a pour mission de lui apprendre à optimiser ces outils, et pourquoi pas, à refaire le chemin inverse de la séparation de la vie publique et privée, de la distance critique…

Je vois plusieurs niveaux d’intervention pour une école engagée dans cette mutation.

Le niveau personnel

Paradoxalement les étudiants ont des connaissances et de niveaux hétérogènes quant aux outils numériques. Par goût, par leur formation, ils deviennent hyper spécialistes de Twitter ou de Facebook. Certains gardent leur distance. Pourquoi ?

o Leur formation initiale, les a plus ou moins baigné dans la sphère numérique. Pour les élèves de classes prépas, c’est moins leur tasse de thé, par exemple,

o Leur expérience personnelle dans le domaine, en fait des acteurs confirmés ou des spectateurs quelque fois un peu velléitaires.

Notre mission est donc de leur donner une base commune de connaissances.

Le niveau professionnel

Ce deuxième niveau de connaissances que je dois leur transmettre, concerne le passage des usages aux techniques de management : comment réfléchir ces outils ? Leurs impacts dans la sphère pro ? C’est un vaste chantier, de la connaissance à l’e-réputation. Vous n’imaginez pas le nombre d’étudiants qui reviennent en pleurs d’entreprises avec cette photo d’une soirée bien arrosée sur Facebook qui a déclenché l’ire d’un recruteur. Nous devons également former ces jeunes à l’usage de ces outils dans l’entreprise. Et accepter le fait que l’étudiant peut, aussi, en savoir plus que le prof ou que son hiérarchique ! Ce sont des éléments dont il faut tenir compte.

Le numérique comme secteur d’activité

Je le vis comme une vraie opportunité. De nouveaux métiers émergent dans le web marketing, les contenus, la publicité, les softs, les serveurs… Tout comme ces nouveaux facteurs de croissance que sont la création de son propre emploi ou d’une entreprise. Nous fournissons, là aussi, à nos étudiants les outils pour développer leurs idées et leurs talents. Notre réflexion est permanente. La multiplication des outils et des cibles engendre de nouvelles pratiques quelque fois éphémères. Il est d’autant plus difficile de s’y adapter que demain ces nouveaux usages ne seront peut-être plus pertinents… Apprendre l’agilité est au cœur de la stratégie d’une école de management pour toutes ses populations, étudiantes ou non.

Un mode de vie et de gestion

La communication que j’ai abordée dans mon dernier post peut s’apparenter à une fuite en avant : en plus de nos cibles traditionnelles, de nouvelles communautés émergent, de nouveaux canaux de diffusion également… Je l’assume : nous devons maintenir une image forte sur ces territoires numériques. C’est un travail chronophage car nous ne savons pas clairement quelle est la part d’influence de chacun dans le processus de communication globale d’une école. Nous pouvons nous rassurer en affirmant que, sans cette communication numérique, nous serions relégués aux confins de la galaxie éducative…

Nous pouvons répondre à ces enjeux par la cohésion et une organisation efficace et réactive. Nos étudiants en tout cas passe par plusieurs filtres qui leur donneront un viatique numérique pour faire le Tour du monde en 80 clics ! Il s’agit chez nous :

du certificat 2.0 (identité numérique),

du master internet stratégie/web management,

de nos incubateurs d’entreprises,

de notre Chaire Information et Convergences numériques (avec Sciences Po Grenoble et Supcréa),

de notre premier GEM Digital Day, c’est demain !

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Jean-François Fiorina

L’information 2.0 comme moteur du changement (Ecole du futur, épisode 3)

J’ai abordé la question de l’école du futur par ses cercles extérieurs. La semaine dernière, nous nous sommes intéressés aux communautés qui composent l’écosystème des établissements (environnements socio-économique et associatif, parents d’élèves…). Aujourd’hui, ce sont les nouveaux médias et outils de communication qui nous occupent en proposant une manière inédite de produire, de partager et de diffuser l’information éducative. Nous passerons bientôt le seuil de la porte de l’établissement (réel ou virtuel !) et entrerons progressivement dans la salle de classe…

SoLoMo éducation. La mutation numérique en mode – social, local, mobile -, nouveau paradigme lancé par le bloggeur Loïc Le Meur en décembre 2011, impacte radicalement le monde des médias de l’enseignement. On assiste à  une segmentation de plus en plus fine des publics et des thématiques, même si les magazines spécialisés et les publications traditionnelles (enquêtes, palmarès, classements) restent forts. C’est sur le mode participatif que ces nouveaux médias sociaux se lancent comme Trendy du groupe L’Etudiant avec un objectif : imbriquer le plus intimement possible lectorat et média. Un espace où la frontière vie publique-vie privée s’atténue.

D’ailleurs parlera-t-on encore de lectorat au sens strict sur ces plateformes ? Ne seront-elles pas jaugées à l’aune de leur trafic, du nombre de leurs blogueurs affiliés et influents, de leur empreinte sur les tendances, les modes, le débat, de leur capacité à mobiliser sur les thématiques du moment, sur l’internet et les réseaux sociaux ? Dans la même perspective, je citerai, le Lab’éducation du Figaro Etudiant, défricheur des dernières nouveautés en matière d’éducation et des controverses autour du futur de l’enseignement ou Le Parisien Education. Toutes ont des déclinaisons locales, du moins sur les grandes villes universitaires. Toutes croisent les informations produites par les journalistes garants de la qualité et de la ligne éditoriales, les experts, les étudiants, les professionnels de l’éducation.

Les télévisions développent également leurs plateformes spécialisées. France Télévisions vient de lancer Francetv éducation pour les parents, les élèves et les enseignants, nouvelle formule qui se substitue à Curiosphere.tv de France 5. Canalsat Campus se présente comme la chaîne de la recommandation éducative et d’une nouvelle manière d’apprendre… de la 6ème à la Terminale.

Sans parler des sites « historiques » qui réussissent leur passage au « social » comme L’Etudiant ou Educpros sur lequel je m’exprime régulièrement !

Entrer dans le cercle. Pour les écoles, cette modification du paysage médiatique n’est pas neutre. Nous devons entrer dans le cercle de la création de cette information collaborative et interactive. Non seulement en apportant nos contributions à ces plateformes en terme d’information multi canal et multi cibles mais également en imaginant de nouveaux services pour les générations montantes.

Certains parlent déjà de la génération « Z » baignée des ressources de l’internet et du numérique dès leurs premières années. Comment consommeront-ils l’information éducative, comment vont-ils se former dans un environnement 100% numérique ? Des questions essentielles que l’école du futur doit penser en termes opérationnels très vite.

Nous entrons dans une logique du partage de l’information et de co construction des modèles de demain, l’information éducative au sens large n’y échappera pas. Nouveaux médias, étudiants, profs, parents, chaires thématiques comme Convergences que nous pilotons avec 2 autres écoles (Sciences Po, Supcréa) participent d’une même dynamique collaborative à des niveaux distincts mais complémentaires. La mutation des médias SO LO MO nous offre un terrain d’expérimentation exceptionnel pour l’école de demain !

A noter sur vos agendas, la tenue du Salon Educatec-Educatice à Paris (jusqu’au 23 novembre). J’en suis et rapporterai quelques informations intéressantes récoltées lors des conférences dans mon prochain post.

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Travailler pour ses communautés (Ecole du futur, épisode 2)

L’école du futur recouvre un aspect moins connu, celui de vivre en relation de plus en plus étroite avec les communautés qu’elle sert. Objectif : coproduire du lien, du savoir, de l’échange. Une exigence de tous les instants pour être sûr de la valeur ajoutée de l’école à l’économie, aux entreprises, aux partenaires scientifiques et académiques, aux étudiants – hors enseignement stricto sensu.

Outil contributif. L’école de demain sera en lien avec des communautés de plus en plus variées avec lesquelles il faudra bâtir un relationnel personnalisé. En direction des entreprises, on imagine facilement le lien avec les promotions des étudiants de l’école à Grenoble, moins celui avec les étudiants du monde entier qui pourtant vivent au quotidien certains de nos cursus. C’est une véritable valeur ajoutée pour notre tissu économique. L’école de demain parle à des entités économiques, sociales, scientifiques, à ses partenaires mais également à des entités plus ciblées comme ses prospects, étudiants ou chercheurs. Le tout dans une logique complémentaire dans une tension locale et internationale. C’est bien le rôle d’une grande école que de s’inscrire sur des territoires et dans des communautés qui ne sont pas directement liés à la question de l’enseignement. Un peu comme un catalyseur qui déclenche ou accélère une réaction chimique !

Toutes n’ont pas les mêmes attentes vis-à-vis de nous, mais toutes nous intéressent de manière singulière. Fini le discours globalisant, place aux politiques spécifiques. Nous devons construire des lignes directrices fortes et évaluer l’impact que nous avons sur chacune de ces communautés. Si je prends l’exemple de notre écosystème économique, nous avons une vocation locale à incuber de jeunes start-up prometteuses qui s’installeront dans la région et créeront des emplois ; une vocation internationale à apporter aux grands groupes industriels high tech des idées de business modèles innovants ; une vocation nationale à fournir des talents à toutes les formes d’économie. Sur chacune de ces cibles, l’école de demain devra questionner ses apports concrets, leurs impacts et les évaluer. Construire sa propre assurance qualité en quelque sorte. Des paramètres qui influenceront, par exemple, le classement des écoles. Du moins je l’espère.

Risque de dispersion. A l’heure numérique, je vois l’ambition et la possibilité de construire des réseaux à l’infini comme autant d’opportunités et de risques. Le succès dans la durée pour une école passera par sa capacité à sélectionner et affirmer ses choix, à travailler des audiences et des sources ciblées. Par le numérique, nous disposons des outils pour les qualifier et nous aider à construire des communautés de qualité. Notre dimension internationale et numérique nous rapproche, un peu paradoxalement, de notre territoire géographique local et communautaire. J’en suis convaincu.

En poursuivant mes lectures sur la pédagogie de demain qui fait suite à mon précédent post, je vous propose deux articles à la lecture issus du Figaro étudiant :

Facebook réveille ceux du fond qui dorment !

On connaissant le Tableau interactif, voici l’amphi quizz…

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Jean-François Fiorina

Le rapport Gallois côté enseignement supérieur

Les propositions qui me plaisent et qui vont impacter le monde de l’enseignement supérieur :

– Les 5 dispositifs prioritaires à stabiliser pendant le quinquennat (crédit impôt, dispositif Dutreil, Contribution Economique Territoriale – ex Taxe Professionnelle, mesures d’investissement dans les entreprises…). A lire aussi sur Lesechos.fr,

– L’aide aux exportations,

– Le développement des PME,

– Le doublement du nombre de contrats d’alternance,

– La sanctuarisation du budget de la recherche,

– La priorité à l’industrie (technologies génériques, santé, énergie),

– Le renforcement des filières.

Ces mesures nous impactent à deux niveaux :

  • Etudiant : avec la nécessité de les informer sur ces dispositifs et de créer des parcours spécialisés pour aider les entreprises (avec un focus spécifique PME).
  • Entreprise : les informer en amont et leur fournir les «moyens » et les talents de leur performance: étudiants (formation initiale), formation continue, recherche appliquée…
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Jean-François Fiorina

L’école du futur… c’est pour demain ?

Wise Summit, Educatec/Educatice, Online Educa Berlin, articles de presse, rapport de l’Inspection de l’Education nationale sur les tablettes numériques… l’école de demain intéresse et mobilise. Je délaisse donc pour un temps mon actualité de directeur pour me diriger vers celle du pédagogue en plein questionnement. J’aimerais échanger avec vous sur ce thème en démarrant une série de posts sur cette « école du futur ».

« Le cours d’amphi est-il en train de vivre ses derniers instants » comme l’a prédit Le Monde en date 11 octobre ? Aurait-il titré de cette manière, il y a seulement deux ans ? Sommes-nous arrivés à l’ère des MOOC ‪(Massive open online course) que le Financial Times (Free, high-quality and with mass appeal), Courrier International (Harvard pour tous) ou le magazine Uzbek et Rika (La Revanche des cancres) présentent comme des solutions d’avenir, à l’heure de la nécessaire massification/démocratisation du savoir ?

L’acte d’enseigner est en profonde mutation. Les attentes sont fortes et les modèles en cours d’évolution. Nos écoles doivent s’engager sur le chemin des Fab Labs* adaptés à la pédagogie. Ces Educ Labs ouvriront la voie à l’expérimentation concrète d’outils, de méthodes et de technologies nouvelles pour former les prochaines générations. Geneviève Fioraso annonce d’ailleurs « le suivi obligatoire d’un cours dédié à l’innovation et à l’entrepreneuriat dans toutes les formations de l’enseignement supérieur. »

Aux USA, les profils Facebook servent à recruter ou à éliminer les candidats pour les meilleures universités qui l’expliquent ouvertement (lire cet intéressant article du Wall Street Journal). D’autres assurent qu’une partie des cours sera organisée sur ce même réseau social, ouvert et gratuit…

Je suis également interpellé par les liens étroits que doivent maintenant entretenir la compétitivité de nos entreprises et la réforme de notre système éducatif. Le rapport de l’Institut de l’Entreprise « La France dans la mondialisation : se protéger ou se projeter ? » est, à ce propos très éclairant. L’élection présidentielle de 2012 a confirmé que l’opinion française reste l’une des plus méfiantes du monde à l’égard de la mondialisation. Que devons transmettre aux jeunes générations dans un monde en mutation ? J’aime citer le discours d’Yvon Gattaz sur la nécessaire mutation de l’enseignement supérieur : « Nous devrons apprendre aux jeunes les approches efficaces sans la recherche permanente de cette mythique vérité absolue. En effet, de nos jours, avoir des idées définitivement claires dans un environnement définitivement flou peut être un manque de bon sens. »

Je vous invite également à lire la synthèse que j’ai rédigée à l’issue du voyage d’études dans les Liberal arts colleges américains avec l’AGERA (Alliance des grandes écoles de Rhône-Alpes) au printemps dernier.

J’attends vos réactions et contributions !

*frabrication laboratories lancés par le MIT.

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Jean-François Fiorina

Baromètre Grandes écoles : le directeur-adjoint de TNS-Sofres explique sa démarche

Eric Chauvet en charge du Baromètre des Grances Ecoles TNS SOFRES.

Eric Chauvet responsable du Baromètre des Grances Ecoles/TNS SOFRES.

J’ai souhaité rencontrer Eric Chauvet, DG-adjoint, en charge du département Stratégies d’opinion, pour échanger sur la récente publication de son baromètre annuel Grandes Ecoles. Cette étude interroge les étudiants des écoles de commerce et d’ingénieurs pour connaître leurs attentes à l’égard de l’entreprise et l’attractivité de leurs futurs employeurs.

Pour un directeur d’école, ces études sont autant d’outils de pilotage que je confronte avec mes propres informations. En aucun cas, elles n’entrainent de coups de barre à 180° dans la stratégie mais elles permettent une mise en cohérence, un comparatif par rapport au marché et avec mes écoles paires. Je fais un parallèle avec le classement des grandes écoles. Ce n’est pas une fin en soi mais un outil de pilotage et d’amélioration continue.

*TNS Sofres a interrogé en face à face et en ligne 2061 étudiants parmi les écoles retenues.

Jean-François Fiorina (JFF) // Votre baromètre existe depuis 27 ans. A-t-il un client particulier ? Auprès de qui est-il diffusé ?

Eric Chauvet (EC) // C’est ce que l’on appelle, dans notre jargon, une étude en « souscription » proposée aux entreprises. Nous clients viennent de la finance, de l’énergie, de l’industrie. Certains sont fidèles, d’autres ne souscriront pas à l’enquête tous les ans. Leurs noms restent confidentiels.

JFF // Il y a une profusion d’études de ce genre sur le marché. Comment vous positionnez-vous par rapport à Universum, par exemple ?

EC // Globalement, ce que nous disent nos clients c’est qu’on est plus dans l’accompagnement, plus dans le « prêt à l’emploi ». On est plus digeste. Techniquement, il y a des différences. Universum demande de choisir 5 entreprises que vous préférez et, à partir de là, ils posent leurs questions. Chez nous, l’évaluation de nos clients s’effectue sur l’ensemble des gens qui participent sans automatiquement le faire auprès de ceux qui sont « conquis », c’est-à-dire qui vous ont mis dans les 5 employeurs préférés. C’est donc une approche assez différente. Universum est plus dans l’analyse de vos « fans », alors que nous, ils ont plutôt une analyse de l’ensemble de la population.

JFF // En 27 ans, qu’est-ce qui a changé auprès des étudiants d’écoles de management ou d’écoles d’ingénieurs vis-à-vis de l’entreprise ?

EC // Des choses ont évolué mais, pour être provocateur, beaucoup moins qu’on ne le croie. Il y a des valeurs sûres : le fait de trouver un emploi. Cela bouge notamment en fonction de l’état du marché du travail mais c’est l’ampleur de l’évolution qui est intéressante car ce n’est pas un scoop sur le fond.

Les souhaits des rémunérations progressaient assez régulièrement voire très vite en plein emploi mais stagnaient en périodes de crise. Cette année, ils reculent même.

