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Pierre Dubois

Instituts d’Ens. Supérieur (3)

Troisième chronique sur les Instituts d’Enseignement supérieur (IES). La deuxième chronique montrait que la création d’un nouveau type d’établissement, prenant en charge la première étape de l’enseignement supérieur, avait un précédent dans l’histoire. Les collèges des Jésuites, dès le milieu du 16ème siècle, s’étaient appropriés, aux dépens des universités, les enseignements du quadrivium et du trivium conduisant au baccalauréat, premier grade universitaire. Napoléon a institutionnalisé cette étape par la création des lycées. La recréation des universités à la fin des 19ème n’y a rien changé : les universités jusqu’aux années 60 du 20ème siècle préparent à deux grades (la licence et le doctorat).

La chronique d’aujourd’hui revient sur les 4 occasions historiques manquées de créer un établissement public d’enseignement supérieur nouveau, prenant place entre le lycée et l’université, pour former et diplômer à bac+3, pour prendre en charge le cycle licence. Ces 4 occasions manquées se situent en 1959, 1966, 1968 et 2002.

Avant d’y venir, il est nécessaire de faire un retour en arrière pour expliquer la naissance et la diffusion des Classes préparatoires aux grandes écoles (CPGE). Quand les universités sont recréées à la fin du 19ème, les classes préparatoires scientifiques existent dans le paysage de l’enseignement supérieur ; elles sont même déjà séculaires !

Dans son beau texte de 2003, Bruno Belhoste analyse l’histoire des classes prépas. Elles préparent aux concours d’entrée dans les Grandes Ecoles des Armes et ce dès le 18ème siècle (Génie, Artillerie et Marine). Les candidats aux concours se préparent dans des établissements spécialisés, les collèges congrégationnistes et “les universités n’accordant que peu de place à l’enseignement des mathématiques. “C’est la Révolution française qui va étendre le système de recrutement des armes savantes à l’ensemble des administrations techniques, en créant l’École polytechnique”… ”Les candidats au concours de la nouvelle école ne disposent d’aucun lieu de préparation. Très vite, les professeurs de mathématiques des écoles centrales, ouvertes dans chaque département en 1795, s’efforcent de pallier ce manque”.

“Dans presque chaque lycée départemental, à partir de 1802, il existe une classe dite de mathématiques transcendantes, rebaptisée en 1809, classe de mathématiques spéciales. La vocation de ces classes devient aussitôt la préparation au concours de l’École polytechnique. On peut dire alors que les classes préparatoires sont nées”.

Qui enseigne dans ces classes ? “La création d’une agrégation de sciences en 1808, pour laquelle est organisé un véritable concours dès 1821 et sa spécialisation en mathématiques et en sciences physiques en 1840, ainsi que l’ouverture de l’École normale en 1809 assure la formation et le recrutement de ces professeurs”. Les classes préparatoires ont désormais un corps professoral, composé d’agrégés. Elles se donneront en 1914 une association de défense et de lobbying, la Société des Agrégés.

“C’est sous la IIIe République, entre 1880 et 1914, que le système des classes préparatoires scientifiques prend le visage qu’il va conserver presque sans changements jusqu’aux années 1970. On peut estimer qu’à la fin du XIXe siècle, ce système accueille et forme environ 10.000 élèvesCe chiffre ne sera pas dépassé avant les années 1960″… “Les professeurs de spé forment une sorte d’aristocratie enseignante au sein des lycées, se séparant nettement de leurs collègues des classes inférieures”… “Tout naturellement, vers 1900 les enseignants du supérieur commencent à revendiquer pour eux la préparation aux grandes écoles. Cette revendication, qui reviendra souvent au cours du XXe siècle, n’aboutit pas, car elle se heurte à l’opposition conjuguée des grandes écoles et des professeurs des classes préparatoires”. 

Les classes préparatoires littéraires (préparation au concours de l’Ecole normale supérieure, sont beaucoup plus récentes que les prépas scientifiques. “Elles pèsent peu au point de vue numérique avant les années 1960″. Et c’est seulement après 1970 que les classes préparatoires économiques et commerciales, prépas à HEC, se multiplient. “Leur croissance a été fulgurante à partir de 1980″.

1959. Le général De Gaulle est revenu au pouvoir. Redonner sa place à la France exige d’élever le niveau de qualifications de la population. Le moyen d’y parvenir selon la planification à la française : faire accéder davantage de jeunes dans l’enseignement supérieur, mais dans un nouveau type d’enseignement supérieur, un enseignement professionnel court destiné à former des techniciens supérieurs. En dix ans, De Gaulle va profondément modifier et restructurer l’enseignement supérieur. Chronique : “Charles : orientez !“.

Les sections de techniciens supérieurs (STS) sont créées en 1959. Dans quel lieu ? Dans un établissement nouveau ? Non ! Dans l’université ? Non ! C’est une solution de facilité qui est retenue : les STS sont créées dans les lycées ; dans certains lycées, elles vont cotôyer les CPGE. 1959, la première occasion ratée de créer un nouvel établissement d’enseignement supérieur (un IES !) intégrant dans un même lieu une voie “longue” (classes préparatoires aux grandes écoles et à l’université) et une voie professionnelle courte en 2 ans pour la préparation aux besoins du marché du travail.

1966. Création des IUT (bac+2) et de la maîtrise (bac+4), un an après la licence. Les universités par l’accueil des IUT en leur sein s’ouvrent à l’enseignement supérieur professionnel court. Les STS sont annoncées “en extinction”, au fut et à mesure de la création de départements d’IUT ; les effectifs d’élèves dans les STS commencent effectivement à baisser. Pourquoi ne pas avoir à cette date, puisque les études universitaires se voyaient désormais dotées de 3 cycles et que la population étudiante connaissait une première progression significative, autonomisé le premier cycle dans un établissement distinct, intégrant les CPGE, les STS et IUT fusionnés ? 2ème occasion historique manquée.

1968 et sa conséquence : la réforme d’Edgar Faure (chronique : “Charles en 1968“). 3ème occasion historique manquée : pourquoi ne pas avoir alors créé ades établissements de premier cycle d’enseignement supérieur, intégrant les CPGE, les STS et IUT fusionnés et le premier cycle universitaire de deux années ? Au contraire, c’est une solution désastreuse qui a été retenue, celle de la possible création de plusieurs universités dans une même métropole, seul moyen, effectivement, de ne pas avoir des méga-universités de plusieurs dizaines de milliers d’étudiants. L’illisibilité de la carte universitaire française s’en est suivie. Elle demeure encore aujourd’hui.

La population étudiante poursuit sa progression dans les années 70. Le début des années 80 accroît le surréalisme de l’enseignement supérieur français. Les STS, dont la mise en extinction était prévue, rebondissent et s’étendent grâce à la première loi de décentralisation, celle de 1982, qui transfère la compétence des lycées aux régions. L’éclatement de l’enseignement supérieur est désormais inscrit dans le territoire : toute ville petite ou moyenne veuit avoir ses STS, ou ses départements d’IUT, ou même son IUT de plein exercice. Il n’y a plus de pilote pour maîtriser la “carte” de l’enseignement supérieur. 

2002 et la réforme LMD. La progression des effectifs étudiants inscrits dans l’ensemble de l’enseignement supérieur (dont les CPGE, les STS et les IUT) se ralentit à partir du milieu des années 90. Les universités font face, depuis cette date, à une diminution de leurs effectifs (chronique : “Ils fuient l’université“). La réforme LMD instaure un premier cycle de 3 ans, la licence. Pourquoi ne pas avoir alors pensé – 4ème occasion historique manquée – à créer des Instituts d’Enseignement Supérieur pour prendre en charge ce premier cycle de licence, IES intégrant un cycle de formation préparatoire aux Grandes écoles et aux Universités et un cycle de formation professionnelle de 3 ans (et non plus de deux). 

Les années 2010 – 2012 seront-elles une 5ème occasion manquée de créer l’Institut d’Enseignement Supérieur, entre le lycée et l’université ? Quoi qu’on en pense, la carte universitaire est en train de se modifier profondément : Pôles de recherche et d’enseignement supérieur, fusions d’universités comme à Strasbourg, Plan Campus et maintenant financement de 5 à 10 Campus d’excellence par l’emprunt national (chronique : “11 milliards d’euros“).

Les campus d’excellence ne peuvent pas, ne doivent pas porter le fardeau d’un premier cycle universitaire – la licence – définitivement affaibli. Certes, il me semble stupide politiquement de ne vouloir créer que 5 à 10 campus d’excellence ; il faut une vingtaine d’universités en France pour former par la recherche les étudiants en master et en doctorat (j’y reviendrai bien évidemment). 

Pour sauver le premier cycle universitaire, il faut l’intégrer, aux côtés des CPGE, des STS et DUT fusionnés, dans un établissement nouveau et à part, l’IES. Pour démocratiser l’accès à l’enseignement supérieur et faire progresser jusqu’à 50% des jeunes des nouvelles générations l’obtention d’un diplôme de l’enseignement supérieur, l’IES est la seule solution rationnelle. Il est temps d’y réfléchir sérieusement. 

Et tant pis si les lobbies montent tout de suite au créneau pour s’y opposer, lobby des directeurs d’IUT, lobby des professeurs agrégés de CPGE et de STS, lobby des grandes écoles qui ont des classes prépas intégrées. Prochaine chronique destinée à questionner ces lobbies : les points faibles des CPGE, des STS et des DUT  

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Pierre Dubois

Instituts d’Ens. Supérieur (1)

Février 2009. Je publiais une chronique sur LeMonde.fr : “Pour une vraie réforme : créer 480 Lycées d’Enseignement Supérieur” (LES). Pas d’échos dans les médias, des soutiens et des oppositions envoyés par mail ou postés en commentaires sur le blog “Histoires d’universités“. La proposition d’un “grand service public propédeutique”, faite par François Vatin et Alain Caillé (cliquer ici), cherchait à résoudre les mêmes problèmes mais de manière plus pragmatique. Le LES est devenu l’IES, Institut d’Enseignement Supérieur (parce le LES était trop connoté “Lycée” et donc enseignement secondaire).

Je reviens aujourd’hui sur ce projet de réforme : les chances qu’il voit le jour prochainement sont nulles. Beaucoup de commentaires insistaient sur ce point : impossible de convaincre les multiples lobbies, professions, syndicats, hommes et femmes politiques… Ce n’est pas une raison pour ne pas exposer les tenants et les aboutissants de cette réforme sur ce blog d’EducPros. L’IES, une utopie dont il faut débattre pour qu’elle se transforme… un jour en réalité.

Chronique d’aujourd’hui : “Objectif : “50% d’une génération diplômée du supérieur”. Chroniques à venir : la modification des frontières de l’université à l’Ere moderne et sous Napoléon, l‘accès aux IES (un large “numerus clausus”), l’organisation des formations longues et des formations professionnelles dans les IES, leur nombre et leur localisation sur le territoire, leurs corps enseignant, leur gouvernance, leur coût et leur financement, leur impact sur la démocratisation et la mixité sociale de l’enseignement supérieur, le nombre et la localisation des universités de recherche.   

