Troisième chronique sur les Instituts d’Enseignement supérieur (IES). La deuxième chronique montrait que la création d’un nouveau type d’établissement, prenant en charge la première étape de l’enseignement supérieur, avait un précédent dans l’histoire. Les collèges des Jésuites, dès le milieu du 16ème siècle, s’étaient appropriés, aux dépens des universités, les enseignements du quadrivium et du trivium conduisant au baccalauréat, premier grade universitaire. Napoléon a institutionnalisé cette étape par la création des lycées. La recréation des universités à la fin des 19ème n’y a rien changé : les universités jusqu’aux années 60 du 20ème siècle préparent à deux grades (la licence et le doctorat).
La chronique d’aujourd’hui revient sur les 4 occasions historiques manquées de créer un établissement public d’enseignement supérieur nouveau, prenant place entre le lycée et l’université, pour former et diplômer à bac+3, pour prendre en charge le cycle licence. Ces 4 occasions manquées se situent en 1959, 1966, 1968 et 2002.
Avant d’y venir, il est nécessaire de faire un retour en arrière pour expliquer la naissance et la diffusion des Classes préparatoires aux grandes écoles (CPGE). Quand les universités sont recréées à la fin du 19ème, les classes préparatoires scientifiques existent dans le paysage de l’enseignement supérieur ; elles sont même déjà séculaires !
Dans son beau texte de 2003, Bruno Belhoste analyse l’histoire des classes prépas. Elles préparent aux concours d’entrée dans les Grandes Ecoles des Armes et ce dès le 18ème siècle (Génie, Artillerie et Marine). Les candidats aux concours se préparent dans des établissements spécialisés, les collèges congrégationnistes et “les universités n’accordant que peu de place à l’enseignement des mathématiques. “C’est la Révolution française qui va étendre le système de recrutement des armes savantes à l’ensemble des administrations techniques, en créant l’École polytechnique”… ”Les candidats au concours de la nouvelle école ne disposent d’aucun lieu de préparation. Très vite, les professeurs de mathématiques des écoles centrales, ouvertes dans chaque département en 1795, s’efforcent de pallier ce manque”.
“Dans presque chaque lycée départemental, à partir de 1802, il existe une classe dite de mathématiques transcendantes, rebaptisée en 1809, classe de mathématiques spéciales. La vocation de ces classes devient aussitôt la préparation au concours de l’École polytechnique. On peut dire alors que les classes préparatoires sont nées”.
Qui enseigne dans ces classes ? “La création d’une agrégation de sciences en 1808, pour laquelle est organisé un véritable concours dès 1821 et sa spécialisation en mathématiques et en sciences physiques en 1840, ainsi que l’ouverture de l’École normale en 1809 assure la formation et le recrutement de ces professeurs”. Les classes préparatoires ont désormais un corps professoral, composé d’agrégés. Elles se donneront en 1914 une association de défense et de lobbying, la Société des Agrégés.
“C’est sous la IIIe République, entre 1880 et 1914, que le système des classes préparatoires scientifiques prend le visage qu’il va conserver presque sans changements jusqu’aux années 1970. On peut estimer qu’à la fin du XIXe siècle, ce système accueille et forme environ 10.000 élèves. Ce chiffre ne sera pas dépassé avant les années 1960″… “Les professeurs de spé forment une sorte d’aristocratie enseignante au sein des lycées, se séparant nettement de leurs collègues des classes inférieures”… “Tout naturellement, vers 1900 les enseignants du supérieur commencent à revendiquer pour eux la préparation aux grandes écoles. Cette revendication, qui reviendra souvent au cours du XXe siècle, n’aboutit pas, car elle se heurte à l’opposition conjuguée des grandes écoles et des professeurs des classes préparatoires”.
Les classes préparatoires littéraires (préparation au concours de l’Ecole normale supérieure, sont beaucoup plus récentes que les prépas scientifiques. “Elles pèsent peu au point de vue numérique avant les années 1960″. Et c’est seulement après 1970 que les classes préparatoires économiques et commerciales, prépas à HEC, se multiplient. “Leur croissance a été fulgurante à partir de 1980″.
1959. Le général De Gaulle est revenu au pouvoir. Redonner sa place à la France exige d’élever le niveau de qualifications de la population. Le moyen d’y parvenir selon la planification à la française : faire accéder davantage de jeunes dans l’enseignement supérieur, mais dans un nouveau type d’enseignement supérieur, un enseignement professionnel court destiné à former des techniciens supérieurs. En dix ans, De Gaulle va profondément modifier et restructurer l’enseignement supérieur. Chronique : “Charles : orientez !“.