Il y a d’autres éléments qui évoluent. Si les stages et les candidatures spontanées ont été les moyens les plus efficaces de trouver un emploi, les premiers restent quasi imperturbables depuis 25 ans pour les écoles de commerce tandis que les seconds sont, aujourd’hui, à un niveau quasi inexistant. Alors que les candidatures spontanées faisaient jeu égal avec le  stage jusqu’en 1992…

Ce sont des évolutions de grande ampleur que seul le recul permet d’appréhender.

JFF // Que pensent vos clients et comment interprètent-ils ces évolutions ?

EC // Ils souhaitent savoir quel message mettre en évidence, quel créneau privilégier, qu’est-ce qui compte aujourd’hui pour les étudiants ?

JFF // Dans les résultats, un élément m’a particulièrement surpris : le taux relativement élevé, encore plus chez les ingénieurs que chez les commerciaux, des étudiants qui affirment que le travail prime sur la qualité de vie. J’avais plutôt constaté leur souhait d’équilibrer vie privée et vie professionnelle.  Une génération très « contractuelle » finalement, c’est du « donnant-donnant ».

EC // On est 100 % d’accord sur le « contractuel » et le « donnant-donnant ». C’est même la deuxième génération car nous avons commencé à mesurer ce phénomène au milieu des années 90.

La formulation de cette question qui est très ancienne peut poser problème. Avec les historiques, cela permet d’y voir plus clair.

En tout cas, le « travailler beaucoup pour gagner beaucoup », semble-t-il, continue à faire recette.

Comme vous le dites, c’est une génération qui est quand même très « contractuelle », « donnant-donnant ». Si vous ne donnez pas beaucoup, il n’y a aucune chance qu’ils travaillent beaucoup. Une dimension que parfois, certains employeurs, ont tendance à oublier. Ils ne travaillent pas uniquement dans l’espoir d’être un jour récompensé. Ils veulent gagner beaucoup tout de suite.

Un exemple un peu provocateur, la finance n’a pas eu beaucoup de difficultés à recruter au cours des années 2000 sur des jobs extrêmement « prenants» qui rémunéraient vraiment beaucoup, alors que tout le monde critiquait cette génération qui ne voulait pas travailler !

JFF // Le secteur de la finance est intéressant. C’est ici que la baisse d’attractivité des entreprises est la plus importante, en spontané également.

EC // Oui, tout à fait. Phénomène qui est assez récent globalement. Dans les années 2000, sa mise en cause lui a fait perdre des points. Mais pour relativiser, elle a quand même plutôt pas mal résistée après 2008. La finance reste attractive. Elle a perdu son leadership mais pour une deuxième position cette année…

Les plans sociaux assez massifs sur certains marchés ont marqué les étudiants. Un secteur qui embauche moins sera bien sûr moins convoité. Les étudiants sont sensibles à l’intérêt du travail et à la rémunération mais également au volume de jobs disponibles dans un secteur donné. Ils analysent le marché et essaient de se positionner là où ils vont trouver le meilleur potentiel, entre le nombre d’opportunités, l’intérêt du travail et la rémunération.

JFF // Je suis entièrement d’accord avec vous. Les étudiants ont une démarche très rationnelle. Ils sont très au courant en amont de ce qui ce passe. Par contre, au niveau de la finance, une petite surprise pour moi, c’est le petit recul des cabinets d’audit qui sont d’importants recruteurs d’étudiants d’écoles de management. D’ailleurs, dans votre classement, ils sont en « tir groupé ». C’est peut-être un début de tendance ?

EC // Ceci dit, ils restent quand même à des places honorables. Les sociétés d’audit qui sont des entreprises de relative petite taille, si on les compare à Danone, BNP-Paribas, L’Oréal, apparaissent quand même dans le classement. C’est déjà en soi une performance extraordinaire ! C’est aussi certainement dû à leur très grande présence sur les campus.

JFF // C’est vrai mais également, je trouve qu’il y a de plus en plus un décalage entre les entreprises dans lesquelles les étudiants aimeraient bien travailler, une sorte d’idéal, et puis, la réalité du marché qui fait qu’ils prennent ce qui vient.

EC //  Sur le palmarès que l’on publie : un est « en assisté », l’autre « en spontané ». Dans le spontané : il faut que l’étudiant pense spontanément à l’entreprise pour la citer. Dans l’assisté : on cite l’entreprise dans une banque de données. Les décalages sont alors énormes. Typiquement, les boîtes qui font rêver (Google, Apple, Canal+) ont régulièrement de très bonnes places dans le classement assisté. En revanche, comme ils ne sont pas très présents sur les campus et qu’ils n’offrent pas forcement beaucoup de jobs, ils ne vont pas faire partie de ceux que l’on va citer spontanément. Car pas suffisamment présents à l’esprit.

JFF // Pour les ingénieurs, dans la notion d’attractivité assistée, on voit qu’il y a une sanction relativement immédiate liée à leur image ou à cause d’informations négatives. Je pense à Areva, PSA, Total…

EC //  En fait, ce qui marche le mieux, entre guillemets, pour perdre des points, c’est quand même les mauvaises informations économiques.

Globalement, il y a eu des périodes où certaines entreprises étaient mises en cause dans les médias par leur posture RSE pas idéale mais je ne les ai pas vu franchement reculer.

En revanche, si d’un seul coup, une entreprise florissante se met à faire un plan social ou à avoir des résultats en baisse, ça baisse beaucoup plus vite, sachant aussi qu’il y a un double phénomène qui est que, dans ces situations-là, en règle générale, ils réduisent la voilure sur les campus, ils annoncent qu’ils ne vont pas recruter. Du coup, ils perdent également un peu sur la dimension « employeur de référence » qui fait partie de leur image sur les campus et dont les étudiants discutent.

JFF // Là aussi, on le constate bien avec les entreprises qui participent aux événements sur le campus mais qui ne vont pas recruter. Ils se constituent une base de CV ou sont dans la pure marque employeur pour rester dans l’inconscient des étudiants.

EC //  Vaut-il mieux venir pour maintenir le contact même si on doit passer des messages qui ne vont pas beaucoup plaire aux étudiants du type, « oui, nous sommes très bons mais nous ne pouvons pas recruter » ou ne faut-il pas venir ? Quelle est la meilleure stratégie ? Je ne suis pas sûr d’avoir la bonne réponse. Il y a du pour et du contre dans les 2 attitudes.

JFF // Certains ont même une position intermédiaire qui est d’avoir des processus de recrutement très longs pour maintenir un peu la pression et se dire que quand il y aura un peu des budgets ou une petite fenêtre de tir, à ce moment-là, on peut dégainer très vite !

EC //  Je n’ai pas osé aller jusque-là !

JFF // Autres renseignement de votre sondage, vous mettez : « perception de la crise encore plus aiguë pour les étudiants d’écoles de management avec un niveau de pessimisme jamais atteint depuis 1993 ». C’est vrai que pour nous, école de management, l’année 1993 a été une année de grande crise. Pourquoi ces étudiants font-ils alors des études s’ils sont pessimistes et s’ils doivent dépenser de l’argent ?

EC //  Premièrement, on a interrogé les étudiants de dernière année. Quand ils se sont inscrits, il y a trois ans, la situation était différente.

Après, il faut toujours les donner en relatif. Un tiers nous dise « c’est facile de trouver un emploi » au printemps 2012. Si nous interrogions d’autres catégories de population, nous n’aurions pas le même score. Pour les BTS, c’est à peine 15 %. Lorsqu’ils se sont inscrits, ils étaient dans une logique où près de la moitié étaient confiants sur le fait de trouver un emploi.

JFF // Il y a peut-être une frustration plus importante, un décalage entre un processus de fabrication qui a été plus long que l’évolution économique.

EC //  Voilà, après je serais extraordinairement surpris que les tensions sur le marché du travail se traduisent par une baisse des inscriptions dans ces écoles qui conservent les mêmes taux d’insertion professionnelle. Cela veut dire surtout que la prise de conscience est telle, que ces profils-là deviennent aussi inquiets.

Il ne faut pas croire qu’à côté, un jeune qui sort du lycée à 20 ans, ou un troisième en situation d’échec, se dit qu’il a 80 % de chance de trouver un emploi très facilement !

Même, les mieux lotis commencent à douter y compris les ingénieurs qui sont pourtant conscients de la pénurie de leurs profils sur le marché du travail.

JFF // Peut-être parce qu’ils ont le choix de s’engager dans des métiers de production, que l’on parle de compétitivité, d’industrie… C’est pour eux synonymes de potentiel de recrutement ?

EC //  Oui, puis globalement, on dit qu’il y a plutôt une pénurie d’ingénieurs. C’est quand même beaucoup plus facile pour eux de trouver des jobs alors que les profils de management sont en revanche, peut-être un peu moins difficiles à trouver. Ils comprennent que cela ne sera pas aussi facile.

JFF // Si je prends le cas de Grenoble. Les étudiants nous disent que l’inquiétude n’est pas à court terme car il y a poursuite de stages ou de l’embauche, à la suite à des projets de fin d’études. Leur grosse inquiétude, c’est plutôt dans un an ou deux, et le fait de se retrouver en concurrence avec des jeunes diplômés seniors qui eux aussi font l’objet de plans de licenciement, avec la crainte donc de se dire « on sera moins compétents ». Il y a un petit décalage. Il y a une crise du recrutement dans beaucoup d’écoles et, les familles, se posent la question du retour sur investissement.

EC //  J’avais, par contre, pas du tout ça en tête !

JFF // Il y a à la fois cette demande de retour sur investissement, une concurrence en hausse et notamment de la fac avec des Masters qui ont pas mal progressé, un peu de concurrence étrangère… La question que se poseront les familles dans les années à venir est la suivante : « je suis prêt à investir en étant convaincu qu’il y aura un retour important : le job de mes rêves, au salaire de mes rêves, dans l’entreprise de mes rêves et… le plus vite possible, rejoindre l’entreprise qui tienne ces promesses. »

EC //  C’est quand même la clé de succès des écoles de management depuis des décennies !

JFF // Enfin, c’est un sondage qui s’adresse aux écoles. La fac, en termes de concurrence, bouge. On parle de professionnalisation, d’insertion. Est-ce que vos clients vont étendre, dans les années à venir, cette étude à un troisième groupe de population : les étudiants issus de l’université ?

EC //  C’est très partagé. Avec l’aide de la CPU (Conférence des Présidents d’Université), nous avons transposé, l’année dernière, cette étude. Les universités hésitent à la reconduire. Les organisations étaient demandeuses. Cela paraît plus complexe d’organiser ce genre d’enquête en fac mais je sens que c’est quand même plus ouvert aujourd’hui.

J’avais essayé de lancer le produit vers 2002/2003… échec. Le monde de l’entreprise n’était pas intéressé par la fac en général ou alors s’intéressait à deux ou trois Masters, ce qui nous permettait difficilement de faire un nombre suffisant d’interviews pour leur apporter de vraies réponses. Mais, on sent aujourd’hui, que l’intérêt pour l’université est plus clairement développé.

JFF // Enfin, pour terminer, une question un peu difficile. Vous êtes un institut de sondage. Vous faites beaucoup d’enquêtes sur ce sujet de la crise, de sa perception, des peurs. Nos étudiants, qu’ils soient en école de management ou en école d’ingénieurs, ont des comportements identiques à la population française ou des comportements un peu atypiques ?

EC //  C’est un peu complexe, dans la mesure où les études que l’on fait auprès d’eux sont très ciblées sur des problématiques les concernant directement.

Ce que l’on peut comparer, c’est plutôt, les attitudes au travail. Et là, ils ne sont pas si atypiques que cela, en fait.

Je le dis toujours, le trio de tête des attentes majeures pour l’emploi sont : un travail passionnant, un poste formateur, une bonne ambiance. On le retrouve chez vous et dans les écoles d’ingénieurs. Idem dans les BTS, DUT, chez les salariés de nos clients lorsqu’on fait un baromètre interne. On le trouve également pour les profils qui ont arrêté l’école niveau Bac. Sur les fondamentaux, ils se ressemblent beaucoup et depuis longtemps.

JFF // Ce qui voudrait dire que la génération Y n’existe pas ?

EC //  Je n’ai pas dit cela non plus. Je fais partie de ceux qui ont tendance à le relativiser. Quand je regarde les attentes des élèves en termes d’emploi, le type de job qu’ils aimeraient sur les quelque 20 dernières années, il y a plus de stabilité que d’évolutions massives. Il y a beaucoup moins d’évolution qu’on ne le pense.

JFF // Ce sera une très belle conclusion et cela peut rassurer un directeur d’école !

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Jean-François Fiorina

Se projeter en 2013

Une rentrée chasse l’autre. C’est bien celle de 2013 que nous préparons déjà ! Satisfait de voir que les nouvelles formules que nous avons proposées en 2012 ont plu comme le « Village de la rentrée » ou le jeu de la créativité : « 24h de l’innovation ».

La machine se remet en place avec la relance des recrutements qui s’oriente dans 3 directions :

  • les classes préparatoires. Nos étudiants vont à la rencontre des futurs candidats. Ce sont nos meilleurs ambassadeurs comme en témoignent les jeunes majors du concours interviewés la semaine dernière ! Je suis moi-même investi dans ce tour de recrutement.
  • Passerelle. Chaque école partie prenante de la banque Passerelle sur sa zone géographique est chargée d’expliquer la démarche et de la valoriser. Les prospections pour les concours “Passerelle diversité” et “Pass world” ont démarré et les admissions sont en place.
  • Les salons se préparent également.

Une date clé à noter sur vos tablettes ! Le Festival de Géopolitique qui se tiendra à Grenoble du 4 au 7 avril 2013. Thème de cette édition : « La face cachée de la mondialisation ».

…Et dans les actualités récentes de l’Enseignement supérieur

  • Erasmus fête ses 25 ans. A l’heure où le programme peine à trouver les 90 millions d’euros dus par les Etats membres pour boucler son budget 2013, n’est-ce pas l’une des plus belles réussites de l’Union européennequi vacille ? Quel paradoxe!
  • Coup d’accélérateur sur l’alternance avec le doublement souhaité du nombre de contrats. « Tous pour l’alternance ! » , nouveau slogan ? MEDEF, UNESCO et la ministre Fioraso qui déclare « qu’un étudiant sur six sera en apprentissage ou en contrat de professionnalisation en 2020 », tout le monde souhaite un décollage de la formule. J’ai toujours défendu cet enseignement à part entière qui manque cependant de financement de manière chronique. Autre info, les professeurs débarquent dans les entreprises! Annonce faite, lors du colloque national de l’AJE (Association jeunesse et entreprises), toujours par la ministre de l’Enseignement supérieur qui veut favoriser le «d étachement d’enseignants dans les entreprises» et développer «des stages de part et d’autre ».

  • Un palmarès (de plus) sur les entreprises préférées des étudiants et leur sentiment face au marché du travail. Cette fois-ci, c’est TNS-Sofres qui s’y colle. Cette info fera, d’ailleurs, l’objet de l’interview de son directeur général-adjoint la semaine prochaine sur mon blog. En deux mots: la crise est passée par là, les étudiants privilégient l’implication au travail par rapport à la qualité de vie. Et les ingénieurs pensent s’en sortir globalement mieux que les commerciaux.
  • Vincent Peillon annonce un grand service de l’orientation à la rentrée scolaire de septembre 2013.
  • Maghreb: coopération renforcée franco-marocaine dans le domaine de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique.

  • Afrique : 2ème discours de Dakar. Cette fois, celui de François Hollande. L’Afrique un immense potentiel de développement freiné par une démographie galopante, des conflits larvés et de fortes disparités économiques.
  • Le financement de l’Enseignement supérieuren mutation : Cambridge sur les marchés financiers. L’établissement a émis sa première obligation. Il est même noté AAA par Moody’s!

  • Des salons intéressants: les serious games s’exposent à Lyon (8ème édition) et le salon VAD- e-commerce se tient à Lille (16ème édition).

  • Des livres que je conseille: Entrer en élite, une approche comparative internationale intéressante (PUF). La France dans la mondialisation : se protéger ou se projeter ? (PUF).

  • Mouvement: Pierre Tapie annonce son départ de l’ESSEC à l’été 2013.

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Jean-François Fiorina

Impressions de rentrée, paroles d’étudiants

Jean-François Fiorina entouré de quatre majors du concours 2012.

Jean-François Fiorina entouré de quatre majors du concours d'entrée 2012 à l'ESC Grenoble.

Un mois au compteur depuis cette rentrée 2012. L’occasion de mieux faire connaissance avec nos nouveaux étudiants fraîchement admis à l’ESC Grenoble. Cette semaine, j’ai convié quatre majors de nos concours d’entrée en 1ère et 2ème année pour une discussion à bâtons rompus. Parole à Sandra, Benoît, Virgile et Benjamin.

Jean-François Fiorina : Comment vivez-vous cette rentrée ?

Virgile // Tout se passe bien, je découvre la richesse des cours. Je suis vraiment allé à la rencontre des autres étudiants et comme je suis un passionné de musique, je participe à l’association Nymphony.

Benoît // La partie scolaire est prenante ! Mais je découvre aussi toutes les associations. Il y a beaucoup d’activités possibles.

Benjamin// Par rapport à la prépa, c’est le choc ! J’ai l’impression d’avoir déjà fait beaucoup de choses. J’ai choisi English Track*. Je suis heureux d’être ici.

Sandra // Je suis également en English Track, les professeurs et mes camarades sont intéressants. J’avais une certaine appréhension d’intégrer une promo en cours de route mais tout se passe bien.

