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Philippe Jamet

Monde économique, lycées et grandes écoles : les grands absents des Assises

Durant cette première journée des Assises Nationales de l’Enseignement Supérieur et de la recherche, il aura beaucoup été question de “rééquilibrages” : entre financements compétitifs et subventions récurrentes, entre évaluation et autonomie, entre national et régional…

Il est cependant encore un domaine qui résiste, encore et toujours, à cette volonté de retour à l’équilibre : celui de la représentativité des acteurs concernés par l’organisation de l’espace national d’enseignement supérieur et de la recherche.

Un examen attentif de la liste des participants à ces assises, 673 inscrits, laisse quelque peu rêveur (cf. graphique ci-dessous)

Répartition par catégories des participants aux Assises de l'ESR, 26/11/2012

Répartition par catégories des participants aux Assises de l'ESR, 26/11/2012

Compte tenu des sujets débattus aux Assises, notamment la réussite étudiante et la gouvernance de l’enseignement supérieur, la forte représentation du monde universitaire stricto sensu (25%) est tout à fait justifiée. En revanche, la sous-représentation des lycées, des grandes écoles et des acteurs du monde économique toutes catégories confondues (industries, chambres syndicales, pôles, centres techniques…) et des institutions de statut privé est proprement stupéfiante.

Rappelons quelques chiffres. Parmi les 2 350 000 étudiants inscrits dans le supérieur :

  • 60 % le sont dans les universités
  • 15 % dans des écoles (ingénieur, commerce, arts, architecture, etc.)
  • 15 % dans des lycées (STS et classes préparatoires)
  • près de 20 % relèvent d’institutions privées

Il n’est pas non plus inutile de rappeler que, selon la Conférence des Grandes Écoles, ces dernières représentent plus de 40% des diplômes de master et près de 30% des diplômes de doctorat dans leur spécialité. Le poids réel de ces acteurs de l’enseignement supérieur, poids quantitatif comme qualitatif, n’est assurément pas pris en compte dans l’équilibre des délégations participant aux Assises.

Il en va de même du monde économique, pourtant largement sollicité pour le financement de la recherche, le soutien aux universités et les politiques d’innovation. Les industriels et leurs organisations n’en continuent pas moins de susciter une certaine réserve de la part du monde universitaire, que ce soit en termes de participation directe à la gouvernance des universités (notamment l’élection de leurs présidents) ou d’influence dans la stratégie nationale de recherche.

Enfin, hormis sa composante syndicale, la société civile, au travers des associations, des mutuelles, des groupes d’intérêts, des conseils économiques, sociaux et environnementaux régionaux, n’a guère disposé que d’un strapontin dans le grand amphithéâtre du Collège de France. Pourtant, elle aurait probablement des suggestions de bon sens à faire et la légitimité pour les porter, elle qui supporte pour une bonne part, au travers de l’impôt, le financement de notre système universitaire. Une plus large présence des parties prenantes sociales, nous a-t-on dit, “aurait été souhaitable, mais il fallait faire vite”…

La sous-représentation d’acteurs aussi déterminants est à mettre en regard, de mon point de vue, de la sur-représentation de la puissance publique (administrations et ministères). Puisqu’il s’agissait, au travers des Assises, d’imaginer des propositions innovantes dans l’organisation du système d’enseignement supérieur et de recherche, peut-être aurait-il été préférable que notre administration se place en position d’écoute et se fasse plus discrète. Il y aurait, là encore, un chantier de “rééquilibrage” à ouvrir, mais c’est une autre histoire…

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Philippe Jamet

Ingénieurs calibrés : attention !

Les assises de l’enseignement supérieur et de la recherche qui se déroulent actuellement sont l’occasion de riches échanges sur l’insertion professionnelle des diplômés. Un sujet sur lequel les écoles d’ingénieurs se sentent plutôt à l’aise, elles qui n’ont de cesse de mettre en relief leur caractère professionnalisant, les remarquables taux d’accès à l’emploi de leurs diplômés et leurs liens avec les acteurs du monde économique.

Pourtant, les indéniables succès des écoles sur le terrain de l’insertion professionnelle ne sont pas sans soulever des questions de fond. Il n’est pas certain que, poussée à l’extrême, la performance des écoles dans ce domaine constitue systématiquement un service rendu à la société ni à leurs diplômés.

Prenons les deux indicateurs couramment utilisés par les écoles pour mesurer cette performance : le salaire à l’embauche et la période de recherche d’emploi à la sortie de l’école. Les écoles ont tout intérêt à développer des stratégies permettant de maximiser le premier et minimiser le second : d’abord en termes d’attractivité, ensuite par que ces deux mesures possèdent un poids important dans plusieurs classements d’écoles.

Dès lors, les écoles ne peuvent que se réjouir des choix de leurs jeunes diplômés en faveur de carrières sûres et lucratives, c’est-à-dire plutôt celles offertes par de très grandes entreprises et des secteurs rémunérateurs (services, finance, conseil…). Cette situation est quelque peu contradictoire avec certains éléments du discours de ces mêmes écoles, par exemple leur préoccupation récurrente face au déficit d’appétence de leurs diplômés pour les métiers de l’économie réelle, pour les petites et moyennes entreprises et pour  l’entrepreneuriat.

Un jeune diplômé d’école qui aurait un projet de création d’entreprise, ou l’intention de débuter sa carrière dans une petite structure ou encore, plus simplement, auquel il prendrait l’envie de mûrir son choix, ne contribue pas positivement à l’enrichissement des précieuses statistiques d’insertion professionnelle des écoles. Aussi, un pilotage excessif de la politique d’insertion des écoles par des statistiques, certes simples et attractives, mais quantitatives et réductrices, appauvrit la contribution potentielle de leurs diplômés aux dynamiques d’innovation. Bien sûr, les écoles apprécient les profils atypiques et les valorisent dans leur communication, mais elles ont quelque part aussi un intérêt à court terme à ce qu’ils demeurent dans des proportions raisonnables, c’est-à-dire, précisément, atypiques.

Le discours des écoles et des recruteurs sur les compétences est également de nature à provoquer des effets pervers. Si les écoles s’échinent à apporter la preuve que leurs diplômés détiennent des compétences « prêtes à l’emploi », c’est d’abord pour rassurer les recruteurs, minimiser pour eux la prise de risque consubstantielle à toute décision d’embauche et maximiser leur retour sur investissement. Sur le principe, il n’y a rien à redire : les écoles sont aussi là pour aider les entreprises, satisfaire leurs besoins et mettre sur le marché de l’emploi des diplômés compétents que ces entreprises pourront « métaboliser ».

Mais ce même principe de compétence est porteur de dérive. Une attention excessive des écoles à la demande formulée par le marché de l’emploi peut déboucher, petit à petit, sur une offre d’ingénieurs « calibrés » ou « standardisés », un peu à la manière dont on a vu, ces dernières décennies évoluer le marché des fruits et légumes vers des tailles et des couleurs équivalentes. Certes, les produits véreux sont devenus l’exception, mais dans le même temps, la saveur s’est évaporée, les palais se sont affadis et les étals, bien rangés, ont perdu de leurs couleurs et de leurs formes chatoyantes…

Nous pourrions, sans nous en rendre compte, arriver à une situation où, avec la complicité des employeurs, au prétexte de les rassurer, nous mettrions à leur disposition des jeunes diplômés qui leur ressemblent et qui s’insèrent sans heurt et sans bruit dans leurs entreprises. La relation écoles-monde économique prendrait un tour routinier et casanier, ceci, au moment précis où, plus que jamais, ces entreprises ont besoin d’innovation et de collaborateurs à forte capacité « transformante ».

La compétence ne doit en aucun cas devenir un principe tyrannique qui étouffe l’innovation et marginalise les profils « atypiques ». L’insertion professionnelle réussie ce n’est pas une adéquation au attentes du monde d’aujourd’hui, mais un engagement pour les aspirations du monde de demain. Et quant à l’ingénieur, c’est celui qui agit là où il n’est pas attendu. C’est celui qui finira par exercer un métier auquel rien ne le destinait.

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Philippe Jamet

Hommage à Michel Demange

Avec le décès prématuré de Michel Demange dans la nuit du 30 au 31 juillet, c’est un grand naturaliste qui disparaît et ce sont les sciences naturelles qui sont en deuil, ces sciences qu’il a aimé avec passion et sous toutes leurs formes.

Michel Demange, 2009. Source : Presses des Mines

Michel Demange était avant tout un très grand géologue, un géochimiste de haute volée et un exceptionnel pédagogue. S’initier à la géologie avec lui, c’était apprendre à regarder les pierres autrement, ou plus exactement à ne jamais laisser de côté un caillou. Car, les cailloux, il savait les faire parler, certains diront : au-delà ce qu’ils pouvaient dire. Sa pratique, des décennies durant, de terrains ingrats et peu loquaces, de préférence entre Lacaune, Castres, Mazamet et Bédarieux, où les affleurements étaient souvent de mauvaise qualité, avaient aiguisé chez lui une intuition et une inspiration très profondes. Peu de structures complexes résistaient à ses investigations. Il les parcourait en tout sens et par tout temps, les observait de près et de loin et finissait souvent par en percer les mystères.

Un stage dans le Massif de l’Agly à l’été 1982 m’avait fait apprécier les méthodes et les raisonnements de Michel Demange, ce don qu’il avait d’épuiser la moindre information de terrain, de construire des hypothèses et de mettre en perspective une observation locale, dans une roche ou une lame mince. Et je me suis naturellement tourné vers lui pour mon sujet de fin d’études à l’Ecole des Mines de Paris, le tracé d’un tronçon de la faille de Mazamet dans des schistes métamorphiques non datés et peu différenciés (schistes X), entre Somail et Pic de Nore…

Michel Demange aimait à répéter cette citation de Pierre Laffitte : “la géologie est ce qui prépare le mieux aux métiers de la banque“. L’actualité d’aujourd’hui montre en effet combien “la banque “aurait eu grand intérêt à recruter des géologues formés à son école. Avec lui, on apprenait en effet à ne laisser passer aucune donnée, à construire des scénarios, à questionner ses hypothèses, à les appliquer avec prudence et à ne jamais s’enfermer dans les idéologies et les systèmes, ce piège fatal auquel succombent trop de géologues et encore plus d’experts de la finance. Avec lui, la géologie devenait un des arts de l’ingénieur, un domaine où exercer “l’intelligence des situations”.

Mais Michel Demange n’était pas uniquement l’expert du minéral. Une journée de terrain en sa compagnie comportait autant de botanique et d’enthomologie que de géologie. La flore Bonnier n’était jamais très loin dans le sac à dos et sa mémoire était rarement mise en défaut face à une plante curieuse. On finissait par aimer passionnément ces balades dans la nature avec une encyclopédie ambulante… Michel Demange c’était aussi le collectionneur infatigable, d’orchidées (en photo seulement !) et de papillons, dont les boîtes, soigneusement rangées, tapissaient les murs d’une pièce de son appartement transformée en « lépidoptèrothèque ».

Alors oui, Michel Demange était un peu bourru et catégorique, ce qui lui valait quelques adversaires farouches dans la profession. La géologie selon Demange avait des airs de « marche ou crève » et peu de talents trouvaient grâce à ses yeux. Il n’était point docile, ni envers l’académie, ni envers l’autorité, ce qui, souvent, nuit à une carrière. Mais moi, je l’aimais comme cela : authentique, exigeant, intransigeant. Pas du tout diplomate, mais assurément sensible. Un grand enfant curieux et gourmand.

A l’automne dernier, j’étais allé passer une journée avec lui, dans cet appartement de Ménimontant, un balcon ouvert sur Paris dont il sortait désormais peu, déjà atteint par la maladie qui devait l’emporter. Nous avions parlé de ses derniers travaux sur la Montagne Noire, de ses projets de livres. Nous avions passé des heures à admirer des papillons et avant de me laisser repartir, il m’avait joué un dernier morceau de Brahms au piano.

C’était le Michel Demange de toujours, celui que nous aimions et qui va nous manquer. Il nous laisse trop tôt, comme par impatience de contempler éternellement la nature et de percer enfin les derniers secrets que les pierres s’étaient refusées à lui livrer de son vivant.

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Philippe Jamet

Du pain sur la planche… (4/4)

Cette quatrième et dernière partie du billet consacré à des chantiers méritant (selon moi) l’attention des nouvelles autorités gouvernementales, abordera les questions des droits d’inscription, de l’éducation  à l’innovation et à l’entrepreneuriat et de l’orientation.

Chantier n°8 : Ouvrir la porte à des financements innovants

Selon un rapport de l’Institut de l’Entreprise (« Financement de l’enseignement supérieur : quelle place pour les entreprises ? », par Pierre-André Chiappori, juin 2011), la part de financement public de l’enseignement supérieur français s’élève à plus de 85%. Dans le même temps, souligne ce rapport, « la France souffre d’un sous-financement considérable de son système d’enseignement supérieur, et ce malgré l’effort important de remise à niveau budgétaire engagé par l’Etat au cours des dernières années ».

Faut-il espérer, en dépit de la priorité que constitue depuis plusieurs années l’enseignement supérieur, que cette situation s’améliore dans le contexte actuel des finances publiques ? Probablement pas, ce qui amène l’auteur à cette conclusion : « la recherche et l’enseignement supérieur français ne pourront donc se passer, à moyen et long terme, d’une redéfinition de la structure de leurs ressources, incluant en premier lieu un recours accru aux financements privés ». J’ajoute qu’elles ne pourront s’en passer non seulement pour mettre en œuvre leurs ambitions, mais aussi, tout simplement, pour survivre.

Si l’on compare la situation présente du financement de l’enseignement supérieur français à la situation et aux tendances qui prévalent dans d’autres pays, la France apparaît de plus en plus comme un OUNI (avec un « U » pour universitaire).

Ainsi, au Royaume-Uni, les subventions publiques directes représentent un peu plus d’un tiers du budget de l’enseignement supérieur et la part publique consolidée, incluant les aides aux ménages, atteint un peu plus de 50% de ce budget, en retrait de 20% par rapport à 2004. De manière symétrique, la contribution des ménages (notamment au travers des droits d’inscription) est passée de moins de 20% en 2004 à 35%.

Aux Etats-Unis, le financement des universités publiques comporte en moyenne 25% de subventions publiques. Les ressources propres compétitives (grants, etc.), contribuent pour 20% au budget et les droits d’inscriptions pour 20% également. Les revenus des centres hospitaliers universitaires et les revenus des capitaux (endowment) pour environ 10% chacun.

Dans notre pays, la contribution des ménages à l’enseignement supérieur stagne autour 7% en moyenne, un taux inférieur d’un facteur 3 à 5 aux deux exemples précédents.

Cette situation est maintenue dans un état qui, chaque jour, se montre davantage insoutenable, en raison de cette idéologie nationale en forme d’impasse qui veut qu’en matière d’enseignement, l’égalité des chances passe par la gratuité. Une totale hypocrisie, si l’on songe par ailleurs aux sommes considérables que la Nation doit injecter dans des politiques palliatives, méritoires mais d’un impact limité, en vue de corriger ce que l’on appelle pudiquement : les « décrochages ».

N’est pas moins responsable de cet état de fait le désintérêt, dans tous les sens du terme, de parties prenantes extérieures, personnes morales et privés, à la fois farouchement attachées au libéralisme et à la propriété, mais encore peu engagées dans les causes d’intérêt général et de salut public, au nombre desquelles l’excellence de notre potentiel d’enseignement supérieur et de recherche. A cet égard, tout le monde (ou presque) est d’accord avec ce dogme : à service public, financement public. Comme le souligne avec cynisme le rapport de l’institut de l’entreprise : « le niveau des attentes du public, qu’il s’agisse des moyens matériels ou de l’efficacité du fonctionnement, est relativement bas ; les universités font partie de l’administration et l’on est du coup prêt à en accepter le cas échéant un niveau de médiocrité des moyens ou d’inefficacité bureaucratique que l’on ne tolérerait pas de son banquier ou de son assureur ».

Sauf à s’engager dans une trajectoire de déclin, une profonde évolution du paradigme de financement de l’enseignement supérieur est à tous égards inévitable. Sur le principe, on peut envisager trois types de financement de substitution : les dons de nature charitable, les contributions d’entreprises et les droits de scolarité. Autant les deux premiers relèvent de changements culturels lents et d’une pédagogie dont les effets se mesureront sur un terme assez long, autant le troisième est en mesure d’apporter rapidement à l’enseignement supérieur de nouvelles marges de manœuvre budgétaires, tout en assurant, s’il est bien conçu, un meilleur niveau d’équité que le système actuel de financement public massif, mais aveugle.

La question des droits de scolarité est certes très épineuse en raison des risques politiques et sociaux qu’elle induit et des réflexes épidermiques qu’elle provoque. Pour mesurer dans quelle ambiance un débat pourrait s’ouvrir sur la question dans notre pays, il suffit de voir comment les médias nationaux ont relayé les remous entourant ce sujet au Royaume-Uni et, plus récemment, au Canada : très peu d’analyse sur les questions de fond, beaucoup de complaisance a priori envers les protestations.

Or cette question mérite un examen approfondi avant toute approche passionnelle. Il faut bien comprendre que les enjeux de l’instauration de droits de scolarité dans les universités et grandes écoles publiques françaises, au delà du niveau symbolique actuel, portent au delà de l’équilibre et du développement des budgets de ces établissements. On dit que ces établissements sont « dans une compétition internationale », mais c’est en partie inexact, car le simple fait qu’ils soient presque gratuits les place de manière quasi automatique « hors marché » donc, en dehors de la compétition, à l’instar de tout autre commodité qui n’envoie pas de « signal prix ».

Il est en outre assez symptomatique de constater que le « consentement à donner » des anciens élèves d’un établissement est généralement en proportion de ce qu’il a consenti à payer au cours de ses études. La gratuité a cet autre dommage collatéral : un établissement public d’enseignement supérieur pâtit de représentations plutôt négatives et bénéficie d’un niveau d’engagement faible de la part de parties prenantes qui devraient être pourtant les premières intéressées à son développement et à son financement. Nous sommes donc dans une situation ou l’investissement public dans l’enseignement supérieur, à la fois prépondérant dans son état actuel et critique dans ses perspectives, entretient par ailleurs une dangereuse déresponsabilisation au sein des parties prenantes qui pourraient s’y substituer.

