Voilà bien un paradoxe dont nous sommes friands. Alors que beaucoup pleurent le classement modeste obtenu par le système éducatif français au plan international, les écoles de management françaises caracolent en tête dans leur domaine. Et pourtant, il y a 40 ans qui aurait cru que ces modestes « sup de co » consulaires, qui ne valaient pas tripette au dire des collègues universitaires, arriveraient à se qualifier à ce point.
Que s’est-il passé ?
Entrepreneurs in academia.
Leur qualification a été en fait le fruit d’un long travail foncier sur une base de modèle qui au départ était proche du monde entrepreneurial contrairement au modèle académique traditionnel. L’expérience montre qu’il est sans doute plus facile de faire le chemin professionnel vers académique que l’inverse. La raison en est simple, il est plus facile de s’approprier des contenus existants par le biais d’experts, que de changer des comportements institutionnels fixés par une bureaucratie. Michel Crozier l’a démontré il y a bien longtemps.
Car en fait, le succès tient à la combinatoire créative entre deux approches l’une axiomatique et l’autre pratique. Evolution que l’on perçoit dans l’évolution des préoccupations de recherche de ces institutions.
Un autre phénomène a été lié à la découverte de l’international. Ces écoles depuis les années 70, et sans doute grâce au travail de la FNEGE (Fondation nationale pour l’enseignement de la Gestion), suite au livre de JJ Servan-Schreiber (le Défi américain). Les constats de JJSS a poussé les institutions et les futurs enseignants vers le modèle nord-américain au travers du programme de formation d’enseignant qui a concerné plus de 600 personnes (dont l’auteur de cet article). Rien de tel que de se confronter à un monde différent pour en retirer le miel. Au retour, nos boursiers ont eu à cœur de mettre en place de nouvelles pratiques, d’aller visiter d’autres univers académiques, de tisser des liens, des doubles diplômes, d’échanger des professeurs, des élèves, de modifier les programmes et d’en développer de nouveau. Une « learning expedition »à taille nationale.
Est née ainsi une génération d’enseignants et de responsables d’institution sans doute plus créatifs et entreprenants, que les compagnies consulaires ont su accompagner.
La fréquentation des associations internationales (AACSB, EFMD) a permis de poursuivre de premier mouvement et l’a renforcé. Pratiquant ces instances dès les années 80, certains dont j’ai eu l’honneur de faire partie, ont découvert les pratiques d’accréditation américaines, et en ont compris l’utilité, ou plutôt les multiples bienfaits tant sur le plan interne qu’externe. Maîtriser le solfège est utile pour faire de la belle musique jazz ou classique. En 1987, sur ma proposition, le Chapitre des Ecoles de Management a créé un groupe de travail permettant de mettre au point un protocole pour qualifier les écoles de management à la conférence des Grandes Ecoles, la commission du titre n’existant pas pour les écoles de management. Pour écrire ce protocole je me suis inspiré du modèle nord-américain, et pour le teste concrètement j’ai demandé à l’AACSB de mandater 2 doyens américains et le responsables des accréditations de l’AACSB pour une visite de test en France.
En quelques jours nous avons rendu visite à quelques institutions : l’ESCP, HEC, EM Lyon (à l’époque Groupe ESC Lyon), l’IAE d’Aix et l’ESC Marseille.
Ad augusta per angusta !
Cette démarche a produit comme résultat un avis favorable de nos amis d’outre atlantique, et nous a confortés dans notre démarche pour le Chapitre, démarche qui fut mise en œuvre à partir d’un pilote réalisé à l’EM Lyon. Très concrètement j’ai pu me rendre compte de l’intérêt pour une institution d’une telle démarche structurante.
En 1989, Christian Vuillez, alors Directeurs des Enseignements à la CCIP, me cède sa place au Conseil d’administration de l’EFMD. Peu de temps après je suis élu au Board de l’AACSB et voit ainsi les mouvements dans les deux associations cousines. Dès 1990 je perçois que l’AACSB souhaite étendre sa pratique accréditive à l’international. Ceci me pousse à proposer à l’EFMD d’y réfléchir. Le Conseil de l’EFMD me fait comprendre à plusieurs reprise qu’il est opposé à une telle démarche « we are a membership organisation, not an accreditive one ». Je maintiens mon idée et ayant participé à un vote décisif au Board de l’AACSB sur le déploiement de l’accréditation AACSB au plan international, , j’obtiens de faire inviter nos amis américains au Deans and Directors meeting de Janvier 1996 en Hollande. Le fait que l’ESSEC a décidé d’être la première institution à y participer crédibilise ma démarche.