L’Institut d’Enseignement Supérieur (IES) est un établissement public d’enseignement supérieur, distinct juridiquement des lycées et des universités. Il a pour mission de former tous les bacheliers à même et désireux de poursuivre des études supérieures, d’en conduire le maximum à l’obtention d’une licence, et d’en préparer une partie aux études post-licence. Ce qui implique : 1. Que la loi crée un nouvel établissement d’éducation, 2. Que les lycées perdent leurs classes supérieures (CPGE et STS), 3. Que les universités perdent leurs IUT et leurs licences générales, 4. Que celles-ci se consacrent uniquement aux formations de master et de doctorat, à la recherche fondamentale et appliquée.

Dit autrement, l’IES scolarise, en premier cycle d’enseignement supérieur, tous les bacheliers qui y sont admis. Il fait disparaître l’éclatement du premier cycle supérieur qui existe depuis le milieu des années 60 (les Sections de Techniciens Supérieurs dans les lycées, les Instituts Universitaires de Technologie dans les universités). L’IES est plus lisible pour les élèves de l’enseignement secondaire et leurs familles ; il facilite et simplifie l’orientation en fin du secondaire. “Où vas-tu après le bac ? Dans un IES !”

Premiers arguments. Il faut créer des IES pour faire progresser le niveau des qualifications dans le pays, en conduisant 50% d’une génération de jeunes à l’obtention d’un diplôme du supérieur. Le contexte actuel de la fragmentation des études après le bac ne le permet pas. Les voies post-bac sont de plus en plus diversifiées et la part des inscriptions en 1ère année de licence universitaire (hors santé et hors IUT) est en constante diminution (lire la chronique : “sélection à l’entrée“).  

Conduire 50% de jeunes à l’obtention d’un diplôme d’enseignement supérieur, objectif inscrit dans la loi d’orientation et de programmation de l’Ecole de 2005 et repris dans les indicateurs de performance de chacune des lois de finances annuelles de l’Etat (lire la chronique : “le PAP du PLF de la MIRES” et mes chroniques sur ce blog “le financement selon la performance”). Le taux était de 44,4% en 2007. Le taux visé était de 46% pour 2009 et est de 47% pour 2010, la cible de 50% devant être atteinte en 2012.

Le taux de 47% sera-t-il atteint en 2010 ? C’est très peu probable. Pour atteindre ce taux, il faut qu’il y ait 1. un certain taux de bacheliers dans la génération de jeunes, 2. un certain taux de bacheliers qui poursuivent des études dans l’enseignement supérieur, 3. un certain taux de succès dans les études supérieures. Or l’évolution des 2 premiers taux (le Plan Licence tâchant seulement d’améliorer le 3ème taux) est inquiétante, eu égard à la cible des 50% : le taux de bacheliers a fléchi à 63,6% en 2008 (lire la chronique “Bacheliers 2008“) ; le taux immédiat de poursuite d’études après le baccalauréat est en diminution depuis quelques années, et ce dans tous les types de baccalauréat (lire la chronique : “Orientations post-bac“).

Argument 1. L’Institut d’Enseignement Supérieur (IES) devrait permettre d’atteindre l’objectif que la Nation s’est fixé : 50% de diplômés de l’enseignement supérieur dans les générations jeunes.

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Instituts d’Ens. Supérieur (2)

Deuxième chronique sur les “Instituts d’Enseignement Supérieur” (IES). Retour sur l’histoire des universités. L’IES est un nouvel établissement d’enseignement qui prend place entre le lycée (qui perd donc ses CPGE et ses STS) et l’université (qui se consacre donc aux seuls enseignements de master et de doctorat et à la recherche). L’IES organise le premier cycle de l’enseignement supérieur, le cycle de licence en 3 ans.

1. Créer un nouvel établissement d’enseignement supérieur n’est pas une nouveauté dans l’histoire des universités. 2. La concurrence entre l’université et d’autres établissements d’enseignement supérieur est également un fait ancien.

L’université médiévale est un nouvel établissement d’enseignement qui se substitue aux écoles des chapitres des cathédrales. Chaque université est créée par une bulle pontificale (puis viendra le temps des universités créées par les rois) ; elle se dote de statuts, précisant les droits et les devoirs des élèves et des maîtres. L’université n’a pas forcément et immédiatement de locaux dédiés à l’enseignement. Les étudiants pauvres (pas forcément pauvres d’ailleurs) sont accueillis dans des collèges créés par des cardinaux, des princes, des rois ou… des congrégations religieuses (chroniques : ”Collèges parisiens” et “Les Collèges de Bologne“).

Surgissent, dès l’époque médiévale, des conflits entre les Collèges (certains sont richement dotés) et l’Université (fort démunie de locaux). Les Collèges ne contentent plus d’accueillir, de loger et de nourrir les étudiants, mais elles leur fournissent des bonnes conditions d’études – les bibliothèques -, organisent “la vie étudiante”. Progressivement, certains d’entre eux, surtout les collèges des congrégations, prennent en charge des enseignements, concurrençant l’université, celle-ci n’assurant plus que son rôle légal, la “collation des grades”.

Au début de l’ère moderne, l’université, qui a perdu son aura à la fin du Moyen-Age, s’enferme dans ses conservatismes, peine à s’approprier la redécouverte des auteurs anciens, à s’impliquer dans la Renaissance. François 1er n’hésite pas : il crée le Collège Royal (aujourd’hui Collège de France) et y finance des chaires pour enseigner le grec, l’hébreu, l’arabe…

Mais le pire est encore à venir pour l’université. Elle est confrontée à la Réforme et à la Contre-Réforme et y perd son unité pour ne pas dire son âme : enseigner tous les savoirs, inventer des savoirs nouveaux et vérifiés. Les universités adoptent la religion de leur prince, universités de la réforme et de la contre-réforme. En France, dans le royaume des rois catholiques, il n’y a pas le choix ! La contre-réforme passe par un renouvellement des enseignements et par un approfondissement de l’enseignement de la foi. Les Jésuites en sont chargés. L’attaque contre l’université est frontale : à partir de la seconde moitié du 16ème siècle, les collèges jésuites réussissent le tour de force d’accaparer le premier cycle de l’enseignement universitaire, le quadrivium et le trivium, cycle qui conduit à l’obtention du baccalauréat, diplôme nécessaire pour accéder aux enseignements de licence et de doctorat (chronique : “les collèges jésuites“, l’exemple de Reims).

L’université poursuit son rôle de collation des grades. Mais insistons : dès l’ère moderne, l’université a perdu de fait son premier cycle d’enseignement. L’Institut d’Enseignement Supérieur est donc, quelque part, une répétition de l’histoire ! L’université des 17ème et 18ème siècles s’enferme dans ses conservatismes, cherche, cependant et quelquefois avec succès, à inventer de nouveaux savoirs en médecine, en droit, en sciences (chronique “Galilée“). Mais elle est confrontée à la création d’établissements plus dynamiques, souvent concurrents (Académies royales et premières grandes écoles).

L’agonie est prononcée par la Révolution : les universités sont fermées. De nouvelles “Grandes écoles” sont créées. Et vint Napoléon. Il institutionnalise, par la création des lycées, l’enseignement public conduisant au baccalauréat ; il institutionnalise ainsi l’invention organisationnelle produite par les Jésuites deux siècles et demi plus tôt. L’université a perdu définitivement son premier cycle.

Et l’université ? Elle continue à délivrer le grade de bachelier. Mais elle est devenue l’Université Napoléonienne, dirigée par un grand chancelier nommé par l’empereur. Ce n’est pas une université qui enseigne et qui recherche. Tout au long du 19ème siècle, les “vrais” enseignements se font dans des Ecoles spécialisées.

Quand la 3ème République recrée les universités à la fin du 19ème, les universités au sens médiéval et contemporain du terme (des universités qui enseignent et qui recherchent), il est trop tard. Les écoles spécialisées se sont installées durablement dans le paysage de l’enseignement supérieur, écoles publiques ou écoles privées. Un point sur lequel il faut attirer l’attention : les universités de la première moitié du 20ème siècle délivrent (outre le baccalauréat) deux grades et seulement deux grades (la licence et le doctorat).

Il faut attendre la première moitié des années 60 du 20ème cycle pour que l’enseignement supérieur soit organisé en 3 cycles. Le nombre des étudiants n’est pas alors très important : l’université peut y faire face. La question ne se pose pas alors d’enseigner le 1er cycle dans un établissement autre que l’université. L’histoire de cette seconde moitié du 20ème siècle sera racontée dans la prochaine chronique, histoire des occasions manquées d’autonomiser le 1er cycle dans un établissement à part.

2ème série d’arguments pour la création d’IES publics. L’université ne doit plus enseigner les 3 cycles de l’enseignement supérieur ; c’est devenu trop compliqué et le 1er cycle licence est durablement et définitivement affaibli (chronique : “ils fuient l’université“). Au début de l’époque moderne, l’université a perdu son 1er cycle d’alors (les études menant au baccalauréat) et Napoléon l’a définitivement acté par la création des Lycées. La création d’un nouveau type d’établissement (les Instituts d’Enseignement Supérieur) n’est donc pas une “première” historique. L’histoire peut se répéter !

Les écoles privées d’enseignement supérieur existent et il faudrait être fort naïf pour demander et obtenir leur disparition. Par contre, l’Institut d’Enseignement Supérieur public a vocation à regrouper dans un seul et même établissement tous les enseignements de 1er cycle de l’enseignement supérieur public, quel que soit leur ministère actuel de rattachement. Il faut être franc : cela amènera de belles bagarres entre ces ministères, de longs conflits entre les professions organisées titulaires d’un diplôme d’Etat ! Mais c’est un prix à payer pour rendre lisible et attractif le 1er cycle de l’enseignement supérieur public.

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Instituts d’Enseignement Supérieur

Février 2009. Je publiais une chronique sur LeMonde.fr : “Pour une vraie réforme : créer 480 Lycées d’Enseignement Supérieur” (LES). Pas d’échos dans les médias, des soutiens et des oppositions envoyés par mail ou postés en commentaires sur le blog “Histoires d’universités“. La proposition d’un “grand service public propédeutique”, faite par François Vatin et Alain Caillé (cliquer ici), cherchait à résoudre les mêmes problèmes mais de manière plus pragmatique. Le LES est devenu l’IES, Institut d’Enseignement Supérieur (parce le LES était trop connoté “Lycée” et donc enseignement secondaire).