La généralisation de droits d’inscription dans le supérieur (universités et grandes écoles publiques) à un niveau compris entre 3 et 5000 euros par an (soit entre un quart et un tiers du prix de revient estimé par étudiant) pourrait s’inscrire dans le même schéma que celui qui prévaut en Australie, en Nouvelle-Zélande, en Suède et bientôt au Québec, à savoir un prêt public dont l’assiette de remboursement est le revenu de l’étudiant une fois parvenu dans la vie active, suivant un taux par tranche de revenus (cf. par exemple : Higher Education Contribution Scheme/Loan program, HECS/HELP, en vigueur en Australie, http://www.ato.gov.au/individuals/content.aspx?doc=/content/8356.htm). En 2012, aucune contribution n’est exigée pour un salaire annuel inférieur à 49000 dollars australiens.

Si elle était adoptée en France, une telle mesure serait de nature à engendrer un flux financier annuel vers l’enseignement supérieur compris entre 4 et 7 milliards d’euros, soit, en mode consomptible, l’équivalent en 3 à 5 ans des fonds d’investissement d’avenir consacrés à l’enseignement supérieur. Ce chantier mérite d’être ouvert sans a priori négatif.

Chantier n°9 : L’éducation à l’innovation et à l’entrepreneuriat

On déplore, dans notre pays, un certain déficit d’innovation et d’entrepreneuriat qu’essaient de pallier, par les moyens les plus divers, les politiques publiques nationales. Le groupe de travail « innovation et entrepreneuriat » monté dans le cadre des états-généraux de l’industrie s’est attaché à en diagnostiquer les causes et à préconiser un ensemble de mesures propres à améliorer la situation, pour la plupart d’ordre technique et visant à faciliter la vie aux entrepreneurs et aux innovateurs (le rapport du groupe de travail est disponible à cette adresse :

http://www.industrie.gouv.fr/archive/sites-web/etats-generaux-industrie/fileadmin/documents/Nationnal/documents/Innovation_et_entrepreneuriat/EGI_-_innovation_et_entreprenariat.pdf).

Un des axes de travail identifié par le groupe concerne à très juste titre le développement de la culture de l’entrepreneuriat et de l’innovation, insuffisamment répandue dans notre pays. Mais il est tout à fait surprenant, et symptomatique de la vision que ce pays a des mécanismes d’innovation, que la réflexion du groupe reste cantonnée à l’enseignement supérieur.

Ayant ainsi fait le constat que les diplômés de l’enseignement supérieur génèrent peu d’idées innovantes et créent peu d’entreprises, le groupe propose essentiellement de « doper » les formations supérieures, en universités comme en grandes écoles, de formations à l’innovation et de généraliser les « pôles de l’entrepreneuriat étudiant ». Non pas que ces propositions soient sans intérêt. Mais, d’une part, elles confinent la population-cible à une frange réduite des entrepreneurs et innovateurs potentiels, d’autre part elles suggèrent des interventions situées beaucoup trop en aval dans la chaîne éducative, j’allais dire « lorsque le mal est déjà fait ». C’est un peu comme si, en matière de sport, ayant diagnostiqué un manque d’athlètes de haut niveau dans la population française, on se mettait à ouvrir des écoles d’apprentissage intensif de l’athlétisme de compétition réservées aux seuls publics adultes, en sachant pertinemment par ailleurs que ce type de talents se détecte et se développe essentiellement aux âges les plus tendres. Bien sûr, on finirait à force par obtenir quelques résultats, mais sans commune mesure avec une politique sportive intervenant très en amont.

Pour l’essentiel, l’innovation et l’entrepreneuriat ne sont pas des compétences que l’on apprend dans le supérieur, même si un apprentissage spécialisé est utile à ce niveau d’études, mais des mentalités que l’on acquiert tout au long de la chaîne éducative. Un système éducatif qui voudrait favoriser l’innovation et l’entrepreneuriat commencerait par faciliter, à tous les niveaux, l’émergence et l’apprentissage de la créativité, de la culture de la responsabilité et de l’acceptation de l’erreur (ou de l’échec). Il gérerait en outre, et avec un soin particulier, les personnalités « atypiques », celles qui, comme disent les anglo-saxons, « pensent en dehors de la boîte » et sont des innovateurs en puissance.

Or, force est de constater que notre système éducatif, dès le primaire (et peut-être même avant), n’est pas ainsi orienté. Essentiellement articulé autour de programmes et de transferts de connaissances obligées, avant tout soucieux de standards qu’à l’écoute d’individualités, l’expression et la prise d’initiative des élèves y sont encore marginales et encadrées. Les procédures éducatives, encore fortement dirigistes, y privilégient le tronc commun, laissant peu de place aux parcours électifs. Et quant à l’erreur, elle y est davantage pénalisée que valorisée, ceci dès la plus tendre enfance, notamment par un système de notation et d’évaluation qui traumatise durablement un nombre important d’enfants (jusques et y compris, inconsciemment, ceux qui y prospèrent et acquièrent une réputation d’excellents élèves !). Or qui ne s’attache pas à dominer son erreur ni à valoriser ses échecs a peu de chance de devenir un entrepreneur. Qui ne trouve pas, très tôt, des terrains pour s’exprimer et expérimenter a peu de chance d’innover ultérieurement.

S’agissant donc d’innovation et d’entrepreneuriat, ne demandons pas à l’enseignement supérieur d’assumer seul et de corriger les biais acquis au cours de douze à quinze années d’éducation antérieures. Avant de songer à muscler l’enseignement supérieur de formations à l’innovation et de sensibilisations à l’entrepreneuriat, il est nécessaire de lever un certain nombre de contraintes dans le primaire et le secondaire et d’y ouvrir davantage d’espaces de liberté, d’expression, d’expérimentation et de créativité. La mobilisation du pays autour des défis de l’innovation passe avant tout par un changement de tonalité d’ensemble de notre système éducatif, actuellement placé sous le signe du transfert encadré et évalué de connaissances. Ce n’est pas la « base de données », mais plutôt le « système d’exploitation » des connaissances qui est à revisiter. Il faut espérer que cette question ne sera pas oubliée dans les réflexions « Bac-3/Bac+3 » qui associent le ministère de l’Education Nationale et celui de l’Enseignement Supérieur.

Chantier n°10 : la réforme de l’orientation post-bac

On aura vite fait de se convaincre des imperfections de notre système d’orientation en écoutant les témoignages d’élèves, d’étudiants et de parents qui en ont fait l’expérience. La sensation générale est celle d’une absence de soutien et d’avis éclairés au moment même où les élèves doivent faire des choix cruciaux, notamment lors de l’épreuve de l’admission post-bac. Il est par trop tentant et facile, l’exaspération aidant, d’en incriminer des responsables tout désignés, je veux parler des conseillers d’orientation, volontiers taxés d’incompétence et de méconnaissance des métiers, des entreprises et des filières de formation supérieures ou professionnelles.

Mais ce problème ne tient pas à des personnes qui, pour l’essentiel, sont dévouées à des missions dont elles ne sous-estiment nullement l’importance, sont à l’écoute des élèves et font ce qu’elles peuvent dans les contraintes qui leur sont imposées. Ce problème est systémique. J’en ai déjà esquissé certains aspects : le paradigme du « tout supérieur » qui infuse le système éducatif français (et peut donc aussi contaminer les conseillers d’orientation), la dévalorisation des filières professionnelles et des métiers réputés « non-intellectuels », considérés comme des choix par défaut. Avec de telles représentations en arrière-plan, l’exercice d’orientation est pour le moins difficile et fera beaucoup d’insatisfaits et de frustrés.

Un  autre mal dont nous souffrons est cette pression tous azimuts de détermination de son avenir professionnel qui est exercée sur chaque élève et chaque étudiant. Cela commence insidieusement, dans la petite enfance, par la question « que veux-tu faire plus tard ? », cela se poursuit dans le secondaire par des informations stéréotypées et lacunaires sur « les métiers » et cela finit un beau mois de mai, à 17, 18 ans, par des soirées d’angoisse devant un écran d’ordinateur où s’affiche le portail de l’Admission Post-Bac (APB). Dans cette étape cruciale de leur vie scolaire et universitaire, des centaines de milliers de jeunes sont contraints d’exprimer des vœux en l’absence de la moindre idée de l’espace professionnel dans lequel ils se projettent. C’est pour eux (et pour beaucoup de leurs parents) un exercice traumatisant, entaché d’erreurs et de précipitation. Comment s’étonner qu’il ne débouche pas sur des choix irréfléchis, hâtifs et malencontreux ?

Pour sortir de cette impasse il faut admettre que la plupart des élèves ont besoin des premières années de cycle universitaire pour mûrir leurs choix. Aujourd’hui un métier, ou plutôt, des compétences qui pourront prendre la forme de divers métiers au cours de la vie active, doivent s’envisager dans un contexte social et économique particulièrement complexe. Ce ne sont pas là des questions que l’on pose à la hâte à des lycéens de 15 à 18 ans en exigeant d’eux une réponse immédiate qu’ils ne pourront corriger qu’à l’issue d’un échec de parcours.

Une réforme de l’orientation devrait avoir pour objectif de distinguer entre ce qui relève de l’information et ce qui relève du choix. Pour ce qui concerne l’enseignement supérieur, la question du choix, actuellement située à la fin des études secondaires, serait certainement mieux placée dans le cadre de premiers cycles universitaires généralistes et électifs. Dans ce contexte qui maintient largement ouvert l’éventail des choix, le jeune est mieux à même, par un processus d’exploration, de déterminer sa trajectoire éducative et de mûrir ses choix professionnels. L’information sur les métiers, partie intégrante de l’éducation et de la connaissance du monde et de la société, relève plutôt de la mission de l’enseignement secondaire. Cette information doit être à la fois large et objective, et non pas essentiellement concentrée sur des métiers « nobles » et exigeant un passage dans le supérieur, et comporter des phases d’immersion concrète de durée suffisante.

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Philippe Jamet

Du pain sur la planche… (3/4)

Cette troisième partie du billet consacré à des chantiers méritant (selon moi) l’attention des nouvelles autorités gouvernementales, abordera la question des paradigmes nationaux entourant l’enseignement supérieur (chantier n°6) et les formations professionnelles (chantier n°7).

Chantier n°6 : changement de paradigme pour les études supérieures.

« A quoi bon, jeunes gens qu’à ce bagne on condamne,

Devenir bachelier puisqu’on peut rester âne ? »

Victor Hugo, l’Ane, 1880

Nous ne prenons pas toujours pleinement conscience de la pression sociale que nous subissons et assumons dans notre pays dès lors qu’il s’agit des études supérieures. Trop de parents (quand ce ne sont pas les intéressés eux-mêmes) manifestent encore en société comme une espèce d’autocensure ou même de honte à avouer que tel de leur rejeton a fait des études courtes, suit une filière technique ou exerce ce qu’ils appellent « un petit job » tandis que d’autres transpirent en licence ou en master.

Des expériences de vie sont ainsi contrariées, la valeur du travail, dégradée, au motif que « hors des études supérieures, point de salut ! ». Résultat : quantité de jeunes sont précipités, au mépris de leur intérêt, dans des parcours postbac sans lendemain ou pour lesquels ils ont peu de goût ou peu de dispositions, par contrecoup de cette pression ambiante. Ce qui fait que ces jeunes, dans le meilleur des cas, finissent par trouver leur voie, à l’intérieur ou à l’extérieur des filières d’enseignement supérieur au terme d’une succession de déconvenues qui leur fait perdre du temps et risque de les décourager. Dans le pire des cas, c’est le chômage, sans le diplôme ou, pire, avec excès de diplôme.

Mon intention n’est évidemment pas de dénigrer les études supérieures en tant que telles, mais plutôt de plaider pour qu’il en soit fait un usage plus pertinent, dans l’intérêt des jeunes et au bénéfice de la Nation. Or, la vocation des études supérieures au regard de ces deux exigences est actuellement sujette à caution, en considération du chômage rampant chez les jeunes d’une part, des performances moyennes du système d’enseignement supérieur au regard de ce qu’y investit le pays d’autre part.

Pour nous en convaincre, reportons-nous au document de propositions publié au mois de février par la Conférence des Grandes Ecoles à l’intention des candidats à l’élection présidentielle (disponible à cette adresse :

www.educpros.fr/uploads/media/Propositions_CGE_Presidentielles_-_complet.pdf). Nous y découvrons en page 11 un graphique de synthèse fort édifiant mettant en relation le taux d’accès au supérieur et le taux de chômage des jeunes de 15 à 24 ans pour une trentaine de pays de l’OCDE ou émergents (page 11 du document).

Ce schéma permet de tirer au moins deux enseignements : 1) au premier ordre, il n’y a aucune corrélation entre ces deux indicateurs, autrement dit, dans l’absolu, l’accès accru d’une classe d’âge au supérieur ne garantit nullement sa moindre exposition au chômage, 2) certaines comparaisons sont intéressantes, par exemple entre la France (accès 60%, chômage 22,5%) et l’Allemagne (accès 34,4%, chômage 9,7%).

Un tel graphique va tellement à rebours des idées reçues que la plupart des gens l’accueillent avec surprise et scepticisme. Il faut dire que tout a été fait pour ancrer dans l’esprit de ces mêmes gens, dans les dernières décennies, que pour augmenter son employabilité et ses chances de succès dans la vie, un jeune devait à tout prix s’engager dans des études supérieures. Compte tenu de cet endoctrinement, comment la société pourrait-elle facilement reconnaître que ce postulat non seulement n’ait pas une traduction statistique évidente, mais encore soit contredit par la statistique ?

C’est que nous sommes tous, à des degrés variables et sous des pressions diverses : sociales, politiques, médiatiques, les victimes d’une illusion, pour ne pas dire d’une erreur grossière. Nous tenons pour une vérité globale ce qui est valide à l’échelle individuelle, en l’occurrence : l’intérêt de principe à « valoriser ses talents aussi loin qu’on le peut », par exemple sous une expression académique. Ce faisant, nous commettons une confusion entre déterminisme individuel et dynamique des populations, entre comportement et sociologie.

Bien sûr que les politiques publiques qui visent à augmenter le taux d’accès au supérieur d’une classe d’âge ont pour cible ultime les individus et leur réussite. Mais leur vision est démographique et leurs moyens d’action essentiellement macroscopiques. Elles ne peuvent produire des effets individuels majoritairement positifs qu’à condition que le système (ou la mécanique) qui les relaie soit performant(e). Dans le cas contraire, le constat étant fait de leur échec, elles doivent mettre en œuvre des moyens colossaux et individualisés pour un traitement ex post de leurs dommages. C’est typiquement la situation dans laquelle nous nous trouvons et qu’illustre, pour la partie « échec », le graphique de la CGE.

Beaucoup d’efforts sont, à raison, consacrés à rendre plus performant notre système d’enseignement supérieur. Mais ces efforts seraient de portée limitée si nous n’entreprenions pas conjointement de corriger une erreur plus fondamentale et dont nous portons la responsabilité collective. Quelle est-elle ? Tout simplement de rendre cette expression : « valoriser ses talents aussi loin qu’on le peut », dont le sens profond est fait de vocation et d’engagement, synonyme de longueur d’études. Nos politiques publiques semblent souffrir de ce même aveuglement qui frappe les parents obstinés, adeptes du « passe ton bac d’abord ! » (« bac » étant devenu, avec le temps, « licence », voire même « master »).

Et voilà comment on déserte les formations qualifiantes non-académiques, privant les classes d’âge successives, par des mirages de promotion sociale au travers d’études longues, de nombreuses autres sources possibles d’épanouissement. Voilà comment, en corollaire, on dévoie les missions et on compromet la performance de notre enseignement supérieur en le transformant en « machine à digérer du bachelier ». La France n’a pas fini de payer l’addition de son déficit d’ouverture à l’égard de la diversité des intelligences et de ses penchants excessifs pour l’intellectualisme, plus précisément, pour cette forme étriquée qu’il emprunte, labellisée par des études supérieures, des cursus classiques, la conformation à des codes de culture générale, le tout illustré et verrouillé par une intelligentsia omniprésente. L’éducation nationale au sens le plus large, doit poursuivre deux objectifs : permettre à des jeunes de se construire et leur donner les outils pour contribuer, à la mesure de leurs talents, à la prospérité sociale. A cet égard, les études longues ne sont rien de plus qu’une voie d’orientation parmi d’autres. Or, nos représentations sociales et leurs traductions politiques semblent bien les désigner comme le véhicule privilégié de la réussite pour la totalité des jeunes : n’y pas parvenir est en soi un échec.

Après avoir fait le constat des échecs et des carences de notre système d’enseignement supérieur et avant même de songer à le renforcer, il convient donc en priorité de revisiter, en profondeur, le paradigme national dans lequel il s’enracine. Ce préalable est indispensable pour, d’un côté, faciliter et conforter la démarche d’excellence dans laquelle sont actuellement engagées les universités, de l’autre côté, valoriser des filières « techniques et professionnelles » insuffisamment développées dans notre pays.

Chantier n°7 : recentrer et revaloriser les cursus à vocation professionnelle

Lorsqu’on les met en regard de ces exigences, certaines orientations récentes des cursus scolaires et universitaires, par exemple : l’instauration du collège unique, la mise en extinction du BEP, devenue simple « certification » (et non plus diplôme) en vue de l’obtention du bac pro, la réforme de ce dernier pour l’aligner sur la durée du baccalauréat général, soulèvent de multiples interrogations

N’ont-elles pas des retombées, directes et indirectes, sur le décrochage dans le secondaire et dans le supérieur ? Contribuent-elles à l’excellence des filières universitaires ? Concourent-elles à renforcer les cursus professionnels ou plutôt à les affaiblir ? Sont-elles de nature à nourrir le « redressement productif », priorité nationale, ou ont-elles plutôt tendance à le contrarier ?

Toutes ces questions renvoient encore et toujours aux représentations sociales de l’enseignement supérieur et des études académiques. Que l’image de l’enseignement supérieur par voie classique (donc « noble ») soit surévaluée par la Nation débouche, naturellement et mécaniquement, sur une image sous-évaluée des formations professionnelles et notamment des formations à caractère industriel. Un indicateur parmi d’autres nous donnera un élément d’état des lieux : en région Rhône-Alpes, le « taux de demande » de certaines filières « production » en CAP et seconde bac pro, mesuré par le nombre de candidats les ayant élues pour premier choix, atteint seulement 20%. Les autres places, soit 80% sont comblées par ceux que les éléments de langage pudiques du moment qualifient de « publics fragiles ».

