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Stéphan Bourcieu

Classements et groupes stratégiques

Le début du mois de novembre est traditionnellement la période des prix littéraires… et des classements des Grandes Écoles de management. Comme chaque année, c’est le Palmarès des Grandes Écoles de L’Étudiant qui ouvre le bal. Étant doublement partie prenante (école classée et blogueur Educpros), je ne commenterai évidemment pas dans ce post les résultats de ce classement.

Toutefois, en qualité d’enseignant-chercheur en management stratégique, je ne peux m’empêcher de m’intéresser à la méthodologie de ce Palmarès. Car après tout, un tel classement est le résultat d’une analyse stratégique d’un secteur d’activité concurrentiel. À ce titre, trois points du Palmarès méritent d’être soulignés concernant les évolutions récentes de notre secteur et leurs conséquences sur la méthodologie du classement :

Deux dimensions clés

En premier lieu, il faut noter la stabilité dans le temps des dimensions clés du Palmarès. Depuis plusieurs années, il se décompose en deux sous-classements : l’excellence académique et la reconnaissance par les entreprises. Ces deux dimensions sont considérées comme celles ayant le plus d’impact par L’Étudiant, même s’il faut préciser qu’elles intègrent largement une troisième dimension, à savoir l’international (professeurs internationaux, double-diplômes accrédités, partenaires étrangers, rayonnement dans la presse internationale ou encore pourcentage de diplômés travaillant à l’étranger, soit 40 coefficients sur 200 dédiés à l’international).

L’évolution vers des ratios

Jusqu’à présent, L’Étudiant qualifiait la dimension académique à partir de données prises en valeur absolue (nombre de professeurs permanents, nombre d’étoiles CNRS”, etc.).

Cette année, il faut souligner que la méthodologie de L’Étudiant connaît une évolution importante (et lourde de conséquences), avec l’introduction de ratios pour analyser la ressource clé que constitue le corps professoral :
Encadrement groupe (coef. 10) : nombre d’élèves par professeur permanent, à l’échelle du groupe,
Productivité de la recherche (coef. 5) : nombre des “équivalents étoiles” attribués aux articles de recherche par les professeurs permanents.

Pourquoi une telle (r)évolution ? On peut penser que les phénomènes actuels de concentration des Grandes Écoles de management (Skema hier, Kedge et FBS aujourd’hui, RMS-RBS demain) n’y sont pas étrangers. En effet, ces fusions conduisent à des ensembles de taille importante, additionnant les professeurs, les “étoiles CNRS” et les élèves et feraient presque passer les Grandes Écoles parisiennes (HEC, ESSEC, ESCP, etc.) pour de petites écoles, par la taille tout du moins.

L’introduction de ratios fondés sur le nombre de professeurs permanents permet de rétablir l’équilibre entre la ressource disponible et son usage effectif. Avec une telle approche, ce ne sont pas les écoles les plus grosses par la taille qui l’emportent, mais bien les mieux dotées financièrement.

L’identification de groupes stratégiques

Enfin, pour la troisième année consécutive, le palmarès a recours à la notion de groupes stratégiques pour établir une hiérarchie des écoles. Les groupes stratégiques sont définis comme des “sous-ensembles de concurrents partageant des caractéristiques stratégiques similaires et stables dans le temps et de distinguant d’autres groupes aux caractéristiques différentes.” *

L’Étudiant distingue ainsi trois groupes stratégiques indépendants (voir le mapping élaboré par le magazine) :
Groupe 1 “l’Elite”, est composée de 5 écoles “ayant une large avance sur tous les critères”,
Groupe 2 “les Incontournables”, qui regroupe 15 écoles “bien connues des étudiants et des recruteurs, installées dans des grandes villes et qui ont les moyens leur permettant de disposer de campus confortables”,
Groupe 3 “les Valeurs sûres”, qui rassemblent 16 écoles “plus accessibles et plus performantes sur l’aspect professionnel que sur l’aspect académique.”

Il faut noter que, sur la base des Palmarès 2010, 2011 et 2012, il ressort que ces trois groupes sont finalement assez stables dans le temps.

Le recours au concept de groupes stratégiques facilite pour un candidat l’identification des écoles présentant des caractéristiques comparables et donc susceptibles d’être en concurrence directe. Mais surtout, il relativise la notion de hiérarchie au sens strict.

Autant la hiérarchie inter-groupes existe (ce sont les groupes stratégiques) et est relativement peu discutée, à l’exception probablement des écoles qui s’estiment à la frontière entre deux groupes. Autant la hiérarchie intra-groupe pourra fluctuer en fonction des priorités des étudiants :
• Les groupes stratégiques (et plus encore leur représentation graphique) montrent qu’il est illusoire de considérer qu’il existe des différences majeures entre une école classée 14ème et une école classée 15ème sur la seule base du classement général,
• En revanche, il peut exister des différences importantes entre ces deux mêmes écoles sur des critères précis, qui font que la première aura par exemple une expertise plus grande en marketing tandis que la seconde sera beaucoup mieux reconnue dans les métiers de la finance,
L’Étudiant souligne également qu’au sein d’un même groupe stratégique “d’autres facteurs entrent en ligne de compte : les parcours proposés, la ville ou l’ambiance.”

On peut penser que cette approche par les groupes stratégiques devrait amener les étudiants à réfléchir moins en termes de classements que de spécificités des écoles. Autant d’éléments qui devraient inciter ces dernières à raisonner en matière de différenciation plutôt que de course à la taille.

* Garrette Bernard, Pierre Dussauge et Rodolphe Durand (coord.), “STRATEGOR”, (2009), p. 107

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Stéphan Bourcieu

Feu à volonté

Il y a dix huit mois sur ce même blog, j’évoquais l’intention du Texas, après l’Utah et le Colorado, d’autoriser le port d’armes à feu sur les campus universitaires. Avec le Mississippi, l’Oregon et le Wisconsin, ce sont désormais cinq États américains qui ont adopté une loi légalisant le port d’armes sur les campus.

Espérons simplement que les étudiants ne se trouveront pas des vocations de Billy the Kid des amphithéâtres, pour éviter d’avoir à transformer nos professeurs en Wyatt Earp.

Pour en savoir plus : http://www.ncsl.org/issues-research/educ/guns-on-campus-overview.aspx

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Stéphan Bourcieu

Diffusons notre capital intellectuel

Chicago Booth, la Business School de l’Université de Chicago, a récemment créé un poste de directeur du capital intellectuel, confié à un ancien journaliste du Financial Times, Hal Weitzman. Sa mission sera de promouvoir les recherches académiques auprès de la communauté des affaires et de publics variés (anciens, étudiants, etc.).

Comme je l’avais exprimé il y a un an sur ces mêmes pages, je suis convaincu que les enseignants-chercheurs en management doivent jouer un rôle plus important auprès de la Société en matière de compréhension des pratiques de gestion des entreprises. Au cours des trente dernières années, les entreprises ont en effet pris une place prépondérante dans notre environnement*, sans pour autant que tous les citoyens soient à même d’en comprendre les objectifs et les comportements**.

Pour autant, la diffusion par les enseignants-chercheurs de leurs travaux sur les pratiques se borne encore trop souvent aux seules publications scientifiques (pour des raisons évidentes d’évaluation, des chercheurs comme des institutions). Cette dimension est certes importante, mais beaucoup trop réductrice, en particulier dans un champ tel que le management des entreprises qui intéresse de nombreuses communautés :

• La publication scientifique est essentielle pour s’assurer du sérieux d’une recherche en la confrontant à l’évaluation des pairs. Elle permet également de diffuser les résultats et de faire progresser les connaissances de la communauté scientifique.

• La publication dans des revues « intermédiaires » (Harvard Business Review, L’Expansion Management Review) permet de toucher la communauté économique (dirigeants, managers, consultants) mais également d’apporter un support intéressant pour la communauté pédagogique : d’une lecture plus accessible que les publications scientifiques à proprement parler, ces revues font d’excellents supports pédagogiques à destination des étudiants.

• Enfin, la publication de tribunes dans la presse (largement amplifiée par les supports numériques tels que Le Huffington Post, Le Cercle Les Echos ou Lemonde.fr) sert les besoins croissants de la Société dans son ensemble de mieux comprendre le rôle et le fonctionnement des entreprises.

Dans cet esprit, mon institution encourage depuis deux ans avec succès la publication de tribunes dans la presse par les enseignants-chercheurs, mais également par les étudiants.

L’initiative de Chicago Booth ne peut que nous conforter dans cette voie d’une diffusion large des travaux scientifiques en management à destination de l’ensemble des acteurs de la Société. Peut-être cette décision d’une des meilleures Business Schools au monde contribuera-t-elle également à faire évoluer les critères d’évaluation des institutions comme des enseignants-chercheurs, pour mieux prendre en compte leur « contributions à la communauté » comme disent les anglo-saxons.

* Sur les 21 journaux télévisés du 20h de France 2 diffusés au cours des trois premières semaines de septembre, près de 14 minutes ont en moyenne traités de sujets directement relatifs aux entreprises.
** Jean Peyrelevade publiera à l’automne dans la revue Commentaire un article consacré aux raisons historiques du peu d’intérêt pour les questions économiques. Parmi les principales thèses exposées, le banquier considère le rôle de la déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen qui met plus l’accent sur l’égalité que sur la liberté (source : L’Express n°3194 du 19 septembre 2012).

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Stéphan Bourcieu

Coup de chapeau

Dans son dernier numéro, Challenges adresse un satisfecit au nouveau directeur général de l’ESCP Europe pour la deuxième place récemment obtenue par son institution dans le classement annuel des Business Schools européennes du Financial Times.

Plus qu’à Edouard Husson, nouvellement nommé (et à qui je souhaite de franchir la dernière marche dans les années à venir), c’est à Pascal Morand, son prédécesseur, que je voudrais adresser ce coup de chapeau. A la tête de l’ESCP Europe durant six ans, il a su renforcer sa dimension européenne et internationale. Le classement du FT est une belle reconnaissance de son travail et de celui de ses équipes.

Chapeau bas Pascal et bon vent à la tête de l’Institut de la Compétitivité.

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Stéphan Bourcieu

Les mille milliards de dette des enfants américains

Dans ce contexte de campagne à l’élection présidentielle française et alors que le candidat sortant propose la création d’une banque de la jeunesse, c’est une information venue des États-Unis qui interpelle. Selon USA Today, citant la Federal Reserve Banque of New York et le Département de l’Education (1), la dette cumulée des étudiants américains a atteint cette année les… 1 000 milliards de dollars : une dette sans commune mesure avec celle de la Grèce (395 milliards de dollars) (2) et proche de celle de l’Espagne (1 016 milliards de dollars) ! A titre de comparaison, si vous aviez emprunté un million de dollars par jour depuis la naissance du Christ, votre endettement total (hors intérêts) n’excéderait pas 734 milliards de dollars.