Je reviens aujourd’hui sur ce projet de réforme : les chances qu’il voit le jour prochainement sont nulles. Beaucoup de commentaires insistaient sur ce point : impossible de convaincre les multiples lobbies, professions, syndicats, hommes et femmes politiques… Ce n’est pas une raison pour ne pas exposer les tenants et les aboutissants de cette réforme sur ce blog d’EducPros. L’IUS, une utopie dont il faut débattre pour qu’elle se transforme… un jour en réalité.

Chronique d’aujourd’hui : “Objectif : “50% d’une génération diplômée du supérieur”. Chroniques à venir : la modification des frontières de l’université à l’Ere moderne et sous Napoléon, l‘accès aux IUS (un large “numerus clausus”), l’organisation des formations longues et des formations professionnelles dans les IUS, leur nombre et leur localisation sur le territoire, leurs corps enseignant, leur gouvernance, leur coût et leur financement, leur impact sur la démocratisation et la mixité sociale de l’enseignement supérieur, le nombre et la localisation des universités de recherche.   

L’Institut d’Enseignement Supérieur (IES) est un établissement public d’enseignement supérieur, distinct juridiquement des lycées et des universités. Il a pour mission de former tous les bacheliers à même et désireux de poursuivre des études supérieures, d’en conduire le maximum à l’obtention d’une licence, et d’en préparer une partie aux études post-licence. Ce qui implique : 1. Que la loi crée un nouvel établissement d’éducation, 2. Que les lycées perdent leurs classes supérieures (CPGE et STS), 3. Que les universités perdent leurs IUT et leurs licences générales, 4. Que celles-ci se consacrent uniquement aux formations de master et de doctorat, à la recherche fondamentale et appliquée.

Dit autrement, l’IES scolarise, en premier cycle d’enseignement supérieur, tous les bacheliers qui y sont admis. Il fait disparaître l’éclatement du premier cycle supérieur qui existe depuis le milieu des années 60 (les Sections de Techniciens Supérieurs dans les lycées, les Instituts Universitaires de Technologie dans les universités). L’IES est plus lisible pour les élèves de l’enseignement secondaire et leurs familles ; il facilite et simplifie l’orientation en fin du secondaire. “Où vas-tu après le bac ? Dans un IES !”

Premiers arguments. Il faut créer des IES pour faire progresser le niveau des qualifications dans le pays, en conduisant 50% d’une génération de jeunes à l’obtention d’un diplôme du supérieur. Le contexte actuel de la fragmentation des études après le bac ne le permet pas. Les voies post-bac sont de plus en plus diversifiées et la part des inscriptions en 1ère année de licence universitaire (hors santé et hors IUT) est en constante diminution (lire la chronique : “sélection à l’entrée“).  

Conduire 50% de jeunes à l’obtention d’un diplôme d’enseignement supérieur, objectif inscrit dans la loi d’orientation et de programmation de l’Ecole de 2005 et repris dans les indicateurs de performance de chacune des lois de finances annuelles de l’Etat (lire la chronique : “le PAP du PLF de la MIRES” et mes chroniques sur ce blog “le financement selon la performance”). Le taux était de 44,4% en 2007. Le taux visé était de 46% pour 2009 et est de 47% pour 2010, la cible de 50% devant être atteinte en 2012.

Le taux de 47% sera-t-il atteint en 2010 ? C’est très peu probable. Pour atteindre ce taux, il faut qu’il y ait 1. un certain taux de bacheliers dans la génération de jeunes, 2. un certain taux de bacheliers qui poursuivent des études dans l’enseignement supérieur, 3. un certain taux de succès dans les études supérieures. Or l’évolution des 2 premiers taux (le Plan Licence tâchant seulement d’améliorer le 3ème taux) est inquiétante, eu égard à la cible des 50% : le taux de bacheliers a fléchi à 63,6% en 2008 (lire la chronique “Bacheliers 2008“) ; le taux immédiat de poursuite d’études après le baccalauréat est en diminution depuis quelques années, et ce dans tous les types de baccalauréat (lire la chronique : “Orientations post-bac“).

Argument 1. L’Institut d’Enseignement Supérieur (IES) devrait permettre d’atteindre l’objectif que la Nation s’est fixé : 50% de diplômés de l’enseignement supérieur dans les générations jeunes.

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Financer selon la performance (6)

Conclusion des 5 chroniques sur le financement selon la performance. Personne et en particulier aucun enseignant-chercheur fonctionnaire ne peut être sérieusement contre un tel financement : les universités doivent optimiser les ressources attribuées par l’Etat pour atteindre les résultats les meilleurs en matière de taux de succès aux examens, de diminution des abandons sans diplôme, d’insertion professionnelle des diplômés. De plus, personne de sensé ne peut s’opposer au principe de l’évaluation qui estime la performance. Les principes de la LOLF : oui !

Que ces principes admissibles soient opérationnalisés chaque année dans la loi de finances par des programmes, des objectifs à atteindre et des indicateurs de performance : oui ! Encore faut-il que les objectifs soient atteignables, que les indicateurs de performance aient quelque chose à voir avec la réalité. Ce n’est pas le cas : les 3 indicateurs de la LOLF analysés dans ces chroniques (taux de diplômés du supérieur dans une classe d’âge, taux d’obtention de la licence en 3 ans, taux de cadres et de professions intermédiaires chez les diplômés du supérieur, 3 ans après leur sortie de formation initiale) ne tiennent pas du tout la route soit parce qu’ils sont trop ambitieux, soit parce qu’ils ne peuvent être calculés rigoureusement. La LOLF est ainsi dévoyée : il faut que les taux des indicateurs progressent toujours ! Pour atteindre un jour 100% ? Lire aussi la chronique, : “le PAP du PLF de la MIRES“.

Trois autres points faibles de ce qui n’est, en définitive et hélas, qu’une idéologie du financement selon la performance. Les universités ne peuvent être concernées par les même taux de performance à atteindre pour la simple raison qu’elles n’ont pas toutes la même population étudiante et les mêmes ressources. Le financement sera-t-il un bonus ou un malus ? Pas de réponse. Et quelle sera l’importance du financement selon la performance par rapport à l’ensemble des financements d’Etat ? 2%, 10% ou 30 % ? Pas de réponse.

Le président d’université est une personne sensée. Il a compris que ce n’est pas demain la veille que son université sera financée selon la performance de ses formations. Il aurait cependant tort de ne pas tenter en interne un financement selon cette logique. Cela suppose d’avoir un outil (un observatoire) à même de calculer des indicateurs et d’en suivre l’évolution dans la durée. Trois indicateurs suffisent. 2 indicateurs de résultats pour chacun des diplômes : taux de succès en licence et en master (mise en place de suivis de cohortes d’entrants), conditions d’insertion professionnelle des diplômés à 18 mois (taux d’emploi, de répartition dans les différentes catégories socioprofessionnelles, de contrats stables, de salaire) ; ce qui suppose des enquêtes annuelles. Un indicateur de coût : le coût complet par étudiant par diplôme (ce qui suppose une comptabilité analytique).

Au vu des résultats des indicateurs, l’université doit récompenser la performance et sanctionner la contre-performance. Sanctionner = fermer les diplômes qui ont de manière récurrente des mauvais résultats ou des coûts trop élevés ; il faut en avoir le courage politique et ce serait d’ailleurs un moyen de freiner l’explosion de l’offre de formation.

Mais comment récompenser la performance ? Il est mieux de ne pas verser de primes aux individus ; la réussite est une oeuvre collective et il est malsain de créer des jalousies. Il faut une récompense collective qui assure la performance du diplôme dans la durée : financement d’une certification qualité externe, attribution d’un secrétariat plus étoffé, financement d’une campagne de communication, participation au financement d’une chaire d’excellence, financement sur contrat privé de professionnels payés au prix du marché et qui accroîtraient encore la performance (lire la note)… Il faut être honnête : les universités et les universitaires ne sont pas prêts à accepter cette logique de l’attribution de moyens additionnels selon la performance observée. “On ne déshabille pas Pierre pour habiller Paul, surtout quand Paul a déjà les moyens qui lui ont permis de réussir !”.

Et paradoxe final : les diplômes performants (bons taux de succès aux examens et en insertion) n’ont, en fait, pas besoin d’être récompensés ! Le financement selon la performance ne les intéresse pas ! Ces formations sont relativement “riches” car, pour réussir, elles ont construit de solides et rémunérateurs partenariats avec les entreprises du ressort de leur diplôme. Elles accueillent des salariés en formation continue (5.000 euros de droits d’inscription), des étudiants en apprentissage (financement partiel du diplôme par le CFA de rattachement) ; elles perçoivent de la taxe d’apprentissage ; elles n’ont pas de difficultés à trouver des sponsors pour organiser des manifestations… Et paix des ménages oblige : les formations performantes acceptent qu’une partie de leurs “ressources propres” soit “mutualisée” au sein de l’université, soit transférée vers des formations nouvelles, vers les formations aux résultats moyens ou mauvais.

Pour l’enseignement supérieur et la recherche, en matière de formations supérieures, la LOLF est un échec. La stupidité des indicateurs et des objectifs à atteindre est contre-mobilisatrice pour le développement d’un mouvement qui, dans chaque université, devrait conduire à porter de plus en plus attention aux ressources utilisées et aux résultats atteints. Il ne faut pas gaspiller l’argent public !

Note. Tous les diplômes professionnels ont besoin d’enseignements en gestion de projet. Recruter un enseignant-chercheur titulaire en gestion ne sert à rien car celui-ci n’aura de cesse de fuir les diplômes professionnels pour n’enseigner que dans les diplômes de gestion de son UFR. Une observation de plus de 30 ans dans 3 universités différentes le prouve !

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Pierre Dubois

Financer selon la performance (5)

5ème et avant-dernière chronique sur le financement selon la performance. Elle fait suite aux chroniques sur les concepts et les définitions (1), sur l’histoire de ce financement (2), sur les indicateurs de performance (3), sur les indicateurs de performance en matière de formations supérieures. La 5ème chronique porte sur les indicateurs de performance en matière d’insertion professionnelle des diplômés et sur les financements qui pourraient en découler. L‘objectif 1 du programme 150 du Projet de loi de finances 2010 de la MIRES est intitulé : “répondre aux besoins de qualifications supérieures“. Le texte du PLF précise avec raison : “l’ajustement formation-emploi est un processus qui dépend non seulement de la formation des jeunes sortants du système éducatif mais également de la conjoncture du marché du travail. Les marges de manoeuvre existent cependant pour viser une meilleure insertion des diplômés dans les prochaines années, sauf forte dégradation de la conjoncture“.

Le “sauf” est aussitôt oublié. Selon la logique de la performance (”faire toujours plus”), la cible de l’indicateur 1.2. (”taux d’insertion des jeunes diplômés trois ans après leur sortie de formation initiale”) est pour 2010 en hausse par rapport à 2007. Quelle est la cible pour les diplômés du supérieur universitaire ? Il faut qu’en 2012 le taux de diplômés du supérieur, employés au niveau cadre ou profession intermédiaire, soit en hausse de 5 points : il était de 77% en 2007, il doit être de 82% en 2010 (lire la note). Cette cible sera-t-elle atteinte alors que la conjoncture de crise a fortement pénalisé les diplômés 2008 et les diplômés 2009 arrivant sur le marché du travail ? Cela n’est-il pas bizarre ?