A l’évidence, il y a, dans ce pays, comme un déficit de discours valorisant sur les formations professionnelles, victimes, comme l’apprentissage, d’une association trop fréquente avec l’échec scolaire et les fractures sociales dont elles seraient l’un des recours. Comme si les cursus professionnels avaient pour finalités essentielles l’insertion sociale et l’accueil des publics défavorisés ! Alors qu’aujourd’hui, avoir une profession et un emploi, c’est à l’évidence être favorisé ! Ce discours peu valorisant est aussi le symptôme d’un certain manque de réalisme et de vision.

N’est-il donc pas possible d’assumer que les études professionnelles sont faites pour tous et non pas des voies « faute de mieux » ou « palliatives » dans une société qui cherche à développer l’emploi et à restaurer « la valeur travail » ? Résultat de ces ambigüités entretenues autour de leur valeur sociale, les filières professionnelles, et notamment les filières courtes postbac, n’occupent pas la place qualitative qui devrait être la leur dans le système éducatif français. Selon les données Eurostat (EU Labour Force Survey), la part de la population active allemande ayant un diplôme (en général professionnel) à la charnière secondaire-supérieur est de 60% contre 40% en France. Ce différentiel ne se traduit d’ailleurs pas par une proportion plus élevée de diplômes supérieurs dans notre pays, mais par une proportion plus élevée de faibles niveaux d’études (33% contre 16% en Allemagne).

Cause ou conséquence, les filières professionnelles n’occupent pas non plus en France leur place quantitative. Ainsi, la proportion de places dans les filières courtes supérieures offertes à l’issue du secondaire est par exemple en France 10 à 15 points inférieure à ce qu’elle est aux Etats-Unis.

Les chantiers qui vont s’ouvrir, notamment autour du redressement productif et du continuum Bac-3/Bac+3 auraient tout intérêt à s’articuler autour d’une nouvelle vision, valorisante, ambitieuse, enthousiasmante de l’enseignement professionnel, technique et industriel. Il y a urgence à rendre l’organisation de notre système éducatif enfin cohérente avec les grandes causes économiques et sociales du pays. L’enseignement professionnel doit y être reconnu pour ses valeurs intrinsèques, au lieu comme il le fait actuellement, péniblement, de « jouer des coudes » pour conquérir la reconnaissance qui lui revient dans des représentations sociales de l’excellence encore fortement teintées de chimères.

Dans quelques jours, suite et fin de ce billet avec trois nouveaux chantiers :

Chantier n°8 : Ouvrir la porte à des financements innovants


Chantier n°9 : L’éducation à l’innovation


Chantier n°10 : La réforme de l’orientation post-bac

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Philippe Jamet

Du pain sur la planche… (2/4)

Cette deuxième partie du billet consacré à des chantiers méritant (selon moi) l’attention des nouvelles autorités gouvernementales, abordera la question des premiers cycles universitaires et les formations par alternance dans le supérieur.

Chantier n°4 : « collégiser » les premiers cycles universitaires

Une des clés de l’excellence de l’enseignement supérieur français réside dans le premier cycle universitaire, dont les problèmes handicapent lourdement la performance des universités. Il est à redouter que tant que ces problèmes persisteront, les moyens nouveaux alloués aux établissements pour accroître leur excellence de recherche, notamment au travers des PIA, n’auront qu’une portée limitée. Œuvrer pour l’excellence globale du système universitaire par l’injection de moyens nouveaux, pour l’essentiel concentrés sur les laboratoires et les cycles avals (PhD, Masters), revient un peu à espérer enflammer de grosses bûches dans une cheminée sans tirage, en y parsemant à la hâte quelques brindilles sèches…

Quelles sont, en grand, les marges d’évolution du premier cycle ? Premièrement, le taux de réussite, particulièrement préoccupant, avec 43% d’étudiants qui obtiennent leur licence en 3 ans, 8 autres pourcents en 4 ans et 5% encore en 5 ans, soit un total de 58% selon les statistiques du Ministère de l’Enseignement Supérieur. Les causes de cet état de fait sont multiples. Certaines sont de nature systémique, telle l’inefficacité relative du système d’orientation offert aux bacheliers ou encore le paradigme auquel obéit dans ce pays l’accès aux filières universitaires d’enseignement supérieur. Elles seront évoquées  ultérieurement.

D’autres relèvent de la pédagogie et de la mise en œuvre opérationnelle des premiers cycles. Les filières de licence universitaire (équivalentes des Bachelors à l’international), pour l’essentiel, ne sont pas généralistes. Elles possèdent, dès le niveau L1 une forte teinture thématique. Autrement dit, il est difficile pour un étudiant issu du lycée de questionner son choix (qu’il résulte d’une vocation ou soit opéré par élimination) à l’aune des enseignements qu’il va recevoir ou par exploration d’autres matières qu’ils n’avait pas élues au départ mais peuvent, à l’usage, se révéler être sa vocation véritable. Ce qui fait qu’un premier choix malencontreux, trop souvent, aboutit sur un échec ou une perte de temps. Les cursus de premier cycle (cela est vrai aussi bien dans les universités que dans les écoles, quoi dans une moindre mesure) laissent une grande part au tronc commun, une part plus faible aux enseignements électifs et une part encore plus faible aux électifs très éloignés de la spécialité.

Cette situation contraste fortement avec les premiers cycles tels qu’ils sont conçus dans des systèmes d’enseignement supérieur pourtant pris (exagérément selon moi) comme des références internationales. Dans ces systèmes, notamment aux Etats-Unis, l’enseignement de premier cycle est fortement électif, selon une gamme très large (de la théologie aux neurosciences…), ce qui permet à l’étudiant de valider ses choix initiaux ou d’exercer sa curiosité pour explorer des champs d’études inédits. Typiquement, dans un « College » américain, un étudiant ne déclarera une « majeure » qu’à l’issue de la deuxième année du cycle Bachelor (correspondant à la fin de la L1), en ayant eu l’occasion de « tester » différentes matières et en conservant, à l’issue de son choix de majeure, une latitude optionnelle pour maintenir ouvert son champ d’études (nombre d’étudiants font ainsi une double, voire une triple majeure). Le cycle Bachelor ainsi conçu présente un intérêt au moins à deux niveaux : construction d’un socle de fondamentaux de connaissances et de culture généraliste, et maturation (2 ans, 3 ans) de l’orientation.

Il faut ajouter que l’enseignement de premier cycle, dans nombre de pays, est considéré comme « un métier en soi », qui n’est pas nécessairement bien assumé par les grandes universités généralistes où le corps professoral est principalement orienté vers les enseignements de niveau master (graduate) et vers la formation doctorale, plus facile à valoriser pour la visibilité de leurs travaux de recherche.

Aux Etats-Unis, si toute une galaxie de collèges, certains fort coûteux, parvient à prospérer dans l’ombre des 90 universités américaines classées parmi les 200 premières dans le ranking de Shanghai, c’est que leur valeur ajoutée est reconnue dans le système et que leur offre éducative est concurrentielle par rapport à celle de ces grandes universités. L’organisation du système d’enseignement supérieur américain apporte donc l’illustration que même les meilleures des universités ne sont pas les plus à même à satisfaire un même niveau d’excellence sur l’ensemble de la chaîne LMD. Il conforte l’idée les ingrédients d’un premier cycle de qualité (j’entends par là qui offre à ses étudiants à la fois des garanties de réussite et des outils interdisciplinaires adaptés aux métiers d’aujourd’hui ou à la poursuite d’études dans le supérieur) ont pour noms : 1) cursus pluridisciplinaires fortement électifs, 2) éducateurs dédiés principalement à l’enseignement, 3) méthodes pédagogiques favorisant les projets et les petits effectifs étudiants. Ce constat plaide pour qu’une vision semblable de l’enseignement universitaire de premier cycle soit d’abord explorée (certaines expérimentations sont en cours) ensuite étendue dans le système universitaire français.

Chantier n°5 : une nouvelle vision pour l’apprentissage dans le supérieur

En quinze ans, les effectifs d’apprentis sont passés d’un peu moins de 300 000 à environ 425 000, dont environ un quart (103000) sont inscrits dans le supérieur, 58% dans des formations de niveau III (STS, IUT), 17% dans des cursus de niveau II (licence et équivalent) et 25% dans des cycles conduisant à des diplômes de niveau I (masters et plus).

Cette dernière catégorie a fortement crû (effectifs multipliés par plus de 13 en 15 ans), avec une contribution particulièrement importante des diplômes d’ingénieurs (près de 12000 inscrits, soit 44% des apprentis de niveau I, une progression d’un facteur 7 en 15 ans). Il est remarquable de constater que la croissance des effectifs d’apprentis dans le supérieur, +5,7% entre 2009 et 2010, est essentiellement soutenue par le niveau I (+14,1%, contre +8,5% et +1,6% pour les niveaux II et III respectivement), preuve que l’apprentissage s’installe durablement comme une voie d’accès aux filières d’excellence les plus élevés, quand bien même il ne concerne au total qu’un peu moins de 5% des effectifs étudiants du supérieur. Aujourd’hui, en France, près d’un ingénieur sur 7 accède à son diplôme par la voie de l’apprentissage.

Cette percée remarquable de l’apprentissage dans le supérieur, notamment dans les écoles d’ingénieurs où près de 180 diplômes leurs sont désormais offerts (source CTI), est une très bonne nouvelle pour le pays, au moins à trois titres : 1) ouverture de diplômes prestigieux à un plus large éventail social, 2) reconnaissance de la valeur de l’éducation fondée sur la pratique, à l’heure où toutes les formes d’intelligence doivent être mobilisées au service de l’innovation, jusqu’aux plus hauts niveaux d’action et de décision, 3) resserrement des liens entre le monde de l’enseignement supérieur et le monde de l’entreprise. L’apprentissage dans le supérieur doit donc être soutenu, non seulement par des moyens, mais aussi par une forte ambition nationale.

Qu’en est-il au juste de ce côté ? Force est de constater que le succès, réel, visible, de l’apprentissage dans le supérieur, prend place dans un contexte où prévalent dispersion et confusion. De profondes ambiguïtés demeurent, au niveau des discours, au niveau des acteurs, au niveau des opérateurs. Elles risquent, si l’on y prend garde, de contrarier le développement quantitatif et qualitatif des formations par apprentissage dans le supérieur.

Refonder le discours sur l’apprentissage m’apparaît, et de loin, le chantier le plus urgent. Car, des représentations sociales de l’apprentissage, dépend le statut et, au final, la valeur et l’attractivité attachés à cette voie éducative particulière.

Trop souvent, dans les déclarations politiques, l’apprentissage est associé, de manière explicite ou subliminale, aux problématiques de l’échec et de l’insertion. Son rôle « d’amortisseur social » prend, dans ces même discours, un relief excessif. Ce qui fait que sa valeur éducative intrinsèque s’en trouve masquée. La promotion publicitaire faite à l’apprentissage, celle que l’on voit sur l’écran ou que l’on entend sur les ondes, est en outre parfois contreproductive. On a vu et entendu récemment des messages maladroits à propos des avantages financiers pour l’entreprise, laissant à penser que le contrat d’apprentissage lui permettait d’accéder à une main d’œuvre qualifiée à bas coût.

Tous ces discours contiennent une part de vérité et partent de bonnes intentions, mais ils ont pour effet d’entretenir, dans les représentations sociales, une perception globale de l’apprentissage comme la voie de la seconde chance (voire de la dernière) et le maintiennent dans une position subalterne par rapports aux cursus « classiques ». L’apprentissage n’est pas, surtout dans le supérieur, la dernière voie qu’on se résout à explorer par élimination de toutes les autres, mais de plus en plus celle qu’on choisit par vocation.

L’organisation des formations par apprentissage, par sa géographie régionalisée et par la très forte implication des branches professionnelles, peut s’avérer problématique dès lors qu’il est question d’enseignement supérieur. Certes, beaucoup de régions réalisent un pilotage remarquable de ces formations et y investissent d’importants moyens. La situation est toutefois, d’une région à l’autre, fortement hétérogène tant sur le plan quantitatif que qualitatif. Ce qui fait par exemple que des établissements nationaux d’enseignement supérieur implantés sur plusieurs régions peuvent éprouver de sérieuses difficultés à mettre en place une politique ambitieuse et cohérente et se heurtent à des freins dans l’optimisation de leurs moyens. Il est des opérateurs de l’apprentissage en région pour comprendre que l’excellence des formations par alternance dans le supérieur passe par un recrutement national. Il en est d’autre au contraire qui, suivant des logiques de court terme, épuisent leurs viviers locaux d’apprentis jusqu’à s’apercevoir que la qualité n’est plus au rendez-vous.

Le pilotage par les branches professionnelles, nombreuses et parfois parcourues de luttes de pouvoir et de conflits d’intérêt, mériterait certainement qu’on y regarde de plus près. On peut en effet s’interroger sur l’adéquation entre, d’une part une vision sectorielle des métiers et le couplage étroit aux besoins exprimés à court terme par les entreprises, d’autre part la finalité des formations supérieures, notamment d’ingénieurs, à savoir garantir une employabilité à long terme en cultivant avant tout l’adaptabilité interprofessionnelle et l’acquisition de compétences structurantes chez leurs diplômés. Il devrait apparaître évident à tous que le monde d’aujourd’hui est fait de mutations et d’interdisciplinarité et que la compétence des diplômés de l’enseignement supérieur, leur valeur ajoutée dans l’économie, dépendra de leur capacité à assumer ces réalités. Pourtant, cette perception des objectifs des formations supérieures est loin d’être générale et consensuelle, ce qui n’est pas sans effet sur la qualité des formations et sur la fluidité du dialogue entre les établissements d’enseignement supérieur et les branches concernées.

La structure contractuelle de l’apprentissage oppose encore des résistances à l’internationalisation des parcours étudiants, exigence qui devient pourtant incontournable dans les cursus d’enseignement supérieur. La dimension internationale des formations par apprentissage reste très en deçà de ce qu’elle est désormais dans les cursus classiques, où elle s’est développée fortement grâce à des soutiens européens et régionaux. Tant que les formations par alternance ne disposeront pas d’un cadre adapté, à l’instar des formations initiales classiques, il sera très difficile d’y généraliser la mobilité internationale, en employant par exemple à leur profit les facilités offertes par le processus de Bologne.

Autre composante de l’excellence des formations supérieures, l’exposition à la recherche scientifique fait encore davantage défaut dans les cursus en alternance. D’une manière générale, cette question est considérée comme insolite, voire hors sujet par rapport à la problématique professionnelle de ces formations.

Les établissements d’enseignement supérieur ont aussi leur part de responsabilité dans le flou qui continue à entourer la valeur intrinsèque des formations par alternance dans le supérieur. L’alternance y est parfois considérée « par le petit bout de la lorgnette », comme une facilité contractuelle permettant à des étudiants de financer leurs études dans un cadre de formation initiale donné et aux établissements de générer des ressources complémentaires tout en illustrant leur politique d’ouverture sociale. Alors que l’apprentissage, avant toute chose, est une mise en situation pédagogique particulière, peu miscible avec les cursus classiques.

En conclusion et dans la perspective probable de nouvelles dévolutions régionales en matière de formation professionnelle, il apparaît utile de faire évoluer l’apprentissage dans le supérieur dans quatre directions : 1) révision des éléments de langage nationaux pour ces formations, dans un sens plus valorisant, 2) établissement d’un cahier des charges spécifique (référentiel national d’excellence), 3) simplification du pilotage de ces formations en région, 4) adaptations du cadre contractuel permettant de généraliser la mobilité internationale des alternants.

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Philippe Jamet

Du pain sur la planche… (1/4)

La pause est terminée… Passé le temps des élections et désormais clarifiés les contours de la majorité qui soutiendra sa politique, notre Gouvernement va enfin pouvoir se mettre sérieusement au travail. Parmi les nombreux chantiers en souffrance, celui de l’enseignement supérieur et de la recherche n’est pas des moindres, même s’il ne fut pas au centre des débats politiques récents, essentiellement dominés par des dossiers plus urgents et plus médiatisés.

En matière d’enseignement et de recherche, comme d’ailleurs dans la plupart des domaines qui appellent aujourd’hui les soins attentifs des autorités nationales, les avis des experts et les conseils des observateurs autorisés ne feront pas défaut. Le Gouvernement n’aura que l’embarras du choix pour étoffer son analyse et éclairer ses orientations. En dépit de ce trop-plein prévisible, voici néanmoins quelques réflexions personnelles sur des sujets que mon expérience de terrain me fait apparaître comme prioritaires.

Chantier n°1 : le retour à la sérénité

Le monde de l’enseignement supérieur et de la recherche est avant tout demandeur d’un retour à la sérénité. Les toutes dernières années ont en effet été particulièrement déstabilisantes, avec des remises en question permanentes pour une communauté éducative et scientifique trop souvent désignée, à tort, comme immobile et rétive aux évaluations. Cette communauté a été mobilisée à un rythme sans précédent, notamment sur les réponses aux appels à projets nationaux dans le cadre du Programme d’Investissements d’Avenir (PIA). Ce travail s’est conduit dans l’urgence, avec un certain flou dans les objectifs et les critères de sélection, flou renforcé par des redondances et mêmes des incohérences entre les divers programmes.

Au terme d’un processus de compétition, qualifié par certain de « darwinisme social », impliquant les consortiums d’établissements porteurs des projets, le constat est plutôt préoccupant. Les résultats induits, positifs et non négligeables, au niveau de la dynamique collaborative entre établissements d’enseignement supérieur sont contrebalancés par un ensemble d’effets négatifs et de questionnements : carte de « l’excellence » française dont la logique échappe parfois au bon sens ; grande frustration chez les perdants (qui ne comprennent pas toujours sur quels critères ils ont été écartés) ; dommages collatéraux sur les activités scientifiques de fond (des laboratoires mobilisés sur les appels à projets ont vu leur indicateurs de publications chuter de manière substantielle) ; incertitudes des lauréats sur la mobilisation effective des fonds ; inextricables complications et incompréhensibles hétérogénéités dans les montages juridiques des consortiums de projets (cf. IRT, SATT, IEED, Equipex). La valeur ajoutée des Investissements d’Avenir n’est pas toujours évidente jusques et y compris pour les établissements censés bénéficier de leurs retombées.