Dans un pays où l’enseignement supérieur est largement financé par les étudiants, y compris dans les universités publiques, ce chiffre vertigineux pourrait ne pas surprendre. Pourtant, il a doublé au cours des cinq dernières années en raison de l’explosion de la dette dans les différents états comme au niveau fédéral. Face à la baisse des subventions publiques, les universités ont dû augmenter fortement leurs droits de scolarité. Malgré un endettement abyssal dépassant les 11 917 milliards de dollars (37 952 dollars par habitant, soit le tarif moyen d’une année de MBA), l’Etat américain n’a donc pas su investir dans sa jeunesse et a fait peser sur ses épaules le poids de la formation, jusqu’à atteindre un niveau désormais insupportable. L’arrestation de 36 étudiants lors d’une manifestation devant le siège de l’organisme de prêt étudiant Sallie Mae (3) à Washington le 26 mars dernier montre le niveau d’inquiétude qui gagne une jeunesse surendettée et inquiète pour son avenir.

Cette situation nous renvoie à nos propres interrogations sur la place que nous souhaitons donner à l’enseignement supérieur en France pour les années à venir. Quelle pérennité pour un modèle de fonctionnement jusqu’ici largement financé sur fonds publics dans un contexte de crise de la dette souveraine ? Si les principaux candidats à la présidentielle font preuve d’une relative discrétion sur le sujet, de nombreuses propositions émanent de la société civile (4), telles que :
– la transformation de la demi-part fiscale, antiredistributive, en crédit d’impôt formation supérieur (proposition de la CPU),
– la mise en place de prêts d’honneur ou de cautions aux prêts apportés par les écoles (CGE),
– le remboursement de prêts indexés sur les revenus imposables ultérieurs (CPU), donnant droit à un crédit d’impôt sous réserve que le diplômé travaille en France pendant cinq ans (Cdefi),
– ou encore l’augmentation du financement de l’enseignement supérieur d’un point de PIB, soit 20 milliards d’euros à répartir entre familles, entreprises et Etat (CGE).

Et vous, qu’en pensez-vous ?

Pour en savoir plus : “Trillion dollar baby : les mille milliards des enfants américains“, tribune publiée le 13 avril 2012 sur Le Huffington Post.

(1) “Student loans outstanding will exceed $1 trillion this year“, Dennis Cauchon, USA Today, 25 octobre 2011.
(2) The Economist. www.economist.com/content/global_debt_clock
(3) “Students protest debt as student loan debt collectors make a billion”, Common Dreams, www.commondreams.org, 26 mars 2012.
(4) Olivier Rollot, “Présidentielles : universités et grandes écoles présentent leurs programmes”, Le Blog HEADway, www.headway-advisory.com, 27 mars 2012.

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Stéphan Bourcieu

“Trillion dollar baby” : les mille milliards des enfants américains

Au moment où le candidat sortant à l’élection présidentielle française propose la création d’une banque de la jeunesse, c’est une information venue des États-Unis qui interpelle. Selon USA Today, citant la Federal Reserve Banque of New York et le Département de l’Education (1), la dette cumulée des étudiants américains a atteint cette année les… 1 000 milliards de dollars : une dette sans commune mesure avec celle de la Grèce (395 milliards de dollars) (2) et proche de celle de l’Espagne (1 016 milliards de dollars) ! A titre de comparaison, si vous aviez emprunté un million de dollars par jour depuis la naissance du Christ, votre endettement total (hors intérêts) n’excéderait pas 734 milliards de dollars.

Dans un pays où l’enseignement supérieur est largement financé par les étudiants, y compris dans les universités publiques, ce chiffre vertigineux pourrait ne pas surprendre. Pourtant, il a doublé au cours des cinq dernières années en raison de l’explosion de la dette dans les différents états comme au niveau fédéral. Face à la baisse des subventions publiques, les universités ont dû augmenter fortement leurs droits de scolarité. Malgré un endettement abyssal dépassant les 11 917 milliards de dollars (37 952 dollars par habitant, soit le tarif moyen d’une année de MBA), l’Etat américain n’a donc pas su investir dans sa jeunesse et a fait peser sur ses épaules le poids de la formation, jusqu’à atteindre un niveau désormais insupportable. L’arrestation de 36 étudiants lors d’une manifestation devant le siège de l’organisme de prêt étudiant Sallie Mae (3) à Washington le 26 mars dernier montre le niveau d’inquiétude qui gagne une jeunesse surendettée et inquiète pour son avenir.

Cette situation nous renvoie à nos propres interrogations sur la place que nous souhaitons donner à l’enseignement supérieur en France pour les années à venir. Quelle pérennité pour un modèle de fonctionnement jusqu’ici largement financé sur fonds publics dans un contexte de crise de la dette souveraine ? Si les principaux candidats à la présidentielle font preuve d’une relative discrétion sur le sujet, de nombreuses propositions émanent de la société civile (4), telles que :
– la transformation de la demi-part fiscale, antiredistributive, en crédit d’impôt formation supérieur (proposition de la CPU),
– la mise en place de prêts d’honneur ou de cautions aux prêts apportés par les écoles (CGE),
– le remboursement de prêts indexés sur les revenus imposables ultérieurs (CPU), donnant droit à un crédit d’impôt sous réserve que le diplômé travaille en France pendant cinq ans (Cdefi),
– ou encore l’augmentation du financement de l’enseignement supérieur d’un point de PIB, soit 20 milliards d’euros à répartir entre familles, entreprises et Etat (CGE).

Et vous, qu’en pensez-vous ?

Pour en savoir plus : “Trillion dollar baby : les mille milliards des enfants américains“, tribune publiée le 13 avril 2012 sur Le Huffington Post.

(1) “Student loans outstanding will exceed $1 trillion this year“, Dennis Cauchon, USA Today, 25 octobre 2011.
(2) The Economist. www.economist.com/content/global_debt_clock
(3) “Students protest debt as student loan debt collectors make a billion”, Common Dreams, www.commondreams.org, 26 mars 2012.
(4) Olivier Rollot, “Présidentielles : universités et grandes écoles présentent leurs programmes”, Le Blog HEADway, www.headway-advisory.com, 27 mars 2012.

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Stéphan Bourcieu

La stratégie des écoles de management à la croisée des chemins

Dans les marchés matures, lorsque la croissance s’essouffle, on observe généralement une double évolution de la stratégie d’offre produit à partir de la même gamme initiale :
• d’une part, des produits qui répondent à une sophistication des usages, ce qui entraine une augmentation des prix ;
• de l’autre, des produits qui répondent à une popularisation des usages avec un abaissement continu des prix.
La part de marché des produits haut de gamme et celle de l’offre compétitive sont en croissance au détriment, parfois très fort, du marché initial, de milieu de gamme.

Sur les marchés matures, on observe des prix qui continuent de baisser pour les entreprises qui suivent des stratégies de compétitivité et, à l’inverse, des prix qui peuvent monter fortement pour les concurrents qui suivent des stratégies de différenciation fondées sur des segmentations fines. Les écarts de prix se font alors selon des rations élevés : ils traduisent les différentes stratégies entre concurrents. Seules l’option de la compétitivité prix et de la recherche de volume ou l’option de la différenciation sont des positionnements profitables et pérennes. Le non-choix (stuck in the middle, pour reprendre l’analyse de Porter) peut être coûteux car il répond plus au marché, incapable de répondre aux attentes des consommateurs du segment compétitif en termes de prix, pas plus que de répondre à celles du segment premium en terme de différenciation.

1. Les écoles à la croisée des chemins
Après avoir connu une croissance forte et ininterrompue au cours de la décennie écoulée, le développement des Programmes Grandes Ecoles (PGE) dans les écoles de management semble avoir atteint un plafond depuis 2010. Contrecoup de la crise ? Effets défavorables de la démographie dans les classes préparatoires ? Concurrence accrue des IEP, de l’université et des formations internationales ? Les raisons invocables ne manquent pas. Toujours est-il qu’après dix années exceptionnelles, les inscriptions aux concours des écoles de management (BCE) sont en légère baisse tandis que les admissions parallèles progressent, mais à un rythme moins élevé que par le passé. Le secteur, au niveau de son marché national, a ainsi atteint à un certain degré de maturité.
Dans un secteur économique traditionnel, cette arrivée à maturité se traduirait donc par une double évolution, telle que mentionnée ci-dessus, avec d’un côté une offre compétitive, centrée sur les coûts (assortie généralement de phénomène de croissance des entreprises et/ou de fusions afin d’accroître la taille critique et la capacité à générer des économies de coûts – l’actualité du rapprochement entre Peugeot et General Motors nous en donne un exemple parlant) et de l’autre, une offre différenciée. Sur le marché des PGE, on constate depuis quelques temps de tels rapprochements entre concurrents. Initiés par le CERAM et l’ESC Lille en 2009, qui a abouti à la création de SKEMA, ces projets de fusion se multiplient depuis quelques mois avec l’annonce du projet France Business School, le rapprochement entre Bordeaux Ecole de Management et Euromed Marseille ou encore celui annoncé entre Reims Management School et Rouen Business School. Parallèlement on assiste à une volonté des écoles d’augmenter significativement la taille de leurs effectifs (comme j’avais eu l’occasion de le constater dans un précédent post sur le syndrome de la sarisse). Toutes les caractéristiques d’un marché mature sont donc réunies, à quelques points près.

2. La domination par la taille plus que par le coût
La croissance de la taille des PGE observée dans les écoles de management vise-t-elle à améliorer la compétitivité par les coûts, comme cela se produit dans des secteurs traditionnels ? Certes, la croissance des effectifs permet d’amortir les coûts fixes sur un nombre plus important d’élèves. Pour autant, il n’est pas certain que les fusions soient génératrices d’économies d’échelle importantes comme le rappelait justement la directrice d’une institution pilote dans ce domaine (Li, 2011). D’autant plus que dans les cas évoqués, les fusions portent sur différents sites, ce qui ne facilite pas de telles économies d’échelles.
Et quand bien même ces économies d’échelle viendraient-elles à se réaliser, il n’est pas évident que cela ait un impact direct sur le marché. En effet, la compétitivité par les prix n’est pas un facteur dominant sur le marché des PGE. Si tel avait été le cas, une école comme Télécom Ecole de Management (TEM) (900 euros annuels de droits de scolarité en 2002 contre 5000 à 6000 euros pour la moyenne des ESC à cette époque) se serait imposée comme le leader du marché, ce qui n’a pas été le cas.
De fait, la volonté de croissance dans les écoles de management (qu’il s’agisse de croissance interne ou externe) n’a pas nécessairement pour objet la domination par les coûts, mais plus une recherche de domination par la taille en tant que telle. Celle-ci vise à répondre, entre autres, aux enjeux suivants :
• L’atteinte de la taille critique dans les activités académiques (taille critique du corps professoral pour couvrir l’ensemble des champs du management ; pour répondre à des appels d’offre de recherche).
• L’effet de taille dans les critères de classement des institutions (dans la presse, dans le classement de Shanghai).
• La taille critique pour être un acteur plus crédible vis-à-vis de partenaires académiques internationaux, souvent organisés sur le modèle universitaire et, de fait, raisonnant à une autre échelle que celle de la seule business school.