Il faut ici entrer dans la construction statistique de cet indicateur de performance du PLF pour en démontrer la stupidité et pour faire comprendre que le PLF prend “les citoyens pour des cons”. L’indicateur pour 2007 (77% de cadres et de professions intermédiaires) est celui des diplômés entrés sur le marché en 2004 et enquêtés par le CEREQ en 2007 ( “Génération 2004″ : cliquer ici). L’indicateur cible pour 2010 (82% ) est celui des diplômés 2007 enquêtés en 2010 : personne ne sait si le CEREQ aura les moyens financiers pour faire cette enquête ; elle n’est d’ailleurs pas annoncée sur son site ; il se pourrait bien qu’elle soit remplacée par l’enquête d’insertion que les universités doivent entreprendre dès décembre 2009 (voir ci-dessous). Puisque les enquêtes Génération du CEREQ ont lieu tous les 3 ans (Générations 1998, 2001, 2004), les diplômés 2008 et 2009 ne devraient jamais être enquêtés ! Ouf pour le gouvernement : “cachez le marasme de leur insertion : je ne saurais le voir“. Lire la chronique : “32% de chômeurs”.

Pourquoi les diplômés 2007, enquêtés en 2010, devraient être plus nombreux que les diplômés 2004 à être cadres ou professions intermédiaires, 3 ans après leur sortie de formation initiale ? Le PLF explique que plusieurs “leviers sont utilisables pour y parvenir” : “généralisation de l’orientation active qui prend en compte les débouchés associés à chaque formation, généralisation des observatoires qui ont pour mission de mesurer les taux d’insertion de chaque filière à chaque niveau, développement de la professionnalisation des formations (généralisation des stages dans tous les cursus notamment en 3ème année de licence), développement de partenariats avec le monde économique, création dans chaque université d’un Bureau d’aide à l’insertion professionnelle (diffusion aux étudiants d’une offre de stages et d’emplois variés en lien avec les formations, assistance à la recherche de stages et de premiers emplois), plates-formes d’insertion professionnelle, outil supplémentaire au service de l’accès à l’emploi des diplômés, favorisant un travail en commun avec le monde professionnel, en particulier pour la définition de l’offre de formation”.

Le lecteur aura reconnu dans ces axes d’action la politique de Valérie Pécresse, ministre… depuis 2007. L’arnaque est complète : bien évidemment, les diplômés 2007 n’ont pu bénéficier de ces mesures ! L’indicateur 1.2 du PLF est donc une escroquerie. Il l’est d’autant plus que le financement des BAIP, annoncé par Valérie Pécresse en octobre 2008 (55 millions d’euros sur 5 ans), est disparu du PLF 2010  (pour une critique des BAIP, cliquer ici) ! 

Il faut noter “zéro” cet indicateur du PLF si l’enquête “Génération 2007″ du CEREQ est remplacée par l’enquête que les universités doivent entreprendre en décembre 2009, enquête que nous avons critiquée dans une chronique du 27 octobre 2009 : “Insertion performante“. Cette enquête est une honte scientifique : financement insuffisant, calendrier impossible à tenir, conditions de traitement à la scientificité douteuse pour permettre une comparaison entre universités, masquage d’éventuels déclassements par la mise ensemble des ”cadres” et des ”professions intermédiaires” dans la même catégorie, inutilité de l’enquête pour un pilotage de l’offre de formation par les universités elles-mêmes (le délai de 3 ans après la sortie de formation initiale est trop long ; les universités ont besoin d’enquêtes à 18 mois).

L’indicateur 1.2 du Programme 150 du PLF ne précise pas l’incidence financière de l’obtention ou de la non-obtention de la cible par les universités. Celles qui l’atteignent seront-elles recompensées par un financement “bonus” et celles qui ne l’atteignent pas seront-elles sanctionnées par un “malus” ? Evidemment non, puisque cette cible n’a aucun fondement et qu’elle est déjà obsolète avant même que d’avoir été observée par enquête.

Cela ne veut pas dire que le financement des universités selon la qualité de l’insertion de leurs diplômés doit être abandonné. Bien au contraire. La même chronique recommande des financements de ce type : récompenser les universités qui ont un observatoire des insertions depuis 3 ans, récompenser celles qui ont eu le courage politique de fermer les diplômes dont les débouchés professionnels récurrents n’étaient pas satisfaisants.

Note. La cible d’insertion pour l’ensemble des diplômes universitaires de licence, de master et de doctorat est 82% de cadres et professions intermédiaires en 2010 (77% observés en 2007). Cette cible est différenciée selon les niveaux de diplôme (67% pour les diplômés de licence, 86% pour ceux de master, 90% pour les docteurs) et selon les disciplines (71% pour les diplômés de lettres et sciences humaines, 89% pour ceux de sciences et techniques, 85% pour ceux de droit, économie et gestion).

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Financer selon la performance (4)

4ème chronique sur le financement selon la performance. Elle fait suite aux chroniques sur les concepts et les définitions (1), sur l’histoire de ce financement (2), sur les indicateurs de performance (3). La 4ème chronique porte sur les indicateurs de performance en matière de formations supérieures et sur les financements qui pourraient en découler. L‘objectif 2 du programme 150 du Projet de loi de finances 2010 de la MIRES est intitulé : “améliorer la réussite à tous les niveaux de formation” (autrement dit et essentiellement attaquer de front le serpent de mer des taux d’abandon et d’échec en licence).

Pour mesurer les progrès dans l’atteinte de l’objectif, cinq indicateurs de performance sont créés dont 2 sont commentés ici : l’indicateur 2.3 (taux de jeunes sortis non diplômés de l’enseignement supérieur), l’indicateur 2.4 décomposé lui-même en deux sous-indicateurs (taux de licences obtenues en 3 ans après une première inscription en Licence 1 ou taux d’obtention de la licence dans les délais prévus ; taux d’inscrits en L1 accédant en L2 l’année suivante).

Sans conteste, il s’agit bien d’indicateurs de performance. Le taux de sortie sans diplôme était de 18% en 2007 ; il est prévu qu’il monte à 19,5% en 2009 et descende à 17% en 2010 et à 16% en 2012. Le taux d’obtention de la licence en 3 ans était de 38,3% en 2007 ; l’objectif à atteindre est 40% en 2010 et de 43% en 2012. Le taux de L1 accédant directement en L2 l’année suivante était de 44,7% en 2007 ; il est descendu à 43,2% en 2008 ; il “doit” monter à 49% en 2009, 50% en 2010, 52% en 2012. L’objectif est ambitieux !

Le moyen de l’amélioration des taux : le Plan Réussite en licence (orientation active, développement des relations avec les lycées, tutorat, enseignants référents, travail en petits groupes, davantage de contrôles continus par rapport aux contrôles terminaux lire l’expérience de l’université d’Avignon). Les universités dans leur ensemble et chaque université en particulier sont les opérateurs de l’objectif 2 du Programme 150 ; elles sont collectivement responsables de l’atteinte des taux “cibles”. Mais il y a un énorme problème : le ministère a l’outil statistique pour établir le niveau et l’évolution des 3 indicateurs (la base SISE sur les inscriptions et les changements d’inscription), mais chaque université ne peut se positionner sur ces indicateurs ; chaque université est “aveugle” sauf à multiplier des enquêtes fort coûteuses.

Diminuer le taux de sortie sans diplôme et faire progresser le taux de passage immédiat de L1 en L2 : chaque université ne peut mesurer ces taux car elle ignore les raisons d’une non réinscription après le L1 (inscription ailleurs ou abandon des études). Faire progresser le taux d’obtention de la licence en trois ans : le problème est identique (la licence peut être obtenue dans une autre université que celle de l’inscription en L1) et différent (l’indicateur prend en compte non seulement les inscrits en L1, mais également les inscrits en 1ère année de DUT et de BTS qui poursuivent en licence 3 ; il faut identifier ceux-ci dans la base d’inscriptions ; ce n’est pas impossible mais cela demande du travail).

Le paradoxe est donc intéressant : les universités sont sommées d’améliorer leurs performances, mais elles n’ont pas les outils statistiques pour mesurer leurs progrès ! Le ministère aurait pu y penser ! C’est d’ailleurs une grave légèreté méthodologique de sa part que d’avoir mélangé dans un même indicateur le taux d’obtention de la licence en 3 ans des inscrits en L1 (non sélectionnés à l’entrée) et des inscrits en 1ère année de DUT et de BTS (sélectionnés à l’entrée) ! Autre problème : celui de l’évaluation des effets du plan Licence dans chaque université. Si le taux d’abandon diminue, si les taux de passage direct en L2 et d’obtention de la licence en 3 ans progressent, à quelle(s) mesure(s) du PLan Licence imputer les progrès ? Un exemple : les effets du tutorat, rendu obligatoire par les arrêtés de 1997, n’ont jamais pu être rigoureusement établis, faute de protocole d’enquête rigoureux (comparaison du devenir de deux cohortes d’inscrits en 1ère année partageant les mêmes caractéristiques sauf une, celle d’avoir été ou non tutorés).

Le PLF de la MIRES pour 2010 contient des indicateurs de performance, mais ne traite pas du financement selon la performance : c’est un autre paradoxe ! Les universités qui seront en dessous des taux cibles pour le taux de passage direct en 2ème année et pour le taux d’obtention de la licence en 3 ans seront-elles sanctionnées (devront-elles rendre l’argent du Plan Licence ?) et les universités qui seront au-dessus percevront-elles un bonus ? Bonus pour les universités dont les taux s’améliorent et malus pour les universités dont les taux se détériorent ? Il ne saurait bien sûr en être question, car les universités n’ont pas la même offre de formation et n’accueillent pas les mêmes populations étudiantes ! Il faut les comparer, toutes choses étant égales par ailleurs.

Et voilà encore un autre paradoxe : la DEPP a toutes les données pour calculer des taux comparables d’une université à l’autre, maîtrise la méthodologie, mais ne fait plus ce travail de comparaison ! Elle l’a fait à la fin des années 90 (lire la note) : “taux de succès aux DEUG en deux, trois ou quatre ans”, pour chacune des grandes disciplines et certaines caractéristiques individuelles étant égales par ailleurs (neutralisation de l’âge au bac, du type de bac, de la mention au bac). La méthodologie permet de calculer, pour chaque université, un taux “réel” (ou brut ou observé) et un taux attendu (fonction des caractéristiques de sa population étudiante) ; les universités performantes font mieux que le taux attendu, les universités non performantes font moins bien ! Les universités classées dans cette catégorie ont réagi par un sacré vacarme ! La DEPP a cependant publié en 2007 une Note d’information sur le taux de réussite en DUT en deux ou trois ans (cliquer ici), selon la méthodologie “taux observés – taux attendus” : des IUT font mieux que ce qui est attendu de leur population étudiante et des IUT font nettement moins bien !

