La rengaine répétée à l’envi : « La principale ressources des entreprises sont les hommes et les femmes qui la compose » génère souvent un haut le cœur tant elle est régulièrement prise en défaut.
En réalité les dimensions gestion et finance de l’entreprise sont beaucoup plus fréquemment contrôlées et auditées que les dimensions organisationnelle et humaine.
Le commissariat aux comptes et les experts associés sont là pour exercer ce contrôle, informer les instances dirigeantes et les actionnaires.
Mais qu’en est-il de la dimension gouvernance qui affecte directement ce qui est supposé être le principal patrimoine de l’entreprise. Certes il y a le Bilan Social qui propose nombre d’indicateurs sociaux, mais rien n’y apparaît sur la qualité de la gouvernance et de l’organisation qui affecte la qualité de la vie au travail de millions de personnes, dans les entreprises du secteur privé comme dans la fonction publique.
La tradition française est de considérer que pour avoir une entreprise performante et bien managée il suffit de recruter des élites formées dans les institutions les plus sélectives. L’observation montre que ces élites n’ont généralement pas de formation sur les questions organisationnelles, managériale, et bien peu sur les questions éthiques. Elles ont essentiellement une excellente formation technique dans leur domaine de spécialité : sciences de l’ingénieur, science administrative, marketing, finance, informatique, et c’est d’ailleurs la raison de leur recrutement.
Et qui dans l’entreprise rend compte des qualités organisationnelles ? La Direction Générale ? Difficilement car elle est juge et partie. Le DRH ? Sans doute, mais quel DRH peut tenir longtemps une position critique vis-à-vis de sa Direction Générale s’il observe des dysfonctionnements. Les Instances représentatives du personnel ? Cela semble peu vraisemblable. Le commissaire aux comptes ? Ce n’est pas sa mission, sauf si cela est relié à des préoccupations financières et de gestion. Les administrateurs indépendants ? Cela semble difficile au risque du défaut de loyauté, sauf si le mandat de la Présidence du Conseil de surveillance est clair et leur donne les moyens de faire une diligence de qualité. La plupart du temps donc, il n’existe pas de Comité Gouvernance auprès du conseil de surveillance, comme il existe un Comité Stratégique ou Rémunération .
Au cours d’une longue expérience professionnelle de plus de 50 ans, j’ai pu observer nombre de dérive de gouvernance, dans les petites organisations comme dans les grandes, dans le milieu associatif, consulaire, privé, public.
Ces dérives apparaissent quand il y a confusion entre les genres. Par exemple dans le milieu associatif, ou public quand le Dirigeant progressivement considère que l’organisation lui « appartient ». Abus de bien social caractéristique quand il s’agit d’argent, mais abus de bien organisationnel quand il s’agit d’utiliser l’organisation pour des objectifs personnels (népotisme, clientélisme, détournement d’activité, détournement de personnel, intrusion de réseaux d’influence externe).
Dans les institutions qui sont dirigées par des élus et gérées par des permanents, la situation met parfois les permanents, lors des renouvellements liés aux élections, dans des situations scabreuses, pris qu’ils sont dans la continuité d’un projet contraire aux nouvelles orientations politiques. Inutile de préciser que les objectifs d’élus ne sont pas toujours les mêmes que ceux de l’institution.
En résumé, il y a matière à réflexion.
Ce qui donne l’idée d’un Commissariat à la Gouvernance, sur le modèle du Commissariat aux Comptes.
Sans doute certains commissaires aux comptes pourraient servir ce propos, mais il semble indispensable de distinguer et séparer les deux types de mission.
A titre d’exemple, et sans ambition d’exhaustivité, voire de réalisme, voici quelques items d’investigation pour cette mission gouvernantielle :
· Les définitions des missions des instances dirigeantes, et des dirigeants : existence, formalisme, respect, analyse des documents internes (statuts, procédures, comptes rendus et minutes)et vérification sur le terrain,
· Organigramme officiel, organigramme de fonctionnement réel, réalité des définitions de mission et des titres
· Relevé d’incidents et de conflits internes (observations, analyse et diagnostic), traitement des conflits internes, procédures d’arbitrages et suivi, identification de zones de conflit de missions au sein de l’organisation.
· Analyse des entrées et départs
· Mesure de la qualité de la coopération interne (grille d’autodiagnostic), de la convention d’effort et des coûts de transaction
· Analyse du fonctionnement des instances représentatives du personnel
· Analyse des documents officiels à destination du personnel ou du public (y compris sites web)
· Analyse du fonctionnement des réseaux intranet.
· Analyse des études de climat interne, problématique du « Silence Organisationnel », non-dit, politiquement correct, valeurs énoncées, valeurs vécues, « légendes » de l’entreprise, rumeurs..
Un ou des administrateurs indépendants pourraient participer à cette diligence, pour en améliorer le reporting au Conseil d’administration ou de surveillance, et en assurer le suivi.
Les grands chapitres du rapport pourraient couvrir :
1. La définition de la stratégie, et les missions des différents organes pour la mise en œuvre et le suivi de la stratégie, la cohérence entre les objectifs et les moyens
2. L’analyse de l’organisation au regard des objectifs le fonctionnement des organes et du dispositif de reporting, l’audit interne, les incidents
3. La pertinence de la qualification des dirigeants, et leur qualité organisationnelle et managériales
4. Le fonctionnement de la DRH, des IRP, CHSCT, le Bilan Social, le SIRH, la fonction « learning et development », l’Université Interne, les ruptures de contrat, conventionnelles ou non. Les chartes internes : déontologie, comité éthique, les événements sociaux, les règlements intérieurs
5. Les systèmes d’information et de communication interne, imprimés ou électronique et les sites web et autres intranet.
6. Les relations avec les clients et fournisseurs, les relations avec les services publiques, avec les concurrents
7. Etc..
Face à l’importance de l’analyse, une telle diligence n’est pas réaliste tous les ans. Sans doute un cycle de trois ans semble plus raisonnable.
Transparence, responsabilité, respect des personnes et des engagements, cohérence, sont les maîtres mots d’un bon management.
De bons managers dans une organisation saine sont un gage de succès et de pérennité de l’entreprise, qu’elle soit privée, publique, association ou institution.
Sans doute ce projet pourrait être porté par l’Institut Français des Administrateurs, si toutefois leur gouvernance le leur permet.
In memoriam Enron, Parmalat, et autres déviants gouvernantiels.