*English Track : parcours de 3 ans, 100 % en anglais, par les professeurs internationaux du corps professoral de l’école, en compagnie d’étudiants étrangers.

Etait-ce l’idée que vous vous faisiez d’une école de commerce ? Comment vous êtes-vous préparés au concours ?

Benjamin// En intégrant une préparation à l’Ecole Nationale Supérieure, ce n’était pas  pas ma première idée mais au fur et à mesure des cours, je me suis intéressé à tout ce  qui touchait au management. Je me suis laissé une porte ouverte. J’avais une petite appréhension mais c’est une nouvelle vie qui commence.

Benoît // J’ai fait un BTS directement après le bac et l’année dernière, j’ai eu un déclic pendant mon stage à l’étranger. On m’a parlé de Passerelle et de Grenoble. C’est devenu mon objectif : intégrer l’école. Je me suis préparé aux oraux (PGE/GO) et à la note de synthèse via deux intensives écrit/oral. Cela demande beaucoup de travail personnel comme se lever le samedi matin, pas trop boire la veille ! Mais quand c’est quelque chose qui vous prend, là, au creux du ventre, ce n’est pas un problème.

Virgile // Oui, c’est vrai, beaucoup de mes amis me disaient « ces écoles-là, je ne les tente même pas ». Non, il faut y aller. Après mes études de musique, cela m’est venu au dernier moment. J’avais acquis des connaissances techniques mais il me manquait des connaissances en management. J’ai préparé les concours. Venant de la fac, j’avais une appréhension mais je n’étais pas complexé. La nouveauté me plait. Je suis motivé.

Sandra // Après deux années en fac d’économie gestion, je ne me sentais pas prête. J’ai préféré faire une licence en commerce international à GrandChamp pour préparer le concours Passerelle. Les professeurs en français et en anglais étaient très bons.

Quelle image avez-vous d’une école de commerce ? Vos premiers pas vous confortent-t-ils ?

Sandra // C’est un énorme tremplin vers la vie professionnelle. Je me sens emportée dans un tourbillon. Il se passe quelque chose d’un peu inexplicable que j’essaie de communiquer à mes amis, mes parents. C’est un état d’esprit, de multiples opportunités qui s’offrent. Ceux qui veulent se bouger peuvent vraiment faire beaucoup de choses. On est sur des rails.

Virgile// plutôt bonne a priori. J’avais déjà des retours de personnes de mon entourage qui ont fait des écoles de commerce. L’international, les associations, les profs. J’en avais entendu parler.

Benjamin // Ma grande sœur a fait l’ISC à Paris. Elle a saisi toutes les opportunités, dans les associations ou à l’étranger. Elle est partie dans une université dans le Montana puis a trouvé un travail qui lui plait en relativement peu de temps.

Pourquoi avoir choisi Grenoble ?

Benoît // Déjà, je suis un passionné de ski, ça fait pencher la balance ! Sinon, mon père baignait dans la technologie et moi aussi. Je démontais les ordis. Mon rêve c’est de bosser chez Microsoft ou Google. Quand j’ai vu que Grenoble était centrée sur cette thématique, ça m’a plu. Il y a aussi le MIB (Master in International Business), j’ai habité 9 ans à l’étranger. Sur l’international, vous proposiez le meilleur compromis, en fait.

Sandra // Cela apparaissait comme une évidence. C’était la plus dynamique, c’est ce que je ressentais. D’anciens étudiants de Grand Champ qui avaient intégré Grenoble nous ont fait passer des oraux. Ils nous faisaient rêver, tous étaient très motivés ! De vrais ambassadeurs de Grenoble ! Dans d’autres écoles, c’est différent. J’ai entendu dire que les AP2A s’intègrent moins bien dans la promo, comme à l’EDHEC. Ici ça se passe très bien, il n’y a pas de différence. La ville m’attirait aussi. C’est une école sur la pente ascendante par rapport à d’autres.

Les accréditions ont-elles joué ?

Virgile // En fait, moi je ne connaissais pas beaucoup les classements des écoles. L’année du concours, je m’y suis penché et c’est la meilleure école que j’ai eue dans celles que j’ai jouées. Mais il n’y a pas que ça. Il y a aussi les locaux, le dynamisme. C’est une école jeune et déjà haute dans les classements. Il y a aussi le parcours trilingue qui m’a intéressé (français, espagnol, anglais), l’association Nymphony, le management technologique et l’entrepreneuriat sur le net.

Benjamin // Oui ça joue, en prépa les profs en parlent tout le temps. Il faut avoir une école dans les 15 premières du classement sinon ce n’est pas bon. Mes parents aussi qui travaillent dans la banque et la technologie m’ont dit que Grenoble était une très bonne école. Et comme l’international est un point fort, je peux envisager un double-diplôme à l’étranger ou même un MIB. Ça laisse des opportunités…

Benoît // Les accréditations et le classement ont clairement joué dans le choix de l’école. Cela veut dire de bons échanges avec d’autres écoles, de bons professeurs. Et comme les bons profs font les bons élèves…

Qu’attendez-vous de nous ?

Benoît // Nous préparer au monde du travail. On nous pousse à travailler en équipe, à être un acteur de l’entreprise. Cela m’aide à m’émanciper. Ce sont les meilleures années de ma vie qui m’attendent d’après plein d’amis déjà dans la vie active. Et ici, tout le monde est différent, il n’y a pas de normalité. Ce sont des gens actifs…

Ah bon, on n’est pas normal ?!!!  ;=)

…Il y a une diversité dans cette école qui est agréable. Puis aussi, c’est le réseau qui m’aidera à trouver un travail à la hauteur de mes espérances.

Vous avez tous parlé de vie associative. Est-ce le seul moyen de s’intégrer dans l’école ?

Virgile // Ce serait dommage de ne pas participer car on n’a pas souvent l’opportunité d’entrer dans ces associations pendant nos études. Elles sont omniprésentes mais on peut aussi participer sans en faire partie.

Sandra // C’est l’opportunité de rencontrer d’autres personnes, de monter des projets. Pour moi, c’était un facteur de choix. Je voulais intégrer Altigliss lors du passage des oraux. Je ne conçois une vie à l’école sans en intégrer une.

Benoît // C’est important pour équilibrer vie scolaire et personnelle. C’est le moyen de faire autre chose, de vivre des moments forts entre nous. Demain, si je retrouve un ami qui a besoin d’aide, je suis sûr que j’essaierai de faire le maximum pour lui.

Benjamin // On peut s’intégrer sans passer par une association. Mais je le vois comme un moyen de faire quelque chose qui me plait. Quand on voit des grosses associations comme Altiglisss, le BDE ou le BDS (Bureau des Sports), cela donne un avant-goût de la vie professionnelle. Moi je n’avais pas fait de séjours à l’étranger ou de stages, j’étais un peu complexé aux oraux venant de mon lycée et de ma prépa tout simplement…

De la vie associative à la soirée, il n’y a qu’un pas que je franchis ! Quelle est votre opinion par rapport aux soirées et à l’alcool.

Virgile // C’est certain, tous les soirs on pourrait sortir mais il faut faire la part des choses. C’est à nous de nous organiser.

Une soirée réussie, c’est toujours une soirée alcoolisée ?

Virgile // Une fois tous les 2 ans peut-être mais ce n’est pas une fin en soi. Ce n’est pas terrible, le lendemain on est mal.

Benjamin // Je n’ai pas eu de pression pendant les soirées ici. Pour ceux qui veulent boire, il y a toujours moyen. Mais je n’ai pas eu de pression pour boire absolument comme lors d’événements d’intégration dans certaines écoles.

A votre avis, pourquoi vous a-t-on choisi ?

Virgile // A mon avis, mon parcours atypique a du plaire, tout comme mon projet professionnel. Mais c’est le concours où on a le moins le temps pour parler. Donc j’imagine que  les deux exposés ont du plaire. Mes stages aussi, mon année à l’étranger… J’étais très stressé et je me suis dit que je ne serai pas pris !

Sandra // Ma motivation, mon enthousiasme et mon naturel. J’ai un parcours plus « bateau » en économie-gestion mais j’ai un vrai projet professionnel donc c’est ce qui a du faire la différence. Plus des stages très intéressants où j’ai beaucoup appris.

Benoît // Avec du travail, on réussit à se vendre. J’ai eu la chance de vivre à l’étranger et c’est en cohérence avec ce que je veux faire. J’ai aussi un parcours professionnel que j’ai présenté en citant les partenaires de Grenoble, les produits qu’ils avaient (cloud computing, etc). En plus, je suis tombé sur quelqu’un qui faisait de la communication visuelle comme mon ex… ça m’a aidé. J’étais très stressé avant d’entrer puis je me suis dit « allez Benoît, tu attends cela depuis un an, alors fais l’oral de ta vie ! ». Et ça a marché.

Benjamin // J’étais soulagé quand j’ai vu les cartes de géopolitique. Cela m’a inspiré, j’ai du faire une très bonne entrée en matière. Ensuite, l’échange a été génial avec le jury. Ils ont vu que je m’investis à fond quand je décide quelque chose, ça leur a plu je pense.

Une école, c’est aussi des frais de scolarité élevés. Vous savez pourquoi ? Est-ce que cela vous choque ? Comment vous les financez ?

Benjamin // J’ai la chance d’avoir de très gentils parents qui peuvent se permettre de payer ! Cela ne me choque pas parce que je me rends compte de tout ce qu’il y a ici, les cours, le bâtiment, les programmes, les profs… C’est une organisation gigantesque et impressionnante.

Virgile // ça ne me choque pas mais je trouve quand même cela assez cher. Mes parents m’aident mais je dois faire un emprunt car ils ont eu à financer, avant moi, mon frère et ma sœur. En étant ici, je vois ce que je paie. Je vais essayer de travailler à côté des cours. Chaque année, je le fais pour une dizaine d’heures par semaine.

Sandra // On en est très conscient même si mes parents ont les moyens de les payer. Ils ne voulaient pas casser mes rêves. Il y a des moyens incroyables. On voit pourquoi on paie. Je ne pensais pas que cela se verrait à ce point-là. L’école n’a pas de subvention par rapport aux facs comme vous l’expliquiez.

Une déception, un élément de surprise ?

Benjamin// Comme élément de surprise, j’ai découvert les projets que nous devons tous réaliser, c’est très positif comme le « Raid Chartreuse ». L’idée de tout faire de A à Z est vraiment motivante.

Benoît // Je suis impressionné par l’implication des élèves. Il y a un esprit d’entreprise ici.

Sandra // Tout le monde est corporate !

Ça fait secte ? On peut nous le reprocher vu de l’extérieur.

Benoît // C’est un engrenage, il y a tellement de choses à faire, entre les associations, les projets, les cours. C’est peut-être aussi pour créer un esprit de groupe et un réseau.

Virgile // Une petite remarque négative par rapport à mon parcours trilingue. Pas encore d’espagnol depuis un mois. Sinon tout va bien.

Sandra // Pour moi, c’est la première fois que je partais de chez mes parents. Les premiers cours me confortent dans mon choix.

Une question que vous aimeriez me poser ?

Virgile // êtes-vous fier de ce que vous avez accompli ?

Jean-François Fiorina // Oui et l’école a encore de fabuleuses perspectives. Quand je vois ce qui a été fait, les évolutions en matière de cours, de technologie, d’implantations, de diversité de populations, de diversité de projets. L’inquiétude serait plutôt d’arriver à passer ces prochains caps sans perdre notre esprit entrepreneurial.

Benjamin // En 30 ans vous avez réussi à créer une institution reconnue, vous n’avez pas peur de ne pas y arriver par moments ?

Jean-François Fiorina // Je ne suis pas seul à l’avoir créée ! L’avantage c’est que tous les indicateurs ont été positifs. On entre maintenant dans des catégories qui rendent les choses plus difficiles et complexes. Je prends souvent cette image sportive : les matchs sont de plus en plus difficiles, c’est la Coupe du Monde tous les jours ! Mais comme les résultats sont là, cela nous aide à oublier la fatigue !

Benoît // La fusion des écoles de Bordeaux et Marseille vous fait-elle peur ?

Jean-François Fiorina // Non parce que la force des écoles, c’est d’avoir des modèles différents. En ce moment, ce sont les fusions qui se développent. Tous les journalistes que je rencontre me posent la question suivante : avec qui allez-vous fusionner ? D’HEC à Brest, cela passe par des fusions ou des alliances comme ici. Pour nous, l’important c’est de voir quelle est la valeur ajoutée d’une fusion. Si c’est juste pour additionner des chiffres et que cela ne fonctionne pas, je ne vois pas l’intérêt.

Ma seule inquiétude, c’est l’impact que ces fusions auront sur les classements. Quelle sera leur réponse ? La logique quantitative pourrait nous faire régresser. Combien vous alignez de profs, d’étudiants, d’étoiles CNRS. Le ramèneront-ils au nombre d’étudiants ? Moi, je crois beaucoup à la communauté des écoles. Je suis président de Passerelle. Je pense qu’il faut être les plus différents possible et les plus groupés pour attirer des étudiants aux profils et talents variés. Pour moi, Virgile a aussi bien sa place à HEC que  dans une école en fin de classement.

Je crains plus la concurrence des universités françaises et étrangères. Ces dernières bougent beaucoup. Pour vos petits frères et sœurs, le choix, ce sera Grenoble, Montréal ou Shanghai… Notre challenge est plutôt là.

Virgile // Des projets de fusion ?

Jean-François Fiorina // Non. Après il peut y avoir des opportunités. L’école est jeune. Nous sommes bien placés pour trois raisons :

  • Notre positionnement technologique est en adéquation avec la ville. Il y a un écosystème local fort autour de cette thématique que ce soit dans les entreprises, les labos de recherche ou les écoles,
  • Nous nous sommes lancés très tôt dans la quête des accréditations. Ce choix a marqué le développement de notre école. Une réussite qui nous a structuré même si ce furent des chantiers très exigeants mais maintenant nous les avons !
  • Nous développons des alliances. Le fait de travailler avec d’autres écoles d’ingénieurs ou de design sur des projets précis, tout en conservant nos indépendances, nous donne souplesse et réactivité.

Virgile // Quel a été votre parcours ?

Banquier puis consultant en donnant toujours beaucoup de cours et de formations – initiale et continue – en parallèle.

J’ai ensuite travaillé à l’ESC Amiens puis je suis arrivé à Grenoble en 2000 comme responsable des Mastères Spécialisés. En 2003, je suis devenu Directeur de l’ESC Grenoble et en 2012, Directeur Adjoint du groupe Grenoble Ecole de Management.

Je suis également très impliqué dans la communauté des écoles en tant que président de Passerelle et Vice-Président d’Atout + 3, ainsi que membre de la Commission « Accréditation » de la Conférence des Grandes Ecoles. Je fais aussi partie d’un groupe de travail sur  « la réforme des CPGE », initié par le Ministère de l’Enseignement Supérieur.

Je suis ravi de vous avoir rencontrés et que vous soyez des étudiants passionnés et heureux. Rendez-vous dans six mois !

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Jean-François Fiorina

Ma revue de presse de la semaine

Je suis de retour du congrès annuel de la Conférence des Grandes Ecoles (CGE) au cours duquel j’ai eu le plaisir de rencontrer mes homologues (écoles d’ingénieurs, de management). Il se passe toujours quelque chose même pendant les pauses ! En tout cas, l’actualité de l’enseignement supérieur continue, cette semaine, de faire la « une » des magazines et des sites d’info…

CGE : une exclusivité. Simone Bonnafous, directrice de l’enseignement supérieur a délivré son premier discours public à la CGE depuis son arrivée dans ses fonctions en juillet 2012. La territorialisation de l’enseignement supérieur doit être une priorité : « chaque territoire doit pouvoir développer sa ou ses spécificités et sa marque dans la durée » a-t-elle affirmée. Une analyse qui conforte ce que je défends à longueur de posts dans ce blog. Chaque établissement dans sa culture et sa spécificité peut et doit se développer par des alliances spécifiques ou géographiques. Le cas de GIANT, campus grenoblois de l’innovation marque notre volonté de cultiver cette hybridation des compétences, des cultures et des savoirs entre les écoles, les laboratoires et les entreprises, petites et grandes.

Autre point d’importance abordé lors de ce Congrès, la question des décrocheurs. Ces quelque 150 000 jeunes que le système éducatif « évacue » chaque année, sans qualification ni diplôme constitue une population sur laquelle nos efforts doivent porter. Ces enfants font partie de la nation et des talents peuvent aussi s’y exprimer. Problème crucial, le financement de ce rattrapage générationnel n’est pas encore trouvé.

Je note également cette initiative originale de la CGE qui propose aux jeunes diplômés de reverser un mois de salaire à leur école par année de réussie dans l’enseignement supérieur. Une façon d’associer les étudiants à la réussite de leur établissement et de participer à son financement.

Employeurs préférés. Sans se focaliser en permanence sur ces études qui paraissent sur le sujet, je remarque que les jeunes diplômés attachent une importance accrue à la « marque employeur ». De l’APEC à Régionjobs, la semaine dernière, en passant par UNIVERSUM à laquelle nous avions consacré un billet, la course aux talents se gagne aussi par la manière de communiquer ses valeurs et sa stratégie aux futurs cadres. D’autant que les entreprises qui s’engagent fortement sur le plan sociétal bénéficient d’une image très porteuse auprès des jeunes.