Alors faut-il laisser tomber les financements des universités selon la performance ? Non ! Il faut encourager les universités à suivre rigoureusement des cohortes d’entrants en première année de licence et en première année de master, à calculer des taux de succès et leur évolution dans le temps (toutes choses égales par ailleurs), à créer des protocoles d’enquête pour mesurer les effets du Plan Licence qu’elles mettent en oeuvre… et il faut financer celles qui mènent ces opérations statistiques dans la durée. Un exemple parmi beaucoup d’autres : celui de Lille I Sciences et Technologie (cliquer ici) .

Il faut aussi financer davantage les universités qui ont le courage politique de fermer les diplômes qui ont de mauvais taux de succès et de mauvais taux d’insertion (chronique à suivre). On peut aussi penser à un autre mode de financement de l’offre de formation habilitée et qui freinerait l’explosion de l’offre de formation (autre objectif du PLF de la MIRES) : ne pas financer immédiatement les nouveaux diplômes et ne les financer qu’au vu de leurs résultats après 4 ans (taux d’obtention du diplôme et d’insertion) ; en cas d’objectifs atteints, les nouveaux diplômes obtiendraient un financement rétroactif pour les 4 premières années.

Note. YAHOU Nicolas, RAULIN Emmanuel (1997), “De l’entrée à l’université au deuxième cycle : taux d’accès réel et simulé, DEP, Les dossiers, n°78, janvier.

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Financer selon la performance (3)

Chroniques précédentes : “Les concepts, les définitions“, “Brève histoire du financement selon la performance“. La chronique d’aujourd’hui est consacrée à la mesure des résultats des activités et des projets mis en oeuvre par les universités. Sans mesure rigoureuse des résultats obtenus et des ressources engagées pour les atteindre, un financement selon la performance est impossible ; sans mesure de l’efficience et de l’efficacité des universités, un financement selon la performance n’a pas de sens. Mais attention : les mesures quantifiées (les indicateurs) sont indispensables, mais la réalité n’est jamais totalement quantifiable ! Il faut interpréter les résultats quantifiés.

Pour obtenir des mesures rigoureuses des résultats, il existe une condition préalable : celle du renforcement, au niveau national et au niveau local, des structures qui conçoivent et élaborent les outils (les indicateurs), collectent et traitent les informations, diffusent les résultats en toute transparence. Les deux niveaux organisationnels, le national et le local, doivent exister ; sans niveau national, les comparaisons nécessaires dans le temps et dans l’espace sont impossibles ; sans niveau local, il ne peut y avoir de progrès dans le pilotage stratégique de chacune des universités. Mais problème : le niveau national (rôle clé de la DEPP) a été très déstabilisé par la réforme de l’administration centrale des deux ministères (lire la chronique : “le mammouth dégraissé“). Bien des universités encore ne possèdent pas, faute de volonté politique et/ou de moyens, une structure à même d’élaborer des indicateurs rigoureux et cela même si on a vu fleurir, ici et là, des cellules de contrôle de gestion, des services statistiques, des observatoires…

La mesure de l’efficience tout d’abord. Les résultats ont-ils été atteints selon la meilleure optimisation des ressources engagées, c’est-à-dire à quel coût ? Pour le savoir, il faut évidemment une comptabilité analytique : elle est à peine émergente dans les universités, mais elle devrait rapidement progresser avec les contraintes et les opportunités données par la LRU, par le passage aux responsabilités et compétences élargies. Un exemple d’une orientation qui va dans ce sens : celui de Paris 2 Panthéon-Assas qui “s’oriente vers une comptabilité analytique diplôme par diplôme“.

Cette comptabilité analytique est difficile à instaurer. Exemples tirés de l’expérience. L’université, dans le cadre de son contrat quadriennal, a obtenu un financement pour créer un Observatoire de la vie étudiante ; ce financement est “noyé dans le pot commun des services centraux” ; impossible en fin de contrat de calculer le coût de l’observatoire qui a été effectivement créé. Le blogueur veut calculer le coût complet d’un étudiant de la licence professionnelle dont il est responsable, n’y parvient que partiellement (cliquer ici) car jamais il n’obtiendra du vice-président en charge des finances de l’université l’information sur le coût à imputer à chaque étudiant pour les différents services centraux. 

La comptabilité analytique n’est pas inconnue des universités. Elle leur est imposée par la gestion des contrats européens : elles doivent justifier chacun des euros dépensés. Les comptables européens y veillent : des dépenses effectives sont rejetées car elles ne correspondent pas au cahier des charges ou aux règles comptables en vigueur ; des dépenses engagées doivent être remboursées “à l’Europe” ; les financements attendus en fin de projet (paiement sur service fait) ne parviendront jamais dans les “caisses” de l’université ; un déficit de l’opération s’ensuit pour elle. Il s’agit bien ici d’un financement selon la performance, et plus spécifiquement d’un financement selon l’efficience. Quelquefois, la mesure de l’efficience est extrêmement ”légère” : “vous vous êtes engagés à créer un Observatoire, un Bureau d’aide à l’insertion professionnelle, un service du patrimoine, un service de la Validation des Acquis de l’Expérience… ; vous l’avez fait ; OK, rien à dire !”. Dans ce cas, il n’y a pas de réelle mesure de l’efficience et de l’efficacité.

Mesure de l’efficacité ou la question des indicateurs de performance. Un immense chantier ! Quelques réflexions sur la méthode de construction des indicateurs, sur leur nombre, sur leur mise en oeuvre au niveau local par un service dédié. Construire des indicateurs. Ils peuvent être prescrits aux universités par le ministère, être élaborés conjointement par le ministère et la représentation des universités (la CPU ?), être construits par chacune des universités “libres et responsables”. Chaque approche a ses avantages et ses inconvénients. La prescription par le “Centre” a le mérite de permettre des comparaisons dans le temps et dans l’espace (entre universités), mais elle a l’inconvénient de se contenter d’un petit nombre d’indicateurs (lire la chronique : “Le PAP du PLF de la MIRES“). L’élaboration autonome des indicateurs par chacune des universités a le mérite d’engager plus facilement des démarches de progrès : on se mobilise plus facilement dans les champs d’activité couverts par les indicateurs. Mais il y a un inconvénient : les indicateurs élaborés localement ne sont pas forcément comparables d’une université à l’autre. L’élaboration conjointe ou négociée par le ministère et la représentation des universités est a priori plus satisfaisante, mais elle demande beaucoup de temps et ne peut n’aboutir qu’à des indicateurs de compromis faussement consensuels.

Le nombre d’indicateurs ? Il faut résister à une frénésie : celle de produire des indicateurs toujours plus nombreux. Trop d’indicateurs tuent les indicateurs. Les universités doivent donner la priorité aux indicateurs de résultats, tout en ne négligeant pas les indicateurs d’activité et de moyens mobilisés. Une expérience : celle de la licence professionnelle déjà mentionnée et de ses 62 indicateurs de qualité, centrés progressivement sur 13 indicateurs principaux.

Expérience fragile : le départ en retraite du blogueur a mis en sommeil l’actualisation des indicateurs ; elle demande du temps, beaucoup de temps… L’initiative a été un moment relayée par l’université (conduire deux diplômes à une certification qualité externe), puis a été abandonnée. Une initiative individuelle peut être motrice ; elle est insuffisante. Pour avoir des indicateurs solides et actualisés, il faut avoir des professionnels affectés à un service permanent. Approvisionner en données les indicateurs demande, au préalable, de mobiliser des ressources non négligeables. Un tel service doit être proche de l’équipe de direction de l’université : celle-ci doit en définir le cahier des charges annuel, mais ne pas empiéter sur les activités quotidiennes. Ce service doit avoir une grande indépendance ; elle pourrait être garantie par un commissaire aux statistiques, un commissaire externe.

Indicateurs quantitatifs et interprétations qualitatives. Produire des indicateurs, mesurer leur évolution, comparer leurs résultats avec ceux des autres universités et avec les indicateurs nationaux n’a d’intérêt que pour engager des démarches de progrès. Celles-ci ne sont possibles que si une large place est laissée aux discussions sur les résultats. Un mauvais résultat peut avoir plusieurs explications : il faut les identifier pour pouvoir faire évoluer l’indicateur dans le bon sens. Evaluations quantitatives et évaluations qualitatives sont nécessairement complémentaires.

Chroniques à suivre : les indicateurs de taux de succès, les indicateurs d’insertion professionnelle.

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Financer selon la performance (2)

Brève histoire du financement selon la performance (suite de la chronique Financer selon la performance“). Ce financement est ancien, mais il a pris, ces dernières années, une ampleur nouvelle avec l’instauration de la LOLF (2001, Loi d’Orientation de la Loi de Finances), loi votée sous le gouvernement Jospin. Cette chronique “historique” ne traite que des subventions de fonctionnement attribuées par l’Etat aux universités (ne sont donc pas concernées les subventions d’investissement). Les subventions de fonctionnement, allouées pour les missions d’enseignement et de recherche, prennent en compte les activités de l’université (ses formations et le nombre d’étudiants inscrits dans chacune d’entre elles), et/ou leurs projets et/ou leurs résultats.

Le financement des formations habilitées et des centres de recherche “labellisés” n’est pas nouveau : il s’agit soit d’un financement selon l’activité (organiser des enseignements et faire de la recherche coûte) et/ou selon le projet (demande d’habilitation ou de création d’un centre de recherche). Un diplôme habilité donne lieu à des dotations de postes d’enseignants-chercheurs et de BIATOSS, à une dotation de fonctionnement par étudiant, et éventuellement à des dotations de compensation si le nombre de postes est insuffisant. Selon quels critères se font ces dotations ? Ils font référence à des normes, les normes Garacès dans les années 70, les normes SanRemo depuis 1984 (H/E, Heures par étudiant). Un étudiant en master professionnel dans une discipline scientifique est davantage doté par l’Etat qu’un étudiant en 1ère année de licence générale de droit.

L’explosion de l’offre de formations professionnelles, en particulier en master, a mis le système SanRemo à mort : voulant faire la réforme LMD à coût zéro, l’Etat ne pouvait augmenter indéfiniment ses dotations pour les diplômes professionnels de plus en plus nombreux. SanRemo a donc été remplacé par Sympa et plus personne ne sait si un H/E par type de formation existe encore !

De plus, San Remo souffrait d’un point faible structurel : il distinguait ”potentiel théorique” (somme des dotations de toutes les formations) et “potentiel réel”. Un certain nombre d’universités avaient un potentiel réel bien inférieur au potentiel théorique que l’Etat aurait dû leur reconnaître, mais San Remo n’a réussi qu’à la marge à redéployer les moyens entre les “universités riches” et les “universités pauvres“.