A ce meeting, l’EFMD et les doyens présents découvrent, un peu surpris, le plan américain. La décision est alors prise sur le champ de lancer un groupe de travail pour élaborer un projet européen, car le protocole américain ne convient pas à la diversité des modèles européens.
Un groupe se forme dont la cheville ouvrière, Gordon Shenton, alors Directeur du programme ESC à Lyon devient à la fois le fer de lance et la clef de voute. Mais en Juillet 1996 je dois quitter la Direction générale de l’EM Lyon, à la fois sur pression du Président de la CCI de Lyon et désireux de me définir un projet de retour en entreprise, après 15 années de bons et loyaux services, un peu désabusé et un peu lassé par les jalousies et pratiques consulaires. J’ai néanmoins le plaisir de voir Patrick Fauconnier dans Challenges, classer LYON 2ème école française après l’ESSEC en Décembre 96.
Cette sanction positive est bien sûr le fruit d’un travail collectif, nourri à la créativité entrepreneuriale, mariant continuité et innovation où les apports, tant des Directeurs précédents (Jacques Lagarde, Yves Réale) que des dirigeants en place comme Philippe Albert, véritable inventeur de la pédagogie de l’entrepreneuriat, ont été déterminants.
Je poursuis mon engagement dans le dossier accréditation avec l’aide de la Directrice Générale de l’EFMD Bernadette Conraths. Des réunions de travail inter association nationales d’écoles sont mises en œuvre, une « association d’association » est créée, (Equal) et progressivement de réunions en réunion le projet se construit grâce au travail de tous, et à l’engagement remarquable de G.Shenton. En janvier 1997 le projet est présenté à la réunion des Directeurs et Doyens de l’EFMD, en Allemagne, j’y participe et le présente, et il est accepté à l’unanimité et une dizaine d’institutions européennes le soutiennent financièrement. Equis est né. La première école européenne à rentrer dans le dispositif est l’ESADE de Barcelone, à l’initiative de son Doyen Luis Pugès.
Son succès dépassera les espoirs les plus ambitieux. Et Equis développera une gamme de produits et services associés, Epas, Clip (pour les Universités d’entreprise), Equip (accompagnement) CEL (pour le e-learning) etc..Le solfège est écrit, mais c’est à chacun de faire sa musique. Par la suite, G.Shenton et toute l’équipe de l’EFMD déploieront le dispositif sans ménager leurs efforts. Les institutions universitaires publiques comme les IAE, y verront aussi un intérêt. Je participerai personnellement à une vingtaine de visites d’accréditation et avec G.Shenton nous créeront la procédure CLIP, pour les Université d’Entreprise, que nous mettrons en place avec les entreprises. La reconnaissance par la profession de ce travail est notre seule et véritable récompense.
Ces pratiques auront quelques années plus tard leur traduction et adaptation française : AERES, la commission du Grade Master. L’importance des accréditations dans les classements devient déterminante. La perte, ou la non-obtention, d’une accréditation devenant un enjeu stratégique déterminant.
Mais il faut avouer que tant la FNEGE, que l’EMD, et les apports des grands collègues de l’IMD de Lausanne, notamment Peter Lorange, de la LBS (London Business School avec George Bain), de l’INSEAD (C.Rameau), de Cranfield (M.Osbaldeston), et bien d’autres trop nombreux pour les mentionner tous ici, ont facilité l’acquisition de ces pratiques qualifiantes innovantes. Il faut à la fois savoir leur dire merci et rendre à son tour, à d’autres, les mêmes services.
Dans le même ordre d’idée et pour reprendre une analogie qui plait à Lyon, on pourrait dire que c’est le guide Michelin qui a fait la renommée internationale de la gastronomie française, à partir d’une pratique ancestrale innovante. L’accréditation est une modalité puissante de communication sur la qualité, comme tout système de normes industrielles, ce que les entreprises allemandes ont compris avant leurs collègues françaises. Promouvoir son système de normes correspond à une puissante action marketing, préparant l’arrivée des produits ou services pour toute une profession.
Mais la question se pose alors, les meilleures écoles certes, sans doute aussi d’excellents diplômés, mais alors pourquoi pas les entreprises les plus performantes dans tous les secteurs de l’économie ?
Question difficile à laquelle nous tenterons de répondre dans une prochaine contribution.