Non seulement les équipes, mais aussi les organisations (universités, écoles, unités, organismes) ont eu de la peine à se retrouver dans les grandes manœuvres qui leur ont été imposées. Quelques exemples parmi d’autres : grand écart entre une autonomie accrue et des moyens toujours plus contraints ; paradoxe entre une incitation générale à l’excellence des établissements existants et une invitation envers ces mêmes établissements à se dessaisir de leurs fleurons scientifiques au profit d’organisations intermédiaires ; volonté de « simplifier » et de « massifier » la géographie de l’enseignement supérieur, mais installation de nouvelles et pléthoriques structures (des GIE, des SAS, des Fondations)…

Dans ce climat fébrile, où les repères tendent à se dissoudre et les responsabilités à s’entremêler, un retour à la simplicité et à la sérénité est nécessaire. Il serait souhaitable que la mise en œuvre des investissements d’avenir s’opère à présent par « les voies naturelles », en s’appuyant sur les structures existantes, en prenant une forme simple et prête à l’emploi pourr la communauté scientifique, en valorisant l’autonomie des établissements et en évitant de fragiliser leur cohésion. Il est indispensable que retombe la pression tous azimuts exercée par ces nouveaux programmes sur les établissements d’enseignement supérieur et les équipes de recherche. Plus généralement, l’énergie que ces équipes ont investie dans certaines actions à caractère fortement opportuniste des investissements d’avenir, doit pouvoir se mobiliser à nouveau sur leurs missions de base : produire de la recherche et des enseignements de qualité.

Chantier n°2 : la fin du mythe de la visibilité

Avec le mot-clé « excellence », employé ad nauseum, la « visibilité » figure en bonne place dans le palmarès des concepts rebattus qui, ces derniers temps, ont servi de colonne vertébrale à une vision par trop simpliste des évolutions nécessaires dans l’organisation de l’enseignement supérieur français.

En dépit de très belles niches mondialement reconnues (plus nombreuses qu’on ne le croit d’ailleurs), l’enseignement supérieur et la recherche français n’ont probablement pas, de manière globale, une visibilité internationale à la hauteur de leurs ambitions légitimes.

Mais rendre responsables de cet état de fait une prétendue « atomisation » de notre système, c’est d’abord insinuer que cette atomisation est une exception française (affirmation qui ne résiste pas à l’examen objectif des systèmes étrangers). C’est ensuite laisser penser que le remède à ce déficit de visibilité résiderait dans la constitution, à marche forcée, d’entités de taille ou de masse critique, alors que les exemples abondent, à l’étranger, d’universités de petite taille, voire même de collèges, dont la renommée internationale n’est plus à démontrer.

Les grands ensembles universitaires, concentrateurs d’excellence et de ressources sont, à l’évidence, un des moyens dont doit disposer un grand pays pour tenir son rang dans la compétition internationale. Mais la ligne de front où s’exerce la rivalité entre ces grands ensembles et leurs homologues internationaux n’est pas, et de loin, le seul lieu de la compétition globale, laquelle s’exerce à des échelles et sur des théâtres variables. Le combat ne s’exprime pas que dans le choc des titans. La visibilité d’un établissement est au moins autant affaire de qualité de projets et de rayonnement d’équipe, voire d’individus, que de taille ou de volume.

Il n’y a pas qu’une, mais une multitude de catégories d’excellence dans l’économie de la connaissance. Tout comme dans l’économie tout cours, où les entreprises les plus performantes et rentables, premières dans leur catégorie, sont parfois cotées au second marché, tandis que des structures par ailleurs pesantes et essoufflées figurent avec peine dans le CAC 40.

Notre pays a la chance de disposer d’une grande diversité d’établissements d’enseignement supérieur, classés dans deux catégories, les universités et les écoles, lesquelles utilisent les mêmes armes (avec certes des dosages divers entre recherche, formation et innovation) sur des fronts différents. Quels seraient au fond, les bénéfices d’une opération de massification de l’enseignement supérieur qui aurait par exemple pour résultat de dégarnir les fronts occupés par les écoles ? Pour des bénéfices hypothétiques, nous risquerions de détruire ce qui, dans notre système, possède déjà une valeur indiscutable. Il devient urgent d’user de la visibilité avec prudence, subtilité et discernement.

Chantier n°3 : un bilan des structures de mutualisation

De nouveaux acteurs sont apparus dans un paysage d’enseignement supérieur qu’on dit déjà caractérisé par un certain degré de complexité. La culture de notre pays et ses héritages historiques sont ainsi faits, que réformes et simplifications structurelles passent parfois par un accroissement temporaire de cette complexité même qui en motive l’urgence.

Il n’est cependant pas inutile de procéder à des bilans intermédiaires, notamment pour celles des structures qui, ayant fonctionné depuis déjà quelques années, offrent des premiers éléments de recul intéressants.

Je pense bien évidemment et avant tout aux PRES : leur cahier des charges stratégique a-t-il été respecté ? Ont-ils tous orienté leurs actions en vue de consolider une politique nationale ou bien de solder de vieux comptes locaux ? Quels sont les premiers éléments de résultats ? Ont-ils apporté une valeur ajoutée évidente aux missions qui leur sont dévolues, parfois en substitution des établissements qui les assumaient ? Quel emploi ont-ils fait de ressources humaines et financières parfois très conséquentes ? Jouent-ils leur rôle dans la construction d’un dialogue apaisé entre acteurs de l’enseignement supérieur ou bien assistent-ils, impuissantes, au spectacle prolongé de leur confrontation et à la cristallisation de leurs positions ? Globalement, ces PRES ont-ils été perçus par les établissements membres comme un outil supplémentaire au service d’une excellence collective ou bien comme une nouvelle contrainte incontournable ? Quels impacts, positifs ou négatifs, des investissements d’avenir sur la dynamique collective ainsi enclenchée ?

Beaucoup de questions qu’il serait fort utile d’éclairer à partir du retour d’expérience très divers des PRES, afin de faire en sorte que les établissements passent d’un mécanisme d’adhésion parfois en forme de figure imposée (avec l’impôt à la clé..) à une adhésion sans état d’âme, sur la base d’une feuille de route rénovée

La deuxième partie de ce billet dans quelques jours, avec deux autres « chantiers »

Chantier n°4 : « collégiser » les premiers cycles universitaires

Chantier n°5 : une nouvelle vision pour l’apprentissage dans le supérieur

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Philippe Jamet

Du pain sur la planche… (1/3)

La pause est terminée… Passé le temps des élections et désormais clarifiés les contours de la majorité qui soutiendra sa politique, notre Gouvernement va enfin pouvoir se mettre sérieusement au travail. Parmi les nombreux chantiers en souffrance, celui de l’enseignement supérieur et de la recherche n’est pas des moindres, même s’il ne fut pas au centre des débats politiques récents, essentiellement dominés par des dossiers plus urgents et plus médiatisés.

En matière d’enseignement et de recherche, comme d’ailleurs dans la plupart des domaines qui appellent aujourd’hui les soins attentifs des autorités nationales, les avis des experts et les conseils des observateurs autorisés ne feront pas défaut. Le Gouvernement n’aura que l’embarras du choix pour étoffer son analyse et éclairer ses orientations. En dépit de ce trop-plein prévisible, voici néanmoins quelques réflexions personnelles sur des sujets que mon expérience de terrain me fait apparaître comme prioritaires.

Priorité 1 : le retour à la sérénité

Le monde de l’enseignement supérieur et de la recherche est avant tout demandeur d’un retour à la sérénité. Les toutes dernières années ont en effet été particulièrement déstabilisantes, avec des remises en question permanentes pour une communauté éducative et scientifique trop souvent désignée, à tort, comme immobile et rétive aux évaluations. Cette communauté a été mobilisée à un rythme sans précédent, notamment sur les réponses aux appels à projets nationaux dans le cadre du Programme d’Investissements d’Avenir (PIA). Ce travail s’est conduit dans l’urgence, avec un certain flou dans les objectifs et les critères de sélection, flou renforcé par des redondances et mêmes des incohérences entre les divers programmes.

Au terme d’un processus de compétition, qualifié par certain de « darwinisme social », impliquant les consortiums d’établissements porteurs des projets, le constat est plutôt préoccupant. Les résultats induits, positifs et non négligeables, au niveau de la dynamique collaborative entre établissements d’enseignement supérieur sont contrebalancés par un ensemble d’effets négatifs et de questionnements : carte de « l’excellence » française dont la logique échappe parfois au bon sens ; grande frustration chez les perdants (qui ne comprennent pas toujours sur quels critères ils ont été écartés) ; dommages collatéraux sur les activités scientifiques de fond (des laboratoires mobilisés sur les appels à projets ont vu leur indicateurs de publications chuter de manière substantielle) ; incertitudes des lauréats sur la mobilisation effective des fonds ; inextricables complications et incompréhensibles hétérogénéités dans les montages juridiques des consortiums de projets (cf. IRT, SATT, IEED, Equipex). La valeur ajoutée des Investissements d’Avenir n’est pas toujours évidente jusques et y compris pour les établissements censés bénéficier de leurs retombées.

Non seulement les équipes, mais aussi les organisations (universités, écoles, unités, organismes) ont eu de la peine à se retrouver dans les grandes manœuvres qui leur ont été imposées. Quelques exemples parmi d’autres : grand écart entre une autonomie accrue et des moyens toujours plus contraints ; paradoxe entre une incitation générale à l’excellence des établissements existants et une invitation envers ces mêmes établissements à se dessaisir de leurs fleurons scientifiques au profit d’organisations intermédiaires ; volonté de « simplifier » et de « massifier » la géographie de l’enseignement supérieur, mais installation de nouvelles et pléthoriques structures (des GIE, des SAS, des Fondations)…

Dans ce climat fébrile, où les repères tendent à se dissoudre et les responsabilités à s’entremêler, un retour à la simplicité et à la sérénité est nécessaire. Il serait souhaitable que la mise en œuvre des investissements d’avenir s’opère à présent par « les voies naturelles », en s’appuyant sur les structures existantes, en prenant une forme simple et prête à l’emploi pourr la communauté scientifique, en valorisant l’autonomie des établissements et en évitant de fragiliser leur cohésion. Il est indispensable que retombe la pression tous azimuts exercée par ces nouveaux programmes sur les établissements d’enseignement supérieur et les équipes de recherche. Plus généralement, l’énergie que ces équipes ont investie dans certaines actions à caractère fortement opportuniste des investissements d’avenir, doit pouvoir se mobiliser à nouveau sur leurs missions de base : produire de la recherche et des enseignements de qualité.

Priorité 2 : la fin du mythe de la visibilité

Avec le mot-clé « excellence », employé ad nauseum, la « visibilité » figure en bonne place dans le palmarès des concepts rebattus qui, ces derniers temps, ont servi de colonne vertébrale à une vision par trop simpliste des évolutions nécessaires dans l’organisation de l’enseignement supérieur français.

En dépit de très belles niches mondialement reconnues (plus nombreuses qu’on ne le croit d’ailleurs), l’enseignement supérieur et la recherche français n’ont probablement pas, de manière globale, une visibilité internationale à la hauteur de leurs ambitions légitimes.

Mais rendre responsables de cet état de fait une prétendue « atomisation » de notre système, c’est d’abord insinuer que cette atomisation est une exception française (affirmation qui ne résiste pas à l’examen objectif des systèmes étrangers). C’est ensuite laisser penser que le remède à ce déficit de visibilité résiderait dans la constitution, à marche forcée, d’entités de taille ou de masse critique, alors que les exemples abondent, à l’étranger, d’universités de petite taille, voire même de collèges, dont la renommée internationale n’est plus à démontrer.

Les grands ensembles universitaires, concentrateurs d’excellence et de ressources sont, à l’évidence, un des moyens dont doit disposer un grand pays pour tenir son rang dans la compétition internationale. Mais la ligne de front où s’exerce la rivalité entre ces grands ensembles et leurs homologues internationaux n’est pas, et de loin, le seul lieu de la compétition globale, laquelle s’exerce à des échelles et sur des théâtres variables. Le combat ne s’exprime pas que dans le choc des titans. La visibilité d’un établissement est au moins autant affaire de qualité de projets et de rayonnement d’équipe, voire d’individus, que de taille ou de volume.

Il n’y a pas qu’une, mais une multitude de catégories d’excellence dans l’économie de la connaissance. Tout comme dans l’économie tout cours, où les entreprises les plus performantes et rentables, premières dans leur catégorie, sont parfois cotées au second marché, tandis que des structures par ailleurs pesantes et essoufflées figurent avec peine dans le CAC 40.

Notre pays a la chance de disposer d’une grande diversité d’établissements d’enseignement supérieur, classés dans deux catégories, les universités et les écoles, lesquelles utilisent les mêmes armes (avec certes des dosages divers entre recherche, formation et innovation) sur des fronts différents. Quels seraient au fond, les bénéfices d’une opération de massification de l’enseignement supérieur qui aurait par exemple pour résultat de dégarnir les fronts occupés par les écoles ? Pour des bénéfices hypothétiques, nous risquerions de détruire ce qui, dans notre système, possède déjà une valeur indiscutable. Il devient urgent d’user de la visibilité avec prudence, subtilité et discernement.

Priorité 3 : un bilan des structures de mutualisation

De nouveaux acteurs sont apparus dans un paysage d’enseignement supérieur qu’on dit déjà caractérisé par un certain degré de complexité. La culture de notre pays et ses héritages historiques sont ainsi faits, que réformes et simplifications structurelles passent parfois par un accroissement temporaire de cette complexité même qui en motive l’urgence.

Il n’est cependant pas inutile de procéder à des bilans intermédiaires, notamment pour celles des structures qui, ayant fonctionné depuis déjà quelques années, offrent des premiers éléments de recul intéressants.

Je pense bien évidemment et avant tout aux PRES : leur cahier des charges stratégique a-t-il été respecté ? Ont-ils tous orienté leurs actions en vue de consolider une politique nationale ou bien de solder de vieux comptes locaux ? Quels sont les premiers éléments de résultats ? Ont-ils apporté une valeur ajoutée évidente aux missions qui leur sont dévolues, parfois en substitution des établissements qui les assumaient ? Quel emploi ont-ils fait de ressources humaines et financières parfois très conséquentes ? Jouent-ils leur rôle dans la construction d’un dialogue apaisé entre acteurs de l’enseignement supérieur ou bien assistent-ils, impuissantes, au spectacle prolongé de leur confrontation et à la cristallisation de leurs positions ? Globalement, ces PRES ont-ils été perçus par les établissements membres comme un outil supplémentaire au service d’une excellence collective ou bien comme une nouvelle contrainte incontournable ? Quels impacts, positifs ou négatifs, des investissements d’avenir sur la dynamique collective ainsi enclenchée ?

Beaucoup de questions qu’il serait fort utile d’éclairer à partir du retour d’expérience très divers des PRES, afin de faire en sorte que les établissements passent d’un mécanisme d’adhésion parfois en forme de figure imposée (avec l’impôt à la clé..) à une adhésion sans état d’âme, sur la base d’une feuille de route rénovée

La deuxième partie de ce billet dans quelques jours, avec trois autres « priorités »

Priorité 4 : « collégiser » les premiers cycles universitaires

Priorité 5 : une nouvelle vision pour l’apprentissage dans le supérieur

Priorité 6 : ouvrir la porte à des financements innovants

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Philippe Jamet

Classes préparatoires : et si nous parlions plutôt de compétences ?

Le débat actuel, souvent houleux, que suscite le système des classes préparatoires aux grandes écoles, « enfer » pour certains (façon Marie Despléchin), « fabrique à frustrés » pour d’autres (façon Bruno Sire), occulte une question essentielle, objective, à savoir si ces classes forment à des compétences particulières et, en corollaire, si ces compétences sont par ailleurs disponibles dans l’offre française d’enseignement supérieur de premier cycle.

La valeur des classes préparatoires est en effet trop souvent réduite à un objectif, l’entraînement à un concours, sans s’interroger vraiment sur la valeur ajoutée éducative de cet entraînement ni sur sa traduction en termes de compétences. Juger de la valeur des classes préparatoires en fonction de l’unique cible « concours » est au moins aussi réducteur que de limiter la valeur de l’enseignement secondaire à l’obtention du baccalauréat. Quand on parle d’éducation, c’est de la construction d’une personne qu’il est avant tout question et non pas seulement d’une course à l’échalote pour l’obtention d’un supposé sésame.

Les classes préparatoires sont un enseignement de premier cycle exigeant, proposé (dans l’immense majorité des cas, et non pas imposé) à de jeunes bacheliers, bons élèves mais avant tout volontaires. Comme tout parcours de premier cycle, il est entaché d’un certain taux d’échec et il est utile de rappeler à cet égard quelques chiffres intéressants.

Selon les données du ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche (état de l’enseignement supérieur, 2011, http://www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/cid59111/l-etat-de-l-enseignement-superieur-et-de-la-recherche-n-5-decembre-2011.html) sur 100 élèves entrés en premier année de cycle préparatoire, 81 poursuivent en CPGE en année 2, 56% sont dans une grande école (d’ingénieurs, de commerce ou de spécialité) en année 3 et 78% sont en grande école en année 4. 20% sont dans d’autres formations, dont 17% à l’Université et seulement 2% à l’extérieur du système d’enseignement supérieur. Ainsi, avec plus de 75% de taux de réussite vers le niveau master, déduction faite des cas, rares, d’abandon une fois intégrée la grande école, le système des classes préparatoires est un premier cycle remarquablement performant.

Du côté des premiers cycles universitaires, la même source donne les chiffres suivants : 38% des entrants en licence obtiennent leur licence en 3 ans, 15% en 4 ans et 5% en 5 ans. 74% des titulaires de licence poursuivent en Master. Il en résulte que le rendement du premier cycle universitaire est d’un peu plus de 42%. Rien d’étonnant à cet écart de performance (42% contre 78%) ! se récrieront les détracteurs des classes préparatoires, puisque ces dernières filtrent leurs étudiants, se réservant les meilleurs bacheliers. Je crois que cet argument, s’il n’est pas dépourvu de tout fondement, ne l’est pas non plus de toute mauvaise foi. S’en tenir à cette affirmation, c’est brandir un arbre pour cacher la forêt, ou déployer un rideau de fumée pour masquer de vraies questions : d’une part, les déficiences des parcours éducatifs dans les premiers cycles universitaires (contenus encore trop spécialisés, insuffisance de l’orientation et du tutorat) et le découragement qui en résulte pour nombre d’étudiants.