Dotation des formations et des centres de recherche selon les projets et les activités, mais, théoriquement aussi, selon la performance. Les habilitations et les labellisations étant accordées pour 4 ans, les réhabiltiations et les relabellisations auraient dû donner lieu à des évaluations des résultats atteints. Formellement, c’était le cas, mais les évaluations à 4 ans conduisaient rarement à la fermeture de diplômes ou de centres de recherche. De fait, le financement selon la performance n’existait pas. 

La situation change peu dans les années 80, en dépit de deux innovations fondamentales : la création du CNE en 1985 et le lancement de la politique contractuelle (contrats quadriennaux) en 1989. Le Comité National d’Evaluation (CNE) a fait des évaluations institutionnelles (de l’établissement, de la formation, de la recherche) ; celles-ci se concluaient par un rapport assorti de recommandations ; aucun lien avec le financement des universités n’était opéré. Mais, au moins, le CNE a introduit une culture de l’évaluation dans les établissements.

L’introduction de la contractualisation en 1989 (contrat quadriennaux entre l’Etat et chaque université) était assortie d’une politique d’allocation de moyens aux projets définis par l’établissement et négociés avec la “tutelle”. On entre alors réellement dans un ère de financement étatique selon les projets. Logiquement, la négociation du deuxième contrat, quatre ans plus tard, aurait dû être l’occasion d’introduire un financement selon la performance. “Vous avez eu de l’argent pour tel projet. Quels résultats avez-vous obtenus ? Vous n’avez rien fait : rendez l’argent !”. Il n’en a rien été, les bilans des contrats, rendus par les universités, n’étaient pas réellement examinés par les experts ; ils se concentraitent sur les projets des nouveaux contrats, pour ne pas retarder leur signature (il est régulièrement arrivé que les contrats soient signés avec plus d’un an de retard).

Et vint la LOLF (2001) et son application dans les universités à partir de 2005, 2006 : les budgets de celles-ci ont dû être votés selon l’architecture LOLF : missions, programmes, actions, moyens, projets annuels de performance, indicateurs de performance (lire la chronique : “PAP du PLF de la MIRES“). Une vraie révolution… théorique, mais qui ne fait guère encore ressentir ses effets réels dans les universités. Financement selon la performance, un serpent de mer ?

Le financement selon les projets (et non plus selon les activités récurrentes) a poursuivi son chemin dans les années les plus récentes. L’ANR (Agence Nationale de la Recherche) lance des appels à projets, les évalue et les finance. L’AERES (Agence d’Evaluation de la Recherche et de l’Enseignement Supérieur) évalue les projets des établissements dans le cadre de leur contrat quadriennal. Bref, de moins en moins de financements de base,  récurrents (un des causes du mouvement de l’hiver et du printemps 2009)  et de plus en plus de financements selon les projets.

Le financement selon la performance refait surface avec la Loi LRU d’août 2007 et le passage des universités aux responsabilités et compétences élargies (RCE). Plus de la moitié des universités seront passées aux RCE en janvier 2010. Masse salariale des fonctionnaires intégrée dans le budget, responsabilité totale de la gestion des ressources humaines, des redéploiements, des recrutements, des mobilités, des rpomotions, des primes… Pour ne pas aller dans le mur, pour ne pas exploser leurs coûts, pour éviter de graves crises financières, les universités vont être obligées d’analyser finement leurs performances et de faire des choix. Il n’est pas dit qu’elles y soient, politiquement, stratégiquement et techniquement, prêtes.

Alors, Valérie Pécresse, sans doute dubitative sur les effets réels de sa loi LRU, en remet “une couche” pour le financement selon la performance, se recadrant sur les prescriptions de la LOLF. Elle vient ainsi de prescrire aux universités de faire des enquêtes sur le devenir professionnel de leurs diplômés car la loi de finances de 2010 prescrit un projet annuel de performances (PAP) en matière d’insertion, projet doté d’un indicateur de performance d’une “stupidité rare” et sur lequel on reviendra dans une prochaine chronique (lire déjà “Insertion performante ?“.

Prochaine chronique : comment mesurer les résultats d’une activité ou d’un projet ?

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Financer selon la performance

Les universités publiques sont financées très majoritairement par l’Etat (plus de 85% de leurs ressources) et elles doivent le rester ! Les autres financeurs sont l’Union européenne, les collectivités territoriales, les entreprises, les ménages (dont droits d’inscription payés par les étudiants). A l’avenir, les Fondations universitaires pourront également apporter des financements. Pour les dotations des dernières années et pour 2010, lire les chroniques : “Budget 2010” et “Dotations inégales“. Cette chronique est issue d’une communication au Colloque international “Université, universités”, tenu à Besançon les 22 et 23 octobre 2009.

Selon quels critères et selon quels mécanismes, les universités peuvent-elles être dotées ? Elles peuvent l’être selon leurs projets, leurs activités, leurs résultats. La chronique s’intéresse aux financements selon les résultats atteints, financement communément appelé “financement selon la performance”. Un tel type de financement est dans l’ère du temps ; il participe d’une idéologie libérale, entrepreneuriale, concurrentielle, de la compétition. Il ne peut être rejeté d’emblée car, après tout, il s’agit d’affecter de l’argent public aux universités et d’observer si elles en font un bon usage. Personne ne peut s’opposer à cela : ne pas gaspiller l’argent public ! C’est cependant un changement de paradigme pour les universités et Bernard Belloc, conseiller de Nicolas Sarkozy, le résumait ainsi dans son intervention à Besançon : “ce ne sont pas les moyens qui font les projets” (traduction : “ne vous attendez plus à des dotations de base récurrentes”), “ce sont les projets qui font les moyens” (traduction : “mettez-vous dans une logique de projets dont les résultats seront évalués”).

La Conférence des Présidents d’Université (CPU) a accepté le principe d’un financement selon la performance (communiqué de juillet 2009), mais elle y met un certain nombre de conditions dont la révision du modèle d’attribution des moyens aux universités, appelé “SYMPA” ! 

Mais financer les universités selon la performance soulève un très grand nombre de problèmes. Qu’est-ce que la performance ? Performance par rapport à quoi et à qui ?  Comment l’évaluer et la mesurer ? Une approche par les seuls indicateurs de résultats est-elle suffisante et acceptable ? Cette première partie de la chronique porte sur les concepts, définitions et méthodologies utilisés : ce détour peut paraître fastidieux mais il est indispensable ; c’est le seul moyen d’être le plus rigoureux possible dans un débat politiquement très sensible. Il faut savoir de quoi l’on parle.

Champ du financement selon la performance ? Il peut être plus ou moins détaillé. Les universités peuvent être financées selon leur performance, mais il peut s’agir aussi du financement de leurs composantes, de l’offre de formation de chacune de celles-ci et également de leur recherche. Financement de la performance par les financeurs externes certes, mais rien n’empêche de penser aussi à un financement interne de la performance, surtout dans les universités “libres et responsables” : financements des composantes selon leur performance établie.

Quelles dotations ? Il peut s’agir de ressources de fonctionnement, d’investissement, de ressources humaines (dotations de postes d’enseignants-chercheurs, de chercheurs, de BIATOSS).

Mais que veut dire performance ? Selon la logique managériale, les choses sont apparemment simples. Les universités ont des missions à accomplir, missions fixées par le législateur. Ces missions se traduisent en objectifs, en projets et en activités (et même en tâches) ; projets et activités mobilisent des ressources ; leurs résultats peuvent être mesurés. On voit donc tout de suite que cela n’a guère de sens de vouloir évaluer et doter les universités selon leur performance globale : les projets et les activités sont trop divers.

Deux types de performance sont communément mesurés. L’efficience met en relation les ressources utilisées et les résultats atteints. Un bon résultat peut avoir mobilisé beaucoup ou peu de ressources (on parle aussi d’optimisation de l’usage des ressources). Un problème surgit aussitôt : les ressources des universités sont présentement inégales et sont largement le fruit d’héritages historiques, et ce en dépit des politiques de redéploiement des ressources ; la CPU ne veut plus de ces politiques car elles ont toutes échoué.

Second type de performance : l’efficacité. La mesure de l’efficacité met en relation les objectifs visés et les résultats atteints. Les universités se doivent donc d’être efficientes et efficaces, mais – problèmes – elles n’ont pas toutes les mêmes ressources ! Dès lors, quelles universités doivent ou peuvent être financées selon la performance ? Trois modèles. Premier modèle possible : financement des universités qui ont les meilleures performances ; c’est le financement de l’excellence ; 10 à 15% des universités pourraient être ainsi financées. Deuxième modèle possible : financement des universités qui atteignent la norme de performance prescrite. Ce qui engage un débat et complexifie l’approche : qui fixe la norme (le ministère ?) et à quel niveau la fixer ? Par exemple la norme à atteindre pour le taux de succès à la licence en 3 ans doit-elle être fixée à 60, 70 ou 80% ? Troisième modèle possible : financement des universités qui progressent en performance d’une période à l’autre. Derrière chacun de ces modèles, il y a des types d’universités : on peut penser par exemple que Pierre et Marie Curie voudrait un financement de performance selon le premier modèle et qu’une université nouvelle de province avec peu de moyens aimerait se voir financer selon le 3ème modèle (financements au vu des progrès accomplis).

D’autres questions doivent être résolues avant le passage à un financement selon la performance. Quelle doit être la part de financement selon la performance, relativement à celle du financement des projets et des activités ? Une part mineure (incitative) ou une part majoritaire ? Quelle que soit la réponse à cette question, les évolutions ne pourront qu’être lentes. Actuellement, la part de financement selon la performance réellement mesurée est proche de zéro. Vouloir aller trop vite serait mettre le feu aux poudres dans un grand nombre d’universités !

D’autres questions encore. Selon quelle périodicité doivent être mesurées les performances ? En temps quasi réel, tous les ans, tous les 4 ans dans le cadre des contrats d’établissements ? Il faut noter ici que les universités sont rangées dans des “vagues de contractualisation”, ce qui représente une source d’inégalités à plusieurs titres (le ministère a plus ou moins d’argent à dépenser selon les années et commencer à doter les universités d’une seule “vague” selon la performance renforcerait les inégalités).

Et enfin, une autre question aussi explosive que les précédentes : financer selon la performance consiste-t-il à affecter des ressources supplémentaires aux “performants” ou à supprimer des ressources aux “non-performants”. Financement selon la performance : bonus ou malus ?

Bref, le financement selon la performance pourrait n’être qu’un serpent de mer et n’être présentement qu’une opération de communication “libérale”. Les questions qu’il pose sont nombreuses et les choix d’y répondre de telle ou telle manière n’ont pas encore été pris. Mais le financement selon la performance pourrait, devrait engager les universités dans des démarches de progrès, de mesure de leurs résultats. Ce serait déjà un énorme progrès pour la collectivité, une source de diminution de certains gaspillages de crédits publics. 