3. Quelles formes de différenciation ?
L’avantage concurrentiel d’un produit par la différenciation, quelle qu’en soit la nature, doit être significatif, défendable sur le long terme et économiquement viable. Le marché des PGE s’est caractérisé tout au long de la dernière décennie par une offre relativement indifférenciée, quoi que l’on en puisse en dire. On retrouve en effet des structures de programmes assez similaires, marquées par une forte ouverture internationale, un lien avec les entreprises (via les stages, l’apprentissage, les enseignements, etc.), une intégration progressive des enseignements d’ouverture, une pédagogie participative fondée sur les études de cas, etc. Seuls les dosages sont susceptibles de varier d’une institution à l’autre.
Sur le fond, peu d’éléments ont, par le passé, été réellement différenciant et permis à une école de se distinguer dans la durée. Citons la délivrance par l’ESSEC d’un MBA au lieu d’un Diplôme de Master pour son PGE ou la forte orientation culture générale d’Audencia. Dans le premier cas, la différenciation n’a pas produit l’effet escompté. Elle n’a pas été perçue comme suffisamment significative pour créer une véritable rupture dans le comportement des consommateurs et plus encore dans celui des prescripteurs (professeurs de classes prépas, recruteurs, journalistes). Aucune autre école française n’a d’ailleurs suivi le mouvement enclenché par l’ESSEC. Dans le second cas, le caractère original de l’offre a effectivement été suffisamment significatif pour créer une vraie différenciation en faveur d’Audencia à un moment donné. En revanche, cette offre différenciée n’a pu être défendue à long terme : faute de barrières à l’entrée, nombre d’écoles de management ont pu à leur tour intégrer la culture générale dans leurs curriculums.
Certains, à l’instar de l’ESCP Europe ou plus récemment SKEMA, ont fait le choix d’une internationalisation forte en multipliant les campus en Europe ou dans le monde. On peut néanmoins s’interroger sur la finalité de la stratégie. S’agit-il de promouvoir une offre différenciée (en offrant la possibilité de faire un parcours multi-campus) ou bien d’aller au devant de nouveaux marchés ? Le recrutement très international de l’ESCP Europe comme l’ouverture d’une classe préparatoire aux Etats-Unis par SKEMA laissent penser que c’est vers la seconde option qu’il faut avant tout regarder.

Si le marché des PGE est arrivé aujourd’hui à maturité en France, et qu’il suit effectivement les règles concurrentielles observées dans d’autres secteurs (domination vs différenciation), la différenciation est amenée à prendre une place grandissante dans les années à venir. Quelles pourraient être les modalités de différenciation mobilisées par les écoles de management pour s’imposer sur leur marché ? Quels pourraient être les modèles apportant de la valeur supplémentaire à l’offre de PGE et permettant aux écoles opératrices de ces programmes de s’imposer sur le marché national ? Plusieurs pistes pourraient émerger, tant dans le renforcement d’offres existantes que dans des modèles plus innovants.

• La différenciation par la notoriété et la marque ?
C’est à ce jour l’axe de différenciation le plus développé dans les écoles de management. Il exerce d’ailleurs un rôle essentiel dans la structure du marché : un candidat ayant le choix entre différents PGE a tendance à décider d’abord sur la base de la notoriété et du classement avant de prendre en compte d’autres critères.
Cette notoriété est liée à l’évolution dans les classements, à l’obtention d’accréditations nationales et internationales, à la puissance des réseaux de diplômés, à la puissance du marketing (au niveau de l’institution comme du programme).
Si l’on suit certaines stratégies d’écoles, on peut penser que la différenciation par la notoriété pourrait être associée à la domination par la taille : la taille favoriserait une progression dans les classements ; lesquels classements exercent une influence directe sur la notoriété.

• La différenciation par la spécialisation de l’expertise ?
Peu d’écoles se sont historiquement engagées dans cette voie de la différenciation. Si beaucoup d’écoles revendiquent ou ont revendiqué d’être « l’école de… », dans les faits, les PGE restent très largement des programmes généralistes en management. Deux cas montrent la complexité d’une telle différenciation.
Au début des années 2000, INT Management (devenue TEM) s’était clairement positionné comme l’école des nouvelles technologies, en parfaite cohérence avec la dynamique des NTIC de l’époque et sa forte intégration avec l’école d’ingénieurs Télécom INT. Dans ses contenus comme dans ses expertises, le PGE d’INT Management était effectivement un programme spécialisé. Pour autant, cela n’empêchait pas les candidats attirés par les NTIC de privilégier une école moins en pointe sur cette expertise, mais bénéficiant d’une plus forte notoriété comme l’ont montré les résultats du SIGEM 2002. Cette stratégie de spécialisation a d’ailleurs été abandonnée en 2004 (AEF, 2004), l’école revenant sur un positionnement d’école généraliste en management.
Le second cas concerne la stratégie adoptée depuis plusieurs années par l’EDHEC, marquée par une très forte inflexion de son programme en finance de marché. Contrairement à INT Management du début des années 2000, la notoriété de cette école sur le marché français, comme la possibilité de suivre d’autres filières que la finance de marché, lui permettent certainement de se prémunir d’une perte d’attractivité vis-à-vis des candidats. Enfin cet investissement fort sur un domaine d’expertise lui permet surtout d’acquérir une attractivité internationale pour le recrutement de candidats et une réputation mondiale auprès des entreprises.

• La différenciation par le contenu des enseignements ?
Dans un article du 8 mars dernier, L’Etudiant fait parler les déçus des Grandes Ecoles de management. Ce post n’a pas pour objet de s’interroger sur les motivations d’un tel article (aucun article équivalent n’ayant par exemple été écrit sur les étudiants universitaires ou sur les élèves ingénieurs) ou son intérêt (vaut-il mieux entendre la petite minorité qui critique que la grande majorité qui en bénéficie ?), il n’en demeure pas moins que la pertinence des contenus doit être questionnée.
Le monde économique et les pratiques de management évoluent en effet très vite. Les enseignements de management arrivent-ils à rester en phase avec ces mutations ? Pour ce faire, les écoles exploitent plusieurs sources. D’une part, les intervenants professionnels sont mobilisés pour transmettre leur connaissance des pratiques d’entreprises. Avec les exigences croissantes de la part des accréditations de professeurs « académiquement qualifiés », l’intégration de ces intervenants professionnels se complexifie. D’autre part, la recherche doit permettre aux enseignants de maintenir à jour leurs connaissances, voire de contribuer à la construction de nouvelles pratiques managériales dans les entreprises. Se pose ici la question de la cohérence entre les enjeux managériaux et les recherches réalisées, mais également du transfert de ces travaux de recherche dans les enseignements, dont nous savons qu’il n’a rien d’évident comme je le rappelais dans un post récent.
L’autre question porte sur la finalité même des contenus enseignés. Historiquement les écoles de commerce avaient pour mission principale de former les équipes commerciales des entreprises. Au cours des trois dernières décennies, cette mission s’est élargie à l’ensemble des fonctions de l’entreprise. Le basculement de la dénomination « école de commerce » vers celle « d’école de management » à partir des années 90 est symptomatique de cette évolution. Les curriculum (qui abordent les grands thèmes disciplinaires et fonctionnels du management) comme les débouchés (dans toutes les fonctions de l’entreprise) confirment cette tendance. Cette approche est-elle toujours en phase avec les besoins des entreprises ? Les attentes des élèves ? Face à une demande croissante des entreprises de profils faisant preuve de personnalité, ayant une capacité d’implication et d’adaptation, etc., ne faut-il pas se poser la question d’un rééquilibrage des curriculum entre disciplines managériales et disciplines liées au leadership ?

• La différenciation par la pédagogie ?
Paradoxalement, l’une des voies possibles de différenciation pourrait reposer sur l’un des piliers de l’enseignement dans les business schools. En effet, l’un des atouts de la pédagogie des écoles de management réside normalement dans la mise en situation, par le biais des études de cas. Toutefois, tous les élèves ne parviennent pas à tirer parti de cette approche pédagogique, comme le rappelle Jessica Gourdon, toujours dans ce même article : « Quant aux études de cas, très utilisées en ESC, elles laissent certains sur leur faim. “On ne sait pas très bien ce qu’on apprend, on reste avec le sentiment que c’est du vent”, poursuit Anne ». Au delà des cas individuels, ces commentaires appellent sans doute à se reposer quelques questions clés sur la manière dont les écoles peuvent tirer parti de cette méthode pour donner de la valeur à leurs enseignements :
• le moment des études de cas. Les études de cas ont d’autant plus d’impact que lorsqu’elles font raisonner chez l’élève un vécu de l’entreprise. Elles ont donc tout leur sens dans un cycle Master (et plus encore après une année césure en entreprise). Elles sont sans doute plus difficiles à appréhender au sortir de deux années de classes préparatoires.
• l’animation des études de cas. Si elles se sont généralisées dans les écoles, est-on certain que tous les professeurs qui les exploitent soient qualifiés pour cela ? Les études de cas imposent une animation pédagogique particulière et de fait une qualification spécifique. Le renforcement de la formation à l’animation (et à l’écriture) de cas est essentiel pour accroître l’intérêt des élèves pour cette méthode.
• la production des études de cas. J’ai eu l’occasion d’évoquer cette question dans un post récent. Les études de cas sont d’autant plus pertinentes, et reconnues par les élèves, qu’elles sont issues du travail de recherche mené par les professeurs. Cela permet bien souvent de donner plus de sens et de profondeur aux contenus managériaux enseignés.
D’autres dimensions de la pédagogie sont sans doute susceptibles de porter une différenciation plus ou moins forte, voire de créer de véritables ruptures. Ainsi les enseignements en face-à-face seront-ils toujours la norme ? Avec l’arrivée croissante des jeunes issus de la génération Y (voire de la suivante, née avec l’internet 2.0), le basculement vers le tout numérique (annoncé à intervalles réguliers depuis maintenant deux décennies) ne va-t-il pas se faire plus naturellement et, de fait, remettre en cause le modèle pédagogique dominant ? Même si beaucoup d’institutions intègrent pas à pas la pédagogie numérique, aucune n’a basculé totalement et fait de cette dimension pédagogique un axe de différenciation fort à ce jour.

• La différenciation par la richesse de l’expérience ?
Parcours associatifs, activité entrepreneuriale (avec intégration dans un incubateur), séjours internationaux divers, tant académiques qu’en entreprises, rencontres avec des grands dirigeants, stages de cohésion et leadership en environnement hostile, etc., sont autant d’éléments d’enrichissement de l’expérience vécue par les élèves au sein d’une école de management. Quels pourraient être les éléments nouveaux susceptibles d’enrichir l’expérience vécue par les élèves et qui puissent leur apporter une réelle valeur ajoutée (et de manière suffisamment visible pour rendre le programme différencié) ?
Cette approche ne signifie pas nécessairement sophistiquer l’expérience en rajoutant de nouvelles activités. Dans le cas présent, la multiplication des expériences pourrait produire l’effet inverse, en rendant l’offre illisible et de fait peu attractive.