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Jean-François Fiorina

Ce qui se dit et se lit de l’actu éducative

Le monde de l’éducation et de l’Enseignement supérieur est en ébullition, son actualité est riche et nous propose un agenda chargé :

En tant que Directeur d’une grande école, je participe à ces réflexions prospectives tout en cherchant leurs applications dans le court-terme au service de nos étudiants, de nos établissements et de notre développement local et international.

De livres, de magazines et d’émissions. Cette rentrée a également mobilisé auteurs et médias avec la parution de nombre de livres intéressants et iconoclastes, en particulier sur le collège ou l’orthographe. Le sujet de l’éducation reste un sujet sensible qui interpelle. Voici ma sélection de livres. Je ne les ai pas (encore) tous lus mais ce qui me frappe à la lecture de la plupart des titres, c’est leur aspect défensif :

  • Collège inique (ta mère !). François Bourin éditeur. Gabrielle Déramaux. Une professeure décrit un monde certes difficile mais touchant qu’elle ne souhaite quitter sous aucune prétexte.
  • Jamais dans ce lycée : Enquête sur des élèves et des parents sous pression (François Bourin éditeur). Gaëlle Guernalec-Levy.
  • La faute d’orthographe est ma langue maternelle (Albin Michel). Daniel Picouly.
  • Promotion Ubu Roi d’Olivier Saby (Flammarion). Les coulisses de l’ENA par un ancien. « Un témoignage qui se lit comme un roman d’aventure, amuse comme une comédie, et qui laisse interdit ».
  • USBEK et RICA, le magazine qui explore le futur s’est penché sur celui de l’école. Avec un dossier « La revanche des cancres. Bienvenue dans l’école du futur ». En kiosque et librairie.
  • La ruée vers l’intelligence : enquête sur les nouvelles puissances du savoir (Fayard). Stéphane Marchand.
  • Entre l’enclume et le marteau (Seuil). Jean-Philippe Bouilloud, sociologue à l’ESCP. Une analyse de « la situation infernale » que vivent parfois les cadres, « serviteurs zélés d’un management brutal et victimes eux-mêmes de ces méthodes.
  • La force de la différence. Itinéraires de patrons atypiques (PUF). Norbert Alter.
  • Entrer dans l’élite. Parcours de réussite en France, aux Etats-Unis et en Inde (PUF). Jules Naudet.

Même la télé s’y met avec CanalSat et sa chaîne éphémère de révision du bac Campus au printemps 2012 et maintenant avec son offre de programme ludique complémentaire aux livres scolaires et devoirs à la maison.

L’éducation intéresse et bouillonne mais la France ne fait pas partie des dix premiers pays en termes de stocks de diplômés !

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Jean-François Fiorina

Inventer et enseigner les business models de demain

Jean-Louis Roux

Jean-Luc Roux

Entretien Jean-Luc ROUX, auteur de « Ça va marcher ! 7 étapes pour une entreprise profitable » (Eyrolles, 2012).

Jean-François Fiorina : Merci d’avoir accepté de témoigner dans le cadre mon blog sur un sujet qui me tient à cœur et qui est une des valeurs importantes de l’ESC Grenoble : la création d’entreprise.

1ère question en voyant votre biographie sur la couverture de votre livre « Jean-Luc Roux, financier » : comment et pourquoi un financier en vient-il à écrire sur la création d’entreprise et les business models ? Est-ce indispensable pour aborder le sujet ?

Jean-Luc Roux : je suis financier d’entreprise et j’ai découvert la dimension du business model assez récemment, à l’occasion d’un MBA d’HEC puis lors de rencontres professionnelles dans un cursus à Boston sur l’Entreprenariat. S’en sont suivies quelques interventions, notamment à HEC, sur les thèmes du business model et de l’innovation, tous deux étroitement liés.

En rédigeant mes supports de cours, j’ai réalisé que de là à en écrire un livre, il n’y avait qu’un pas… que j’ai franchi en 2 ans !

J’ai eu envie d’écrire pour partager un sujet qui m’intéresse, et offrir un point de vue différent de celui des ouvrages universitaires. Je voulais faire un livre « inspirationnel», à partir de mes propres expériences sur le terrain, et de celles de nombreux entrepreneurs, pour les partager avec le lecteur et enseigner par l’exemple.

Vous êtes en tout cas un excellent conteur : votre ouvrage est facile et agréable à lire. Il est, en effet, riche d’exemples nombreux et variés… depuis la femme au foyer qui décide de créer son activité jusqu’à l’aventure Easy Jet.

Ma conclusion, après avoir lu votre livre, est que vous risquez de nous mettre au chômage ! En effet, ce que vous décrivez, c’est essentiellement du bon sens : connaître ses clients, réfléchir au meilleur service… il semblerait que l’on puisse se passer d’une école de management pour créer son entreprise?

Je pense que l’avenir des écoles est loin d’être menacé. Au contraire, on fait de plus en plus d’études tout au long de sa vie, en formation initiale ou en cours de carrière, que ce soit pour de simples piqûres de rappel, pour une réorientation ou pour s’adapter aux évolutions. Je suis moi-même retourné, avec bonheur, sur les bancs de l’Université à plus de 40 ans.

Cela me semble indispensable, pour faire des pauses et prendre du recul sur sa carrière, partager plus qu’apprendre.

C’est cette dernière notion que j’ai découverte à travers l’enseignement américain, lorsque j’étais à Boston : pas de tableau, salle circulaire, travail sur des cas, le professeur n’est que le catalyseur des réflexions, le moteur ou l’accélérateur des réactions des étudiants.

Lorsque j’ai commencé mon livre, en 2005, il n’y avait ni Twitter, ni Facebook, ni la 3G … En moins de 4 ans, ces innovations majeures ont révolutionné le quotidien et la façon de penser l’entreprise.

Pour répondre à votre question, je pense que dans ce contexte d’innovation permanente, nous avons d’autant plus besoin d’avoir des points d’appui, des repères pédagogiques, et donc besoin d’écoles.

L’innovation, vous en parlez beaucoup dans votre livre, pensez-vous que ce soit LA solution en matière de « redressement productif » ou existe-t-il d’autres formes de business models ou encore d’autres types d’entreprises ?

En France, subsiste une forme de culture d’entreprise très ancrée : quand on pense « Innovation », on pense encore beaucoup « Concours Lépine », le mouton à 5 pattes, la prouesse technique. Faire évoluer les mentalités doit être une des missions notamment de l’Enseignement supérieur.

Enseigner qu’il faut tourner l’innovation vers le client et le business model avant de la tourner vers le produit est une idée encore très peu véhiculée en France, contrairement aux Etats-Unis, où le concept est déjà beaucoup plus installé.

En France, associer l’innovation au business model est donc un terrain vierge où beaucoup reste à faire dans les années à venir : il faut diffuser l’idée et convaincre que l’on peut innover sans réinventer le produit ni le marché, simplement en pensant autrement l’entreprise. L’objectif étant de généraliser l’innovation par le business model.

Concrètement, comment prendre en compte dans l’enseignement cette réflexion sur les business models ?

L’enseignement du business model s’articule autour de 2 axes principaux :

Le 1er, c’est LE CLIENT, qui doit être au centre des préoccupations, la cible privilégiée de l’évolution de l’entreprise. C’est ce que l’on constate invariablement à travers les nombreux exemples d’expériences réussies que j’ai pu découvrir et dont j’ai témoigné dans mon livre.

Le 2nd, c’est l’ENTREPRISE, qui doit être vue comme un écosystème et non plus comme une entité figée et fermée, que l’on crée de toute pièce.

Un écosystème ouvert sur les nouvelles technologies, les partenaires de l’entreprise (clients et fournisseurs), voire même les concurrents. Une conception de l’entreprise qui place au centre de son fonctionnement la mise en relation, les réseaux sociaux et la mobilité.

La difficulté pour les étudiants, est de passer d’un concept à une réalité : prioriser le client, c’est intellectuellement facile à concevoir, mais concrètement, comment le mettre en oeuvre ?

Vous évoquiez l’exemplarité : l’enseignement en la matière doit-il passer par plus de stages en entreprise et la mise en relation ?

En ce qui concerne l’écosystème et les réseaux sociaux, le point est encore plus délicat ; en effet, vous parlez d’un « terrain vierge à explorer », avec lequel les enseignants eux-mêmes ne sont pas encore familiarisés et ont donc une capacité d’enseignement limitée.

Les étudiants appartiennent à la « génération Y », que vous décrivez dans votre blog.

Ils se sont déjà appropriés un univers de communication immédiate et sans limite. Dès lors, l’adapter à la conception de l’entreprise s’en trouve facilitée, voire naturelle pour eux.

En matière d’enseignement, je préconise la méthode des cas : dans un groupe de 8 élèves, un même sujet est décortiqué potentiellement sous 8 angles de vue différents. Dans une étude de cas à travers les réseaux sociaux, la mise en relation de partenaires, cela permet de démultiplier les perspectives et les ouvertures.

Pour illustrer le propos, on peut évoquer l’exemple de la société PROCTER, qui invite  ses salariés retraités à participer à des programmes de recherche, ou encore Nestlé Waters qui propose à ses concurrents de monter un projet commun de recyclage de matières plastiques, afin de réduire les coûts.

De parfaits exemples d’écosystèmes et d’effets de levier que permet la mise en relation, et auxquels la nouvelle génération me paraît mieux préparée du fait de sa culture de la communication internet.

Oui, c’est leur culture, mais ils ne savent pas forcément optimiser l’utilisation de ces outils : ils n’en ont qu’une connaissance parcellaire, pour des besoins individuels et personnels, sur des objectifs limités.

Par ailleurs, encore trop peu d’études de cas sont proposées dans le cadre de ces business models.

C’est pourquoi il serait intéressant de réfléchir sur la façon de croiser ces 2 notions – conception de l’entreprise et mise en relation – en favorisant l’effet de levier du 2nd sur le 1er.

On enseigne déjà l’effet de levier sur le financement, et finalement cette théorie peut aisément se transposer aux systèmes de ressources de l’entreprise. Par ce biais, on débouche sur l’économie générée par le partage de moyens avec les clients, les salariés, voire même les concurrents d’une entreprise.

La Suisse, pays champion mondial de l’innovation, démontre brillamment la réussite de sa mise en application.

Malgré une population peu nombreuse et de faibles moyens, la Suisse fonde sa puissance innovatrice sur la mise en relation de la Recherche, des étudiants et des entreprises …

Oui, et aussi sur des écoles prestigieuses comme l’EPFL (Ecole polytechnique fédérale de Lausanne), la transdisciplinarité, la pédagogie par l’action, qui est une autre forme d’études de cas. Les étudiants sont ainsi sensibilisés à la mise en relation et en prennent le réflexe.

En France comme en Europe, le temps est désormais à une économie mature. On se doit donc d’innover par tous les moyens et notamment par le business model. Les étudiants sont déjà dans une logique de « débrouille » : la mise en relation est naturelle chez eux quand il s’agit d’optimiser et de mettre en commun le peu de moyens qu’ils ont.

Pour rebondir sur votre observation, la connexion « mise en relation / conception de l’entreprise » est, en effet, le chapitre que j’ai eu le plus de mal à rédiger : j’avais peu de théories sur lesquelles m’appuyer pour illustrer le propos. Je vous rejoins sur le fait que le sujet mérite encore d’être travaillé : ce que j’appelle l’effet de levier est un concept à théoriser pour être diffusé au plus grand nombre.

L’une des difficultés est aussi que l’évolution économique et technologique est tellement rapide, que le temps de théoriser, le concept peut déjà être dépassé ou à réadapter. C’est un challenge à relever par les enseignants : que les étudiants soient acteurs et forces de proposition sans être déstabilisés par l’évolution constante des concepts.

Dans notre entreprise, je réalise la difficulté à innover par le business model, et ce pour 2 raisons :

– D’une part, le contrôle et les process : plus on multiplie les effets de leviers sur les ressources, plus on prend des risques en s’éloignant de son métier initial. Contrôles et process sont alors des garde-fous nécessaires mais limitatifs.

– D’autre part, le paramètre humain : plus l’écosystème se complexifie, plus il est lourd à comprendre et à porter par l’ensemble des acteurs, s’ils ne sont pas préparés et formés à ce concept.

Ces 2 points sont essentiels à enseigner dans la conception d’un business model.

Pour en garantir la réussite, les salariés et partenaires qui participent à un écosystème doivent avoir compris le business model. Il faut pour cela être capable de le synthétiser en amont pour l’expliquer et que tous les intervenants soient en harmonie avec son fonctionnement.

Je reprendrai l’exemple du chef d’orchestre, que l’on peut transposer au business plan d’une entreprise : plus on intègre de participants, aux compétences et aux profils différents, plus on prend le risque d’une cacophonie si tous n’ont pas assimilé la partition de la même façon.

Cet aspect de la gestion des ressources humaines doit être pris en compte dans l’enseignement afin d’en anticiper les effets contre-productifs.

En effet, de même que 2 autres aspects qui ressortent dans tous vos exemples :

–       La passion pour son métier, à l’origine de la conception d’un business plan,

–       La patience pour communiquer, convaincre, expliquer, enseigner.

C’est en partie sur ces aspects que je conclus mon livre : plus l’entreprise vit dans la pression du court terme, plus elle a de chance d’y survivre si elle cimente la solidarité de ses salariés et partenaires par la communication et le partage de valeurs, si elle donne un sens à ses objectifs.

Parmi les études de cas que vous exposez, l’un d’entre eux a particulièrement retenu mon attention : celui de PRISMA PRESSE. L’ESC et l’IEP Grenoble avec SUPCREA ont monté une chaire de réflexion et de projets sur la convergence numérique en matière d’information. Elle questionne les nouveaux modèles du journalisme, c’est pourquoi j’ai été sensible à votre illustration.

Y a-t-il un avenir pour la presse ?

Ce fut le cas le plus difficile à écrire car de nombreux ouvrages traitent l’invasion du numérique dans la presse. Ma conviction est que la capacité à produire du contenu de qualité fera la valeur de cet univers. Parmi les milliers de sites qui se créent tous les jours, c’est bien la qualité du contenu qui fera la fidélité de l’audience et la pérennité du site.

Le journalisme reste le cœur de métier de la presse. Simplement, il délaissera probablement le papier pour se diriger vers les supports numériques. Il sera possible de s’abonner à un titre, comme on s’abonne à un club, et bénéficier de ses informations et services quels qu’en soient les supports.

Une évolution intéressante se dessine aux Etats-Unis : le multi-écrans et le développement de l’audience en formule « club » pour une publication.

Pour conclure, quel message transmettriez-vous à nos étudiants en écoles de management ? Faut-il qu’ils soient optimistes, créatifs ? Quel avenir pour eux et pour les entreprises ?

J’ai envie de faire un parallèle avec l’introduction de l’acier dans l’architecture, au début du 19e siècle : au départ, ce n’était qu’une révolution technologique. Au fil des décennies, l’acier a permis d’inventer de nouveaux modes de construction, avec toujours plus d’audace dans les formes, dans les dimensions.

De la même façon, nous sommes à l’aube d’une ère nouvelle qui va voir l’introduction des nouvelles technologies de l’information dans notre quotidien, transformer petit à petit le fonctionnement des entreprises pour inventer de nouvelles façons d’entreprendre.

Pour les étudiants, ce sont de vastes perspectives nouvelles qui s’ouvrent à eux ; ils peuvent tout essayer, tout oser, tout réinventer.

Nos enfants auront plusieurs métiers et les nouvelles façons d’entreprendre démultiplieront leurs expériences.

Dans un contexte plutôt morose, votre message est résolument optimiste ! Mais l’explosion des créations de sites me semble poser un problème récurrent : il ne fait que creuser l’écart entre ceux qui ont accès à ces informations et ceux qui ne l’ont pas.

C’est vrai, le débat mérite d’être soulevé avec les étudiants. On peut parler de l’exemple du Kenya : dans un marché où il existe 5 fois plus d’abonnés au réseau de téléphonie mobile que de gens possédant un compte en banque, Vodaphone a révolutionné le monde de la banque en utilisant les nouvelles technologies de communication pour créer un nouveau mode de paiement. Résultat, une start up, MPESA, impose un nouveau mode de paiement, le M-paiement. Le système est en train de s’étendre à toute l’Afrique.

Un autre exemple marquant d’une innovation par le business model, qui a utilisé les nouvelles technologies : Eight19, une société anglaise a généralisé les capteurs solaires en Afrique en mettant en place un système de location : une ONG installe un capteur par village et loue son utilisation à l’heure.

La start up a levé 5 M$ en janvier 2012. De quoi se montrer optimiste sur l’avenir de l’innovation par le business model.

Il existe une théorie économique, la « reverse innovation », qui consiste à dire que ce qui est testé avec succès à petite échelle dans les pays émergeants sera importé à plus grande échelle dans les pays riches.

On peut donc imaginer que les exemples que vous avez cités seront peut-être exploités dans quelques années en Europe ou dans d’autres pays occidentaux.

Merci à vous pour cet échange. Je recommande une nouvelle fois la lecture de votre livre « Ça va marcher ! 7 étapes pour une entreprise profitable » aux Editions Eyrolles pour poursuivre la réflexion.