Sans nul doute, la performance scolaire des élèves entrant en classe préparatoire est en moyenne supérieure à la moyenne des bacheliers. Il n’en reste pas moins que leur agilité et leur performance en premier cycle, mesurée par le taux de réussite global (78%), est aussi le résultat d’un cursus original, plus exigeant, plus pluridisciplinaire et de l’ambiance porteuse qui préside à ces études. Ce serait en outre dresser une piètre caricature des classes préparatoires que de les réduire à une école de l’individualisme et de la compétition sauvage entre des étudiants qui aspirent aux mêmes places dans les concours. L’ambiance qui y prévaut est plutôt celle de la co-opétition et l’on y apprend que la réussite individuelle doit aussi s’appuyer sur l’entraide et sur une bonne dynamique de groupe.

Jean-François Fiorina a rapporté sur son blog quelques observations que nous avons pu faire ensemble à l’occasion d’une mission aux Etats-Unis consacrée aux collèges d’arts libéraux (http://blog.educpros.fr/fiorina/2012/03/01/voyage-decouverte-dans-l%E2%80%99elite-des-colleges-americains/) . Nous avons trouvé beaucoup de similitudes entre ce système d’éducation intensive et nos classes préparatoires et il nous a semblé que les acquis éducatifs dans ces collèges n’étaient pas sans parenté avec ce que nous pensons être ceux des « Prépas » :

  • en termes de CONNAISSANCES : fondements des sciences, des sciences sociales, des mathématiques, des humanités et des arts ;
  • en termes de COMPETENCES (intellectuelles et pratiques) : communication orale et écrite ; investigation et raisonnement ; aptitude à quantifier ; aptitude à s’informer ; travail en équipe ; mise en perspective des connaissances ;
  • en termes de RESPONSABILITE : engagement ; hiérarchisation des enjeux ; pratique de la dynamique de groupe dans un contexte d’émulation ; propension à l’apprentissage tout au long de la vie.

Illustration n’est pas démonstration, mais je voudrais à cet égard évoquer deux témoignages. Le premier est tout simplement le mien. Je suis désormais entré dans l’âge sénior, mais aujourd’hui encore, trente années après, j’ai la sensation diffuse que beaucoup de mes méthodes de travail sont héritées de mes deux années de classes préparatoires dans un honorable lycée de province. Et lorsque je repense à ces deux années, j’éprouve encore le souvenir d’une période de stimulation intense, certes non dépourvue de stress, mais traversée d’un véritable plaisir à travailler, habitée de la sensation d’aller au bout de moi-même, infusée par une proximité avec des enseignants respectés et par une solidarité profonde avec des camarades animés d’objectifs communs. Pour qui a ces attentes, les classes préparatoires sont une mise en situation exceptionnelle dont les effets bénéfiques sur la personnalité et les compétences sont perceptibles et mobilisables tout au long de la vie.

Le second témoignage, je le tiens de Pierre-Jean Bravo, proviseur du Lycée du Parc à Lyon qui évoquait voici quelques mois la question des compétences issues des formations préparatoires. Il citait un courriel envoyé par une de ses anciennes élèves, cadre dans une compagnie américaine, je crois, lui rapportant une anecdote vécue. Au cours d’une réunion où se posait un problème qui nécessitait une évaluation quantitative, cette jeune femme avait été la seule à faire un calcul de coin de table rapide (et juste) pour proposer une solution à ses collègues, à leur plus grand étonnement. C’était là, affirmait-elle en remerciant son ancien mentor, le résultat de son apprentissage en classes préparatoires.

Un chantier d’avenir pertinent serait, plutôt que de mettre un terme au particularisme des classes préparatoires, de reconnaître leur valeur éducative, d’en qualifier les compétences induites et de s’efforcer d’en inspirer plus largement les premiers cycles universitaires. L’offre éducative disponible dans les classes préparatoires n’est certainement pas parfaite, mais elle est un exemple, trop rare dans le menu des premiers cycles, de cursus pluridisciplinaire. La question à l’ordre du jour n’est donc pas celle, structurelle, de l’intégration des classes prépas dans les universités, mais celle, conceptuelle, de l’acculturation généralisée de leurs principes dans les premiers cycles universitaires. <!– /* Font Definitions */ @font-face {font-family:”Cambria Math”; panose-1:2 4 5 3 5 4 6 3 2 4; mso-font-charset:0; mso-generic-font-family:auto; mso-font-pitch:variable; mso-font-signature:3 0 0 0 1 0;} @font-face {font-family:Calibri; panose-1:2 15 5 2 2 2 4 3 2 4; mso-font-charset:0; mso-generic-font-family:auto; mso-font-pitch:variable; mso-font-signature:3 0 0 0 1 0;} /* Style Definitions */ p.MsoNormal, li.MsoNormal, div.MsoNormal {mso-style-unhide:no; mso-style-qformat:yes; mso-style-parent:” »; margin-top:0cm; margin-right:0cm; margin-bottom:10.0pt; margin-left:0cm; line-height:115%; mso-pagination:widow-orphan; font-size:11.0pt; font-family:Calibri; mso-ascii-font-family:Calibri; mso-ascii-theme-font:minor-latin; mso-fareast-font-family:Calibri; mso-fareast-theme-font:minor-latin; mso-hansi-font-family:Calibri; mso-hansi-theme-font:minor-latin; mso-bidi-font-family:”Times New Roman”; mso-bidi-theme-font:minor-bidi; mso-fareast-language:EN-US;} .MsoChpDefault {mso-style-type:export-only; mso-default-props:yes; font-size:11.0pt; mso-ansi-font-size:11.0pt; mso-bidi-font-size:11.0pt; font-family:Calibri; mso-ascii-font-family:Calibri; mso-ascii-theme-font:minor-latin; mso-fareast-font-family:Calibri; mso-fareast-theme-font:minor-latin; mso-hansi-font-family:Calibri; mso-hansi-theme-font:minor-latin; mso-bidi-font-family:”Times New Roman”; mso-bidi-theme-font:minor-bidi; mso-fareast-language:EN-US;} .MsoPapDefault {mso-style-type:export-only; margin-bottom:10.0pt; line-height:115%;} @page WordSection1 {size:612.0pt 792.0pt; margin:70.85pt 70.85pt 70.85pt 70.85pt; mso-header-margin:36.0pt; mso-footer-margin:36.0pt; mso-paper-source:0;} div.WordSection1 {page:WordSection1;} –>

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Philippe Jamet

Ecoles, le développement durable vous va si bien…*

Pour les Ecoles, le développement durable est bien autre chose qu’un effet de mode. Il renvoie pour elles à des valeurs fondatrices. La meilleure manière, pour nos Ecoles, de contribuer à la mise en œuvre des politiques de développement durable consiste donc à cultiver et à promouvoir ces valeurs. Je voudrais ici insister sur trois aspects fondateurs de l’identité des écoles dont les connexions avec les enjeux du développement durable sont particulièrement riches.

Parmi les établissements d’enseignement supérieur, premier aspect identitaire, les Ecoles se distinguent par l’importance accordée à l’étudiant comme individu et comme élément actif de son éducation. Cette caractéristique est liée, à l’évidence, à la dimension réduite des promotions qui met en relief la personnalité des étudiants et autorise un face à face avec les pédagogues, créant ainsi une situation d’apprentissage voisine du compagnonnage.

Bien sûr, les défis du développement durable appellent des réponses collectives de grande ampleur. Mais au final, ce sont des personnes, dans leur responsabilité et dans leur ouverture au changement qui feront que ces réponses collectives auront une chance de devenir des réalités concrètes. Les causes du retard pris par le développement durable pour s’ancrer dans les réalités sociales, ne sont pas à rechercher dans le défaut de collectif, pas davantage dans le manque de politiques et de normes, mais plus probablement dans le déficit de responsabilisation individuelle et l’absence de perception, par tout un chacun, que le collectif n’est pas une entité abstraite dans laquelle il est possible d’ “externaliser” des attentes, mais bien l’appel au plein exercice des responsabilités individuelles.

Ainsi, parce qu’elles incarnent une pédagogie de la responsabilité, les Ecoles contribuent  à une vision proactive et progressiste du développement durable.

Deuxième aspect identitaire, les Ecoles ont, plus que d’autres, un devoir d’exemplarité institutionnelle. Non pas que toutes, loin de là, soient exemplaires, que ce soit en termes de gouvernance, d’implication sociétale ou de gestion environnementale. Mais l’exigence d’exemplarité y est d’autant plus importante que l’Ecole est un lieu de “pédagogie intégrale”.

Je veux dire par là que, toujours par effet de taille et de proximité, toute expérience vécue par les étudiants d’une Ecole, à l’intérieur ou à l’extérieur d’une salle de cours (par exemple dans les services administratifs, dans les divers aspects de la vie étudiante, souvent en résidence) est une contribution éducative. Ne sous-estimons pas l’impact des expériences extra-pédagogiques : il est considérable et peut être aussi bien enrichissant que désastreux. Il est impératif que toutes les expériences vécues dans le périmètre de nos Ecoles par les étudiants soient positives et édifiantes, sous peine d’endommager notre empreinte pédagogique. Ainsi, moins que tout autre établissement d’enseignement supérieur, une Ecole, sous peine d’être rapidement démasquée, ne peut entretenir un écart durable entre les sains principes qu’elle professe (où le développement durable et la responsabilité sociétale figurent, espérons-le, en bonne place) et la réalité de son fonctionnement institutionnel.

Enfin, troisième élément constituant de l’identité des Ecoles, les liens particulièrement étroits avec les territoires. Les Ecoles ne sont pas des institutions universitaires hors-sol : elles sont enracinées. Les raisons de cette intimité avec les territoires sont multiples, citons en deux. Premièrement, beaucoup d’Ecoles ont été explicitement créées avec un projet territorial : dynamiser le développement économique, former les cadres nécessaires pour accompagner la croissance industrielle et l’innovation technologique. Ces Ecoles-là incorporent de longue date, dans leur ADN, des gènes territoriaux. Deuxièmement, les industries des territoires parmi les plus dynamiques aujourd’hui sont souvent des petites et moyennes entreprises ou des entreprises de taille intermédiaire. Pour ces entreprises, les Ecoles sont des interlocuteurs naturels, en raison de leur proximité de taille et de culture et parce qu’elles dispensent des formations professionnalisantes que les entreprises identifient facilement avec leurs propres besoins.

En quoi cette identité territoriale est-elle un atout pour le développement durable ? Tout simplement parce qu’elle procure des espaces de dialogue dans les champs social et économique et confère, aux Ecoles, un rôle légitime dans la réindustrialisation des territoires et les met en mesure d’influer sur la conception d’un nouveau tissu industriel et social plus conforme avec les principes du développement durable.

Les Ecoles ont donc de grandes responsabilités et de grands atouts au regard du développement durable et de l’avenir de notre société. Il est important qu’elles en prennent pleinement conscience et ne passent pas à côté de leur destinée en ne faisant pas, du développement durable, une cible prioritaire de leur stratégie et en sous-estimant les enrichissements qu’elles peuvent en retirer. Education à la responsabilité, exemplarité,  interactions avec les territoires, autant de défis enthousiasmants pour nos Ecoles ! De quoi faire mentir la morosité ambiante.

* éditorial du n°29 de “Grand Angle”, lettre d’information de la Conférence des Grandes Ecoles

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Philippe Jamet

Plagiat : faites ce que je dis, ne faites pas ce que je fais…

C’est avec raison que le plagiat, pratique qui consiste à s’approprier l’œuvre d’autrui pour sa propre gloire, est universellement dénoncé comme contraire à l’éthique élémentaire.

On peut cependant s’étonner de l’impunité relative et même de la reconnaissance dont il jouit dans certains domaines, par rapport aux rigueurs aux sanctions qu’il se voit justement opposer dans le domaine scientifique et académique.

Observons par exemple, que, dans l’ordre littéraire, des auteurs en vue, soupçonnés, voire pris “la main dans le sac”, se sont plutôt bien tirés d’affaire, à grand renfort de démentis, de déclarations outragées, de protestations d’honneur et de probité sur contrepoint de trémolos vocaux. Ces ténors de l’intelligentsia sont assistés dans leurs dégagements, disons le tout net, par le conformisme complaisant et influent dans lequel ils se meuvent et qui règne sur la plupart des ondes, des médias et des relais d’opinion. Les pauvres scientifiques plagiaires sont nettement moins protégés et absous, c’est un fait.

Mais c’est dans l’ordre politique, me semble-t-il, qu’un traitement du plagiat en forme “deux poids, deux mesures” atteint des sommets. La campagne électorale en cours est émaillée de discours et d’écrits destinés à convaincre les citoyens et à électriser les foules, ce qu’ils parviennent à faire plutôt bien.

Pour ce qui est des écrits, je veux parler des livres publiés par les candidats (qui passent sans difficulté aucune les comités de lecture des grands éditeurs, par ailleurs redoutables pour des auteurs ordinaires, fussent-ils talentueux), je ne saurais mettre en doute l’authenticité des auteurs. Admettons que les noms figurant en lettres capitales sur les premières de couverture soient légitimes, même si l’on peut imaginer sans peine l’aide extérieure qu’ils ont pu recevoir dans la production de ces œuvres.

Pour ce qui est en revanche des oraux, les discours, la plupart des candidats, notamment les grands, ne font aucun mystère de l’existence de “plumes”. Leurs noms sont en général connus et les personnages qui écrivent dans l’ombre, identifiés comme tels. Certains ont d’ailleurs fait ultérieurement de splendides carrières littéraires.

Ainsi, ayons-le en permanence à l’esprit, ceux qui prononcent ces discours et qu’éventuellement nous félicitons et nous applaudissons, ceux dont nous soulignons la pertinence d’analyse, la synthèse de jugement, la force de l’image, l’habileté oratoire, en ce moment où l’on nous dit qu’un discours bien senti suffit à inverser une tendance ou faire se croiser des courbes de popularité, se parent souvent des habits d’autrui en s’attribuant des productions qui ne sont pas les leurs. De quoi seraient-ils réellement capables en la matière, en faisant appel à leurs seuls talents ? Certainement de grandes et belles choses, mais le savons-nous vraiment ?

Que cette pratique soit connue et même reconnue, qu’elle soit tolérée et même acceptée, comme soi-disant inéluctable à ce niveau d’occupation et d’emploi du temps (sous-entendu : ceux qui écrivent vraiment ce qu’ils publient ou prononcent ont bien le temps pour ça…), qu’elle s’inscrive dans le libre consentement des auteurs de l’ombre, ne change rien à sa nature intrinsèque ni à sa qualification morale. Il s’agit bel et bien de plagiat.

Et qu’on ne vienne pas me dire que ce n’est au fond pas bien important, puisque tout le monde le sait. Quand, d’en haut, vient l’exemple d’une réussite qui utilise, entre autres moyens, la voix du plagiat, il ne faut pas s’étonner que, pour des motifs de promotion personnelle, la France d’En-Bas, en particulier celle des enseignants, celle des chercheurs, qui ne sont, ni pires ni meilleurs que les autres, juge possible et utile le regrettable passage à l’acte plagiaire. L’exemplarité à ce niveau ne doit pas relever du seul discours, mais doit assurément commencer par le discours…

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Philippe Jamet

Surveillance des examens dans les écoles supérieures : pour un aggiornamento

Parmi les principes centraux du projet pédagogique des Ecoles de l’enseignement supérieur, figurent l’autonomie, l’initiative et l’intelligence des situations. J’ai déjà eu l’occasion d’exprimer, dans ce blog, une préoccupation quant à la part, selon moi insuffisante, que prend la culture de la responsabilité dans l’éducation à la française en général (cf. “Réflexions sur le droit à l’excellence”).

L’enseignement supérieur ne peut, à lui seul, corriger un déficit accumulé tout au long de la chaine éducative, de la maternelle au baccalauréat. Mais il a au minimum pour obligation de ne pas ajouter à ce déficit en exploitant toutes les situations pédagogiques susceptibles de favoriser la culture et l’exercice de la responsabilité par ses étudiants. Or, il y a à cet égard des marges de progrès évidentes.

Je voudrais aujourd’hui évoquer la question du contrôle de connaissances dans nos Ecoles et plus précisément la surveillance des examens, dont on ne mesure peut-être pas suffisamment le paradoxe qu’elle représente au regard de la volonté qu’ont nos établissements de former des personnalités responsables et adaptées au monde d’aujourd’hui.

Il y a, me semble-t-il, dans le principe de la surveillance des examens, un contresens global. L’examen n’est pas perçu dans sa dimension principale de situation pédagogique, au même titre que les autres situations que sont les cours, projets, études de cas, mais plutôt comme une pause obligée dans une pédagogie qui se voudrait par ailleurs ouverte. Comme une fenêtre où sont remis au premier plan, pour le temps limité de l’épreuve, ces bons vieux principes scolaires, dirigistes et disciplinaires qui, pour avoir certaines vertus, n’en constituent pas moins un certain musèlement de la liberté et de la responsabilité. Au motif d’une certaine idée de l’équité, la surveillance des examens met à mal des compétences fondamentales et des valeurs que nous prégtendons par ailleurs vouloir cultiver chez nos étudiants.

Posons-nous d’abord une question générale. La surveillance est dit-on rendue nécessaire par le risque de fraude. Mais premièrement, n’entretenons-nous pas une certaine illusion en érigeant cette surveillance comme rempart absolu de la fraude, alors même que nos étudiants sont certainement parmi les mieux armés pour concevoir les innovations propres à la contourner ? Deuxièmement, plus grave, n’est-ce pas donner une coup de projecteur sur la fraude, lui reconnaître en quelque sorte un caractère fatal dans notre société, voire une valeur institutionnelle et, par un renversement de valeurs, l’ériger en option permanente ?

On peut donc légitimement se demander si, étendue comme garantie (par ailleurs très discutable selon moi) contre la fraude et contre les inéquités entre étudiants jusqu’au niveau de l’enseignement supérieur où la question de la sélection ne se pose plus guère (j’entends par là L3 et plus), la surveillance des examens n’engendre pas plus de dommages que de bénéfices. Sa pertinence est en effet à questionner selon trois aspects.