Les sections de techniciens supérieurs (STS) sont créées en 1959. Dans quel lieu ? Dans un établissement nouveau ? Non ! Dans l’université ? Non ! C’est une solution de facilité qui est retenue : les STS sont créées dans les lycées ; dans certains lycées, elles vont cotôyer les CPGE. 1959, la première occasion ratée de créer un nouvel établissement d’enseignement supérieur (un IES !) intégrant dans un même lieu une voie “longue” (classes préparatoires aux grandes écoles et à l’université) et une voie professionnelle courte en 2 ans pour la préparation aux besoins du marché du travail.
1966. Création des IUT (bac+2) et de la maîtrise (bac+4), un an après la licence. Les universités par l’accueil des IUT en leur sein s’ouvrent à l’enseignement supérieur professionnel court. Les STS sont annoncées “en extinction”, au fut et à mesure de la création de départements d’IUT ; les effectifs d’élèves dans les STS commencent effectivement à baisser. Pourquoi ne pas avoir à cette date, puisque les études universitaires se voyaient désormais dotées de 3 cycles et que la population étudiante connaissait une première progression significative, autonomisé le premier cycle dans un établissement distinct, intégrant les CPGE, les STS et IUT fusionnés ? 2ème occasion historique manquée.
1968 et sa conséquence : la réforme d’Edgar Faure (chronique : “Charles en 1968“). 3ème occasion historique manquée : pourquoi ne pas avoir alors créé ades établissements de premier cycle d’enseignement supérieur, intégrant les CPGE, les STS et IUT fusionnés et le premier cycle universitaire de deux années ? Au contraire, c’est une solution désastreuse qui a été retenue, celle de la possible création de plusieurs universités dans une même métropole, seul moyen, effectivement, de ne pas avoir des méga-universités de plusieurs dizaines de milliers d’étudiants. L’illisibilité de la carte universitaire française s’en est suivie. Elle demeure encore aujourd’hui.
La population étudiante poursuit sa progression dans les années 70. Le début des années 80 accroît le surréalisme de l’enseignement supérieur français. Les STS, dont la mise en extinction était prévue, rebondissent et s’étendent grâce à la première loi de décentralisation, celle de 1982, qui transfère la compétence des lycées aux régions. L’éclatement de l’enseignement supérieur est désormais inscrit dans le territoire : toute ville petite ou moyenne veuit avoir ses STS, ou ses départements d’IUT, ou même son IUT de plein exercice. Il n’y a plus de pilote pour maîtriser la “carte” de l’enseignement supérieur.
2002 et la réforme LMD. La progression des effectifs étudiants inscrits dans l’ensemble de l’enseignement supérieur (dont les CPGE, les STS et les IUT) se ralentit à partir du milieu des années 90. Les universités font face, depuis cette date, à une diminution de leurs effectifs (chronique : “Ils fuient l’université“). La réforme LMD instaure un premier cycle de 3 ans, la licence. Pourquoi ne pas avoir alors pensé – 4ème occasion historique manquée – à créer des Instituts d’Enseignement Supérieur pour prendre en charge ce premier cycle de licence, IES intégrant un cycle de formation préparatoire aux Grandes écoles et aux Universités et un cycle de formation professionnelle de 3 ans (et non plus de deux).
Les années 2010 – 2012 seront-elles une 5ème occasion manquée de créer l’Institut d’Enseignement Supérieur, entre le lycée et l’université ? Quoi qu’on en pense, la carte universitaire est en train de se modifier profondément : Pôles de recherche et d’enseignement supérieur, fusions d’universités comme à Strasbourg, Plan Campus et maintenant financement de 5 à 10 Campus d’excellence par l’emprunt national (chronique : “11 milliards d’euros“).
Les campus d’excellence ne peuvent pas, ne doivent pas porter le fardeau d’un premier cycle universitaire – la licence – définitivement affaibli. Certes, il me semble stupide politiquement de ne vouloir créer que 5 à 10 campus d’excellence ; il faut une vingtaine d’universités en France pour former par la recherche les étudiants en master et en doctorat (j’y reviendrai bien évidemment).
Pour sauver le premier cycle universitaire, il faut l’intégrer, aux côtés des CPGE, des STS et DUT fusionnés, dans un établissement nouveau et à part, l’IES. Pour démocratiser l’accès à l’enseignement supérieur et faire progresser jusqu’à 50% des jeunes des nouvelles générations l’obtention d’un diplôme de l’enseignement supérieur, l’IES est la seule solution rationnelle. Il est temps d’y réfléchir sérieusement.
Et tant pis si les lobbies montent tout de suite au créneau pour s’y opposer, lobby des directeurs d’IUT, lobby des professeurs agrégés de CPGE et de STS, lobby des grandes écoles qui ont des classes prépas intégrées. Prochaine chronique destinée à questionner ces lobbies : les points faibles des CPGE, des STS et des DUT.