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Jean-François Fiorina

Pour une régulation unique des admis sur titres en école de commerce !

Au vu de la complexité du recrutement des étudiants admis sur titres dans les écoles de commerce, je réaffirme ma volonté de voir naître en France un SIGEM des admissions parallèles pour plus de transparence. J’insiste également sur l’importance de maintenir les concours d’entrée en école de commerce.

Le concours d’entrée représente pour une école de commerce un élément de matérialisation de sa stratégie. C’est également un élément de sélection très important indispensable pour recruter des étudiants de qualité, motivés et en phase avec les valeurs de l’école. Il me semble dès lors essentiel de le maintenir, sous une forme que chaque école doit rester libre de choisir. En revanche, le système français de recrutement en admissions parallèles doit absolument évoluer vers plus de transparence afin de faciliter l’information et les choix auprès de l’ensemble de nos publics. Une récente enquête de la Conférence des Grandes Ecoles (février 2012) montre que les étudiants issus d’admissions parallèles sont très nombreux dans l’ensemble de nos écoles et le seront de plus en plus à l’avenir. Ces étudiants se retrouvent aujourd’hui confrontés à choisir parmi 20 concours et autant de systèmes et de périodes d’affectations différents. Pour optimiser leurs chances d’être affectés dans une école – et dans une école qu’ils désirent vraiment – et éviter une concurrence acharnée entre établissements pour remplir leurs promotions, je plaide pour la mise en place d’un système d’affectation centralisé unique et indépendant, tout comme cela se fait pour les étudiants issus de classes préparatoires. Ce système existe au sein de Passerelle depuis 6 ans maintenant et fonctionne très bien. Il faut maintenant raisonner à l’échelle de l’ensemble des banques d’épreuves.

Le Président d’Ecricome a d’ores et déjà déclaré être favorable à cette proposition. Cela est désormais du ressort du Chapitre des écoles de management et des écoles elles-mêmes, car un tel système ne pourra fonctionner que si beaucoup d’écoles s’engagent. Cela induit un changement des pratiques dans la gestion des concours existants et une volonté de faire aboutir un processus qui sera ensuite irréversible si l’on veut obtenir des résultats. Cette rupture est nécessaire et le Chapitre des Ecoles de management doit impulser ce virage au plus vite.

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Jean-François Fiorina

L’enseignement supérieur à la croisée des chemins…

Beaucoup d’actualité en cette période de rentrée avec la publication du rapport de l’OCDE sur l’éducation, les Assises nationales de l’enseignement, les annonces de fusion/regroupement d’écoles de commerce…

Si le rapport de l’OCDE 2012, n’est pas révolutionnaire, il rappelle justement l’importance stratégique et économique de l’éducation – dès le plus jeune âge – pour un pays. Les Etats de la zone ont globalement maintenu leurs dépenses (publiques et privées) dans une période de ralentissement économiquement : les jeunes diplômés résistent mieux à la crise que les non qualifiés (mobilité sociale, rémunérations), l’enseignement supérieur booste la croissance (les Etats qui investissent dans les études supérieures d’un individu récupèrent entre 2,5 et 4,5 fois la mise en impôts sur le revenu et autres).

Cette dépense globale a principalement été financée par les efforts des individus (au Royaume Uni 70% des dépenses sont assurées par les familles) et par des investisseurs privés. J’ai souvent tiré le signal d’alarme pour attirer l’attention sur cet épineux problème car nous sommes arrivés à la limite du système. Si aucune décision ferme n’est prise nous ne pourrons continuer ainsi.

Le constat est là.

Sur un marché où les formations publiques sont saturées face à la croissance du nombre des étudiants, il devient difficile de maintenir un niveau qualitatif suffisant. Ce sont les formations et les privés financements qui se développent.

Des grands groupes investissent le marché de l’éducation à coups de créations pures ou de rachats d’établissements. Je pense à IONIS en France ou à Laureate aux Etats-Unis.

Notre système éducatif manque également de réactivité et de souplesse pour répondre à la demande de nouveaux marchés. L’économie numérique peine, par exemple, à recruter de nouvelles compétences métier sous tension. Ce sont les entrepreneurs du secteur que se sont attelés à la création d’écoles de techniciens, de développeurs et de marketeurs du net !

Les coûts d’éducation augmentent, c’est une évidence pour les raisons suivantes :

  • nous sommes dans une économie de services où l’information, l’accompagnement, l’action sociale, l’aide au logement font la différence entre les pays et les établissements,
  • le coût de recrutement d’un étudiant augmente du fait d’un périmètre devenu mondial,
  • la qualité a également un coût croissant. Il faut, aujourd’hui, constituer des équipes pour répondre à des études et évaluations de plus en plus pointues (accréditions, classements),
  • la gestion de plus en plus personnalisée des parcours génère des coûts importants. Nous sommes passés d’une logique de promotions à une logique d’individualisation des parcours.
  • les coûts pédagogiques vont s’envoler pour recruter les meilleurs professeurs et les professionnels en activité les plus pertinents. Il s’agit également de doter les établissements d’équipements numériques onéreux capables de mettre en réseau les salles de classe à l’international.

Nous sommes désormais sur un marché mondial de l’éducation où l’exigence de qualité et la croissance du nombre des étudiants impliquent de nouveaux financements. Qui va payer ? Aujourd’hui, deux systèmes – déjà sous tension – cohabitent :

  • un système « invisible » (public) financé par l’impôt et le contribuable avec un trop plein d’étudiants peu motivés, mal orientés. Un système qui génère de l’aigreur de jeunes en échec et un coût de retraitement social onéreux pour la collectivité.
  • un système « visible » (privé) financé principalement par les étudiants et leur famille qui a atteint ses limites, faute de subventions publiques.

A force de saupoudrage, nous courons à l’échec alors que des pays comme l’Australie, le Canada, les USA et la Grande-Bretagne réinvestissent massivement dans l’enseignement supérieur.

Des solutions sont pourtant à portée de main. Nous avons proposé au cours de la campagne des présidentielles des solutions rassemblées dans un libre blanc. J’en rappelle les points essentiels :

  • établir un véritable « contrat » entre l’Etat, les grandes écoles et les étudiants (et ouvrir le financement des écoles aux grandes entreprises publiques et privées),
  • mettre en place un partenariat employeur/étudiant afin d’alléger le coût des études et impliquer les entreprises dans le suivi de leurs futurs collaborateurs au sein des écoles,
  • responsabiliser les étudiants sur le coût de leur formation par un « crédit enseignement » financé par l’Etat avec lequel ils pourraient adapter leur parcours en fonction de leurs aspirations.

Terminons cette semaine par une note positive et un peu de patriotisme local. Grenoble est la deuxième ville de France où il fait bon étudier (classement du magazine L’Etudiant). Au-delà de nos divergences locales, l’écosystème de l’enseignement supérieur grenoblois fonctionne en mettant au cœur de ses préoccupations, l’étudiant. Des accords de coopération entre établissements (ESC/Universités) nous apportent des profils que nous n’aurions jamais recrutés sans entraver la libre stratégie des partenaires.

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Jean-François Fiorina

Entretien avec Pierre-Yves SANSEAU “visiting professor” à San Jose State University

Pierre-Yves Sanséau est professeur à Grenoble Ecole de Management. J’ai souhaité m’entretenir avec lui à l’issue de son séjour d’un an aux Etats-Unis en tant que visiting professor à San Jose State University. Partir à l’étranger fait partie de la mission d’un professeur à Grenoble Ecole de Management. Retour sur cette année, ses apports intellectuels et personnels.

Jean-François Fiorina : Pourquoi est-ce important d’effectuer ce type de séjour ?

Pierre-Yves Sanséau : Il est essentiel, pour un enseignant chercheur, de pouvoir s’extraire du quotidien pendant un temps, de partir à l’étranger pour se ressourcer intellectuellement et personnellement, avancer sur l’activité recherche et écriture. Ce départ était une suite dans mon parcours qui avait déjà une dimension internationale : après Sciences Po, je suis parti 2 ans travailler aux USA, puis retour en Europe, et nouveau départ au Canada, où je suis resté 7 ans.

Pourquoi les Etats-Unis ? Choix délibéré ou opportunité du moment ?

Au début, il était question du Mexique, au « Tech de Monterrey ». C’est une belle institution et je parle Espagnol. Mais compte tenu du contexte politique local, la destination comportait trop de risques pour une famille avec des jeunes enfants. Je me suis donc reporté sur les USA. Mon souhait étant de rejoindre une « state university » en Californie, région innovante, dynamique et regardant vers l’avenir.

Pourtant, les « state universities » ont la réputation d’avoir un secteur Recherche moins développé que les « universities of California » ?

Cette dimension est de moins en moins marquée. Les professeurs qui m’entouraient à la San José State University avaient pour la plupart une activité de recherche très importante. Il leur est d’ailleurs demandé beaucoup en recherche. Mais il est vrai que dans certaines universités, beaucoup de professeurs n’enseignent plus du tout et se consacrent totalement à la recherche avec des moyens énormes. Mais on ne les voit pas et il est très difficile de rentrer en contact avec eux si on est « visiting ». Je voulais intégrer une communauté professorale dans une université américaine et c’est un succès.

La mission d’un professeur à San José State est-elle identique à celle d’un professeur de GEM ?

Oui, la mission de même que l’organisation de l’activité sont assez semblables. Le temps est partagé entre l’enseignement, la recherche et la contribution à l’institution. Le College of Business de SJSU est accrédité AACSB, très international, à l’image de la région où des centaines de nationalités sont représentées.

Une diversité qui se retrouve autant dans la population étudiante que dans les équipes enseignantes avec une très forte influence asiatique (Inde, Chine, Japon, Taïwan, Corée du Sud …). La grande majorité des membres du corps professoral sont d’ailleurs d’origine asiatique

Ces professeurs sont-ils, comme toi, en mobilité ou bien contractuels permanents ?

Ce sont des permanents. La plupart d’entre eux sont venus aux USA pour faire leurs études puis sont restés sur place après l’obtention de leur doctorat. La très forte majorité Asiatique dans cette région tient bien sûr à la proximité géographique et à l’histoire du développement de la Californie. Dans le Comté de Santa Clara où de se trouve la ville de San José, plus de la moitié des habitants ne sont pas nés aux USA !

Cette majorité numérique a-t-elle une incidence sur les thèmes des recherches ?

Oui et on retrouve cette tendance dans la recherche en Marketing, en Finance, en SI, en Management (bien sûr, très interculturel !) Les recherches sont très orientées « hautes-technologies » avec une dimension Asie marquée.

A San José State, on parle plutôt de recherche appliquée ou académique ?

La forte présence de professeurs diplômés de l’Université Stanford, toute proche, renforce sans cesse le caractère mixte, académique et appliqué de la recherche. Rappelons que l’Université Stanford a été une des premières à pousser ses doctorants à appliquer leurs découvertes sur le terrain, ainsi a grandi la Silicon Valley.

Ton approche de l’enseignement est-elle la même à San José State qu’à Grenoble ? Qu’en est-il de tes relations avec les étudiants ?

L’enseignement et les relations avec les étudiants s’envisagent très différemment de ce que l’on connaît en France. En France, les étudiants ont connu une scolarité très exigeante jusqu’au Bac, avant de connaître un système Universitaire/Grandes Ecoles beaucoup plus souple.

A l’inverse, les étudiants américains sont issus d’un système (Middle school puis High school) dont la philosophie privilégie l’épanouissement personnel, l’apprentissage par le plaisir et par le loisir. En arrivant à l’Université, ils doivent « apprendre » une autre façon de travailler : exigences élevées, échéances à respecter, travaux à rendre, présentations à faire, etc. Notre mission est donc un peu de les « formater » à une discipline de l’exigence et à ce qui les attend dans l’univers professionnel américain, très souple mais également très exigeant.

Pour ce qui des relations avec les étudiants, elles sont agréables étant donné que la notion de hiérarchie est moindre, ce qui permet plus d’échanges et de débats entre professeurs et étudiants. Il y a une vraie dynamique en salle de classe et beaucoup de participation, dans l’esprit de ce que j’avais connu pendant mes études au Canada.

Le plagiat est-il une pratique courante ?

Oui, cela arrive. Il existe des logiciels pour tenter de le déjouer. Mais les étudiants sont très bien « équipés », férus de hautes-technologies  et ont toujours une « astuce » d’avance. N’oublions pas qu’ils évoluent dans un univers qui est celui de la Silicon Valley. Le plagiat est cependant fortement sanctionné et ceux qui se font attraper sont plutôt honteux.

A ton retour en France, de quelle méthode américaine ou expérience penses-tu t’inspirer pour dispenser tes cours ?

Les méthodes d’enseignement nord-américaines d’enseignement, je les avais découvertes puis expérimentées à l’occasion de mes études au Canada. Je m’en inspire déjà dans mes cours depuis plusieurs années.

Ainsi, pour les 2e et 3e années, ici comme à GEM, je demande aux étudiants de s’impliquer directement dans la préparation de chaque séance.

Cela existe dans le modèle américain, où la majeure partie des cours en niveau Master est animée par les étudiants eux-mêmes, en s’appuyant sur une préparation autonome, aidée des enseignants.

C’est une méthode que je compte bien perpétuer voire intensifier, car c’est selon moi la meilleure façon de professionnaliser nos étudiants : leur apprendre à communiquer, transmettre un message et un savoir, valider la compréhension, entrer dans la contradiction, argumenter et animer un débat. Le développement des compétences professionnelles débute là.

A la rentrée, j’ouvre à GEM un module de spécialisation qui s’intitulera « Manager à l’international : impatriation, expatriation ». Les étudiants développeront ainsi leur premières compétences de Manager à l’international à travers des études de cas, des mises en situation et l’échange. Le professeur n’est que le coordinateur, un facilitateur expert.

N’est-ce pas un rôle plus difficile pour l’enseignant : coordonner, tout en s’assurant de l’acquisition des connaissances, d’avoir la bonne évaluation ?

Pas plus difficile : différent. C’est un peu déstabilisant au départ, mais une fois dans le mouvement, on arrive à réguler, imprimer un rythme, temporiser.

La difficulté vient plus de l’inexpérience des étudiants, qui doivent eux-mêmes apprendre à fonctionner de cette façon et qui ont du mal à visualiser les objectifs à atteindre. Une étudiante m’a un jour dit « je ne peux pas évaluer votre cours puisque ce sont les étudiants qui ont fait le cours…». Ce genre de remarque fait réfléchir sur le format académique français encore largement en vigueur.

Comment les étudiants américains te perçoivent-ils, en tant que Français ?

J’observe 3 types de réactions :

–       La curiosité : un professeur d’Europe leur ouvre des horizons sur les réalités d’un continent qu’ils connaissent mal,

–       La surprise : mon regard et mon discours sur le management sont différents,

–       La rareté : extrêmement peu d’enseignants français évoluent dans les Universités américaines.

Quel retour de tes collègues de San José State, sur ta vision, tes pratiques ?

Je suis un peu un objet de curiosité : je suis le seul Français parmi 70% d’enseignants originaires des pays d’Asie, et a priori, il y a longtemps qu’ils n’ont vu passer un professeur venu de France !

Sur les 8 « visiting » présents à la dernière rentrée au College of Business de SJSU, il y avait 2 européens dont moi. Pour mes collègues, je suis un objet de curiosité à travers les questionnements dont je suis l’objet sur le contenu de nos enseignements en management. Ils voudraient de l’exotique mais finalement les contenus ne sont pas si différents car les auteurs nord-américains restent dominants dans ces champs. Sur les pratiques, je suis souvent questionné sur la réglementation du travail française et les célèbres « 35 heures ». C’est à la fois un sujet de curiosité et d’indignation !

On connaît, en ce moment, une certaine agitation dans le monde étudiant : le mouvement québécois contre l’envolée des frais de scolarité, la campagne d’Obama contre l’endettement des étudiants américains… Est-ce un sujet de préoccupation des étudiants que tu rencontres ?

C’est un problème qui est bien présent dans les esprits, les étudiants en parlent, c’est un sujet national. Après les manifestations d’octobre dernier contre la domination du monde de la finance et de Wall Street, qui a mobilisé beaucoup d’étudiants, la colère étudiante s’est propagée au Canada et à quelques grandes villes d’Europe… Leur slogan : « on veut pouvoir étudier sans s’endetter à vie, on veut des emplois et parvenir à vivre décemment ».

De nombreux étudiants se sont endettés à hauteur de 15 000 à 30 000 dollars, voire plus et s’inquiètent de ne pouvoir rembourser leur emprunt compte tenu d’un contexte économique incertain et de la difficulté à trouver un emploi L’Etat de Californie est l’un des plus endettés des Etats Unis, les coupures budgétaires dans les Universités sont très importantes, sur les recrutements comme sur les frais de fonctionnement généraux. Les étudiants sont très conscients de la situation et sont prêts à d’autres mobilisations.

Quelle est la participation des entreprises ? As-tu eu l’occasion d’en visiter ?

Les entreprises participent largement à la vie de l’Université sous forme d’interventions et de contributions financières ou autre. San José State University est le premier fournisseur de Managers de la Silicon Valley donc les enjeux sont importants De nombreux cadres de ces entreprises interviennent dans les cours, soit pour apporter des témoignages, soit comme enseignants extérieurs. Et puis, il y a la dimension financière, les entreprises donnent beaucoup d’argent aux universités pour le fonctionnement et la recherche. Les laboratoires et les Chaires sont supportés traditionnellement par les fonds privés.