Au regard de la confiance, tout d’abord, cette confiance que nous devrions accorder à des étudiants qui ont, à bien des égards, fait leurs preuves dans un système hyper contrôlé et dans les mains desquels nous nous apprêtons à remettre les destinées du monde. Quelle est la valeur ajoutée et l’utilité d’une méfiance résiduelle envers la capacité de ces jeunes adultes à prendre la mesure de leurs responsabilités ? N’avons nous pas à notre disposition, dans nos Ecoles, des méthodes plus positives qu’un mécanisme de contrôle aride et ouvrant sur des pénalités pour corriger leurs éventuels écarts à cette prise de conscience éthique ?

Au regard du type de compétences mises à l’épreuve par un format (l’examen surveillé) imposant une unité de temps, de lieu et d’action qui impose et uniformise en quelque sorte une obligation de moyens, mais fait apparaître comme induite et, somme toute, relativement secondaire, l’obligation de résultat (la quantité et la qualité du travail produit). Ceci, alors qu’une fois en situation professionnelle nos étudiants auront à faire face à des situations complètement renversées, où d’une part le résultat sera la priorité quasi imposée et d’autre part, l’utilité et l’intégrité des moyens seront pratiquement de leur unique ressort.

Au regard de la valorisation du collectif, enfin, l’examen surveillé recréant une situation d’isolement étudiant face à une autorité de police, alors que la pédagogie, notamment après les classes préparatoires, accorde une juste importance à la coopération avec autrui, comme enrichissement, comme facteur critique, voire comme processus de régulation des compulsions individuelles.

Il me semble que nous aurions tout intérêt, dans nos Ecoles, à prendre le pari de la confiance en l’éthique personnelle et en la régulation par le collectif pour mettre un terme aux examens sur table surveillés et concevoir des processus d’évaluation qui soient de véritables contributions à une pédagogie de la responsabilité.

N’imaginons pas que cela puisse se faire en un jour dans un pays où la culture du contrôle et d’un certain dirigisme reste très ancrée, y compris dans le monde de l’éducation. N’ayons pas la naïveté de penser que cela sera simple, les inerties pédagogiques et l’appétence franchouillarde pour la “resquille” étant ce qu’elles sont… Mais le temps est certainement venu de faire davantage confiance à nos étudiants et de leur proposer, sur la base d’une rigoureuse charte éthique, des expérimentations permettant de lever le couvercle de la surveillance des examens.

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Philippe Jamet

La culture générale est une arme qu’il faudrait assortir d’une licence

La décision de l’Institut d’Etudes Politiques de Paris de supprimer l’épreuve de culture générale, afin de corriger les effets discriminants de cette épreuve envers l’origine sociale des candidats, a provoqué des réactions épidermiques et outragées.

A vrai dire, ce n’est pas le débat autour de cette décision qui m’intéresse, mais plutôt son objet central, la culture générale. Je n’ai pas l’impression que tout le monde s’en fasse une représentation identique et, surtout, il me semble que ce débat focalisé sur l’usage de la culture générale dans la sélection à l’entrée, élude la question de son usage après la sortie.

Mes propos ne vont donc pas contribuer à éclairer la polémique en cours. D’ailleurs, je ne prétends pas avoir sur la question un point de vue d’expert, mais un point de vue de citoyen qui a suffisamment fait l’expérience de la culture générale, de ses bons et de ses mauvais aspects, pour risquer d’introduire une perspective supplémentaire au débat.

Il me semble y avoir deux manières d’envisager la culture générale : comme un bagage ou comme une aptitude.

La culture générale considérée comme bagage (et c’est ce bagage, si j’ai bien compris, qui est mesuré dans l’épreuve d’entrée à Sciences Po et qui soulève des questions d’équité sociale) est un indicateur, mais certainement pas le seul et probablement pas le plus abouti, de la culture générale comme aptitude.

Quelle est cette aptitude ?  Elle est un mélange de qualités très diverses, comme l’ouverture à multiculturalité, la curiosité d’esprit, le discernement comportemental, l’intelligence des situations et la modestie permanente par rapport au peu que nous savons du monde. La culture générale, c’est l’exigence de toujours labourer, semer et récolter. Ce n’est pas planter une forêt pour la regarder dépérir.

Prenons un exemple : est, chez une personne, une preuve de culture générale que de préparer une visite en Corée par la recherche spontanée et l’acquisition d’éléments succincts d’actualité, d’histoire, de géographie, d’art et d’organisation sociale concernant ce pays. Non pas pour restituer ce savoir fraîchement acquis et épater la galerie, mais pour s’enrichir et s’ouvrir. Cette personne peut avoir des connaissances préalables, mais d’une part ce n’est pas indispensable et, d’autre part, dans tous les cas de figure, il faudra les actualiser et les relativiser. Qui sait ? Emoustillée par ses lectures, conquise par sa découverte, cette personne, revenue de son voyage, approfondira ensuite sa connaissance des aspects variés de la Corée.

N’est en revanche nullement qualifiable de culture générale, chez une autre personne, la confiance excessive en un patrimoine cognitif et des représentations datées, pour ne pas dire des préjugés, qui peut-être, quelques années auparavant, eussent passé le test dit “de culture générale” à l’entrée à Sciences Po. N’est pas cultivée une personnalité hors sol et autosuffisante. Pourtant, un candidat possédant cet état d’esprit, avec le cerveau gavé d’encyclopédie, peut aborder avec sérénité une épreuve dite de culture générale. Et je dirais qu’il est presque criminel, au sens pédagogique, de laisser des jeunes gens brillants penser qu’un test aussi dénué de sens puisse avoir quelque relation, même lointaine, avec la culture générale au sens noble, de les laisser imaginer que les humanités au pluriel englobent l’humanité au singulier.

Pour prendre une image informatique (elle même un peu datée !), les aspects utiles de la culture générale me semblent davantage relever de la mémoire vive que de la mémoire de masse, et plutôt du système d’exploitation que du répertoire. Malheureusement, c’est souvent à propos de la mémoire de masse que l’on s’ébahit. On préfère dans ce pays, qui possède ses classiques, à qui cherche à créer de la modernité.

Un autre aspect me fait accueillir avec réserve, quelque soit leur bonne foi, les arguments des défenseurs à tout prix de l’épreuve de culture générale : l’usage abusif et dévastateur qui en est parfois fait ultérieurement par des titulaires estampillés.

J’appelle à la barre (et pour certains, dans le box des accusés !) ces générations marquées à jamais du sceau de la culture générale exigible pour le ticket d’entrée à Sciences Po.

Combien de ces jeunes étonnement cultivés, parvenus à de hautes fonctions, notamment dans la sphère publique, ont fait un usage pernicieux de cette culture acquise ? Derrière ces apparences de belles cultures, combien de jachères ?

Qui n’a pas, un jour, fait la désagréable expérience de la culture générale employée comme un instrument d’intimidation ? Qui n’a pas, un jour, entendu un grand commis de l’Etat asséner, sous couvert d’une culture étalée avec autorité, de parfaites contrevérités que nul n’osait contredire ? Qui ne s’est pas un jour pâmé d’effroi devant la superficialité et l’a priori d’analyses tous azimuts directement héritées d’une culture générale fossilisée ? Combien de vrais débats ont tourné court, parce qu’un de ces cultivés les a balayés de la pirouette d’un vers élégant ou d’une riche citation latine ? Combien de questions de fond se sont vues opposer des réponses en forme d’anecdote ? Pour un français de l’étranger qui s’extasie devant la culture générale de tel ambassadeur, combien d’étrangers qui désespèrent de la France ?

Le problème de la culture générale telle qu’elle est pratiquée dans ce pays, ce n’est pas qu’elle manque à certaines personnes défavorisées. C’est plutôt le manque de modestie et de relativisme qu’elle peut engendrer. C’est plutôt l’excès d’autosatisfaction, d’assurance et de superficialité, autrement dit, de pédanterie, qui guette qui la détient.

Quand la culture générale se sera débarrassée de ses oripeaux de mondanité, lorsqu’elle sera nantie d’une licence d’utilisation, il sera toujours temps de la réintroduire dans des épreuves de sélection. Pour l’heure, il me semble plus utile de la remettre à sa place, faute d’en pouvoir éradiquer les dommages collatéraux.

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Philippe Jamet

Compétences pour le développement durable *

La question des compétences “développement durable” se décline à trois niveaux pour nos universités et nos écoles : Formations, Recherche et Exemplarité environnementale.

Elle se pose dans un contexte qui n’est pas toujours porteur. Par exemple, en matière de recherche, une importance excessive accordée aux critères académiques dans l’évaluation des laboratoires et des enseignants-chercheurs, entretient davantage un certain conformisme thématique qu’elle ne favorise l’innovation pluridisciplinaire nécessaire à la prise en compte du développement durable.

Formations

Tous les établissements d’enseignement supérieur français, ou presque, ont fortement accru leur offre orientée “développement durable”, avec deux orientations non exclusives : (1) développer une offre de formation spécialisée, (2) introduire une dimension “développement durable” dans tous les contenus et les programmes éducatifs

Je voudrais mentionner deux exemples d’initiatives de formation en réseau parmi beaucoup d’autres :

1) l’Université Virtuelle du Développement Durable (UVED), Université Numérique Thématique, associant de nombreuses universités et écoles pour le développement de cursus et le partage d’expériences à destination des étudiants et des enseignants

2) l’International Advanced Master in Environmental Management (ENVIM), porté par Mines ParisTech, Insa de Lyon, l’université Tsinghua et l’université de Pennsylvanie, dont le but est de promouvoir la dimension multiculturelle, au niveau du recrutement (franco-chinois-américain) et de la formation (une partie en Europe, une partie en Chine)

Exemplarité institutionnelle

Les enjeux pour nos établissements ne relèvent pas uniquement d’une logique économique ou de marketing. Ils sont directement liés à leur cœur de métier, l’éducation.

Un établissement d’enseignement supérieur est globalement un outil éducatif, c’est-à-dire que toutes ses fonctions, sans exception, participent à la formation des étudiants, pour le meilleur ou pour le pire. De ce fait, nos établissements ne peuvent pas durablement vitre sur un décalage entre les principes et les bonnes pratiques qu’ils professent d’une part et la manière dont ils fonctionnent d’autre part. Cela est vrai pour la gestion, pour la gouvernance, comme pour le développement durable.

Le référentiel “développement durable” élaboré par la CGE et la CPU comporte un axe formation. Mais, plus globalement, tous les axes sont en relation avec l’impact éducatif de l’établissement.

Un “TOEFL” du développement durable ?

Quelques réflexions et suggestions pour conclure. Nous voulons placer la responsabilité sociétale au centre de a stratégie et des principes d’action de nos établissements. Conséquence, prioritaire, nos universités et nos écoles doivent plus que jamais être des lieux d’apprentissage et d’exercice de la responsabilité. Ce ne sont pas les opportunités qui manquent : l’apprentissage par projets, les ateliers de design, l’engagement dans les activités de la vie étudiante en sont des exemples. Mais ces contributions à l’éducation à la responsabilité ne sont pas toujours suffisamment portées au crédit des études.

Beaucoup de chemins conduisent au développement durable, et pas seulement ceux qui en marquent la direction. Il serait utile d’élaborer un référentiel pour prendre en compte, dans la sanction des études, la diversité des parcours, sous la forme par exemple d’un bilan (un TOEFL du développement durable) ou d’une validation des acquis de l’expérience.

De même qu’il n’est plus imaginable qu’un étudiant de l’enseignement supérieur puisse recevoir son diplôme sans une maîtrise attestée de l’anglais ni une expérience substantielle à l’étranger, il ne devrait pas être imaginable dans un avenir proche que ce même étudiant ne puisse faire état d’une compétence concrète et opérationnelle en lien avec le développement durable.

L’éducation à la responsabilité

Nos établissements auraient tout intérêt à élargir leur champ de vision pour embrasser l’éducation à la responsabilité dans toute la chaîne éducative et non pas seulement se concentrer sur ce qui relève de l’enseignement supérieur. Situés au bout de la chaîne éducative, ils héritent non  seulement des acquis, mais aussi des déficits de leurs étudiants. On conçoit qu’en agissant sur toute la chaîne, et non pas simplement sur sa terminaison universitaire, on optimise les efforts éducatifs à consentir pour combler ces déficits. On peut même rêver de les prévenir.

Or dans ce pays (il n’est pas le seul), l’éducation pré-universitaire demeure très dirigiste, sanctionnante à l’excès et trop peu ouverte à la prise de parole, aux publics atypiques et à la valeur pédagogique de l’erreur. Rien d’étonnant à ce constat que la chaîne éducative fasse aboutir dans les universités et les écoles des générations insuffisamment innovantes, entreprenantes et prêtes à assumer des risques, autant de valeurs indispensables à une culture efficace du développement durable.

Nos établissements doivent donc trouver de nouvelles voies pour s’investir dans les réformes nécessaires de l’éducation pré-universitaire, favorisant une éducation à la responsabilité au sens large et à la responsabilité sociétale en particulier.

* Intervention à l’atelier “quelle adaptation des compétences pour répondre aux enjeux de la société de demain ?” – Colloque CPU/CGE “ECO-CAMPUS”, UNESCO, Paris, 19-20 janvier 2012.

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Philippe Jamet

Le retour des tatoués

L’AERES vient donc d’annoncer l’abandon de la note globale des unités de recherche au profit d’une courte « appréciation d’ensemble » (dépêche AEF n°159690 du 15/12/2011).

On aura remarqué que les systèmes de notation, ces temps-ci, ne sont plus vraiment en odeur de sainteté. Et il aurait été dommage, pour la science et pour l’harmonie du monde académique, qu’un organisme chargé d’évaluer ses pairs finît par être l’objet de cette vindicte populaire qui frappe les Moody’s, Fitch et autres Standard & Poor’s. Ce repli de l’AERES sur des principes plus raisonnables aurait-il un rapport lointain avec les tracas des dettes souveraines ? Peu importe : cette nouvelle sera sans doute bien accueillie par la communauté universitaire, si l’on en juge par les critiques et les insatisfactions qui se manifestaient à l’égard du système de notation des unités de recherche.

Ici et là en effet, dans les unités et dans les établissements, des collègues questionnent pêle-mêle, qui la subjectivité des évaluations ; qui la prime aux métropoles ; qui le symbolisme rudimentaire et la rigidité de la note ; qui le plombage, par des notes faibles, d’unités jeunes, ou pluridisciplinaires, ou positionnées sur des thèmes “à risque” ou émergents, véritable frein à l’innovation ; qui la perte de sens au profit d’une politique d’indicateurs, et par dessus tout l’emploi qui pouvait être fait de ces notes dans les choix et les orientations de la politique scientifique nationale. En bref, des procès s’élevaient de toute part, en subjectivité, en académisme, en réductionnisme et même pire, en légitimité, y compris au sein d’unités “bien notées”.

Soucieuse de cohérence, l’Agence jette un regard dans le rétroviseur et annonce la mise en place d’un groupe de travail chargé d’étudier les voies et moyens de “limiter le risque du ‘tatouage’ injustifié du fait des notes globales déjà attribuées”. Ce point est particulièrement important pour que des unités moins favorablement évaluées à l’issue des précédentes vagues ne soient pas en outre durablement lestées par une mauvaise image dans leur efforts pour gagner en qualité.

L’Agence ne pourra cependant pas corriger certains dommages, je le crains irréversibles, de l’effet tatouage qu’elle évoque à juste titre. Voilà bientôt deux ans que le “ni B, ni C” (et même, dans certains cas, le “ni A”) est l’un des critères sous-jacents de la sélection des unités invitées à participer aux Investissements d’Avenir, avec parfois au niveau des sites universitaires l’apparition de phénomènes d’autocensure et des renoncements dommageable à la qualité et à l’originalité des projets.

Nous étions pourtant quelques uns à soutenir qu’on ne pouvait d’un côté espérer un retour sur investissements important à long terme en ne s’autorisant de l’autre côté que des placements prudents sur des valeurs sûres.  Le rétropédalage de l’AERES intervient donc alors que le tri des tatoués est déjà très avancé. Il ne reste donc plus qu’à espérer que les autorités scientifiques de ce pays consentiront à élargir leur champ de vision au-delà de l’horizon de l’excellence officielle et reconnaîtront, d’une manière ou d’une autre, que certains paysages pour l’instant méconnus méritent aussi le détour.

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Philippe Jamet

Réponse d’un abruti à un triste Sire…

J’invite celles et ceux qui douteraient encore de la persistance d’un certain aveuglement haineux de la part de responsables éminents de l’enseignement supérieur envers les grandes écoles, aveuglement dont je me navrais dans un récent billet (”Scandale de la vérité”) à lire l’interview que le professeur Bruno Sire, président de l’université de Toulouse I vient d’accorder à Educpros (http://www.educpros.fr/detail-article/h/7202f9a150/a/bruno-sire-prseident-de-toulouse-1-l-universite-ne-doit-pas-servir-une-soupe-unique.html).

On saluera l’élégance des propos de ce Monsieur envers les 250000 étudiants des écoles d’ingénieurs et de commerce et les 80000 élèves de classes préparatoires, ces suppôts d’un “système scandaleux où tout se joue sur les bulletins de 1ère“, ces produits d’une “sélection qui abrutit les jeunes et crée des générations de frustrés“.

Plutôt que d’entretenir cette opinion morbide, plutôt que de se complaire à des dénonciations qui se voudraient fracassantes, mais ne sont qu’insensées et déshonorantes, Monsieur Sire devrait plus fréquemment visiter nos écoles : il y rencontrerait, à tous les niveaux, des étudiants souriants et enthousiastes, dont plus de la moitié d’ailleurs ne sont pas issus des concours et qui sont une des fiertés de notre système éducatif… Mais il est de ceux que cette réalité dérange, qui préfèrent surfer sur la vague de leurs préjugés, échos contemporains de ces antiques académiciens qui juraient férocement, en dépit des évidences, que la terre était plate.

Beaucoup d’observateurs avaient noté, à l’occasion des résultats des jurys Labex, que l’auteur de ces propos diffamants était décidément fâché avec les systèmes de sélection qui avaient commis en première instance le crime de ne pas distinguer un excellent laboratoire d’économie toulousain… Frustration vite contournée, comme on le sait… (cf. http://www.sncs.fr/imprimer.php3?id_article=2812&id_rubrique=1518).