• La différenciation par les services à valeur ajoutée ?
L’un des avantages concurrentiels historiques des écoles de management réside dans l’accompagnement proposé aux élèves pour leur permettre de construire leur projet professionnel : stages, missions en entreprises dans le cadre des enseignements, suivi personnalisé dans l’élaboration de son projet, aide au placement, etc. Pour autant, le fait de proposer de meilleurs services que les écoles concurrentes est-il suffisant pour générer un réel avantage concurrentiel ?
Dans une période de crise économique, une offre de services à forte valeur ajoutée pourrait être positivement valorisée, tant par les candidats que par les entreprises. Ainsi l’école qui organiserait son modèle économique de telle manière qu’elle puisse garantir contractuellement le placement de ses élèves, par exemple en conditionnant le moment du paiement des droits de scolarité à la signature d’un contrat de travail, pourrait disposer d’un avantage concurrentiel significatif, défendable et, dans ce cadre précis, économiquement viable.

Au-delà de la course à la taille et aux fusions qui se répandent comme une trainée de poudre dans les écoles de management et plus largement l’enseignement supérieur (les PRES en sont une illustration flagrante), il existe probablement d’autres options stratégiques. La période de reconfiguration dans laquelle notre secteur est rentré sera sans doute porteuse d’opportunités de différenciation pour les écoles à même de les saisir.
Encore faudra-t-il que ces différenciations soient visibles (c’est probablement la dimension la plus complexe), défendables et économiquement viables. De la réflexion et du travail en perspective.

Bibliographie

– AEF, « Tamym Abdessemed, directeur d’INT Management », Dépêche n°45920, 8 septembre 2004.
– Brigitte Barnéoud, « L’ESCEM perd son double A mais projette une fusion », www.maville.com, 17 décembre 2011.
– Jessica Gourdon, « Ecoles de commerce : Le projet France Business School fait des vagues », Educpros, 8 décembre 2011.
– Jessica Gourdon, « Les ESC de Rouen et Reims en route pour la fusion », Educpros, 14 décembre 2011.
– Jessica Gourdon, « BEM et Euromed vont fusionner », Educpros, 17 janvier 2012.
– Jessica Gourdon, « Les déçus des écoles de commerce : ce qu’ils auraient aimé savoir avant », Letudiant.fr, 8 mars 2012.

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Stéphan Bourcieu

Le management stratégique au secours de l’État ?

État stratège : concept en vogue dans la campagne électorale pour la présidentielle de 2012, utilisé par François Bayrou (depuis la campagne de 2007), Marine Le Pen ou encore François Hollande dans son livre Changer de destin (p. 31). On peut définir ce concept comme une posture colbertiste mise en avant pour réindustrialiser la France, un des thèmes forts de cette campagne.

On peut également considérer que certains promoteurs de ce concept visent à manager la France comme on manage une entreprise. Est-ce possible ? Est-ce pertinent ? Un pays peut-il (et doit-il) être managé et développé en recourant aux concepts du management stratégique tel que nous l’enseignons dans les business schools ? Voilà une question assez inédite et qui mérite d’être creusée et discutée.

Vision, mission, stratégie, objectifs… Comment l’État français mobilise-t-il ces différents concepts pour définir et mettre en œuvre une stratégie industrielle au service de l’économie ? Pour en savoir plus, retrouvez ma tribune publiée par Le Huffington Post le 13 février dernier. Bonne lecture.

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Stéphan Bourcieu

La recherche, un atout pour l’enseignement

La recherche académique a connu un développement très fort dans les business schools, et en particulier en France, au cours des quinze dernières années. La pression des accréditations explique, entre autres, cette orientation. Les enseignants, devenus enseignants-chercheurs, doivent ainsi partager leur temps entre activités d’enseignement et activités de recherche. Dans le même temps, la production de recherche a pris une part grandissante dans leur évaluation, comme dans celle des institutions. Paradoxalement, cette recherche s’est construite de manière largement déconnectée des processus pédagogiques. Alors que la recherche en management devrait légitimement contribuer à alimenter très directement les contenus d’enseignement, il n’est pas rare de constater une déconnexion entre les travaux de recherche des enseignants-chercheurs (voire même les thèmes) et les contenus pédagogiques enseignés. Cette déconnexion se retrouve dans les standards d’accréditation, qui, jusqu’à très récemment, s’intéressaient au processus de recherche et à la production scientifique, sans nécessairement faire le lien avec les connaissances transmises. Un professeur sera ainsi considéré comme parfaitement légitime d’un point de vue académique (”academically qualified”), alors même que, par exemple, ses recherches sur l’épistémologie des sciences de gestion seront totalement déconnectées de ses enseignements en management stratégique.

Il ne s’agit pas ici de lancer un débat sur la nature des processus d’accréditation et encore moins sur l’évaluation de la recherche. Néanmoins, au moment où la crise amène les acteurs économiques, entreprises comme établissements d’enseignement supérieur, à repenser leurs organisations et, pour certaines, à recentrer leurs missions, il est intéressant de s’interroger sur la manière de renforcer le lien entre recherche et enseignement. En effet, entre le “pratico-pratique” des décennies 70-80 et le “tout académique” des décennies 90-2000, il existe probablement des voies médianes permettant de développer une recherche académique rigoureuse, qui diffuse systématiquement ses résultats dans les enseignements et contribue à l’amélioration de leur qualité.

Dans ce contexte, quelles pourraient être les formes d’output de la recherche dans l’enseignement du management ?

Les très classiques études de cas, généralisées par Harvard Business School dès les années cinquante. Le palmarès annuel de L’Étudiant montre qu’à de rares exceptions près (ESSEC en particulier), cette approche pédagogique n’est plus très ancrée dans les pratiques des écoles de management françaises. Elle présente pourtant l’intérêt majeur de combiner étroitement une problématique d’entreprise avec une analyse académique et une finalité pédagogique. Une meilleure prise en compte dans les standards d’accréditation comme dans les critères de classements de la manière dont la connaissance acquise par la recherche alimente ou éclaire les contenus de cours permettrait sans doute de revaloriser l’intérêt du monde académique pour les études de cas. L’IMD Lausanne, institution de réputation mondiale, en démontre tous les jours la pertinence et l’intérêt.

La lecture recommandée d’articles scientifiques. Les pratiques d’audit (en particulier l’accréditation EPAS qui s’intéresse particulièrement à cette question du lien recherche-pédagogie) montrent que cette approche est de plus en plus présente dans les bibliographies des syllabus de cours. Elle appelle toutefois plusieurs questions :
– Parmi les articles scientifiques recommandés en bibliographie, trouve-t-on des travaux des professeurs délivrant le cours (si ces travaux existent, s’ils sont en lien avec les contenus du cours) ?
– Quel est l’impact réel de lectures recommandées dans un syllabus sur le processus d’apprentissage d’une population étudiante ? Autrement dit, combien d’étudiants lisent-ils effectivement les lectures scientifiques proposées dans une bibliographie de cours ?
– Les critères qui amènent à sélectionner un article pour publication dans une revue scientifique sont-ils pertinents pour en faire un bon support pédagogique ? Rien n’est moins évident.

Les ouvrages. Pour les mêmes raisons que les études de cas, le nombre de manuels publiés par des enseignants-chercheurs issus des écoles est limité. Quant aux ouvrages de recherche, leur exploitation pédagogique pose les mêmes questions que celles évoquées pour les articles scientifiques.

Les tribunes et articles de vulgarisation. Dans un précédent post (”Exprimez-vous !“), je regrettais le manque de présence des enseignants-chercheurs en management dans la presse, et en particulier leur prise de parole insuffisante sous la forme de tribunes dans les grands quotidiens. Au-delà de l’engagement dans le débat public, l’intérêt de ces tribunes dans la presse tient à leur apport pédagogique et symbolique pour les étudiants. Ne nous voilons pas la face, un article de revue scientifique est souvent difficile à appréhender pour un étudiant. A contrario, une tribune dans un grand quotidien peut être un support efficace de diffusion d’idées. Elle renvoie en outre une image forte auprès du grand public et peut contribuer à légitimer un professeur, et ce beaucoup plus efficacement qu’un article publié dans une revue scientifique.

A faire de la publication dans des revues académiques le principal critère d’évaluation de la recherche, les accréditations comme les orientations stratégiques des écoles ont sans doute conduit à distendre le lien entre la recherche et l’enseignement. Au moment où de nombreuses écoles s’interrogent sur leur modèle et leurs missions, il n’est sans doute pas inutile de réfléchir aux pistes qui pourraient permettre de renforcer ce lien. Entre les études de cas, les tribunes, les ouvrages, les articles, il existe une multitude de contributions intellectuelles exploitables, à condition qu’elles soient mieux prises en compte dans l’évaluation des enseignants-chercheurs comme des business schools.

Cela parait d’autant plus essentiel que la recherche représente un formidable atout pour l’enseignement du management, en poussant à la remise en cause des connaissances acquises et en favorisant ainsi le renouvellement des contenus de cours, dans un champ (le monde économique) en perpétuelle mutation.

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Stéphan Bourcieu

Le syndrome de la sarisse (ou la course à la taille critique)

Au cours de l’Antiquité, les armées grecques ont dominé le monde grâce à la sarisse, cette pique longue de 4 mètres. Elle fut efficace pour briser les charges de cavalerie perse au temps des conquêtes d’Alexandre. Pour autant, elle devint inefficace dans les luttes fratricides que se livrèrent les successeurs du conquérant, les phalanges armées de sarisses s’annihilant. Face à ce problème, les sarisses des phalanges des différents royaumes helléniques s’allongèrent toujours plus afin de dépasser celles de l’adversaire, jusqu’à atteindre une longueur de 7 m… et de devenir impossible à manœuvrer. Face au monstre devenu lourd et maladroit, la légion romaine, équipée de javelots légers prit rapidement le dessus. Plus mobile, la troupe romaine pouvait envelopper la phalange pour l’attaquer sur ses points faibles, les flancs et l’arrière. Les romains avaient su penser hors du cadre de leur époque. Parfois, le progrès ne consiste pas en une surenchère technique et arithmétique, mais bien dans la capacité à faire juste un pas de côté (extraits de l’article de Laurent Henninger).

Les Grandes Écoles de management françaises ont connu une dernière décennie particulièrement faste, marquée par une croissance forte des effectifs et des budgets, une très forte ouverture à l’international et une large reconnaissance internationale par le truchement des accréditations (EQUIS, AACSB, EPAS, AMBA) et des classements (Financial Times). Confrontées au durcissement de l’environnement (la crise économique mais également la mutation du monde consulaire, la baisse du nombre d’élèves en classes préparatoires, la concurrence internationale accrue, le durcissement des conditions d’accréditation ou encore une université française plus dynamique), les Grandes Écoles de management déploient différentes stratégies.