Mais les entreprises sont très sollicitées, conséquence de la densité d’universités dans la région. Ce sont les Universités privées qui bénéficient des plus gros financements d’entreprise car elles n’ont pas de soutien de l’Etat. Les étudiants qui évoluent sur ces campus de rêve payent fort cher et ont à cœur, une fois leurs études terminées, de participer au financement de leur ancienne université.

J’ai eu l’opportunité de faire des visites d’entreprises, parmi les grands noms de la Silicon Valley, tout y est bien huilé, trop sans doute. Les managers américains savent mieux parler de leur entreprise et développer un regard critique lorsqu’ils sont sur un campus au milieu des étudiants. Le contexte y est plus propice.

à t’entendre, on est plutôt pessimiste quant à l’avenir des universités californiennes d’Etat.

Je pense qu’elles traversent la crise économique et financière mondiale, à laquelle se mêle une crise du modèle universitaire américain et de ses modes de financement. Sujet dont s’est emparé Barak Obama à juste titre : la prochaine génération d’étudiants se prépare à devoir rembourser jusqu’à sa retraite les dettes contractées pour faire ses études !

Face à ce problème aigu, les universités vont devoir trouver d’autres sources de financement. L’augmentation des frais de scolarité ne peut être éternelle.

Pour financer leurs études, de nombreux étudiants font désormais directement appel aux entreprises ou aux mécènes : d’anciens étudiants de l’université jouent la solidarité avec la jeune génération.

Quelle est la motivation d’un jeune américain, aujourd’hui, pour faire des études supérieures ? Quel sont ses objectifs et modèles de vie ?

Les jeunes ont conscience que s’ils veulent vivre décemment, élever des enfants et les préparer eux-mêmes à un avenir décent, ils doivent faire des études et donc passer par l’université.

Sans études supérieures, pas d’emploi de manager, de faibles rémunérations, de la précarité et pas de réussite sociale. Dans la société américaine, l’université est le symbole de la réussite, c’est le passage obligé vers la réussite professionnelle et le maintien voire le développement de leur statut social.

La réussite universitaire offre la reconnaissance de la famille, de la communauté d’appartenance. Les parents des enfants diplômés le font savoir, l’affichent et en récoltent une grande reconnaissance, d’autant plus forte que sera le renom de l’université fréquentée. Etre diplômé de l’université, c’est un « statut », c’est aussi avoir la garantie d’une employabilité encore que cette garantie tende à se fragiliser avec la crise actuelle.

Employabilité, salaire ou ascension sociale ?

Employabilité avant tout en ce moment : il y a encore quelques années, en sortant diplômé d’une université de renom, privée ou d’Etat, on était sûr d’avoir un emploi. Ce n’est plus aussi vrai aujourd’hui. D’où, sans doute, les manifestations de l’automne motivées par l’inquiétude de devoir s’endetter pour payer des études qui ne garantissent plus un emploi à la clé.

Les Américains pensaient que la crise ne durerait pas. Et au contraire, elle ne fait que s’élargir : à la crise financière, s’est ajoutée la crise économique puis maintenant la crise de la dette. Par ailleurs, ils sont très inquiets de ce qui se passe en Europe.

Cela a-t-il un impact sur ta position de professeur, par rapport aux étudiants ? As-tu peur de former des étudiants dont l’avenir est incertain ?

C’est un sujet de discussion : ici au sein même du corps professoral. Les professeurs qui ont 20 ou 30 ans de carrière constatent ce phénomène pour la première fois : les étudiants qui sortent de l’université avec un Master, un MBA… ne sont plus assurés de trouver un emploi. Ils n’avaient jamais connu cela.

Situation d’autant plus préoccupante que s’ils sont sans emploi, les jeunes diplômés doivent pourtant commencer à rembourser leurs dettes, et se trouvent donc rapidement dans la précarité.

Par rapport à ma position de professeur, le discours du diplôme garant d’un emploi ne tient plus depuis longtemps déjà…. Il faut donc inviter les étudiants à développer les compétences qui seront demandées en priorité par le marché de l’emploi lorsqu’ils y seront, les amener à raisonner compétences plutôt que diplôme.

Pour revenir à notre sujet de départ, ton expérience à San José a-t-elle donné des envies à certains de tes collègues de venir enseigner à GEM ?

C’est dans leur fonctionnement de partir en « visiting » tous les 3 ans mais ils sont davantage attirés par l’Asie que par l’Europe. Étant données leurs origines et le développement économique de l’Asie.

Quelques collègues, enseignants sur la côte Est, qui font des séjours en Europe se dirigent plutôt vers les pays Scandinaves, la GB et l’Allemagne.  Si GEM n’est pas particulièrement connue, Grenoble est par contre reconnue comme un bassin de haute-technologies. J’ai tissé des liens professionnels qui déboucheront à terme sur des visites et des séjours, c’est certain.

Tes enfants ont-ils envie de rentrer ?

Oui, pour retrouver leurs amis de France. Non, en considérant la richesse et la diversité de cultures de leur école : sur 1 000 enfants dans leur école, environ plus de 100 nationalités différentes ! La pédagogie des écoles Californienne leur a permis de très vite s’intégrer et de parler anglais. Le climat Californien, la proximité du Pacifique, la dynamique « ambiante » de la Silicon Valley ont su vite les conquérir.

Ton épouse a-t-elle travaillé également pendant cette année ?

Non, ce n’était pas possible avec nos visas: le mien était un visa réservé aux échanges culturels, celui de ma femme et de mes enfants leur permettait uniquement de m’accompagner.

Que vas-tu retrouver avec plaisir à GEM, qui t’aura manqué cette année à San José ?

Je vais retrouver avec plaisir le bâtiment de l’école, qui offre des conditions de travail nettement supérieures à celles de San José State. La perspective de ne partir que pour une année permet d’oublier ce que l’on pourrait regretter et profiter de tout ce qui s’offre à nous sur place. GEM a une stature et un ancrage international de par ses enseignants, ses programmes et ses étudiants : c’est une grande chance.

Merci Pierre-Yves pour cet entretien et bon retour parmi nous !

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Jean-François Fiorina

Entretien avec Pierre-Yves SANSEAU “visiting professor” à San Jose State University

Pierre-Yves Sanséo

Pierre-Yves Sanseau

Pierre-Yves Sanseau est professeur à Grenoble Ecole de Management. J’ai souhaité m’entretenir avec lui à l’issue de son séjour d’un an aux Etats-Unis en tant que visiting professor à San Jose State University. Partir à l’étranger fait partie de la mission d’un professeur à Grenoble Ecole de Management. Retour sur cette année, ses apports intellectuels et personnels.

Pierre-Yves Sanseau : il est essentiel, pour un enseignant chercheur, de pouvoir s’extraire du quotidien pendant un temps, pour se ressourcer intellectuellement et personnellement, avancer sur la partie recherche et écriture. Mon parcours a une dimension internationale : après Sciences Po, je suis parti 2 ans travailler aux USA, puis retour en Europe, et nouveau départ au Canada, où je suis resté 7 ans.

Jean-François Fiorina : ton épouse a-t-elle travaillé également pendant cette année ?

Non, ce n’était pas possible avec les visas que nous avons obtenus : le mien était un visa universitaire réservé aux échanges culturels, ceux de ma femme et de mes enfants leur permettaient uniquement de m’accompagner.

JFF : Pourquoi les Etats-Unis ? Choix délibéré ou opportunité du moment ?

Une opportunité. Au début, il était question du Mexique, à Monterrey. C’est une belle école, je parle espagnol. Mais compte tenu du contexte politique local, la destination comportait trop de risques pour une famille, avec les enfants en bas âge. Je me suis donc reporté sur les USA. Mon souhait étant de rejoindre une « state university » en Californie, région industrieuse, dynamique et riche.

Pourtant, les « state universities » ont la réputation d’avoir un secteur Recherche moins développé que les « universities of California » ?

ça n’est pas faux mais mes critères de choix étaient avant tout familiaux : cadre de vie agréable, proximité et confort des infrastructures pour ma femme et mes enfants.

La mission d’un professeur à San Jose State est-elle identique à celle d’un professeur de GEM ?

Oui, la mission de même que l’organisation, en termes de financement et de gestion des RH, sont assez semblables. Notre temps est partagé entre l’enseignement, la recherche et la contribution à l’Institution. C’est une Institution accréditée AACSB, très internationale, à l’image de la région où une centaine de nationalités est représentée.

Une diversité qui se retrouve autant dans la population étudiante que dans les équipes enseignantes avec une très forte influence asiatique (Inde, Chine, Japon, Taïwan …). De 65% à 70 % des membres du corps professoral ne sont pas des « caucasiens ».

Ces professeurs sont-ils, comme toi, en mobilité ou bien contractuels permanents ?

Ce sont des permanents. La plupart d’entre eux sont venus aux USA pour faire leurs études puis sont restés sur place pour chercher un travail. La très forte majorité d’asiatiques dans cette région tient à la proximité du Pacifique.

Cette majorité numérique a-t-elle une incidence sur les thèmes des recherches ?

Oui notamment par le lien fort entretenu avec les universités chinoises. On retrouve cette tendance dans le marketing, la finance… Les recherches sont très orientées « côte ouest », avec une dimension asiatique.

A San Jose State, on parle plutôt de recherche appliquée ou académique ?

C’est une université à l’image des « business schools » avec un fort développement de la recherche en général. Et une forte présence de doctorants issus de Stanford.

Ton approche de l’enseignement est-elle la même à San Jose State qu’à Grenoble ? Qu’en est-il de tes relations avec les étudiants ?

L’enseignement et les relations avec les étudiants s’envisagent très différemment de ce que l’on connaît en France. Chez nous, les étudiants ont connu une scolarité très exigeante jusqu’au bac, avant de connaître un système universitaire beaucoup plus souple.

A l’inverse, les étudiants américains sont issus d’un système (collège puis lycée) dont la philosophie privilégie l’épanouissement personnel de l’enfant, l’apprentissage par le plaisir et par le loisir. En arrivant à l’Université, ils doivent apprendre une autre façon d’étudier, des travaux à rendre, des présentations à faire… notre mission est donc un peu de les « formater » à une discipline de l’exigence.

Le plagiat est-il une pratique courante ?

Oui, c’est assez courant. Il existe des logiciels de surveillance pour tenter de le déjouer. Mais les étudiants sont très « équipés » : ils ont tous 2 ou 3 i-phones dans la poche qui fonctionnent en permanence.

A ton retour en France, de quelle méthode américaine ou expérience penses-tu t’inspirer pour dispenser tes cours ?

L’expérience que j’ai vécue aux USA, je l’avais découverte à l’occasion de mes études au Canada dont je m’inspire déjà dans mes cours depuis plusieurs années.

Ainsi, pour les 2e et 3e années, ici comme à GEM, je demande aux étudiants de s’impliquer directement dans la préparation de chaque séance.

Cela existe dans le modèle américain, où la majeure partie des cours est animée par les étudiants eux-mêmes, en s’appuyant sur une préparation autonome, aidés des enseignants.

C’est une méthode que je compte bien perpétuer voire intensifier, car c’est la meilleure façon de professionnaliser nos étudiants : leur apprendre à communiquer, transmettre un message et un savoir, valider la compréhension, entrer dans la contradiction, argumenter et animer un débat.

A la rentrée, j’ouvre à GEM une session qui s’intitulera « manager à l’international : appatriation, expatriation » et je compte bien appliquer cette méthode. Les étudiants apprennent à travers les études de cas, qu’ils développent eux-mêmes ; le professeur n’est que le coordinateur.

N’est-ce pas un rôle plus difficile pour l’enseignant : coordonner, tout en s’assurant de l’acquisition des connaissances, d’avoir la bonne évaluation ?

Pas plus difficile : différent. C’est un peu déstabilisant au départ, mais une fois dans le mouvement, on arrive à réguler, imprimer un rythme, temporiser.

La difficulté vient plus de l’inexpérience des étudiants, qui doivent eux-mêmes apprendre à fonctionner de cette façon et qui ont du mal à visualiser les objectifs à atteindre. Une étudiante m’a un jour dit « je ne peux pas évoluer puisque ce sont des étudiants qui ont fait le cours…».

Comment les étudiants américains te perçoivent-ils, en tant que Français ?

J’ai 3 types de réactions :

  • un professeur d’Europe leur ouvre des horizons sur les réalités d’un continent qu’ils connaissent mal,
  • mon regard sur le management est différent,
  • la rareté : extrêmement peu d’enseignants français dans les Universités ou High Schools américaines.

Quel retour de tes collègues de San Jose State, sur ta vision, tes pratiques ?

Je suis un peu un objet de curiosité : 1 Français parmi 70% d’enseignants asiatiques !

Sur les 8 « visiting » présents à la dernière rentrée, seuls 2 européens dont moi.

On connaît, en ce moment, une certaine agitation dans le monde étudiant : le mouvement québécois contre l’envolée des frais de scolarité, la campagne d’Obama contre l’endettement des étudiants américains… Est-ce un sujet de préoccupation des étudiants que tu rencontres ?

C’est un problème qui est bien présent dans les esprits, les étudiants en parlent, c’est un sujet national. Après les manifestations d’octobre dernier sur les campus américains, la colère étudiante s’est propagée au Canada et à l’ensemble de l’Amérique du Nord. Leur slogan : « on ne veut plus subir le jeu de la finance de Wall Street ».

De nombreux étudiants se sont endettés à hauteur de 15 000 à 30 000 dollars et s’inquiètent de pouvoir rembourser leur emprunt compte tenu d’un contexte économique incertain. L’Etat de Californie est l’un des plus endettés des Etats Unis, les coupures budgétaires dans les Universités sont très importantes, sur les recrutements comme sur les frais de fonctionnement généraux. On vit dans un contexte de crise.

Quelle est la participation des entreprises ? As-tu eu l’occasion d’en visiter ?

Oui, les entreprises participent. L’université de San Jose est le 1er fournisseur de managers de la Silicon Valley. De nombreux cadres de ces entreprises interviennent dans les cours, soit pour apporter des témoignages, soit comme enseignants extérieurs.

De nombreux liens sont développés, surtout à l’initiative des enseignants.

Mais les entreprises sont très sollicitées, conséquence de la densité d’universités dans la région. Il existe une hiérarchie entre les universités privées qui ont de gros moyens financiers (Stanford, Santa Clara) et les Universités d’Etat (San Francisco State, Berkeley) qui ont moins de moyens.

Ce sont les Universités privées qui bénéficient des plus gros financements du mécénat d’entreprise. La différence réside également dans la population étudiante et ses moyens : les frais annuels de scolarité d’un étudiant dans une université privée sont 5 fois plus élevés que dans une Université d’Etat (50 000 dollars à Stanford contre 10 000 dollars à Berkeley).

Des frais de scolarités auxquels il faut ajouter le coût de la vie : logement, nourriture, véhicule, livres… soit 100 000 dollars en moyenne par an.

Des étudiants privilégiés qui reçoivent beaucoup et ont à cœur une fois leurs études terminées de participer au financement de leur université à travers l’entreprise qui les emploiera.

A t’entendre, on est plutôt pessimiste quant à l’avenir des universités californiennes d’Etat.

Je ne suis pas pessimiste. Je pense qu’elles traversent une crise économique, à laquelle se mêle une crise sociale du modèle universitaire américain. Sujet dont s’est emparé Barak Obama à juste titre : la prochaine génération d’étudiants se prépare à devoir rembourser, tout au long de sa carrière professionnelle, les dettes contractées pour faire ses études !

Face à ce problème aigu, les universités vont devoir trouver d’autres sources de financement que l’augmentation des frais de scolarité.

Pour financer leurs études, de nombreux étudiants font désormais appel aux entreprises ou aux mécènes : d’anciens étudiants de l’université jouent la solidarité avec la jeune génération. Il est vrai que la situation est vraiment critique.

Quelle est la motivation d’un jeune américain, aujourd’hui, pour faire des études supérieures ? Quel sont ses objectifs et modèles de vie ?

Les jeunes ont conscience que s’ils veulent vivre décemment, élever des enfants et les préparer eux-mêmes à un avenir décent, ils doivent faire des études et donc passer par l’université.

Sans études supérieures, pas d’emploi de manager, de faibles rémunérations, pas de réussite sociale. Dans la société américaine, l’université est le symbole de la réussite, c’est le passage obligé vers l’épanouissement personnel et professionnel.

La réussite universitaire offre la reconnaissance de la famille, de la communauté, mise en scène par la cérémonie de « graduation » dont le retentissement est orchestré par les médias. Les parents des enfants diplômés le font savoir, l’affichent et en récoltent les honneurs, d’autant plus grands que sera le renom de l’université fréquentée.

Etre diplômé, c’est un statut social, c’est avoir la garantie d’une employabilité à vie… encore que cette garantie tende à se fragiliser avec la crise que traversent les USA.

Employabilité, salaire ou ascension sociale ?

Employabilité avant tout : il y a encore quelques années, en sortant diplômé d’une université de renom, privée ou d’Etat, on était sûr d’avoir un emploi. Ce n’est plus aussi vrai aujourd’hui, du moins si l’on ne sort pas des toutes meilleures universités (privées).