Dénonciation d’un côté de la Garonne, petits arrangements de l’autre…

Si mes propos vous blessent, pardonnez-moi, Monsieur Sire. Je fus hélas en mon temps une des victimes de ce système oppressif et frustrant que vous dénoncez avec tant de fougue. Chaque jour que Dieu fait, rongé par d’indélébiles frustrations, je rumine des anathèmes à l’encontre de ces infâmes condisciples de taupe (dont j’ai oublié les noms), qui me surclassèrent jadis au classement de concours d’entrée dans de prestigieuses et inaccessibles écoles. Et l’on vous dira que je ne suis rien d’autre qu’un pauvre fol qui tient l’humanité tout entière pour responsable de son infortune…

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Philippe Jamet

Scandale de la vérité

Il est étonnant de constater combien les faits dérangent dès lors qu’il s’agit des “grandes écoles”. Ils dérangent au point qu’on continue à trouver ici et là, sous la plume et dans les discours de personnes expertes, quantité de contrevérités et de présentations simplistes, quand ce ne sont pas des diatribes enflammées. Directeurs de grandes écoles, nous nous sommes accoutumés à cet environnement, il fait partie de notre lot commun. Ainsi les mauvaises herbes parsèment-elles l’univers du jardinier.

Passe encore lorsque les caricatures des grandes écoles émanent de compatriotes – car le fait est que nous en entendons rarement à l’étranger – motivés par une loyauté idéologique, aveuglés par l’ignorance ou victimes de leur confiance envers certains médias. Mais les mêmes caricatures sont proprement insupportables lorsqu’elles sont véhiculées par des spécialistes de l’enseignement supérieur, des personnes qui ont pourtant toutes les données du problèmes en main. Doublement insupportables, parce qu’elles violent la rigueur scientifique dont ces collègues devraient être les hérauts infaillibles et aussi parce qu’elles concourent à entretenir, et au plus haut niveau, des représentations héritées du passé et qui ne font que contrarier les évolutions actuelles de l’enseignement supérieur, notamment le rapprochement entre les universités et les dites écoles.

Quelques uns de ces collègues, parvenus au sommet de la carrière universitaire sont entrés en politique. Sur le sujet de l’enseignement supérieur, il conjuguent une autorité légitime et l’audience attentive de leurs concitoyens. Quelle noble responsabilité ! S’exprimant donc ex cathedra, nous sommes en droit d’attendre de leur part des propos objectifs et des analyses éclairées. Dès lors qu’ils se laissent aller à déformer la vérité, à dissimuler les faits, à entretenir les suspicions par des présentations biaisées, il y a de leur part non seulement malhonnêteté intellectuelle, mais abus de confiance.

C’est dans cet esprit que je réagis à ces quelques lignes signées d’un collègue universitaire et élu :

15% du budget de l’enseignement supérieur et de la recherche est consacré aux grandes écoles, c’est-à-dire à 5% des étudiants effectivement sélectionnés sur leur excellence mais où, en pratique, on ne fait que reproduire les inégalités de naissance en n’y trouvant pratiquement plus que des enfants de cadres supérieurs“.

Concis et lapidaire n’est-ce pas ? Et tellement conforme aux clichés ambiants ! A première vue, qui trouverait à y redire ? Personne, sinon peut-être les faits, très entêtés comme on le sait. Examinons donc de plus près les trois critiques faites par notre collègue : élitisme, coût et reproduction sociale.

Elitisme

Selon les statistiques officielles, les écoles représentent non pas 5%, mais près de 15% des effectifs de l’enseignement supérieur. Elles délivrent par ailleurs 40% des diplômes de rang Master en France, proportion qui s’élève à 55% dans les spécialités qui sont les leurs (elles ne sont en particulier pas concernées par les filières médicales et juridiques). Nous parlons donc d’un sujet qui ne relève nullement du domaine minoritaire et élitiste, comme le suggère notre collègue élu, mais va même jusqu’à concerner, pour certaines filières, une majorité d’étudiants du supérieur.

Coûts

Quant à la question des coûts. Ah, l’éternelle question des coûts ! Cette interminable  controverse autour du luxe des grandes écoles, qui va droit au cœur d’un peuple épris d’égalité. Ce même peuple aux oreilles rebattues de l’impérieuse nécessité pour nos établissements d’enseignement supérieur de concurrencer des universités internationales dont le niveau d’opulence et de sélection est sans commune mesure avec celui de nos écoles… Soit : si ces dernières ont moins de distance à parcourir pour affronter la concurrence selon les critères de moyens et de sélection, n’y a-t-il pas comme un parfum d’incohérence à les en blâmer ?

La question n’est-elle pas avant tout de savoir si ces moyens sont bien utilisés ? La question de l’opulence (supposée) n’est-elle pas une manière habile d’éluder celle, non moins troublante, du gaspillage (avéré) ? Les écoles ont des moyens certes, sans doute pas à la hauteur des fantasmes de leurs détracteurs ou de leurs directeurs, mais des moyens à la hauteur de leur performance. Or, la performance  budgétaire, érigée en principe par la Loi d’Orientation des Lois de Finances (LOLF), est plus que jamais à l’ordre du jour. De ce point de vue, il semblerait bien (une étude rigoureuse à ce sujet serait du plus haut intérêt) que le coût effectif du diplôme de Master soit, dans les filières universitaires, substantiellement supérieur et non pas inférieur à ce qu’il est dans les filières écoles. Ces dernières opèreraient donc un emploi sensiblement plus performant des fonds mobilisés (notamment publics), l’obtention d’un diplôme de rang Master et d’un emploi étant unanimement considérée comme une mesure légitime de la performance des formations supérieures.

Ainsi, l’argumentaire habituel de qui s’insurge du coût supposé de la formation des “élites” mériterait d’être renversé, en ce sens que les comptables publics et les contribuables devraient plutôt nourrir des inquiétudes, ce qu’ils font d’ailleurs, et de plus en plus, sur l’engorgement de certaines filières universitaires globalement budgétivores et peu diplômantes.

Ouverture sociale

Lorsqu’il brocarde la “reproduction des élites” par les grandes écoles, notre collègue passe sous silence la publication du livre blanc sous la direction de Chantal Dardelet (lesrapports.ladocumentationfrancaise.fr/BRP/104000672/0000.pdf) qui a permis de mieux faire connaître les avancées réelles des grandes écoles en termes d’ouverture sociale. On y apprenait notamment que plus de la moitié des élèves inscrits dans les écoles étaient issus de filières autres que les classes préparatoires.

Il convient aussi de mentionner les efforts considérables réalisés par les grandes écoles pour intégrer une plus grande proportion d’étudiants boursiers. A titre d’exemple, 39% des élèves-ingénieurs (hors apprentis) bénéficient aujourd’hui d’un régime de bourse à l’Ecole des Mines de Saint-Etienne.

Il est vrai que les catégories socio-professionnelles favorisées restent surreprésentées dans l’enseignement supérieur, mais ce phénomène n’est nullement confiné aux grandes écoles. Au niveau Master, le seul où la comparaison entre universités et grandes écoles ait véritablement un sens, la proportion des catégories supérieures est du même ordre de grandeur quelle que soit la filière. Il est particulièrement éloquent de voir notre collègue passer cette réalité sous silence, notamment pour ce qui concerne la filière médicale dont lui-même est issu…

Désigner les écoles comme “bouc émissaire” d’un problème qui affecte l’enseignement supérieur français dans son ensemble, c’est contribuer à brouiller les pistes et retarder l’émergence d’une politique d’ensemble qui permettrait de le résoudre. Hélas, la dénonciation d’un coupable bien commode pour s’évader de sa propre responsabilité (en l’occurrence de décideur universitaire et d’acteur politique) est un travers par trop fréquent…

Pour conclure, des faits viennent chaque jour confirmer l’inanité croissante des clichés sur le caractère manichéen de l’organisation des études supérieures en France, même si beaucoup de chemin reste à faire pour progresser dans le respect réciproque entre les modèles éducatifs et scientifiques portés par les universités et les écoles. Il est regrettable d’entendre hurler avec les loups ceux-là même qui devraient être les facilitateurs de ce dialogue en progrès constant.

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Philippe Jamet

Perte d’autonomie, mode d’emploi…

L’autonomie des établissements universitaires est à la mode. Pourtant, de nombreux responsables  et observateurs de l’enseignement supérieur s’interrogent régulièrement sur la réalité et le devenir  de cette valeur érigée depuis peu en principe fondateur de l’excellence et de la performance de nos universités et de nos écoles.

Récemment, un haut fonctionnaire me faisait observer que l’autonomie des opérateurs de l’Etat n’était pas une fin en soi, mais un moyen que l’Etat jugeait opportun de mettre en œuvre (ou pas) selon de simples critères de subsidiarité et d’efficacité. Propos sensé, qui renvoie l’Etat à ses responsabilités et les opérateurs (autonomes) à la suprématie de l’intérêt général.

Nonobstant ce rappel constitutionnel, l’autonomie d’un établissement universitaire étant consubstantielle à ses missions, des mesures qui aboutiraient, intentionnellement ou non, à sa restriction seraient particulièrement mal inspirées. Mieux qu’un long discours, la multitude des universités internationales dont l’excellence repose avant tout sur l’autonomie et le motu proprio achèvera de nous édifier sur la réalité de la consubstantialité dont je parle et sur les vertus ordinaires de l’autonomie académique, au niveau des établissements, des laboratoires et des enseignants-chercheurs.

Les faits démontrent que l’autonomie si elle n’est aucunement une condition suffisante de l’excellence, en est assurément une condition nécessaire. Aussi, tandis que nous sommes tous embarqués dans les grandes manœuvres de l’excellence, est-il important de nous assurer que nous progressons bien sur la route de l’autonomie dans la bonne direction.

Je soumets aujourd’hui à mes lecteurs quelques observations à ce propos.

Trop souvent, le débat sur l’autonomie est déporté sur des questions de gouvernance et de gestion, deux aspects de la question que les universités ont identifiés comme les points bloquants dans leur fonctionnement actuel. La problématique de l’autonomie est sensiblement différente pour les écoles qui, quoique parfois très encadrées dans leur gestion, ont toujours, dans les faits sinon dans les textes, bénéficié d’une substantielle latitude d’action. Les écoles sont en effet des “entreprises intellectuelles” fortement tournées vers le monde extérieur.  La “quantité de mouvement” et l’agilité dans la mobilisation de moyens y ont naturellement développé une culture de travail qui suppose, pour s’exprimer, d’importants degrés de liberté.

Pour les écoles, la question qui se pose n’est donc pas tant celle des nouvelles opportunités d’accroissement de leur autonomie actuelle que des risques de restriction qui pourraient l’affecter. Il y a actuellement trois façons, directes ou indirectes mais non moins effectives, de perdre son autonomie. Examinons-les brièvement.

Perte d’autonomie par volontariat

La première et la plus naturelle est la perte librement consentie.  Plusieurs facteurs plaident pour les regroupements d’établissements : entrée dans la compétition internationale des grandes universités, rationalisation des coûts, défense d’une marque, considérations géographiques. Autant de motifs dont j’ai déjà dit à plusieurs reprises que les écoles devaient les aborder avec une certaine prudence mais qui peuvent s’avérer d’excellentes stratégies pour peu qu’elle n’étouffent ni la valeur attachée à l’identité de l’établissement, ni “son agilité de PME” s’il s’agit d’une école.

Idéalement, ces pertes d’autonomie-là sont des paris sur l’avenir qu’il appartient à chaque établissement de consentir ou pas en fonction de l’analyse qu’il fait de sa situation,. Dans la pratique, toute la difficulté est de prendre des engagements à long terme par rapport à un panorama de l’enseignement supérieur et de la recherche qui évolue, lui, à court terme.

Rien que de très honorable dans un abandon de souveraineté non subi et motivé par les circonstances. Mais ne nous méprenons toutefois pas sur l’innocuité du “libre consentement” des établissements. L’annihilation de l’autonomie peut s’obtenir de manière incrémentale, par le franchissement d’une succession de paliers indolores. Dans ce processus d’aliénation de notre autonomie, il convient donc de mesurer avec finesse le degré d’irréversibilité de nos choix et les possibles effets de cascade ou de réaction en chaîne qu’ils peuvent induire.

Perte d’autonomie par contrôle

Mais quittons l’univers lumineux du libre abandon d’autonomie pour entrer dans celui, plus ténébreux, des pertes subies.

Je participais la semaine dernière au CA d’un établissement ami qui examinait son passage aux responsabilités et compétences élargies. L’Ecole que je dirige n’ayant pas été concernée par la loi LRU ni son corollaire RCE, ma connaissance du sujet se limite à des textes et aux commentaires vécus de certains présidents d’universités ou directeurs d’écoles. Ces collègues, passée une phase d’enthousiasme mesurée, se sont souvent trouvés confrontés à la dure réalité de la gestion et aux grandeurs et servitudes de la fonction de leader, avec ses arbitrages permanents qui ne font que très peu d’heureux et beaucoup de frustrés.

Mais tel n’était pas le contenu de mes pensées au cours de ce Conseil dont une bonne partie était consacrée aux dispositifs nouveaux à installer pour encadrer un établissement dont le budget va être en gros multiplié par deux. A l’énoncé des tableaux de bord et autres compte-rendus de gestion à fréquence mensuelle ou trimestrielle, germait peu à peu en moi un sentiment étrange. Le transfert d’autonomie me semblait en l’espèce s’accompagner de l’imposition de mécanismes de contrôle d’un ordre de grandeur équivalent, pour ne pas dire supérieur, à la quantité d’autonomie transférée. De sorte que, au terme des débats, j’en étais presque à me convaincre qu’à l’aboutissement du processus “Responsabilité et Compétences Elargies”, l’établissement serait moins responsable, moins compétent et donc, moins autonome que dans son état antérieur.

Certes, personne ne saurait reprocher à l’Etat, particulièrement dans la tempête financière que nous traversons, de mettre en place les procédures nécessaires à l’encadrement de la dépense publique. Mais la conjonction entre le mouvement d’autonomisation des établissements et la généralisation de contrôles qui ressemblent fort à du micromanagement est de nature à soulever des interrogations sur la confiance que porte l’Etat aux opérateurs qu’il a lui même désignés. Or, l’autonomie n’est rien sans un leadership responsabilisé et mis en confiance. On peut par ailleurs s’interroger, sans pour autant verser dans un poujadisme de mauvais aloi, sur les bénéfices résultant, pour le budget de l’Etat, du contrôle a priori et avec des moyens qui semblent relativement lourds, d’établissements pesant quelques dizaines de millions d’euros et quelques centaines d’emplois et dont l’historique de gestion est plutôt rigoureux.

Je me demande sincèrement, en tant que simple citoyen, si nous ne serions pas tombés, collectivement, sans nous en rendre compte, dans une espèce de paranoïa comptable. En 2006 ont été généralisés, dans l’administration, les principes de la LOLF (Loi Organique Relative aux Lois de Finances), avec pour volonté “d’introduire une culture de la performance et de la responsabilité dans la gestion publique”. Je me souviens encore de séances d’information où étaient vantés les principes de cette nouvelle loi, notamment en termes de fongibilité budgétaire.  Comme beaucoup, j’ai souvent du mal aujourd’hui à retrouver l’esprit de cette loi dans les pratiques courantes de gestion de notre administration. Mais n’ai-je pas entendu, déjà en 2006 dans une réunion de présentation de la LOLF, un secrétaire général affirmer qu’il serait sans doute nécessaire d’instaurer “des garde-fous contre la loi” ? Réflexe bien naturel de l’administration, et qui traverse les siècles, et qui tue, à petit feu, l’élan vital de l’autonomie.

Perte d’autonomie par paralysie

J’arrive maintenant à cette dernière forme de perte d’autonomie, de loin la plus insidieuse.et dont j’aimerais être tout à fait certain qu’elle ne comporte rien d’intentionnel.

Depuis maintenant deux années nous sommes, établissements, lancés sur des mers démontées à la découverte d’un continent merveilleux, jusqu’à présent inconnu, légendaire, mais que d’audacieux explorateurs solitaires rapportent avoir aperçu au gré de leurs pérégrinations. J’ai nommé l’Excellence.

Voyage exaltant, non sans frisson, non sans charme, et qui comporte des escales toutes plus exotiques les unes que les autres, avec autant de noms en “-ex” que les îles grecques en comptent en “-os”. Malheureusement, à chaque étape, il est quelques marins qui, séduits par les mœurs locales, débarquent à terre. Bons princes, nous leur laissons quelques armes, des vivres en abondance et force verroteries pour amadouer les sauvages. Ils nous promettent de remonter à bord lorsque, dans quelques années, nous ferons le voyage de retour. Nous hochons la tête, mais n’en croyons rien.

Et encore, s’il n’y avait que cela ! Mais la mer est constellée d’archipels. Et les communautés indigènes y sont souvent très attachantes. Il n’est de rencontre qui ne se solde par la signature d’un traité et l’échange d’ambassadeurs. Comment refuser ? Et voilà que d’escale en escale notre bateau se vide et que vient un jour où le capitaine doit renoncer à sa destination. Il échoue son bateau sur un dernier récif et s’en remet au bon vouloir d’autochtones qu’il n’a pas choisis. Il n’atteindra pas l’horizon de ses rêves et ne reverra plus jamais la patrie qui le lança sur les flots.

On l’aura compris, la perte d’autonomie dont je parle tient à la dispersion des établissements. Nous sommes invités (et même parfois contraints) à participer à de multiples réseaux, à nous impliquer dans des alliances qui nécessitent des investissements en temps, en budget et en partage de stratégie. Nous concluons des consortiums pour des Labex, des Equipex, des SATT, des IRT des IEED, tout cela suivant des formes juridiques éminemment variables : GIE, GIP, SAS, associations, FCS… Sans parler des “grands établissements” ambitionnés par certains Idex et qui soulèvent nombre de questions existentielles.

Une université de grande taille parvient sans trop de difficultés à assumer la diversité de ces engagements. Mais pour une école, l’exercice tourne rapidement à la quadrature du cercle. Face à la multiplicité des partenariats structurants (de site, nationaux, thématiques) et à la diversité des projets, une école atteint rapidement les limites de ses capacités institutionnelles. Si elle n’y prend garde, la mobilisation sur l’ensemble des fronts ainsi ouverts peut déboucher sur la paralysie, stade paroxysmique de la perte autonomie.