Initiés depuis quelques années, les projets de croissance, qu’elle soit endogène (EDHEC, EM Lyon, etc.), par acquisition (INSEEC avec l’Université de Monaco) ou par fusion (SKEMA et différents projets en cours) ont connu une forte accélération. Ainsi le récent palmarès des écoles de commerce de l’hebdomadaire Challenges (décembre 2011) met en lumière la volonté de nombreuses Grandes Écoles de poursuivre de telles stratégies :
• INSEEC : objectif de passer de 84,4 à 157 millions d’euros en cinq ans.
• EDHEC, EM Lyon et SKEMA : objectif d’atteindre 100 millions d’euros à l’horizon 2015.

On peut également observer l’impact attendu des projets de fusion annoncés :
La fusion annoncée le 17 janvier entre Euromed et Bordeaux École de Management, avec un objectif affiché pour 2017 de 12 000 étudiants (contre 8 160 actuellement) et 150 millions d’euros de budget.
France Business School : la fusion des six écoles envisagée permettrait de constituer immédiatement une école de 9 500 étudiants et 94 millions d’euros de budget, avec pour “enjeu de devenir le deuxième groupe d’écoles de commerce en France, derrière HEC et d’être numéro un en nombre d’étudiants” selon François Duvergé, Président de l’ESCEM.
• Ou encore la réflexion engagée en 2011 pour la fusion de Rouen Business School et de Reims Management School.

A contrario, une école comme Audencia Nantes apparait aux yeux des journalistes de Challenges comme insuffisamment dotée, avec pourtant un budget de plus de 33 millions d’euros (le double du budget de 2006) : “il y a un hiatus entre le budget de l’école et son ambition” (p. 88).

La recherche de la taille critique apparaît donc comme la voie privilégiée par nombre d’Écoles de management. Un comparatif des données du palmarès du magazine Challenges entre 2007 et 2011 montre ainsi que la croissance globale du secteur durant cette période est sans commune mesure avec la croissance économique française (1% sur la période 2007-2010), ni même l’évolution des effectifs des classes préparatoires : les budgets des 32 écoles classées dans le palmarès Challenges 2011 ont connu une croissance de 40,3% en quatre ans, tandis que dans le même temps les effectifs ont progressé de 27%. Les ambitions affichées pour les années à venir par les écoles précédemment citées, mais d’autres également, semblent vouloir suivre une tendance similaire.

La taille critique apparaît comme l’une des principales réponses apportées pour faire face aux contraintes de l’environnement des écoles, telles que les exigences en matière de recherche, les classements, la raréfaction des ressources financières (menace sur la taxe d’apprentissage, réforme du monde consulaire, situation financière des collectivités territoriales, situation économique des familles), la concurrence de plus en plus grande pour attirer les candidats sur le marché national comme à l’international ou encore les accréditations. Sur cette dernière dimension, c’est clairement la conclusion que tire François Duvergé de la perte de l’accréditation EQUIS par l’ESCEM en décembre dernier : “L’EFDM semble avoir décidé de réserver son accréditation EQUIS aux seules très grosses écoles, globales et très présentes à l’étranger, sans que ces critères ne soient écrits nulle part de manière claire“.

La taille critique est-elle la solution pour les institutions d’enseignement supérieur et plus particulièrement pour les écoles de management françaises ? Il est évident que dans un contexte marqué par une concurrence accrue des institutions au plan international, une raréfaction des ressources financières et une exigence académique accrue, sous la pression entre autres des accréditations, la taille permet d’appréhender avec plus de force ces contraintes. Pour autant, une recherche systématique de la taille critique pourrait amener les écoles à faire face à trois enjeux :

1. La capacité de réponse du marché
Les écoles ont connu une forte croissance au cours de ces dix dernières années en élargissant leur offre (Bachelor, Master, MS, MSc, MBA) aux étudiants post-bac, aux étudiants issus de parcours universitaires, aux élèves internationaux ou encore aux élèves ingénieurs etc. Il n’est pas certain que le marché français des Bachelors ou des admissions parallèles disposent de réserves encore importantes. De même les marchés internationaux sont de plus en plus concurrentiels, avec l’émergence des institutions académiques asiatiques et l’agressivité accrue des universités britanniques ou nord-américaines, en réponse à la crise des financements.
Dès lors que le marché ne pourra pas absorber seul la volonté de croissance des écoles, l’augmentation des effectifs pour les uns risque de se faire au détriment des autres. Il est donc vraisemblable que toutes les écoles ne pourront pas concrétiser leurs objectifs affichés de croissance. Certaines risquent même de se trouver confrontées à de réelles difficultés économiques faute de pouvoir atteindre le nombre d’élèves suffisant, attirés par des écoles plus attractives.

2. Le changement d’identité des écoles
Historiquement, le succès des écoles de management françaises s’est appuyé sur deux piliers : la proximité avec le monde des entreprises d’une part et la proximité avec les étudiants d’autre part.
La taille critique est un atout pour répondre à la demande des entreprises de stagiaires et de jeunes cadres, dans un contexte économique qui reste favorable (le taux de chômage des cadres en France se situant autour de 4 %). Ces écoles de taille importante ont également un poids et une ambition internationale suffisants pour être des interlocuteurs visibles et crédibles, en particulier face à des entreprises globales comme le soulignent Bernard Belletante et Philip McLaughlin (respectivement directeur d’Euromed et Bordeaux École de Management). En revanche, les écoles risquent de perdre en capacité à faire du sur-mesure pour leurs entreprises partenaires, la taille entrainant un besoin de standardisation des processus et de l’offre. En outre, les entreprises dont le poids économique n’est pas suffisant pourraient se retrouver délaissées.
Du point de vue des élèves, l’effet de taille pourrait distendre le lien entre l’étudiant et les salariés de l’institution. Les process se substituent au relationnel afin d’automatiser les activités et d’être en mesure de traiter toutes les demandes (tout en réalisant des économies d’échelles afin de bénéficier à plein de l’effet volume). Face à l’anonymat (réel ou supposé) de l’université, l’un des facteurs clés de succès des écoles réside encore aujourd’hui dans cette capacité à individualiser la relation et à tenir compte des attentes individuelles. L’atteinte de la taille critique ne doit pas se faire au détriment de cette relation privilégiée. Dès lors, il n’est donc pas certain que des économies d’échelle soient effectives sur les services support aux étudiants.

3. L’impact réel ou supposé de la taille critique
On peut aisément imaginer l’intérêt pour des écoles d’avoir une taille suffisante afin de répondre aux critères quantitatifs imposés par certains classements (à commencer par le classement de Shanghai, même si en l’occurrence il ne concerne que très marginalement les écoles à ce jour).
On comprend aussi l’intérêt de disposer d’un corps professoral suffisamment étoffé pour structurer des équipes de recherche puissantes et cohérentes, autour de thématiques bien identifiées, comme le soulignait Bernard Ramanantsoa (directeur de HEC) en décembre dernier dans le New York Times : “There also has to be a critical mass of faculty in order to do research“.
On voit également bien l’intérêt économique de répartir sur un nombre plus important d’étudiants les charges de personnel et de structure inhérentes à la gestion d’une école ou pour investir dans un nouveau campus à l’étranger par exemple. Dans une activité de service telle que l’enseignement supérieur en management, cette question des économies ne peut toutefois être déconnectée de la notion de qualité de service.

La recherche de la taille critique peut donc être une solution envisageable pour répondre à ces différents objectifs. Pour autant, des questions restent en suspens quant à la nature de la taille critique, la manière de l’obtenir et son impact sur ces objectifs :

• La taille critique doit-elle se mesurer en fonction du nombre d’élèves ou sur d’autres dimensions telles que le corps professoral ou le budget ? C’est la question que pose Bernard Ramanantsoa : “The goal of a merger is not to increase the number of students (…) The priority is is to increase the size of the teaching staff, in order for the teacher-student ratio to be high enough. There also has to be a critical mass of faculty in order to do research“. La recherche de la taille critique ne peut donc se résumer à une augmentation du nombre d’élèves et une réduction du budget élève (par une économie sur les charges de structure).

• Additionner des élèves et des professeurs dans le cadre de processus de fusion conduit-il nécessairement à créer une école ? La recherche de la taille critique ne peut donc être une finalité en soi, mais un moyen de dégager des ressources (par financement supplémentaire et/ou par économies d’échelles) pour mener à bien un développement stratégique. C’est la manière dont Alice Guilhon, directrice de SKEMA, appréhende la fusion du CERAM et de l’ESC Lille : “SKEMA was not created to consolidate or reduce costs, but as part of a strategy to internationalize“.

• Quels effets d’économie d’échelles pour des institutions distantes de plusieurs centaines de kilomètres ? En dehors de la mise en commun de services supports (direction, finances, ressources humaines, marketing), les effets d’économie d’échelle attendus d’opérations de fusion entre institutions éloignées risquent d’être limités en raison de la nécessité de maintenir (voire d’accentuer, pour contrebalancer l’effet de taille) les services dédiés aux élèves.
La mise en commun peut également concerner les activités de recherche. Reste à savoir si elle consiste à faire travailler les chercheurs ensemble, en réseau (la distance étant sans doute moins une difficulté que la capacité à faire collaborer les chercheurs à la suite d’une décision stratégique top down) ou bien à concentrer les moyens de recherche sur un nombre limité de chercheurs (dans une logique d’économies d’échelles et de concentration des forces).

Dans un contexte aussi turbulent que celui dans lequel nous évoluons, il est logique que les écoles cherchent à sortir par le haut en recherchant une taille critique. Il est intéressant de constater que les voies d’y parvenir diffèrent, entre les institutions privilégiant un développement endogène et celles qui, dans la continuité de SKEMA, choisissent de fusionner. Il est évidemment trop tôt pour apprécier l’efficacité de ces stratégies. Même s’il est trop tôt pour parler de mimétisme stratégique, on peut néanmoins s’interroger sur l’absence de stratégies alternatives. Dans les entreprises, il n’est en effet pas rare d’observer, en parallèle au déploiement de stratégies de volume, l’émergence de stratégies de différenciation par d’autres acteurs. Si d’aventure la recherche de la taille critique ne devait pas produire les effets attendus, sur quelle(s) stratégie(s) alternative(s) les écoles pourraient-elles s’appuyer ? Quelle école aura la capacité à faire “juste un pas de côté” pour reprendre l’expression de Laurent Henninger ? Et avec quel modèle ?

Désolé pour la longueur de ce post, aussi long qu’une sarisse macédonienne, mais la complexité du sujet le justifie.