D’où, sans doute, les manifestations de l’automne motivées par l’inquiétude de devoir s’endetter pour payer des études qui ne garantissent plus un emploi à la clé.

Les Américains pensaient que la crise ne durerait pas. Et au contraire, elle ne fait que s’élargir : à la crise financière, s’est ajoutée la crise économique puis maintenant la crise de l’endettement. Par ailleurs, ils sont très inquiets de ce qui se passe en Europe.

Cela a-t-il un impact sur ta position de professeur, par rapport aux étudiants ? As-tu peur de former des étudiants dont l’avenir est incertain ?

C’est un sujet de discussion : ici, les professeurs qui ont 20 ou 30 ans de carrière constatent ce phénomène pour la 1ère fois : les étudiants qui sortent de l’université avec un Master, un MBA… ne sont plus assurés de trouver un emploi. Ils n’avaient jamais connu cela.

Situation d’autant plus préoccupante que s’ils sont sans emploi, les jeunes diplômés doivent pourtant commencer à rembourser leurs dettes et se trouvent donc rapidement dans la précarité.

La crainte des Américains vis-à-vis de l’Europe, c’est que l’Euro et l’UE s’effondrent, ce qui aurait une conséquence directe catastrophique sur l’économie américaine, dont l’Europe est le 1er partenaire.

La crise économique, américaine mais aussi européenne, est une importante préoccupation aux USA et un enjeu électoral : si l’Europe s’effondre, cela sera fatal à l’élection de B. Obama.

En même temps, face à lui, l’adversaire ne pèse pas lourd …

Les Américains vont voter en fonction de 2 critères : l’emploi et les opérations militaires à l’étranger. Obama avait misé sur la reprise de l’emploi et le retrait des troupes en Afghanistan : l’emploi ne cesse de se dégrader et le retrait des troupes n’aura pas lieu en 2014 comme initialement prévu.

Ce que l’Américain moyen veut avant tout : un emploi. Il votera pour le candidat susceptible de lui en garantir un, qu’il soit démocrate ou républicain.

Les Américains sont au-dessus des débats politiques : c’est la grosse différence avec les Français dont les médias explorent à 70% les débats politiques contre 30% des informations économiques, à l’inverse des médias américains qui consacrent 80% de leurs sujets à l’économie et à la finance.

Pour revenir à notre sujet de départ, ton expérience à San Jose a-t-elle donné des envies à certains de tes collègues de venir enseigner à GEM ?

C’est dans leur fonctionnement de partir en « visiting » tous les 3 ans mais ils sont plus attirés par l’Asie que par l’Europe. C’est dû à la fois à la proximité du Pacifique et au développement économique de l’Asie.

Quelques collègues, enseignants sur la côte Est, qui font des séjours en Europe se dirigent plus vers les pays scandinaves et l’Allemagne. Quant aux enseignants originaires de Chine, ils vont plus volontiers choisir Taipei, Tokyo ou Osaka.

Tes enfants ont-ils envie de rentrer ?

Oui, pour retrouver leurs amis de France. Non, en considérant la richesse et la diversité de cultures de leur école : sur 1 000 enfants, environ 300 nationalités différentes ! L’intégration a été un peu difficile au début, à cause de la barrière de la langue, mais un handicap vite oublié.

Que vas-tu retrouver avec plaisir à GEM, qui t’aura manqué cette année à San Jose ?

Rien ! Si ce n’est peut-être le bâtiment de l’école, qui offre des conditions de travail nettement supérieures à celles de San Jose. La perspective de ne partir que pour une année permet d’oublier ce que l’on pourrait regretter et profiter de tout ce qui s’offre à nous sur place.

GEM a une dimension grande région Rhône-Alpes mais une stature et un ancrage international par ses enseignants, son administration et ses enseignants : c’est une grande chance.

Merci Pierre-Yves pour cet entretien et bonne rentrée parmi nous !

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Jean-François Fiorina

Nouvelle année, nouvelles ambitions

Je suis heureux de vous retrouver à bord de mon blog après ces quelques semaines de repos estival. Ses contenus évoluent en fonction des enjeux que doit relever l’enseignement supérieur et nos grandes écoles. Il s’organisera désormais autour de trois grands chapitres : ma vie de directeur, mes rencontres, l’école de demain sans compter des coups de cœur ou… de gueule.

Pour l’heure, voici les grands constats que je dresse et les questions que je souhaite aborder, avec vous, à l’horizon de cette année académique 2012/2013.

Constats. Dans un monde en perpétuelle évolution, la mission d’une grande école évolue. Elle s’organise désormais en trois niveaux :

  • Former de jeunes gens opérationnels sur le marché du travail. Leur permettre d’évoluer horizontalement et verticalement, les mettre en situation d’affronter des problématiques inconnues.
  • Donner des réponses aux problématiques des entreprises, leur fournir les compétences souhaitées.
  • Etre au service de sa communauté. L’enseignement supérieur participe pleinement à la vie de son écosystème local.

Former nos managers de demain, c’est donc recomposer leur formation d’aujourd’hui. La vague numérique change les modes d’apprentissage et de partage de la connaissance, la mondialisation remet en question nos positions historiques, la concurrence internationale sévit pleinement dans le domaine de l’enseignement supérieur. Et nous sommes frappés par une crise sociale, morale et économique sans précédent.

Convictions. Comme je suis d’une nature optimiste, mon objectif, à travers ce blog et les échanges qu’ils suscitent, est de trouver les meilleurs chemins pour relever ces défis et justifier nos missions.

Comment ? En innovant au sens profond du terme. L’innovation, c’est imaginer de nouvelles chaînes de valeur qui passeront par des mutations dans les formes d’apprentissage (ouvertes, collaboratives, interactives), la création de nouveaux métiers, de nouveaux modèles économiques et de pensée. J’ai souvent employé le terme de « changement de logiciel ». Il reste singulièrement d’actualité et nous développerons au fil des posts ce qu’il recouvre.

La crise du modèle économique de l’enseignement supérieur n’est pas uniquement conjoncturelle. Notre modèle n’est pas toujours compatible avec la mondialisation et la circulation des savoirs et des élites. Nous le voyons bien avec le classement de Shanghai. Nous sommes face à des décisions stratégiques pour redistribuer les rôles entre les établissements, les Régions, l’Etat, l’Europe. Jouer d’une concurrence stérile entre les différentes composantes de l’enseignement supérieur relève d’un manque de vision. C’est dans la complémentarité et la clarification des missions de chacune des composantes (universités, écoles de management, d’ingénieurs, IEP, etc) que nous trouverons les solutions pour le pays. L’exemple américain montre bien qu’en matière d’enseignement supérieur, les rôles sont répartis comme en atteste l’exemple californien : les plus grandes universités, y compris privées, se concentrent sur la recherche avec de très gros moyens, les universités d’Etat sont plus professionnalisantes et les Colleges proposent, par exemple, des remises à niveau. La semaine prochaine, je diffuserai l’entretien réalisé avant l’été avec Pierre-Yves Sanséau, visiting professor à San Jose State University (professeur à l’EM Grenoble). Un exemple éclairant de la répartition des rôles des différentes universités californiennes et du rôle et des missions d’un professeur.

J’insisterai également sur plusieurs autres points :

–        la dimension territoriale de l’enseignement supérieur,

–        les services que doit apporter l’enseignement supérieur à sa communauté. Un prix Nobel, des filières professionnelles efficaces…

–        l’évaluation et le reporting de l’ensemble des acteurs de l’enseignement supérieur sans lesquels aucune dynamique n’est possible.

C’est la rentrée ! Période intense mais sympathique. Nous innovons cette année dans l’accueil de nos étudiants par un « village de la rentrée » sur lequel ils découvriront tout ce que peut leur apporter l’école. Par ailleurs, nous demanderons à nos premières années de stimuler leur créativité dès leur arrivée par un spécial « 24h de l’innovation » par le jeu… Tout un programme !

Bonne reprise à tous  !

A lire également notre Zoom actu de l’été enseignement supérieur :

–        Parution du classement de Shanghai : rien de nouveau, il a le mérite d’exister. Les établissements français y restent peu présents.

–        Augmentation des coûts de l’enseignement supérieur : une bombe à retardement !

–        Baisse globale du nombre des contrats d’apprentissage : un signal négatif alors qu’il s’agit d’une bonne formule.

–        Lancement des Assises de l’enseignement supérieur.

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Jean-François Fiorina

Garder le cap dans la tourmente

Le cycle d’enseignement 2011/2012 s’achève à l’ESC. Les derniers calages de la rentrée de septembre se terminent, les examens de sortie également. Décompression en vue, dans un monde sous pression… Quelle année ! Elections présidentielle et législatives, crise de l’euro, pays arabes en guerre ou en révolution… Le tout sur un fond de conjoncture économique nationale et internationale préoccupant. Gardons le cap et puisons, cet été, l’énergie de le maintenir en 2012/2013 !

ESC : un format de rentrée inédit. Dans cette effervescence, mon métier de directeur et d’enseignant, et avec toute l’école, consiste à donner le cap, à aider nos étudiants à construire le meilleur des parcours. C’est pourquoi nous avons décidé de modifier les modalités de leur accueil cette année. Partant du constat que la rentrée favorise un « trop plein » d’informations pour les étudiants, nous avons créé le « village de rentrée ». L’occasion pour eux de découvrir, à leur rythme, l’école, ses ressources, ses personnels, ses associations, ses parcours. Au-delà du lien souvent unilatéral et réducteur  « 1 école = 1 prof/1cours », nous souhaitons montrer l’investissement de tous dans le fonctionnement de l’institution y compris au plan administratif. Autre nouveauté, les « 24 h de l’innovation » qui seront pilotées par les premières années. Nous en reparlerons très vite.

Monde sous pression. Le cru 2012/2013 s’annonce bien charpenté. J’ai défendu, à maintes reprises, dans mon blog, une vision offensive du développement de l’Enseignement supérieur dans ce contexte de crise économique européenne et d’instabilité géopolitique. Comme marqueur de nos économies développées, il joue un rôle essentiel dans le positionnement international de notre pays. Les Assises nationales de l’Enseignement supérieur (en novembre 2012) qui lui seront consacrées sont attendues par beaucoup. Nombre de sujets nécessitent de rapides décisions (financement, orientation, compétitivité, international, innovation pédagogie, apprentissage, etc). En la matière, nous avons rédigé notre Livre blanc, au moment de l’élection présidentielle, des solutions toujours d’actualité et de bon sens. Nous sommes prêts à en débattre !

Au plan national, attendons-nous à une séquence difficile voire catastrophique. Plans sociaux à répétition, hausse des impôts, réductions budgétaires… De grands noms comme PSA ou le groupe agro-alimentaire breton Doux paient au prix fort le ralentissement de l’économie de la zone sud de l’euro ou le coup de frein sur la croissance des BRIC. D’autres « grands noms » suivront à la rentrée.

A l’international, cette décélération des économies des BRIC risque d’engendrer un phénomène de repli sur leurs marchés domestiques. Côté pays arabes, ne sommes-nous pas en train d’assister à la balkanisation de la Lybie ? Un sujet dont les médias ne parlent quasiment pas. Je suis surpris de voir à quel point la logique tribale a repris le dessus entrainant des risques de violences terribles. Et la Syrie ? Le vocabulaire international autorise désormais l’emploi du terme de « guerre civile », cette grande avancée sémantique aura-t-elle un quelconque poids sur Damas et ses alliés ?

Les interrogations égyptiennes ou maliennes restent sans réponse. Elles prédisent encore de longs mois ou d’années de conflits larvés ou ouverts.

L’été des tempêtes ? Certes, mais je pars quelques semaines bien décidé à faire le vide, à mettre la machine au ralenti pour mieux faire face aux défis qui nous attendent.

Comme fan de sport, j’espère que nos athlètes nous donnerons de la joie et de la fierté lors des JO de Londres. Que Didier Deschamps mettra de l’ordre dans la cour de récréation en expliquant que le maillot de l’équipe de France de foot mérite respect et engagement. N’est-elle pas à l’image de la France d’aujourd’hui ? En échec sur la question de la diversité républicaine, en mal de vivre ensemble…

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Jean-François Fiorina

Quelles stratégies internationales pour les écoles de commerce ?

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Dans le cadre de mes entretiens avec les acteurs de l’enseignement supérieur, le groupe Xerfi, spécialisé dans les études économiques, a récemment étudié les stratégies internationales des grandes écoles de commerce françaises.  Un sujet à la pointe de l’actualité dans nos établissements, à la fois positif puisque la Conférence des Grandes Ecoles souhaite augmenter le nombre des étudiants étrangers et la dimension internationale des écoles, et, inquiétant, avec les crises qui secouent, entre autres, l’enseignement supérieur au Canada et en Grande-Bretagne.

Rencontre avec Thomas Roux, directeur délégué, Xerfi Precepta, et Aurélien Duthoit, directeur d’études, Global Xerfi.

Jean-François Fiorina : pourquoi lancer des enquêtes pour les écoles de management ?

Il leur manquait ce type d’études stratégiques. Nous les connaissons à travers les classements comparatifs édités par la presse, peu sur des critères de stratégie ou de modèles économiques. Il y a une demande dans ces domaines, nos études se sont bien vendues d’ailleurs.

Comment caractérisez-vous le secteur des écoles de commerce ?  Devenons-nous de plus en plus professionnels ?

Nous le côtoyons depuis peu. Ce que nous remarquons, c’est que les positions sont assez figées.  Et les évolutions, bien que réelles, sont marquées par des cycles longs.

Vous parlez de cycles longs. C’est surprenant. J’ai plutôt l’impression d’une grande réactivité dans notre secteur.

Je pense que c’est commun à tous les secteurs en France. Les positions évoluent peu hormis dans les télécoms ou les nouvelles technos. Le paysage concurrentiel des écoles de commerce n’a pas énormément évolué depuis 15 ans. HEC est toujours premier… mais il est vrai que le marché évolue très vite. Il serait intéressant d’en savoir plus sur ce que pensent les étudiants ou les DRH. Le tissu des écoles est également très diversifié en termes de réputation, de moyens, de volume, d’influence. Ce qui rend les généralisations impossibles. En tout cas, le développement des écoles françaises à l’international prend du temps et ses enjeux sont parfois très sous-estimés.

Dans quels cas, par exemple ?

Faire de l’international, ce n’est pas seulement faire des accords d’échanges ou envoyer/préparer des M1 ou M2 à l’étranger. L’aspect qualitatif est important, il y a un important travail à mener sur la sélectivité des partenariats, sur les doubles-diplômes, sur le corps enseignant

Dans cette course les écoles françaises sont-elles bien armées ?

On a plutôt de la chance car notre modèle de business school s’est construit sur celui des “High Schools” américaines ou britanniques. Ce qui leur a donné une longueur d’avance par rapport à l’Italie ou l’Espagne même si le processus de Bologne a rendu plus homogènes les niveaux de diplômes en Europe. On voit bien encore aujourd’hui que les écoles de commerce françaises sont surreprésentées dans les classements mondiaux par rapport à l’Italie, l’Allemagne ou l’Espagne.

Allons-nous être rattrapés ?

Non, si les écoles françaises cultivent leur différence. Certaines ont choisi d’authentiques stratégies de partenariats, très sélectives, à l’international, d’autres ouvrent des campus à l’étranger, avec des à-coups, des allers retours mais globalement beaucoup d’efforts ont été réalisés.

Dans la finance, les écoles françaises ont cultivé leur différence et ça marche. Le management made in France dispose d’une certaine marque de fabrique.

Qu’est-ce qu’une bonne stratégie de développement international ?

Cela dépend du positionnement de l’école. Est-elle en quête de notoriété, de rentabilité ? Se positionner à Paris ou dans les grandes villes favorisera l’attractivité. Va-t-on recruter directement à l’étranger ? Et donc y implanter des campus.  Il n’y a pas de modèle type et donc ce n’est pas facile d’associer une école à un modèle.

L’international, est-ce devenu obligatoire pour les écoles ?

Avec 200 écoles de commerce en France, l’international n’est pas forcément le seul axe de développement. Il existe des niches, des spécialisations. Compte tenu du nombre d’écoles qui sont déjà engagées à l’international, c’est presque devenu un lieu commun. Ce n’est plus différenciant.

Cela reste important pour les étudiants, cette dimension internationale.

Oui certainement. Historiquement, les écoles ont fait la différence avec les universités sur ce terrain tout comme pour les stages et la professionnalisation des cursus.

Les universités ont cependant fait de grands efforts et la différence se réduit de plus en plus. Elles utilisent les mêmes armes, les mêmes axes de communication.

Mais leur contenu est encore différent. Que connaissent de l’entreprise les étudiants de l’université ? Ils ne sont pas crédibles par rapport aux écoles de commerce dans ce domaine en tout cas.

Sauf que beaucoup d’écoles de la Conférence des Grandes Ecoles ont du mal à recruter du fait de la vampirisation de leurs étudiants par les universités. Placez-vous du côté des parents qui doivent payer des frais de scolarité très élevés dans les écoles.

C’est un autre problème. La cote des ESC ne sera pas remise en cause sauf si les diplômés n’arrivent plus à se placer. L’université deviendrait alors un concurrent redoutable.