Les temps présents sont pleins de paradoxes. L’autonomie n’y échappe pas. Dans le même temps où l’on s’efforce de la disséminer, des forces contraires et proportionnelles s’opposent à son extension et concourent à son éradication.  Survivra-t-elle à  ces écartèlements ? Il faut l’espérer, car avec l’autonomie, c’est un peu de notre Liberté qui disparaîtrait. Et par temps de crise, il ne faut pas trop jouer avec les libertés.

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Philippe Jamet

Réflexions autour du « droit à l’excellence » (deuxième partie) : innover dans les référentiels d’excellence, l’exemple des formations par apprentissage

Dans les débats autour du droit à l’excellence des publics défavorisés, la question de l’accès aux classes préparatoires et aux écoles les plus prestigieuses occupe très souvent le devant de la scène. Il en est même, parmi ces institutions renommées, qui font volontiers, de « l’ouverture sociale », un élément de marketing et de visibilité médiatique.

Cette question est incontestablement importante et chargée de symbole dans une société soucieuse de l’équité et de l’égalité des chances. On ne saurait par exemple durablement s’accommoder de la surreprésentation des bacheliers issus des « cadres et professions intellectuelles supérieures » dans les classes préparatoires aux grandes écoles et dans les écoles d’ingénieurs « post-bac ». Cette catégorie y totalise en moyenne 50% des effectifs contre 6% pour les ouvriers, tandis que les proportions respectives de ces deux catégories sont de 30% et 20% chez les bacheliers de l’enseignement secondaire et de 9% et 13% dans la population française (sources INSEE et Observatoire des Inégalités). Il y a donc bien un problème de ségrégation tout au long de la chaîne éducative, une « décantation sociale » qui atteint son paroxysme au niveau du « supérieur du supérieur ».

Mais donner un poids excessif à ce problème, gloser sans fin sur cet état de fait comme le font régulièrement des médias, des observateurs et des experts du monde de l’éducation, et sur un mode, me semble-t-il, qui n’est pas toujours dépourvu d’arrière-pensées, nous enferme dans une vision polémique et statique. Voilà une énergie dilapidée en vain. Pour preuve : la situation évolue peu et on serait même fondé à se demander si cette focalisation du débat sur un aspect très partiel de l’enseignement supérieur d’excellence ne serait pas contreproductive, dans le sens où elle aggraverait la situation que l’on dénonce. Tout se passe en effet comme si l’importance démesurée accordée à ce problème tendait à renforcer des comportements inverses à ceux souhaités chez les parties prenantes : « cadres et professions intellectuelles supérieures », encouragés dans un fâcheux déterminisme éducatif, « publics défavorisés »,  confortés dans leur autocensure. Doublement contreproductive, car tandis que l’on s’éreinte sur cette question sans la faire progresser, tout ce qui en est extérieur, soit près de 90% des effectifs du supérieur, souffre d’un déficit d’attention.

La réflexion sur l’excellence dans le supérieur est aujourd’hui bridée, parce qu’elle s’autorise trop peu à croiser « excellence » avec « innovations dans les filières ». Parce qu’elle s’identifie à l’excès à quelques diplômes emblématiques, comme si ceux-ci avaient vocation à briller éternellement, à l’instar des astres fixes, au firmament de l’excellence. Parce qu’elle est, comme bien d’autres questions qui agitent ce pays, davantage tournée vers un présent qui questionne que vers un avenir à imaginer, quand ce n’est pas vers un passé idéalisé, avec la Communale comme incarnation de l’âge d’or de la promotion sociale. Il est autrement plus urgent de songer à diversifier l’excellence, c’est-à-dire d’en inventer de nouvelles formes ou d’en conférer le label à des parcours éducatifs actuellement considérés comme moins prestigieux ou « marginaux ». L’enjeu est de mobiliser, au profit de la société, de l’économie et de la connaissance, toutes les sources et toutes les expressions de l’intelligence.

L’alternance dans les formations d’ingénieurs : éléments d’analyse

Les filières par alternance dans l’enseignement supérieur, notamment celles qui conduisent à des diplômes de rang Master, diplômes d’ingénieurs par exemple, offrent un exemple de chantier qui mériterait d’être mesuré à sa juste ampleur. Bien conduit, il ouvre en effet sur un élargissement considérable de l’horizon actuel de l’excellence, de fait passablement étroit, et permettrait de résoudre une partie substantielle de la question du droit d’y accéder.

Certes, la France, particulièrement dans les deux dernières décennies, a mis en place les éléments d’une politique nationale de l’apprentissage, en la dotant de moyens substantiels. Mais cette politique, s’agissant de sa composante « enseignement supérieur », est encore loin d’être une politique d’excellence de l’apprentissage.

La situation actuelle peut-être décrite de manière simple, en deux points :

1)      les filières en alternance peuvent prétendre à constituer de nouveaux cadres éducatifs d’excellence, non pas de manière identique aux voix d’accès dites « d’élite », mais de manière équivalente,

2)      la reconnaissance de leur excellence tarde à émerger du fait de représentations sociétales biaisées par la persistance de schémas classiques et réducteurs. Ceci est un effet, entre autres, et comme on l’a dit ci-dessus, de la primauté accordée à l’académisme et à ses modes particuliers de sélection dans l’imaginaire collectif de l’excellence.

Illustrons ce deuxième point par quelques clichés persistants qui infusent les éléments de langage employés pour l’apprentissage : (1) l’apprentissage concerne essentiellement les bas niveaux de qualification, (2) il constitue un cursus de la seconde chance (autrement dit, la majorité des élèves qui y ont recours n’ont pu prétendre à la « voie royale » du recrutement classique), (3) il joue un rôle d’amortisseur social (l’apprentissage, en offrant à l’étudiant des revenus salariés, est une voie qui sied par nature aux classes défavorisées).

Ces représentations diminutives des cursus par apprentissage se manifestent de manière subliminale jusque chez les acteurs de l’enseignement supérieur. Exemple : les investissements d’avenir ayant instauré un programme « investir dans les formations en alternance », celles-ci sont à peine évoquées dans les programmes d’excellence (notamment les Idex). Situation étonnante, alors que les diplômes d’enseignement supérieur concernés entrent de manière évidente dans ce périmètre, que les Idex, de manière unanime, protestent de leur volonté de se rapprocher du monde économique et que de grandes universités internationales enrôlent en « part-time » une partie substantielle de leurs étudiants et font, de la formation continuée ou sous statut professionnel, un élément à part entière de leur stratégie universitaire.

Les écoles d’ingénieurs qui recrutent des étudiants par apprentissage savent d’expérience que ces préjugés sont de plus en plus infondés voire totalement obsolètes. Mais elles sont, de ce point de vue, en avance sur les représentations sociales, en particulier celles de leurs « parties prenantes », tels les anciens élèves issus des voies classiques, les élèves de classes préparatoires ou encore les parents d’élèves, dont l’avis est souvent déterminant dans les choix et les orientations. Ce qui fait qu’aujourd’hui, une école « volontariste » sur le recrutement par apprentissage (entendons par là : qui ne se contente pas de blanchir un élitisme dominant par des recrutements symboliques) prend le risque de déficits d’image collatéraux. Les risques de dommages sur la réputation de l’école concernent par exemple ses classements nationaux (si ce mode de recrutement est distingué positivement par les enquêtes comme une mesure de l’ouverture sociale, en revanche il « plombe » nombre d’autres indicateurs de ces mêmes enquêtes), l’attractivité de ses voies de recrutement classiques (choix à l’issue des concours, candidatures post-bac, admissions sur titres), mais aussi sa perception qualitative de la part des recruteurs (cabinets, directions des ressources humaines) qui, tout en saluant la diversité des recrutements et des diplômes, ne sont pas toujours parvenus à intégrer cette diversité dans leurs référentiels de compétences.

Le cadre dans lequel s’opèrent ces formations constitue un deuxième obstacle sur la route de la reconnaissance de leur excellence au même titre que les cursus « de prestige ».

Premièrement, leur mise en œuvre s’inscrit dans des schémas d’échelle régionale ce qui, d’un côté, garantit un certain dynamisme au niveau de l’écoute du monde économique et une bonne réactivité quant à la mobilisation des moyens, mais qui, de l’autre, induit parfois des disparités en termes de priorité et de moyens d’une région à l’autre, en termes de visibilité des diplômes et en termes d’efficience administrative, du fait du morcellement des acteurs. Et il n’est hélas pas rare que les stratégies régionales de l’apprentissage et leurs déclinaisons opérationnelles obéissent exagérément à des intérêts locaux et catégoriels.

Deuxièmement, les aspects contractuels de la situation d’apprentissage prennent un poids excessif dans l’organisation des cursus de formation, au point que l’apprentissage est souvent résumé à cet aspect, alors qu’il est avant tout une mise en situation à retombées multiples, par son potentiel formant exceptionnel (de l’élève, mais aussi de l’entreprise et de l’école) et par sa capacité transformante (la mise en relation de ces trois protagonistes étant souvent à l’origine de co-innovations dans les produits et les méthodes).

Trois propositions pour l’apprentissage dans le supérieur

La situation qui prévaut pour les formations par apprentissage dans le supérieur laisse donc perdurer des freins puissants à la reconnaissance et à la visibilité de leur excellence. D’où un problème de taille pour des écoles qui ont justement construit leur renommée nationale et internationale sur l’excellence de leurs parcours de formation. Car comment peuvent-elles décliner un niveau d’excellence équivalent pour des formations : 1) dont le recrutement demeure encore trop régionalisé, 2) dont la finalité, la pédagogie et les acquis de compétence n’arbitrent pas toujours de manière heureuse entre les attentes à court ou moyen terme des branches et l’employabilité à long terme que devrait garantir un diplôme de ce niveau, 3) dont les contraintes contractuelles entravent l’accès des étudiants au contexte international et à la recherche ?

Il devient donc nécessaire à ce stade de se doter d’une nouvelle vision et de nouveaux instruments pour installer la reconnaissance de l’excellence des formations par apprentissage dans le paysage de l’enseignement supérieur universitaire. Trois axes de progrès sont ici proposés.

Le premier axe de progrès concerne l’évolution des mentalités et des représentations qui s’opposent encore à la reconnaissance des qualités intrinsèques de l’apprentissage comme mode de formation supérieure excellent. Des progrès dans ce sens ont été obtenus au travers de campagnes nationales pour la promotion de l’apprentissage, mais il faut aller plus loin, en élaborant de nouveaux éléments de langage qui évitent toute ambiguïté quant à la hiérarchie entre les cursus traditionnels, académiques, et les cursus en alternance.  Ceux-ci doivent être considérés comme des modes à part entière de construction de compétences de haut niveau et non plus comme des produits de « deuxième choix ». Ils doivent être présentés comme des moteurs nouveaux de l’innovation et de l’économie de la connaissance.

La tâche est importante et concerne la société dans son ensemble, à commencer par les acteurs et les parties prenantes de l’apprentissage. Il revient donc au politique de s’emparer de ce sujet et de mettre en place une démarche de nature pédagogique, en commençant à introduire, dans son discours, pour y sensibiliser et y accoutumer les parties prenantes économiques et sociales, de nouveaux éléments de langage ambitieux et valorisants, du même niveau que ceux utilisés depuis quelques années dans la reconquête de l’excellence universitaire. Il convient de briser la situation de coexistence qui prévaut actuellement entre les formations traditionnelles et les formations par alternance, pour les fondre dans une même perspective de haut niveau.

Les discours et le vocabulaire ne sont cependant que les préalables nécessaires d’une grande vision nationale, deuxième axe de progrès. L’Etat affiche certes de grands principes pour le développement de l’apprentissage. Mais dans la mise en œuvre des formations, ces principes cèdent le pas à des considérations opérationnelles principalement régionales et sectorielles et à un contrôle qualité qui n’est pas toujours à la hauteur. Une politique nationale devrait réaffirmer fortement trois principes : celui d’une échelle nationale et même, internationale (voir ci-dessous) pour le recrutement des élèves-apprentis (ce qui ne contredit pas une mise en œuvre régionale), celui d’une coordination interbranches des partenariats (ce qui n’exclut pas à un adossement de ces formations à des CFA de branches), celui du continuum éducatif entre formation théorique et pratique (en opposition à la relation de sous-traitance ou de subordination de l’une à l’autre que l’on rencontre encore trop fréquemment). L’Etat devrait également inciter à la mise en place de critères plus adaptés et plus rigoureux dans les processus de certification de ces formations, notamment pour ce qui concerne la mission en entreprise. Il doit ériger en principe que l’organisme de formation délivrant le diplôme s’implique fortement dans l’écoute du monde économique, la définition du contenu de la mission et son tutorat, avec un souci d’assurance-qualité.

Enfin, le troisième axe de progrès vise à faire entrer les formations supérieures en alternance dans le droit commun des formations supérieures sur le plan des parcours internationaux et de l’ouverture à la recherche. A ce niveau de diplôme, tout étudiant de la voie par apprentissage doit pouvoir justifier d’une partie significative de cursus à l’étranger. Or, les contraintes contractuelles de l’apprentissage ne facilitent guère l’atteinte de cet objectif et les Ecoles qui imposent un parcours international à leurs étudiants sous statuts salariés doivent déployer une énergie et une ingéniosité colossales pour y parvenir, qui rendent pratiquement impossible une généralisation à des populations importantes. Pour lever ce verrou, il conviendrait de revisiter le contrat d’apprentissage dans une perspective européenne pour permettre l’instauration d’une véritable mobilité des apprentis dans l’espace européen, du même niveau que celui offert par le processus de Bologne et ses instruments supports.

La question de l’ouverture à la recherche est plus délicate, car elle semble paradoxale avec la philosophie des formations par apprentissage, construire une employabilité immédiate et non pas ouvrir sur une poursuite d’études, particulièrement de niveau doctoral. Il faut cependant considérer cette question sous deux aspects :

–          la nécessité d’incorporer, dans les compétences associées à tout diplôme de haut niveau, une connaissance pratique de la recherche. Il en va à la fois du renforcement de la culture d’innovation dans les métiers, de l’employabilité à long terme et de l’adaptabilité des parcours de carrière des diplômés,

–          l’intérêt, dans une perspective de développement des connaissances et de stimulation des innovations, de faire appel dans les métiers de la recherche au vivier des étudiants issus de formations fondées sur le questionnement pratique, le raisonnement « orienté objet » et l’expérience comme mode de résolution d’un problème inédit.

Il faut s’obliger à envisager que les formations par apprentissage aient non seulement un rôle dans la construction de l’économie, mais aussi dans la construction de l’économie de la connaissance. Et les étudiants qui en sont issus doivent s’accoutumer à cette possible ouverture à laquelle pourtant ils ne sont pas préparés.

J’ai l’intuition, mais peut-être fais-je fausse route, que l’arrivée de ces nouveaux publics sur le théâtre de la recherche et du développement peut fortement révolutionner le paysage et notre perception de l’excellence, au point de poser sous un jour entièrement nouveau la question du droit d’y accéder.

Post-Scriptum : Je tiens à remercier M. Cyril Faure, directeur de l’Institut Supérieur des Techniques de la Performance (ISTP) et M. Claude Boyer, professeur honoraire à l’Ecole Nationale Supérieure des Mines de Saint-Etienne pour leurs contributions à cette réflexion

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Philippe Jamet

Echo du pays où l’herbe est (dit-on) plus verte

Il est toujours utile de relativiser la situation de l’enseignement supérieur français au regard de certains de ses homologues étrangers. D’autant plus utile quand les éléments de comparaison sont pris dans des pays dont l’excellence tient souvent lieu de modèle pour les évolutions en cours de notre système universitaire.

De passage ces jours-ci dans mon ancienne patrie de Washington, District of Columbia, je prends connaissance d’articles de presse reprenant des données récemment publiées par le College Board à propos de l’endettement des étudiants du supérieur. Le College Board est une association de 5900 collèges, universités et écoles secondaires dont la mission est de promouvoir l’excellence et l’équité dans l’enseignement supérieur.

Selon le College Board, les prêts étudiants ont plus que doublé dans la dernière décennie, passant de 48,7 milliards de dollars à 107,1 milliards. Pour la première fois, la dette étudiante cumulée dépassera en 2011 le trillion de dollars (1000 milliards, soit 7% de la dette des Etats-Unis et plus que la dette attachée aux cartes de crédit). La prochaine bulle du crédit aux USA pourrait bien être celle du crédit étudiant, même si  cette dette est en principe « sans risque pour le contribuable et les bailleurs », car la loi américaine interdit le recours à la faillite personnelle dans ce cas, contrairement aux emprunts immobiliers et aux cartes de crédit. Il reste que tout le risque est supporté par des jeunes qui inaugureront leur vie active avec un lourd handicap financier. Les conséquences pour les individus et pour l’économie de la nation seront lourdes, puisque cet endettement décalera dans le temps les étapes de la construction sociale telle l’accession à la propriété, l’achat d’un véhicule ou la fondation d’une famille.

Les effets de l’endettement sur le stress de l’étudiant ont été maintes fois dénoncés, stress accru par la menace permanente du défaut de paiement (plus de 9 mois de retard sur les remboursements) qui s’élève aujourd’hui en moyenne à 9%.

Cette situation préoccupante prend un tour franchement révoltant si l’on considère qu’une partie substantielle de la dette étudiante alimente des institutions à but lucratif dont la plus célèbre, l’Université de Phoenix reçoit 88% de son budget au travers de programmes fédéraux, la plupart sous forme de prêts étudiants (dont 80% de l’encours de 1000 milliards est consenti ou garanti par le gouvernement). La moitié des cas de défaut de paiement survient chez des étudiants issus d’institutions à but lucratif (for-profit) qui ne représentent par ailleurs que 10% des étudiants du supérieur. Enfin, un quart des étudiants passés par ces universités font défaut dans les trois années suivant leur sortie, ce qui soulève de sérieuses questions sur le concours des prêts étudiants à la réussite dans les études universitaires.

Les institutions à but lucratif se défendent en mettant en avant la spécificité des étudiants qu’elles accueillent, «étudiants de la deuxième, de la troisième et même de la quatrième chance » c’est-à-dire des personnes « non-traditionnelles et à risque », dont toutefois elles chargent davantage la barque, sans état d’âme…