Pour en savoir plus :
• Brigitte Barnéoud, “L’ESCEM perd son double A mais projette une fusion“, www.maville.com, 17 décembre 2011.
• Jessica Gourdon, “Le palmarès des Grandes Écoles de commerce”, L’Étudiant, octobre 2011, pp. 82-110.
• Jessica Gourdon, “BEM et Euromed vont fusionner“, Educpros, 17 janvier 2012.
• Jonathan J. Li, “For French business schools, strength in numbers“, New York Times, NYTimes.com, 25 décembre 2011.
• Laurent Henninger, “Quand la sarisse grecque pointe notre démesure”, Guerres & Histoire, n°3, automne 2011, p. 99.
• Patrick Fauconnier et Kira Mitrofanoff, “Palmarès 2012. Écoles de commerce sous pression”, Challenges, n°281, 15 décembre 2011, pp. 69-133.
• Sarah Piovezan, “L’Escem garde son accréditation AACSB mais perd Equis”, AEF, dépêche n°159735, 15 décembre 2011.

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Stéphan Bourcieu

French Paradox, la deuxième lame

Dans un post récent, je constatais, comme d’autres, la situation paradoxale des étudiants étrangers en France, prise entre le marteau de la volonté étatique de développer une véritable économie de la connaissance et de faire de nos établissements d’enseignement supérieur des acteurs majeurs à l’échelle internationale, et l’enclume d’une administration érigeant, par le truchement de la “circulaire Guéant”, des barrières à l’entrée toujours plus hautes pour ces mêmes étudiants. Durant la trêve des confiseurs, le ministère de l’Intérieur a fait machine arrière en annonçant qu’une circulaire spécifique serait adressée aux services préfectoraux début 2012 afin d’aménager les conditions de travail pour les étrangers diplômés de Grandes Écoles ou d’un Master 2 universitaire.

Conséquence d’une mobilisation très large, allant du patronat aux syndicats, en passant par les universités, les Grandes Écoles, les associations de défense des étrangers et des droits de l’Homme ou encore les partis politiques, ce revirement ne met néanmoins pas fin à la politique de durcissement des conditions d’études des étudiants étrangers en France. Une seconde mesure vient en effet enfoncer le clou. Un décret, publié au Journal Officiel le 6 septembre 2011, durcit en effet les conditions d’obtention ou de renouvellement des visas étudiants. Ces derniers doivent désormais justifier de ressources mensuelles de 620 euros contre 460 euros auparavant, soit une hausse de 30%.

Selon un récent article du Monde, le ministère de l’Intérieur justifie cette mesure par souci de lutte contre l’immigration irrégulière, mais aussi pour que “les étudiants étudient bien” ! Pour la Place Beauvau, les étudiants étrangers manquent souvent d’argent et, pour “étudier dans de bonnes conditions, mieux vaut ne pas avoir à travailler à côté“.

Je ne rentrerai pas dans le débat sur la question de l’immigration irrégulière, qu’elle soit d’origine étudiante ou non. En revanche, les arguments avancés par le Ministère de l’Intérieur pour motiver l’application d’une telle mesure méritent d’être analysés.

Un traitement injuste pour les étudiants français
Si l’on veut bien admettre que le ministère de l’Intérieur est de bonne foi lorsqu’il souhaite que les étudiants étrangers en France étudient “dans de bonnes conditions“, on peut légitimement se poser la question du traitement différencié des étudiants français d’un côté et les étudiants étrangers (hors Union Européenne) de l’autre. Ce traitement est en effet inéquitable vis-à-vis des étudiants français qui, pour nombre d’entre eux, sont contraints de travailler pour financer leurs études. Si, comme le dit le ministère de l’Intérieur, pour “étudier dans de bonnes conditions, mieux vaut ne pas avoir à travailler à côté“, l’État devrait en toute logique interdire aux étudiants français d’exercer un travail en parallèle à leurs études !

Un traitement injustifiable aux yeux du monde
Comment expliquer à un étudiant étranger que pour “étudier (en France) dans de bonnes conditions, mieux vaut ne pas avoir à travailler à côté“, alors même qu’il s’agit là d’une pratique courante dans la plupart des grands pays d’enseignement supérieur (États-Unis, Australie, Royaume-Uni) ? Pour ne prendre que l’exemple des États-Unis, la plupart des étudiants de MBA doivent travailler (au sein de leur Université ou en entreprise) pour financer leurs études, sans que cela ne nuise pour autant à la qualité de leurs études et encore moins à leur future carrière professionnelle. Je ne suis pas nécessairement un partisan forcené du travail des étudiants en parallèle à leurs études. Toutefois, dans un contexte où les étudiants étrangers étudient toutes les opportunités avant de choisir un pays plutôt qu’un autre pour faire leurs études, cela risque d’être difficile de leur expliquer cette exception française.

Une mesure inéquitable selon les territoires
Cette mesure impose enfin aux étudiants étrangers de disposer d’un revenu mensuel de 620 euros. Elle porte malheureusement la marque d’un centralisme déconnecté des réalités territoriales. À Paris, 460 euros est sans doute une somme insuffisante pour étudier compte-tenu du prix des loyers et du coût de la vie. A contrario, ce même montant peut suffire pour vivre décemment dans une ville de province. Dès lors, pourquoi pénaliser sans raison les institutions d’enseignement supérieur de province ? Institutions déjà pénalisées par le fait qu’elles ne bénéficient pas de l’attractivité internationale d’une ville comme Paris.

A la suite de la “circulaire Guéant”, cette nouvelle mesure renforce encore les difficultés pour les établissements d’enseignement supérieur français d’attirer des étudiants étrangers dans leurs programmes. A l’heure où le Gouvernement martèle, à raison, la nécessité de renforcer la position de la France dans le champ de l’enseignement supérieur mondial, on peut regretter qu’une telle mesure vienne contredire ces déclarations d’intention et place nos établissements dans une situation paradoxale et difficilement tenable.

Pour en savoir plus :
• Elise Vincent, “Les étudiants étrangers devront justifier de 620 euros de revenus mensuels pour venir étudier en France”, Le Monde, 15 décembre 2011.
• Stéphan Bourcieu, “Circulaire Guéant : “the French paradox”“, La Tribune, n°4885, 4 janvier 2012, p. 22.

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Stéphan Bourcieu

Fusion or not fusion ?

Un article « Confidentiel » d’Educpros en date du 7 décembre 2011 fait état « d’un projet de fusion de plusieurs écoles de commerce (qui) serait en préparation, d’après les informations recueillies par Educpros. Le nom de code est France Business School. Ce regroupement impliquerait (liste non définitive) les ESC de Pau, Brest, Amiens, Troyes, Clermont, et l’Escem (Tours-Poitiers) ».

Il n’est évidemment pas question de commenter sur le fond ce qui n’est encore qu’une « des pistes, encore très embryonnaire qui est étudiée en parallèle de plusieurs autres », selon les termes d’un communiqué publié par l’ESC Troyes. Qu’elle se confirme ou non, cette actualité appelle toutefois trois commentaires :

• Dans un environnement de l’enseignement supérieur et de la recherche qui connait de profondes mutations, les écoles de management doivent continuer à évoluer et à progresser. Au cours des quinze années écoulées, les écoles ont su se transformer (plus attractives, plus internationales, plus rigoureuses d’un point de vue académique, sans pour autant perdre leur qualité première : la relation avec les entreprises). Comme j’ai eu l’occasion de l’écrire dans un article de recherche récent*, les mutations de l’environnement vont amener les écoles de management à déployer de nouvelles formes de manœuvres stratégiques. La décennie passée a été fortement marquée par des stratégies de croissance interne. Celle à venir le sera sans doute par des manœuvres d’alliances globales et de fusions. Sans préjuger de son succès, une telle fusion, si elle devait se confirmer, s’inscrirait pleinement dans ce mouvement d’adaptation.

• Les nombreux commentaires qui font suite à la publication de l’information sur Educpros m’amènent également à réfléchir à la manière de communiquer les projets stratégiques de nos institutions. Les réactions (négatives comme positives) des élèves et des diplômés des écoles concernées par ce possible rapprochement font état de la nécessité d’une meilleure communication des projets stratégiques. D’un côté, il est toujours difficile d’annoncer à des milliers d’élèves et de diplômés un projet stratégique sans risque de le voir fuiter dans la presse ou auprès de la concurrence. De l’autre, les élèves et diplômés sont des parties-prenantes incontournables de nos écoles et les écarter des processus de décision stratégique (ou à tout le moins d’une information précoce) est difficilement tenable. Il y a là une question de gouvernance qui n’est pas simple à résoudre.

• Enfin, les réactions que suscite cette annonce montrent bien la déconnexion pouvant exister entre les enjeux stratégiques des institutions et les représentations des parties prenantes (en l’occurrence les élèves), marquées par les classements des écoles dans la presse. Ce n’est pas parce que deux écoles n’appartiennent pas au même groupe stratégique qu’elles n’ont pas un intérêt à se rapprocher. C’est l’essence même du management stratégique que de savoir associer des acteurs économiques dissemblables mais complémentaires. Avec une vision uniquement centrée sur les « classements », jamais les alliances Air France-KLM ou Renault-Nissan (alors en grande difficulté) n’auraient eu lieu. Cela démontre que nous avons encore beaucoup à faire en matière de pédagogie pour passer de la théorie à la pratique.

*Stéphan Bourcieu et Olivier Léon, « Quel mode de croissance pour nos écoles d’affaires », L’Expansion Management Review, n°140, mars 2011.

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Stéphan Bourcieu

Une nouvelle définition d’Erasmus

Vu par un fonctionnaire de la Commission Européenne, “Erasmus est un programme européen qui vise à favoriser la mobilité étudiante entre les universités européennes liées par un accord Erasmus Socrates. Il permet chaque année à 200 000 étudiants d’étudier et de faire un stage à l’étranger. Il finance en outre la coopération entre établissements d’enseignement supérieur dans toute l’Europe. Le programme s’adresse non seulement aux étudiants mais aussi aux professeurs et employés d’entreprise qui souhaitent enseigner à l’étranger, ainsi qu’au personnel universitaire désireux de bénéficier d’une formation à l’étranger“.

Très utile mais pas très attirant comme définition…

Mais lorsque cette définition est revue par un linguiste et romancier de renom, elle prend une toute autre saveur. Aussi, je ne peux m’empêcher de partager avec vous cette définition d’Umberto Eco donnée samedi dernier lors d’une rencontre de Libération sur le thème “La culture peut-elle donner un sens à l’Europe ?”.

Umberto Eco a ainsi vanté le programme Erasmus d’échange entre les étudiants européens : “80% des étudiants Erasmus se marient avec des étrangers et leurs enfants deviennent bilingues ; c’est un projet d’une grande valeur sexuelle“.

Pour redynamiser l’Europe, rien de tel qu’un langage moins technocratique et plus direct.

Grazie mille Umberto !