Cinq chroniques à venir. L’histoire du financement selon la performance au travers d’une histoire de l’évaluation. Comment évaluer les résultats atteints au terme d’une période donnée ? La question clé des indicateurs ! Le financement de l’offre de formation selon la performance. Le financement des collectivités territoriales, des entreprises, des ménages aux universités selon la performance de celles-ci. 

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Pierre Dubois

Ils ont choisi l’Economie sociale

Le marché du travail est extrêmement difficile pour les diplômés du supérieur de 2008 et 2009 (chronique : “la peur du déclassement“). Dans ce contexte, des diplômés se posent et ont malheureusement le temps de se poser (le nombre de mois pour trouver un emploi est de plus en plus important) la question : “j’ai un diplôme, j’ai des compétences certifiées pour exercer un métier, j’ai une expérience professionnelle car j’ai effectué plusieurs stages au cours de mes études : dans quel type d’entreprise, j’ai envie de travailler ?

Dans la fonction publique ? Dans le secteur public ? Dans le secteur privé lucratif ? Ou dans le secteur de l’économie sociale, dans une coopérative, dans une mutuelle d’assurances ou de protection sociale, dans une association employeur, dans une fondation ? L’économie sociale, c’est plus de 10% de la richesse produite en France et plus de 10% de ses emplois ; c’est une économie dynamique dans ce contexte de crise.

Les entreprises de l’économie sociale attirent de plus en plus de jeunes diplômés car elles ne mettent pas l’argent au coeur de leur objectif mais la personne (le client, la salarié, le partenaire). Travailler dans une organisation de l’économie sociale permet de donner plus de sens à sa vie. C’est ce que démontre la 1ère convention des emplois et des formations de l’économie sociale en Champagne Ardenne qui aura lieu à Reims mardi 13 Octobre 2009 (pour en savoir plus sur cette convention, cliquer ici).

Pour cette convention, le blogueur, administrateur de la Chambre Régionale de l’Economie Sociale en Champagne Ardenne (CRESCA), a réalisé 14 reportages sur des organisations de l’économie sociale en région. Celle-ci intervient dans tous les champs de l’activité économique régionale : la banque coopérative, la grande distribution, la viticulture, les services à la personne, le travail social, l’insertion par l’activité économique, l’animation des quartiers, le sanitaire et social… Chacune de ces organisations emploie des diplômés du supérieur à Bac+2 ou 3 et à bac+5 : cliquer ici pour accéder au reportage.

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Pierre Dubois

Des soutiers dans l’université ?

Les soutiers de l’université” par Catherine Rollot, Le Monde du 6 octobre 2009. Les deux sous-titres de l’article sont misérabilistes et provocateurs à l’égard des enseignants du supérieur. 1. “Vacataires, attachés temporaires, CDD, bouche-trous parfois pour quelques heures par an, ils ont bac+8 et galèrent durant des années en marge de l’enseignement supérieur. Avec l’espoir de plus en plus ténu d’une titularisation” ; “Avant d’être payé, il faut parfois attendre un an”.

 

La précarité existe à l’université ; elle a progressé et elle risque de progresser. Il faut la dénoncer : Catherine Rollot a donc raison. Mais, pour mener un combat crédible et efficace, il faut éviter les approximations et quelquefois les contrevérités. Combien de “soutiers” ? Personne ne le sait mais on devrait le savoir car les universités doivent produire désormais un “bilan social”.

 

Première confusion introduite par l’article : le mélange de situations enseignantes qui n’ont rien à voir les unes avec les autres. Si tout enseignant recruté sur un contrat à durée déterminée est en situation précaire, alors oui, la proportion de précaires est importante dans les universités ; elle l’est cependant moins que dans le privé.

 

Démêlons ces situations apparemment toutes précaires. Les professeurs invités (des enseignants-chercheurs étrangers) et les professeurs associés (professionnels qui enseignent à mi-temps dans les formations) ont certes un contrat à durée déterminée. Vivent-ils leur situation comme précaire ? Absolument pas ! Les professeurs étrangers sont titulaires dans leur pays et les professeurs associés ont un autre emploi ; leur contrat d’association est de 3 ans, renouvelable deux fois (… et le compteur peut même être remis à zéro après 9 ans !). Contre-vérité : les professeurs associés sont exceptionnellement titulaires d’un doctorat (bac+8) : ils sont embauchés parce qu’ils ont des compétences validées par leur expérience professionnelle. L’article oublie une 3ème situation non précaire : celle des professionnels des entreprises ou des administrations qui « font des heures » dans l’université : ils ont un autre emploi et ils devraient exiger d’être rémunérés selon la réglementation prévue pour eux (118,98 euros l’heure) (décret du 16 septembre 2004).

 

Deuxième situation. Les attachés temporaires et les moniteurs. Leur nombre a effectivement explosé au cours des dernières années et ils contribuent significativement aux charges d’enseignement. Ils ont un contrat à durée déterminée parce qu’il ne peut en être autrement : on n’est pas doctorant tout sa vie ! Les doctorants, allocataires d’une bourse, bénéficient quelquefois d’un monitorat rémunéré durant la préparation de leur thèse ; les attachés temporaires d’enseignement et de recherche (ATER) enseignent quand ils sont en fin de thèse ou immédiatement après l’obtention de leur doctorat. Vivent-ils leur situation comme précaire ? Non et oui ! Non, en ce sens que les moniteurs savent que leur bourse de monitorat s’éteint avec la fin de leur allocation de doctorat ; les ATER savent qu’ils ne peuvent l’être plus de 2 ans. Oui, en ce sens que, le délai passé, ils peuvent se retrouver au chômage s’ils n’ont pas été recrutés comme maître de conférences ou chercheur dans un grand organisme de recherche, s’ils n’ont pas obtenu un poste dans le secteur privé, le secteur public ou la fonction publique. Tous les docteurs ne sont pas recrutés par la fonction publique d’éducation et de recherche et Catherine Rollot a raison de souligner que ces moniteurs et ATER peuvent alors entrer dans la précarité.

 

Pourquoi ? Dans les dix à quinze dernières années, la situation des doctorants s’est modifiée. Ils ont subi la pression de leur laboratoire de rattachement pour publier le plus vite possible en cours de thèse ; par ailleurs, ils savent qu’ils n’ont aucune chance d’être qualifié par le CNU (conditions pour postuler sur un poste d’enseignant-chercheur) s’ils n’ont pas une expérience significative d’enseignement. Le doctorant contemporain mène sa recherche, publie et enseigne. Tous les doctorants ne sont pas à même de supporter cet alourdissement de leur charge de travail ; il s’ensuit pour certains un allongement de la durée pour obtenir le doctorat. Arrive le jour où ils ont épuisé toutes les sources de revenus liées au doctorat : finis l’allocation de recherche, le monitorat, le poste d’ATER. Les risques de précarité deviennent alors grands. Commence la recherche d’heures complémentaires pour survivre… et c’est là que plusieurs types de « dérives », « de débrouilles » pourtant illégales, peuvent s’introduire.

 

Rappelons la réglementation pour les vacataires d’enseignement payés à l’heure (60 euros l’heure pour un cours magistral, 40 euros pour une séance de travaux dirigés) : ils ne peuvent être rémunérés que s’ils ont un employeur principal et que s’ils effectuent pour cet employeur un minimum de 900 heures dans l’année. Cette réglementation a été établie – justement – pour éviter les situations précaires. Les universités demandent un grand nombre de documents pour s’assurer que le vacataire a bien un employeur principal [1]. Des personnes, docteurs ou non, veulent enseigner mais ne remplissent pas cette condition. Première débrouille possible : le prête-nom (celui qui enseigne fait payer quelqu’un, un parent, un ami, qui n’assure pas l’enseignement).

  

Autrement dit, la situation décrite par un des interviewés du Monde est impossible légalement, tout au moins théoriquement : enseigner, dans plusieurs universités, 800 heures par an (soit 32.000 euros par an au tarif des TD, somme qui ne caractérise guère une situation précaire) est impossible s’il y a réellement un employeur principal. Mais, dans la pratique, c’est possible car ce vacataire peut être… son propre employeur principal.

 

Dommage que cette dérive n’ait pas été signalée par Catherine Rollot car c’est un point-clé. Pour être payé par l’université, il suffit d’avoir un numéro d’URSSAF et donc d’avoir créé son entreprise de formation ou de conseil, de s’être mis en profession libérale… Il n’est pas toujours facile pour les universités de savoir le réel fond des choses : ce professionnel est-il un “vrai professionnel” ou n’est-il qu’un enseignant déguisé en libéral, qui vit principalement ou exclusivement d’heures d’enseignement faites à l’université ou dans d’autres institutions de formation. Seules plusieurs déclarations de revenus successives permettraient d’y voir clair ; mais, heureusement, les administrations universitaires ne sont pas légitimes et habilitées à faire des contrôles fiscaux !

 

Les “débrouilles” risquent de s’amplifier avec la crise économique que nous connaissons et pour deux raisons : des professionnels perdent des contrats de conseil et cherchent à tout prix, pour maintenir leurs revenus, à garder ou à amplifier leurs heures de cours à l’université. Par ailleurs, il est devenu plus facile de se mettre à son compte avec le nouveau statut de l’auto entrepreneur (loi du 4 août 2008).

 

Autres approximations dans l’article de Catherine Rollot : elles concernent les responsabilités des enseignants titulaires. Ils décident, effectivement, du recrutement des vacataires dans le cadre de procédures plus ou moins formelles, mais validées par leur conseil d’UFR. Mais la journaliste les classe, un peu trop facilement, dans le camp des “méchants exploiteurs“ : “vos heures ne seront pas renouvelées en septembre”… ; “ils nous considèrent comme des bouche-trous, parfois pour quelques heures par an [2]“ ; “les procédures de recrutement sur les postes de titulaires sont pipées”… ;  “la dépendance des doctorants et des enseignants précaires aux titulaires engendre une multitude d’abus”… ; “les emplois du temps sont donnés à la dernière minute et les charges de service varient d’un mois à l’autre”…

 

Essayons de démêler les responsabilités des enseignants car il y a effectivement “responsabilités”. Les enseignants-chercheurs, et en particulier les directeurs de thèse, sont des gens normalement responsables : ils “mouillent leur chemise” pour que leurs nouveaux docteurs, avant l’obtention d’un poste stable, aient un revenu décent en fin de mois ; ils cherchent des bourses post-doctorales, les associent à des contrats de recherche, donnent des heures de cours à faire, et pour ce faire, participent quelquefois – certes malheureusement – des débrouilles dénoncées (conseil de recourir à un prête-nom ou de créer une entreprise de conseil).