Ce qui importe à un étudiant ESC, c’est de trouver le job de ses rêves, dans l’entreprise de ses rêves au meilleur salaire. Le reste, pour lui, c’est du détail. Dans les faits, le risque est de voir se développer plusieurs divisions dans les écoles dont un groupe de « très grandes écoles » pour lesquelles les parents seront prêts à payer le prix fort.

Est- ce que les écoles françaises attirent les étudiants étrangers ?

Oui. Les écoles françaises qui ont réussi en France sont bien sûr capables de réussir sur le marché international et d’attirer des étrangers. Les points clé sont toujours les mêmes : les marges, les volumes, la reconnaissance, la qualité de l’enseignement, l’attractivité de la France.

Le plus de nos étudiants, c’est le double-diplôme et l’exotisme. Car nous sommes dans la génération « low cost ».  Partir en Inde ou en  Chine, au Brésil ou en Argentine, est devenu possible et accessible financièrement.

L’attractivité de nos écoles à l’international dépend aussi de leur localisation comme il l’est stipulé dans votre étude. Paris possède-t-elle toujours l’avantage sur les autres villes ?

Ce n’est pas vital si l’école a réussi à se faire un nom, une spécialité. Je pense à l’ESC Bordeaux et ses diplômes autour des métiers du vin ou à Grenoble pour le management des nouvelles technologies.

Certaines parisiennes peu cotées jouissent du prestige de la localisation et attirent des étudiants fortunés d’Afrique noire ou du nord.

Il  y a de la place pour beaucoup d’acteurs dans ce secteur.

Mais le top 10 des business schools impose forcément une politique internationale ambitieuse. Comment se comportent les écoles vis-à-vis de vos études ? Ont-elles bien collaboré ?

Oui, dans l’ensemble.

Je trouve surprenant que vous jugiez le niveau de langues des étudiants des business schools françaises comme une faiblesse ?

C’est relatif. Nous ne sommes pas parmi les retardataires au niveau mondial, mais dans la moyenne européenne, derrière l’Allemagne, la Belgique, les Pays-Bas, l’Europe du nord

Autre surprise, la concurrence des universités étrangères de niveau under graduate ?

Une bonne partie des ESC françaises délivre des diplômes dès le bac, c’est aussi le cas à l’étranger. Peut-être pas dans les meilleures mais l’étudiant français peut ainsi être tenté de faire ses études dans des écoles de commerce anglo-saxonnes ou allemandes qui délivrent ce type de diplômes.

C’est le cas dans les pays nordiques ou au Canada. HEC là-bas dispose des 3 accréditations pour un coût cinq fois moins élevé que les écoles françaises !

Nous avons l’impression que cette tendance augmente. Les familles préfèrent envoyer leurs enfants dans de bonnes universités étrangères plutôt que dans les classes prépas ou l’université classique.

Il y a l’effet « langues étrangères » et les passerelles sont si nombreuses pour intégrer ensuite une grande école…

Oui, tous les diplômes sont reconnus en Europe.

Vous parlez du bachelor. Ce diplôme a l’avantage d’être très pratique et d’offrir une année à l’étranger. Il y a de plus en plus de transfert d’étudiants de prépa vers ces diplômes.

Autre faiblesse que vous pointez : le statut des écoles de commerce, la fameuse taille critique qui fait défaut. Faut-il toujours grossir ?

Une certaine taille est nécessaire pour exister dans le concert international, pour acquérir une certaine notoriété. Mais ce n’est pas l’essentiel, l’indicateur important, c’est le budget par étudiant. Les plus grandes écoles de commerce françaises, de toute manière, ont déjà atteint leur taille critique.

Pour conclure, quel est le principal point fort et le principal point faible des écoles de commerce sur le plan international ?

Le point fort : la qualité de l’enseignement, le cursus.

Le point faible : la notoriété.  HEC est, par exemple, bien connue en France mais dans le monde ?  Sa notoriété est plus faible que La Sorbonne.

Il y a un savoirfaire à valoriser. Mais comment ? Je ne sais pas. En tout cas, grossir pour grossir ne me semble pas la solution.

Une action groupée entre écoles au niveau international ? Comme le font les Canadiens ou les Australiens ?

Sûrement, c’est une piste.

Faut-il craindre l’arrivée des émergents en France ?

Peut-être à la marge. Mais je ne crois pas qu’il y ait de stratégies en la matière. C’est une question d’objectifs et de moyens.

Avez-vous prévu d’autres enquêtes sur les écoles de management ? Et avec les universités et autres établissements de l’enseignement supérieur ?

Vu le succès des premières études avec les ESC, oui, nous continuerons en 2013. Le secteur est très concurrentiel. Les écoles aiment bien savoir ce qui se passe chez le voisin. Pour les universités, a priori, non pas d’études. Peut-être avec les plus grandes structures.

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Jean-François Fiorina

Le temps des oraux du concours, un rituel, toujours une découverte

Nous sommes au milieu du gué. Encore deux petites semaines et les étudiants de notre prochaine promotion seront choisis. Je constate deux choses : un tropisme vers les thématiques du développement durable et de la RSE, et un état de préparation très abouti de nos candidats. Peut-être trop, quelquefois à la limite du stéréotype, et surtout au détriment de la personnalité et de la passion des candidats. Mon analyse.

Dilemme. Se présenter aux concours des grandes écoles de commerce engage fortement, une vie peut-être. Donc s’y préparer est essentiel. Toutefois, compte tenu de leur très forte sélectivité, ne sommes nous pas, aussi, les créateurs d’un formatage de plus en plus professionnel de nos impétrants ? Je remarque des discours rodés, préparés, de véritables récitatifs sur nombre de questions. Mais comment leur reprocher ? L’enjeu est certes important et la pression à son sommet. Je constate que pour beaucoup la prise de risque, dans ce contexte, est paralysante. C’est dommage, en tous cas pour nos oraux. Le niveau académique atteint par les admissibles garantit déjà la qualité de jeunes gens intelligents, structurés et efficaces. Cela devrait permettre une ouverture vers la dimension personnelle, sociale, entrepreneuriale de l’individu que nous sollicitons ouvertement lors des oraux.

Etincelle ! C’est elle qui manque un peu trop souvent. Un bon étudiant pour moi, c’est quelqu’un d’intéressant, curieux, qui ne se prend pas au sérieux. J’attends l’étincelle dans leurs yeux sur des passions aussi variées que la musique qu’ils aiment ou pratiquent, sur leurs engagements au long cours dans le monde sportif, associatif, etc. Souvent leurs réponses un peu fermées ne nous aident pas, comme jury, à rebondir sur des thèmes plus ouverts. C’est une erreur car c’est là qu’ils sont les plus percutants. Nous ne jugerons jamais la nature de leur engagement mais plutôt l’argumentation qu’ils développent pour nous le faire partager, nous l’expliquer, nous le raconter. Se dévoiler, découvrir la personnalité des jeunes avec qui nous allons travailler plusieurs années, c’est l’objectif de notre oral.

C’est également celui des professionnels qui participent aux jurys. Ils se joignent à nous en tant que futurs employeurs, par fierté de participer au développement de notre école mais également pour venir ressentir ce qui sont les jeunes étudiants d’aujourd’hui. Ils ne s’attendent pas non plus à des réponses trop formatées ou attendues, mais originales et personnelles. Ils arrivent dans un esprit d’ouverture ne le fermez pas l’horizon !

Bonne chance à toutes et à tous !

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Jean-François Fiorina

La génération Y vue par Olivier Rollot

Journaliste spécialiste dans l’enseignement supérieur, aujourd’hui directeur exécutif au sein du cabinet de conseil HEADway, Olivier Rollot a été directeur de la rédaction de « L’Etudiant » puis journaliste au Monde. Il anime le blog « Il y a une vie après le bac » centré sur les questions d’orientation et vient de publier « La génération Y » aux PUF.

J’ai souhaité l’inviter sur mon blog pour échanger avec lui sur ces jeunes baignés de numérique et de mutations sociales et économiques profondes.

Jean-François Fiorina : pourquoi cette idée de livre sur la génération Y ?

Olivier Rollot : à force d’entendre parler de cette génération « Y » dans les cercles de l’entreprise (MEDEF, ANDRH…) comme d’une réalité, j’ai commencé à enquêter, à lire Michel Serres qui qualifie ces mutants de « génération poussette » (ils communiquent avec leurs pouces sur les écrans…). Et j’ai fini par conclure qu’elle existait bel et bien !

Votre réponse est sans équivoque ? Le concept est assez régulièrement remis en cause.

Oui, quand c’est pour dire qu’on est tous des Y sauf que certains le sont plus que d’autres ! Il y a un double effet pour les jeunes : une empreinte numérique omniprésente et un changement de société avec la croissance du chômage et l’apparition de la famille recomposée. Ces deux mutations fondent leur génération.

Quel est son principal trait ?

Ils ont globalement peu confiance dans leur environnement. Ne veulent pas trop s’impliquer ni dans la famille ni dans l’entreprise. Ils questionnent beaucoup ce qui déconcertent les plus anciens. D’autant qu’ils ne veulent pas vivre une relation de suggestion vis-à-vis de la hiérarchie.

Cette méfiance concerne tous les acteurs de leur environnement parents compris ou est-ce limité à leurs écoles et entreprises ?

Les parents n’imposent plus la même autorité. Ils souhaitent conserver de bonnes relations avec leurs enfants ce qui ne fut pas forcément le cas avec leurs parents. Ils s’aperçoivent qu’ils n’ont pas réponse à tout.

Côté école et entreprise, ça ce complique. Ils entrent dans une relation hiérarchique et n’ont plus la confiance absolue que leur donnaient leurs parents. D’où le développement de conflits. A l’université ou dans les grandes écoles, ils deviennent de moins en moins passifs face à l’Institution. Ils assument parfaitement de ne pas venir en cours alors que nous aurions cherché, nous, une excuse !

Pourquoi cette perte de confiance ?

Le lien au travail est distancié. C’est un gagne pain, pas une fin en soi. Sur le plan familial, les liens sont plus mouvants (famille recomposée) d’où cette méfiance. On passe dans le registre du « donnant/donnant ».

Restent-ils optimistes sur la vie en général ?

Dans ce domaine, ils manient le paradoxe. A la fois personnellement très optimistes sur leur propre devenir, ils ne le sont pas du tout pour leur pays… Dans les enquêtes internationales, ils sont les plus pessimistes du monde après les Japonais. Ils sont mûrs pour l’expatriation, à la fois contents d’eux-mêmes mais pas de leur pays. Un phénomène qui ne s’observe nulle part ailleurs dans le monde occidental.

Cela s’explique peut-être par le « donnant-donnant ». J’ai mes propres objectifs personnels et professionnels, à tort ou à raison. Il y a également des différences entre les plus favorisés qui peuvent s’expatrier et les autres. Est-ce une génération homogène socialement et géographiquement ?

Il est impossible de faire des catégories du fait de l’extrême diversité des populations. Mais certaines caractéristiques sont transversales comme l’addiction aux nouvelles technologies et le rapport au savoir.

Au niveau mondial, c’est différent. Les pays occidentaux ressentent une perte d’influence et les Y ont intégré que ce ne sera pas facile. Chez les émergents, l’avenir leur appartient. Tout est possible pour un Chinois.

Dans le monde des études supérieures, qu’est-ce qui fait fantasmer la génération Y ? Et au contraire, ce qui la fait fuir ?

Le Y veut savoir pourquoi il étudie, quel est le sens de sa formation. Il valorise les formes d’apprentissage ludiques. Ils ont été éduqués comme ça. Le prof est un partenaire avec qui on peut discuter. Paradoxalement, il apprécie aussi d’être assisté, de rester passif. En prépa, ils le sont. Et cela ne leur déplait pas. C’est au sein des écoles qu’ils commencent à devenir acteur de leur parcours et tout particulièrement au moment de l’année de césure. C’est un problème pour les écoles.

Choisir une grande école pour eux, c’est ne pas être prisonnier d’un système, conserver une forme de liberté et les moyens de choisir leur avenir. On a connu les « années Tapie » où l’objectif était d’accumuler le plus d’argent possible. Aujourd’hui, les options sont très ouvertes. Les étudiants choisissent leur parcours de vie selon leurs propres objectifs : l’argent, l’expertise métier, l’international ou la préservation de la vie privée…

Oui, je remarque également un certain retour de l’entrepreneuriat par goût ou pour fuir toute forme de hiérarchie trop pesante. Ils gèrent bien leur employabilité et ne sont plus fidèles à leur entreprise comme les générations précédentes. Ils sont prêts à revenir chez leurs parents par nécessité mais cela ne leur pose pas de problème particulier. C’est le cas aux Etats-Unis où 70% des moins de 30 ans font des allers retours s’ils ne sont pas satisfaits de ce qu’ils vivent professionnellement.

Cela implique de grands changements dans les entreprises puisque changer 3 ou 4 fois d’employeur sur une période de 10 ans est devenu un comportement normal. Alors qu’il y a peu, ce profil aurait été considéré comme instable ou caractériel ! Quels retours avez-vous de la part des entreprises ?

D’un problème, les Y sont devenus une opportunité au moins dans le discours officiel. Il ne faut plus être négatif vis-à-vis d’eux comme ce fut le cas il y 3 ou 4 ans. Certains cadres se sont trouvés démunis face à des attitudes désinvoltes comme le manque de respect des horaires ou des procédures. Pour d’autres, en « off », ils sont même protégés par leur DRH puisque à l’aise dans les nouvelles technos, les réseaux sociaux… Des entreprises très technologiques comme les biotechs ne sont pas épargnées par des attitudes nouvelles comme ne pas vouloir travailler le week-end dans une start-up du secteur.

Moi, je les trouve efficaces voire plus que leurs parents. Et de toute manière, les entreprises n’ont pas le choix !

Là encore, pour améliorer le relationnel, il faut apprendre à gérer leur mode de fonctionnement paradoxal. Ils ne veulent pas de hiérarchie pesante mais veulent être encadrés et managés de manière inversée. C’est le manager qui doit répondre à leurs questions et se mettre au service de ses subordonnés… Le tout dans un rapport d’instantanéité sinon les tweets fusent et la situation peut déraper. C’est le cas aussi dans les écoles. Je crois qu’il manque aux managers d’aujourd’hui une vraie dimension de leadership. Il faudrait mieux les former dans ce domaine.

A l’école, je pense qu’il faut adapter l’enseignement aux nouvelles technologies et être à l’écoute de leurs demandes. Surtout ne pas éviter la question quand on vous dit que vous avez tort ! Sinon…

Oui, c’est le règne de l’instantanéité et le plus désarmant dans cette génération Y, c’est qu’il y a le droit commun, et moi, qui suis différent ! J’accepte la règle mais elle ne s’applique pas à mon cas personnel. J’accepte qu’il y ait des règles pour les dates de remise des devoirs ou autre mais je refuse la sanction individuelle quand je suis hors jeu.

Cet individualisme créé aussi du collectif comme le « parti pirate », sans leader il se passe quand même quelque chose.

La suite selon vous ? Une génération Z est-elle en marche ?

Ce serait la dernière alors ?! Pourquoi pas, les Américains n’ont pas encore adopté les « Z » mais les 12-13 ans qui sont nés dans le numérique à 100% et dans le tactile promettent d’être des lycéens encore bien différents.

Je pense que la génération Z sera celle des tablettes avec un mode de pensée non linéaire. La démonstration cartésienne « à la papa » et même le bon vieux power point vont prendre un coup de vieux. Avec le tactile, on démarre par le point n° 3, on revient ensuite au début puis on insère les commentaires instantanés dans la démonstration… Une gymnastique d’esprit conséquente !

On peut d’ailleurs se poser la question de savoir comment seront les enfants des Y ?

Ils seront peut-être plus dans le commandement. Comme pour rééquilibrer ce qu’ils ont vécus avec leurs parents.  Quel est l’élément qui vous a le plus surpris lors de la rédaction de votre livre ?

Comme le dit Michel Serres, nous vivons une 3ème rupture après celle de la Renaissance et de l’imprimerie (Gutenberg). L’internet apporte un bouleversement total dans la pédagogie et l’approche du savoir. Nul ne sait ce que sera l’avenir dans ces domaines. Tout va à une vitesse de dingue !

N’est-ce pas le risque pour de nouvelles fractures entre les générations Y et les Z formées et aguerries et les autres manquant de moyens ?

Je dirais plutôt que les Y ou les Z, même s’ils connaissent bien les usages numériques, ont besoin d’être formés. Je vois plus une fracture au sein même de ces générations qu’ailleurs : sont-ils bien formés à la recherche d’infos et à la sélection des bonnes sources, par exemple ?

Jusqu’à présent, il y avait des séances de rattrapage pour s’en sortir. Mais celui qui ne sera plus connecté, qui n’aura plus accès aux outils ou qui n’aura plus la force de ce tenir à jour, est quasiment foutu.

C’est pour cela que de nombreux jeunes quittent le système dans lequel ils n’ont plus confiance.

C’est une génération à qui on va demander beaucoup dans un contexte économique et environnemental dégradé. On leur demande beaucoup mais sont-ils armés pour y faire face ? Cette révolution de la connaissance est très positive mais il faut aussi faire une révolution dans la façon de gérer la société.

Merci à vous, Olivier Rollot, pour cet échange stimulant. Je renvoie à lecture de votre ouvrage « La génération Y » pour continuer la réflexion !