Pour en savoir plus : http://www.liberation.fr/culture/01012374009-umberto-eco-et-frederic-mitterand-quelque-part-entre-cervantes-et-racine

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Stéphan Bourcieu

Circulaire Guéant : tout le monde est perdant

Mon nom est Abishek*. Je suis originaire de l’État du Maharashtra en Inde. A l’issue de mon Bachelor dans une Business School de Mumbai, mes parents issus de la nouvelle classe moyenne ont fait un emprunt pour me permettre de poursuivre mes études en Europe. “Avec un diplôme d’une Business School européenne, tu pourras travailler pour une de ces entreprises françaises qui tentent de s’implanter dans notre pays” m’avaient-ils affirmé. J’ai choisi de rejoindre une Grande École de management française, en l’occurrence l’ESC Dijon-Bourgogne, intéressé par ses spécialisations et rassuré par son accréditation européenne. J’ai passé deux années passionnantes à Dijon, dans une école très internationale, même si le climat est parfois rigoureux et les commerçants dijonnais pas toujours à l’aise en anglais.
Récemment diplômé du MSc International Business Development, j’ai aujourd’hui terminé mon stage dans une PME de la région. Celle-ci m’a fait une proposition d’embauche pour développer ses activités en direction du marché indien. Tout va bien sauf que…
Sauf que l’administration française a refusé de me délivrer un visa de travail. A la préfecture, on m’a expliqué que, selon la circulaire du 31 mai 2011, “les étudiants étrangers ont prioritairement vocation, à l’issue de leur séjour d’études en France, à regagner leur pays pour y mettre en œuvre les connaissances acquises“.

Je m’appelle Didier. Je dirige une entreprise industrielle de 130 personnes en Franche-Comté. Devant la baisse des commandes en Europe, j’ai commencé à prospecter les marchés émergents. Le potentiel du marché indien est immense, mais comment se développer dans un pays à la culture aussi complexe ? Pas évident non plus de faire venir des cadres export compétents quand on est une PME implantée dans un département rural. Heureusement, j’ai eu la chance de prendre en stage un étudiant indien d’une école de commerce. Bien que ne parlant pas très bien français, Abishek s’est vite adapté à notre organisation et nous a permis de poser les premiers jalons sur le marché indien. A l’issue de son stage, je lui ai fait une proposition d’embauche : ce n’est pas tous les jours qu’on trouve un cadre export capable de nous aider à conquérir le marché indien. Tout se présente bien, sauf que…
Sauf que l’administration française a refusé de lui délivrer un visa de travail. A la préfecture, on m’a expliqué que, selon la circulaire du 31 mai 2011, je devais prioritairement embaucher “des personnes ayant déjà le statut de demandeur d’emploi résidant en France, qu’elles soient de nationalité française ou étrangère“.

Au moment où le déficit du commerce extérieur français atteint des sommets et où l’État constate la présence insuffisante des PME à l’international, la circulaire du 31 mai 2011 dite “circulaire Guéant” va à l’encontre des besoins en compétences internationales des entreprises françaises. Avec un taux de chômage des cadres de seulement 4% malgré la crise, ce ne sont pourtant pas les postes à pourvoir qui manquent. Pendant ce temps, les entreprises du Mittelstand allemand recrutent plus de 130 000 travailleurs issus de l’immigration et accumulent les excédents commerciaux…

Abishek regarde désormais vers l’Allemagne et Didier cherche toujours son successeur.

*Les noms et localisations ont été changés

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Stéphan Bourcieu

Exprimez-vous !

Ce sont deux événements en apparence totalement indépendants, et pourtant non dénués de points communs. Alors que l’économie européenne traverse une crise économique et financière majeure, la parution récente de la nouvelle liste du CNRS (section 37) des revues académiques en économie et gestion appelle à réflexion.

L’évaluation des enseignants-chercheurs en gestion dans les Grandes Écoles comme à l’Université est aujourd’hui largement fondée sur la qualité des publications scientifiques. A ce titre, la catégorisation des revues par le CNRS joue un rôle important, en offrant « un langage commun à l’ensemble des membres et facilite à ce titre le travail d’évaluation de l’activité de recherche des chercheurs comme des unités ». Ce système d’évaluation n’est pas propre à la gestion. Il est toutefois dans cette discipline à l’origine d’un paradoxe.

Alors que les entreprises font face à une transformation radicale de leur environnement et de leurs pratiques managériales, les enseignants-chercheurs en gestion sont, à de rares exceptions, très peu présents dans ce débat public. En particulier, leurs travaux, qui pourraient éclairer les comportements des entreprises, font rarement l’objet d’une diffusion sous la forme de tribunes dans la presse généraliste ou économique. Cette absence est d’autant plus regrettable que :
• la Société est en quête de repères sur le monde économique, et en particulier sur les comportements des entreprises face à la crise ;
• les enseignants-chercheurs en gestion, en raison de la nature même de leurs recherches, largement connectées avec les pratiques des entreprises, ont une réelle capacité à éclairer ces comportements auprès du grand public.

Il n’est pas question ici de remettre en cause le système d’évaluation de la recherche en gestion ni même d’imaginer une intégration des contributions dans la presse généraliste dans la catégorisation des revues académiques du CNRS.

Néanmoins, rien n’interdit aux enseignants-chercheurs à titre individuel comme aux établissements de s’organiser pour favoriser la diffusion des travaux scientifiques auprès du grand public. Complémentaires des publications dans des revues académiques, destinées avant tout à la communauté scientifique, des tribunes de presse rédigées par des enseignants-chercheurs permettraient d’inscrire nos institutions dans les débats de Société.

D’autres communautés (historiens, économistes, etc.) ont déjà largement compris l’intérêt de contribuer au débat public. Avec la multiplication des rubriques « Opinions » ou « Tribunes » dans les grands quotidiens (Le Monde, Le Figaro, Les Échos, La Tribune, etc.) comme dans les hebdos (Challenges, L’Express, etc.) ainsi que le développement des espaces numériques, ce ne sont pas les lieux d’expression qui manquent.

Au moment où l’entreprise prend une place grandissante dans la Société, il serait regrettable que notre communauté passe à côté de cet enjeu.

Pour aller plus loin : Catégorisation des revues en économie et gestion (V3.01. Octobre 2011)

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Stéphan Bourcieu

Retour sur une expérience numérique

Dans un dossier EducPros sur les directeurs d’école de management, Jessica Gourdon analyse la présence de ces derniers sur les réseaux sociaux. Il ressort que pour un environnement aussi communicant que celui des écoles de management, les directeurs ont encore peu recours à ces outils de communication “modernes”.

Comment communiquer avec nos élèves ?
La caractéristique du milieu de la formation initiale, c’est que seuls les personnels (à commencer par les directeurs !) vieillissent d’une année chaque année. Les élèves, eux, ont toujours entre 18 et 25 ans. Si leur âge ne bouge pas, en revanche leurs mentalités évoluent. Après le “manager de demain” des années 80 et “l’associatif engagé” des années 90, les années 2000-2010 ont vu l’émergence de la génération 2.0, née avec internet, connectée aux réseaux sociaux et capable de travailler en mode multitâches. Sans rentrer dans la caricature (on retrouve des invariants chez un élève d’école de management, quels que soient les effets de mode ou de génération), cette génération nous amène sans doute à repenser notre manière de communiquer. Faut-il utiliser leurs outils ? Avec quel langage ?

Faut-il céder à la mode des blogs et autres réseaux sociaux ?
Après deux ans d’usage d’un profil Facebook dédié à mes élèves, je commence à avoir un peu de recul sur cet outil de communication. Après quelques tâtonnements, je pense avoir trouvé un bon mix… tout en sachant que dans ce milieu, les choses évoluent très vite. Retour sur une expérience numérique.

Un outil pour humaniser la relation
Paradoxe que de parler d’un outil internet pour humaniser une relation, et pourtant… Parler aux élèves en utilisant leur canal de communication privilégié permet d’humaniser la relation. Encore faut-il trouver le bon ton. Une approche trop institutionnelle ne passe pas sur Facebook. A l’inverse, les élèves attendent également une certaine distance. Un directeur n’est pas un ami (même au sens de Facebook) et il doit respecter la vie privée de ses élèves quand bien même ils l’étaleraient sur leur profil. Il faut donc s’abstenir de tout commentaire sur leurs propres profils.
Par ailleurs, il faut envoyer des messages de proximité (sur la vie de l’école, sur son ressenti par rapport à une situation donnée), sans pour autant verser dans le copinage. L’alternance de messages à fort contenu institutionnel, d’anecdotes sur l’école (pas dénuées d’intérêt pour autant) et de ressentis plus personnels va dans ce sens.

Un moyen de faire passer des messages clés
Nos écoles se caractérisent par un phénomène de dispersion des élèves. Fini le temps où une promotion complète passait trois ans sur site. Entre l’international, les stages, l’apprentissage, etc., les élèves sont souvent disséminés aux quatre coins du globe. Submergés de mails, ils ne sont pas toujours en mesure de faire le tri. Pour faire passer un message clé (institutionnel parfois, mais pas seulement), Facebook est un levier beaucoup plus lisible aujourd’hui par nos élèves. De surcroit, l’effet réseau joue à plein, même pour celles et ceux qui n’auraient pas lu le message. Il suffit de voir comment une information un peu exclusive se diffuse parmi les élèves pour en mesurer la pertinence.

Un levier pour renforcer le sentiment d’appartenance à une École et porter son ambition
Une telle page Facebook doit avoir un caractère exclusif, dédié aux élèves. C’est un lien unique, privilégié, qui relie les élèves à leur directeur, souvent considéré comme la figure représentative de l’institution. A travers des messages sur le développement de l’École, ses résultats, l’objectif est d’associer les élèves à une ambition, à une stratégie et de renforcer leur sentiment d’appartenance à leur École.

Utilisé à bon escient, Facebook est un outil pertinent pour communiquer avec la génération 2.0. Certes, la technologie ne remplacera jamais la relation personnelle, le contact direct avec les élèves, et un amphi bien mené devant une promotion de 500 élèves aura toujours un autre impact et une autre saveur. Mais sans forcément parler de sens de l’Histoire, évoluer judicieusement avec les réseaux sociaux est aussi un défi des business schools et de leurs directeurs.

Pour en savoir plus : “Des directeurs d’ESC peu présents sur les réseaux sociaux“, Jessica Gourdon, EducPros, 5 juillet 2011.

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Stéphan Bourcieu

Besoin de compétences internationales ? Non merci !

Voilà une enquête qui en dit long sur notre économie et ses contradictions. L’enquête Eurobaromètre vient de passer au crible 7036 entreprises européennes de plus de cinquante salariés (dont 404 en France) sur la question des compétences requises et de l’employabilité des jeunes diplômés au niveau européen (”Employers’ perception of graduate employability” Commission Européenne, Eurobaromètre, Novembre 2010).

Il en ressort que les entreprises françaises se désintéressent totalement des compétences spécifiques que les jeunes diplômés peuvent développer dans une perspective internationale.

Peu d’intérêt pour les langues étrangères
Seules 41% des entreprises interrogées considèrent la maîtrise d’une langue étrangère comme importante contre 61% pour la moyenne des entreprises européennes. La France apparaît ainsi au 30ème rang des 32 pays étudiés, précédant seulement l’Irlande (32%) et le Royaume Uni (22%), bons derniers de la classe pour des raisons que l’on comprend aisément. En comparaison, 70 % entreprises allemandes accordent de l’importance à la maîtrise des langues par leurs futurs collaborateurs.