 

Ce faisant, les enseignants en retirent des satisfactions : aider les jeunes et, peut-être, s’en faire à terme des “clients” s’ils sont recrutés sur des postes stables. Mais il est vrai que ces solutions temporaires ne sont pas éternelles et que vient un jour où les enseignants laissent tomber ; cela arrive quand ils se rendent compte que le docteur ne sera jamais recruté sur un poste stable dans une université. Il faut donc qu’ils soient plus courageux : diagnostiquer, dès en cours de thèse, si le doctorant a une chance raisonnable d’obtenir un poste stable ; si ce n’est pas le cas, il faut très vite le réorienter ailleurs ; il ne faut pas lui donner, un ou deux ans après l’obtention de la thèse, d’heures complémentaires à effectuer !

 

Il est une autre responsabilité importante des enseignants non mentionnée par l’article de Catherine Rollot : celle de l’existence même d’heures d’enseignement assurées par de jeunes vacataires,  qui deviennent un jour… moins jeunes. Certes, les syndicats diront qu’il manque des postes de titulaires et que cela va s’aggraver avec la diminution annoncée du nombre de fonctionnaires : on ne peut les contredire. Mais il ne faut pas oublier la raison principale de l’existence et de la progression du nombre d’heures complémentaires, à savoir l’explosion incontrôlée de l’offre de formation, en particulier depuis la création des diplômes LMD (de plus en plus de diplômes, de mentions, de spécialités, de parcours, de plus en plus d’heures à assurer, de plus en plus de vacataires à recruter). Dans la situation d’une demande croissante d’heures de vacataires émanant de personnes subissant de plein fouet la crise, il faut oser dire aux universités de réguler réellement l’offre de formation, de réduire leur volume d’heures d’enseignement en resserrant leur offre. L’Université perdrait son âme à laisser s’installer chez elle des “soutiers” ; elle ne doit pas en fournir l’opportunité.  

 

L’article de Catherine Rollot évoque enfin une autre situation encore peu connue : celle d’enseignants recrutés sur contrat à durée indéterminée (cas du professeur de FLE – français langue étrangère). Les universités ont tout à fait le droit de recruter ainsi ; ce droit est même institutionnalisé par la loi LRU dans le cadre des compétences élargies en ressources humaines. Recrutement si les universités en ont les moyens financiers. Le risque est important d’un creusement des inégalités entre les universités et entre les enseignants titulaires de la fonction publique et les enseignants sous contrat de droit public (les salaires de ces derniers dont pour l’instant “libres” – pas de convention collective).

 

Le pire n’est cependant jamais certain. L’article de Catherine Rollot, en dépit de ses approximations et contrevérités, est donc salutaire ; il doit donner lieu à discussion dans les universités.  

 


 [1]. “Avant d’être payé, il faut parfois attendre un an” : autre contrevérité formulée par un des interviewés de Catherine Rollot. Cela peut effectivement arriver (un délai plus long est même possible !) si une ou plusieurs pièces manquent au dossier que chaque vacataire doit constituer ! Si le dossier est complet et remis dans les délais demandés, le paiement est bien plus rapide. Les universités se sont organisées pour payer les “heures complémentaires” deux fois par an, après chacun des semestres.

 

[2]. Cette affirmation est une contrevérité, sauf si on entend par “quelques” une vingtaine d’heures (un TD de 2 heures sur 12 semaines) ; un tel TD apporte une rémunération de près de 1.000 euros.

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Pierre Dubois

Evaluations de l’AERES

Le rapport d’activité 2008 de l’Agence d’Evaluation de la Recherche et de l’Enseignement Supérieur vient d’être mis en ligne sur le site de l’Agence (cliquer ici). Il présente le bilan des évaluations menées par les équipes d’experts dans les établissements. Plusieurs champs d’évaluation : les établissements, l’offre de formation (licences et masters), les unités de recherche, les écoles doctorales. Le positionnement temporel de ces évaluations ? Elles se situent fort logiquement en amont de la négociation des contrats quadriennaux d’établissement ; elles en fournissent le support. L’AERES est parvenue à tenir les délais ; ce qui n’était pas souvent le cas pour le défunt Comité National d’Evaluation (CNE). Lire la communication fort éclairante de Jean-Richard Cytermann : ”Evaluer le Supérieur“.

Une partie du rapport d’activité est consacrée à la méthodologie et à la déontologie de l’évaluation. Dans son interview à EducPros, Jean-François Dhainaut, président de l’AERES fait part du souhait de l’Agence de “mieux diffuser ses évaluations au monde socio-économique et aux étudiants”. L’AERES peut en effet beaucoup “mieux faire” en matière de transparence en raccourcissant les délais de mise en ligne des rapports. Il devient urgent de mettre en ligne tous les rapports d’évaluation des universités de la vague D (contrats 2010-2013) : Jean-François Dhainaut doit tenir immédiatement sa parole !

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Pierre Dubois

Combien d’inscrits ?

Le mouvement universitaire de la fin de l’hiver et du printemps 2009 a-t-il un impact négatif sur les inscriptions 2009-2010 dans les universités, en particulier dans les universités les plus touchées par le long arrêt des cours dans le premier cycle ? Personne ne peut sérieusement répondre à cette question ce 23 septembre 2009 ! Les inscriptions ne sont pas terminées. Il faut savoir en effet qu’il est possible de commencer à suivre les cours sans être inscrit. Les universités ne s’en satisfont certes pas ; elles font pression pour que toutes les inscriptions se fassent dans les délais les plus courts, mais, dans la pratique, elles comprennent que des étudiants s’inscrivent administrativement tardivement, ne serait-ce que pour des raisons financières. Et surtout, elles se donnent le maximum de chances pour que leurs effectifs ne diminuent pas. Une date fatidique pourtant : le 15 janvier 2010, elles devront remonter au ministère leurs fichiers informatiques d’étudiants inscrits (procédure SISE) ; elles s’y soumettent car leur financement en dépend ; celui-ci dépend presque encore exclusivement du nombre d’étudiants inscrits dans tel ou tel type de filière.

Des chiffres ! Tout le monde est avide de chiffres. Les sondages se multiplient dans le pays. Il s’ensuit de grandes contradictions en matière statistique. Il faut du temps pour produire les “vrais chiffres”, des chiffres rigoureux, de multiples fois vérifiés. Malheureusement, l’opinion publique, formatée par de nombreux médias, ne veut pas attendre : elle veut connaître quasiment en temps réel une situation pourtant non stabilisée.

La pression de cette opinion et de certains médias oblige les parties prenantes à fournir des chiffres, à entrer dans un jeu classique de confrontations. La ministre donne des chiffres dans sa conférence de rentrée : “la diminution des effectifs est limitée” (cliquer ici). L’UNEF joue son rôle d’opposant patenté : “la diminution des effectifs est plus importante que la ministre ne le dit” (cliquer ici). Les présidents sauvent les meubles : “on ne constate pas de chute des effectifs ; il y a même des progressions dans certaines filières”. On n’imagine pas un président déclarant le contraire : ce serait suicidaire pour lui et pour son université ! Les chiffres qui circulent aujourd’hui font partie d’une communication politique. Il faut les oublier, considérer qu’ils n’existent pas et attendre quelques mois pour savoir ce qu’il en est réellement. Patience !

La communication politique et médiatique ne fait pas dans la rigueur statistique. Elle mélange des choux (le nombre total d’inscrits) et des carottes (le nombre de bacheliers 2009 en train d’entrer en 1ère année de licence universitaire). Elle préfère parler des choux ; ils sont gros et peuvent cacher les carottes. Un peu de démographie cependant : les phénomènes démographiques ne se déforment que lentement. Chacun peut imaginer que les effectifs d’une université peuvent augmenter plusieurs années de suite alors que le nombre de néo-entrants en 1ère année, immédiatement après le bac, diminue.

Ce 23 septembre 2009, la seule possibilité est donc d’investiguer les données statistiques sur les années passées, les tendances observées. Elles sont issues de la statistique publique, de la DEPP. La dernière année connue et publiée est 2008-2009. Repères et Références statistiques, édition 2009, est paru début septembre (cliquer ici) et c’est une mine d’informations chiffrées, incluant des comparaisons sur plusieurs années, voire plusieurs décennies. Il faut goûter notre plaisir : ces Repères et Références existent encore. Peut-être viendra un jour le temps de leur disparition : il faut se rappeler que les statisticiens de la DEPP ont été malmenés depuis un an (cliquer ici). Le temps est peut-être proche d’une statistique politique en lieu et place d’une statistique scientifique indépendante du pouvoir politique.

1. Les effectifs inscrits dans les universités diminuent. Cela est prouvé au niveau national (cliquer ici) et dans les régions qui osent publier des données (cliquer ici). Les universités contrecarrent cette tendance, en particulier depuis la création du LMD en 2002, en laissant exploser l’offre de formation : elles multiplient le nombre de diplômes pour attirer les étudiants, pour éviter la diminution des effectifs. Conséquence : le nombre d’étudiants par diplôme diminue, augmentant mécaniquement la dépense par étudiant (un exemple parmi d’autres).

2. Les effectifs de bacheliers entrant à l’université diminuent (cliquer ici). Pourquoi une inversion de tendance aurait-elle lieu cette année ? A cause des succès de la politique de la ministre ? Orientation active, Plan Licence, augmentation apparente du nombre de boursiers (cliquer ici). Ou, paradoxalement à cause du mouvement de 2009 (cliquer ici) ? Pour cette rentrée, les données d’admission post-bac (1er voeu choisi par les futurs bacheliers) confirmaient la tendance à la baisse des souhaits d’inscription dans les universités (cliquer ici).

3. Les bacheliers entrant dans l’enseignement supérieur font de plus en plus l’objet de procédures de sélection (cliquer ici). Environ 2/3 des bacheliers 2009 sont passés par cette procédure ou vont y passer (cas des étudiants de médecine et de pharmacie qui vont être confrontés à la sélection en fin de 1ère année). Les universités sont maltraitées, ne bénéficient pas d’une égalité de traitement de la part des pouvoirs publics. Elles se sont impliquées dans l’orientation active (cliquer ici) ; elles devraient, comme les autres filières d’enseignement supérieur, être autorisées à faire une l’orientation prescriptive. Les universités ne sont-elles pas libres et responsables de par la loi LRU ?

4. L’objectif consensuel, à droite comme à gauche, est de parvenir à “50% de diplômés du supérieur dans les générations de jeunes”. On en est encore loin ; le taux est même en train de diminuer. Pour y parvenir, il faudra une réforme explosive : créer des lycées régionaux d’enseignement supérieur (LRES) préparant au 1er cycle de l’enseignement supérieur, le cycle licence, LRES indépendants des lycées (qui perdraient donc leurs classes supérieures, les CPGE et les STS) et des universités dont l’enseignement commencerait au master et se poursuivrait éventuellement, pour certains étudiants, en doctorat. Ceci est une autre histoire : elle espère animer les débats sur ce blog pendant de longs mois. Une première mouture de cette réforme (cliquer ici).