Expérience internationale : pas mieux !
De même, une large majorité d’entreprises françaises interrogées ne voient pas l’utilité pour un jeune diplômé d’avoir une expérience à l’international qu’elle soit par le biais d’un stage (77%) ou dans une période académique (82%). Quand on sait l’importance de l’expérience interculturelle dans le développement international, on ne peut que constater que ces entreprises se privent d’un atout précieux pour aborder les marchés à l’export.

Collaborateurs internationaux : non merci !
Enfin les entreprises françaises sont moins enclines que leurs consœurs européennes à recruter des collaborateurs venant d’autres pays. Seules 17% des entreprises françaises déclarent recruter des jeunes diplômés européens contre 28% des entreprises allemandes (moyenne européenne à 27%).

Les résultats de cette étude sont à nuancer pour les entreprises déjà investies à l’international, pour lesquels la prise en compte lors des recrutements de jeunes diplômés des compétences linguistiques et d’expérience internationale est réelle.

Par contre, ils mettent en lumière la situation alarmante de la majorité des PME françaises qui n’ont pas du tout pris la mesure des compétences de base indispensables pour assurer le succès à l’international. Or ce sont bien souvent ces marchés internationaux qui leur permettent de trouver des relais de croissance. A l’heure où l’État français porte aux nues le Mittelstand allemand, ce n’est sans doute pas demain que nous aurons ces moyennes entreprises qui performeront en nombre à l’international.

Pour en savoir plus : “Des PME françaises en mal d’international“, tribune publiée le 20 juin 2011 sur LeMonde.fr.

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Stéphan Bourcieu

“Mercato des professeurs” : gardons les pieds sur terre !

Dans un intéressant dossier paru début mai, le mensuel L’Expansion aborde la face cachée des grandes écoles. Sont ainsi analysées leurs stratégies de développement, leur ouverture internationale, ou encore la question sensible du recrutement des professeurs. C’est sur ce dernier point que j’aimerais revenir.

Il est parfaitement établi que certains profils de compétences sont rares et recherchés, et que de fait, les niveaux de salaires associés peuvent être élevés. C’est le cas en finance de marché, comme le souligne la direction de l’EDHEC, en raison de la concurrence des banques pour attirer les meilleurs profils.

De même, il est certain que les profils d’enseignants-chercheurs pistés par les écoles de management (docteur, publiant dans de bonnes revues académiques, capable d’enseigner en anglais à des publics variés, y compris à des dirigeants en formation continue) sont d’autant plus rares que le nombre de docteurs formés tant en France que dans le monde décroit. Il est donc logique que leur rémunération soit revalorisée (dans les écoles comme à l’université), même si c’est loin d’être la motivation première des personnes qui choisissent le métier d’enseignant-chercheur.

Pour autant, les salaires moyens annoncés par des représentants d’écoles de management (100 000 euros pour un maître de conférences confirmé) me semblent soit irréalistes, soit démesurés, dès l’instant où l’on sort du cercle des écoles françaises de dimension mondiale, effectivement en concurrence avec Oxford, Harvard ou CEIBS pour attirer les meilleurs talents.

N’oublions jamais que, même si nos établissements sont économes des deniers publics, les financements restent majoritairement liés aux droits de scolarité, et donc aux familles. Quand on sait les efforts que certaines familles sont obligées de faire pour financer ces études, on ne peut qu’appeler à plus de mesure.

A ce titre, les propos d’un enseignant-chercheur interviewé, parlant de professeurs “bankables“, monnayant leur talent (et leurs publications) au plus offrant, dans le cadre d’un mercato des professeurs, m’inquiètent et me désolent.

Ils m’inquiètent par leur vision déconnectée des réalités du monde économique. Les écoles de management dans leur grande majorité (en France, mais également dans de nombreux pays) reposent sur un modèle économique fragile et ne pourront pas supporter longtemps une telle inflation des salaires, si elle se atteint le niveau moyen annoncé.

Ces propos me désolent surtout par leur analogie au monde du football et surtout à ses dérives. S’il est légitime de négocier au mieux son salaire à l’embauche, je ne pense pas (à quelques exceptions près) que les enseignants-chercheurs soient des mercenaires, passant d’une école à une autre au gré des propositions alléchantes, comme cela se pratique allègrement dans l’univers du ballon rond. De Knysna à l’affaire des quotas, les événements récents montrent que l’exemple du foot n’est pas forcément celui que nous devons suivre en matière de gestion des talents.

Pour en savoir plus :
• “Les coulisses du mercato des profs stars“, Jessica Gourdon, L’Expansion, mai 2011.

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Stéphan Bourcieu

Apprentissage : injonction paradoxale

Voilà un peu plus d’un an, la question de l’ouverture sociale dans les Grandes Écoles (de management et d’ingénieur) faisait largement débat. Pour la Ministre Valérie Pécresse, “il n’y a pas assez d’ouverture sociale dans le recrutement des Grandes Écoles aujourd’hui” (MESR, 11 janvier 2010). La volonté affichée de l’État était alors d’ouvrir les Grandes Écoles, considérées comme trop “élitistes”, à des profils plus divers. La solution des quotas, un temps évoquée, n’a pas été retenue. En revanche d’autres mesures ont été préconisées, telles qu’une évolution du contenu des concours, leur gratuité pour les étudiants boursiers ou encore la rédaction d’une charte de l’égalité des chances.

Si ces mesures vont dans le bon sens, deux éléments méritent néanmoins d’être soulignés :
• D’une part, ce débat a fait peu de cas de la réalité de nombreuses Grandes Écoles “de province” au sein desquelles le nombre de boursiers est déjà très significatif, souvent proche, voire au-delà des 30% évoqués à l’époque comme objectif.
• D’autre part, les propositions avancées ont laissé de côté la question du financement des études pour les étudiants boursiers.

La question du financement des études est en effet centrale. Parmi les dispositifs permettant à des étudiants boursiers de financer leurs études, l’apprentissage joue un rôle essentiel : il permet aux étudiants de ces écoles de faire financer tout ou partie de leurs frais de scolarité par une entreprise, de bénéficier d’une rémunération et d’afficher en outre un excellent taux d’emploi à la sortie du diplôme. De nombreuses Grandes Écoles, de management comme d’ingénieur, y ont recours.

Paradoxalement ce dispositif est aujourd’hui menacé, au moment même où l’État cherche à en renforcer l’attractivité.

La proposition de loi “pour le développement de l’alternance, la sécurisation des parcours professionnels et le partage de la valeur ajoutée” déposée le 13 avril 2011 propose, entre autres dispositions, d’augmenter le nombre de salariés en alternance. Cette mesure est louable, mais elle présente un effet pervers. En augmentant le nombre d’apprentis, cette mesure risque de déséquilibrer un mécanisme de financement de l’apprentissage déjà fragile.

Dans la pratique, les entreprises doivent financer le coût complet de l’apprentissage (c’est-à-dire le coût réel de la formation). Cette disposition est toutefois restreinte car ce financement se fait “dans la limite du quota de taxe d’apprentissage disponible”, le quota étant la fraction de la taxe d’apprentissage réservée au financement des établissements formant des apprentis. Cela revient pour certaines entreprises (et il ne s’agit pas de PME en l’occurrence) à financer dès à présent leurs apprentis à hauteur de 1 500 € pour un coût complet qui se situe généralement autour de 10 000 €. D’où un manque à gagner dans l’équilibre budgétaire qui est difficilement supportable par les institutions. Avec l’augmentation du nombre d’apprentis, l’enveloppe de taxe d’apprentissage disponible devra être répartie plus largement. Mes excuses pour cette présentation un peu technique, mais essentielle pour comprendre la complexité de la situation actuelle.

Au final, quel est le risque ? Celui de voir les Grandes Écoles réduire le nombre de places en apprentissage dans leurs programmes, faute de pouvoir assurer le coût réel de la formation. En réduisant le nombre de places en apprentissage, c’est la capacité d’offrir des parcours sécurisés à des élèves boursiers qui est remise en question. Ou comment une mesure visant à favoriser l’apprentissage risque d’aller à l’encontre du processus d’ouverture sociale dans les Grandes Écoles.

Pour en savoir plus :
Grandes Écoles : Objectif de 30% de boursiers, MESR, 11 janvier 2010.
• Pierre Tapie (CGE) : “Si le projet de réforme de la taxe d’apprentissage se concrétise, cela conduira à asphyxier des formations”, AEF, Dépêche n°147189, Lundi 21 mars 2011.

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Stéphan Bourcieu

Armes sur les campus : faut-il combattre le mal par le mal ?

Après l’Utah et le Colorado, le Texas envisage à son tour d’autoriser le port d’arme dans les universités. Cette initiative, soutenue par le Sénat local et une majorité à la Chambre des Représentants, bénéficie également de l’approbation du gouverneur du Texas, Rick Perry.

En armant les étudiants et les professeurs, les pouvoirs publics espèrent éviter de nouvelles tragédies telles que celle de Virginia Tech en 2007, au cours de laquelle trente-deux personnes avaient été abattues par un étudiant en Lettres de 23 ans, Cho Seung-Hui. Selon certains témoins, le tueur aurait pu être stoppé si des personnes armées avaient été mesure de riposter.

Pour avoir suivi de près le drame de Virginia Tech (Pamplin College étant un de nos proches partenaires), je crois que nous mesurons mal de ce côté-ci de l’Atlantique l’ampleur du choc généré par ce drame auprès de la population américaine, des étudiants et personnels de l’université et des autorités.

Pour autant, faut-il soigner le mal par le mal et faire de la légitime défense le rempart de la société contre la violence ? D’un point de vue moral, cela heurte bien évidemment notre sensibilité d’européens. D’un point de vue légal, cela semble également difficile tant la légitime défense est un concept délicat à apprécier. On le voit dans le cadre d’affaires judiciaires impliquant parfois des représentants des forces de l’ordre, qui sont pourtant des professionnels formés aux armes à feu et à leur bon usage. Quelle serait la réaction d’étudiants ou de professeurs confrontés à telle ou telle situation de violence ?

Nous sommes heureusement loin de ces problématiques dans nos établissements d’enseignement supérieur en France. Toutefois, ce cas peut par exemple nous amener à réfléchir à la question de la sécurité de nos élèves envoyés en échange ou en double-diplômes aux États-Unis. Surtout et plus largement, le risque majeur à mon sens serait de voir l’émergence d’un modèle sécuritaire qui irait à l’encontre de la philosophie d’ouverture de nos établissements. Nous n’avons pas besoin de ça.

Pour en savoir plus :
• “Texas poised to pass bill allowing guns on campus“, Jim Vertuno, Associated Press, 20 février 2011.
• “Feu à volonté”, Robert Solé, Le Monde du 23 février 2011.