Bruno Dufour, ex-directeur général de l’EM Lyon, expert indépendant, co-fondateur d’EQUIS et CLIP
Contribution de Bruno Dufour, extraite du livre de Jonathan Pottiez (à paraître courant 2017)
« L’évaluation de la formation (Dunod). »
Quelles sont, généralement, les motivations sous-jacentes à la création des universités d’entreprise ?
Une remarque liminaire s’impose. Même si elles sont gérées par la fonction RH ou formation, les universités internes ne leur « appartiennent » pas, contrairement aux centres de formation. Les universités internes sont des outils de développement organisationnels de direction générale. Les principales motivations explicites sont essentiellement : le déploiement de la stratégie, le renforcement de la culture et des valeurs (surtout après une fusion), le développement des dirigeants (création de vivier, identification de hauts potentiels), l’amélioration de la convention d’effort interne (faire baisser les coûts de transaction et créer des réseaux collaboratifs), l’amélioration du canal de communication entre la direction générale et l’encadrement, le développement de l’innovation et de la résolution de problème (Learning Expedition et Action Learning), l’amélioration de l’image d’employeur et le recrutement/la rétention des talents.
Mais souvent d’autres objectifs existent même s’ils ne sont pas avoués. Il peut s’agir de suivre un phénomène de mode managériale, faire comme les concurrents, ou plus prosaïquement le souhait d’un membre de la direction générale (RH ou non) de se mettre en avant. À titre d’anecdote je me souviens d’un président et d’un directeur général d’un grand groupe automobile qui appelaient séparément pour connaître leur évaluation en tant qu’intervenant dans les programmes pour jeunes dirigeants. Les deux étaient d’ailleurs excellents comme l’avenir l’a prouvé. Dans une autre entreprise, le fondateur souhaitait développer un sentiment fusionnel entre ses dirigeants, avec des pratiques qui ont heureusement été mises progressivement de côté.
Dans ce cadre, quelles sont les pratiques d’évaluation des formations observées ?
Les dirigeants s’intéressent surtout aux résultats, à l’amélioration de la performance. Ils cherchent des faits, des éléments observables, chiffrés, concrets, indiscutables. La formation en tant que telle n’est qu’un moyen, pas une fin. Évaluer la formation intéresse surtout les responsables de l’université interne, comme d’ailleurs les accréditations de type CLIP (EFMD). Pour cette dernière, ils y cherchent une validation par des professionnels car ils se doutent, ou redoutent, que leur direction générale n’a pas d’avis sur le sujet. Certes, il vaut mieux que les participants soient satisfaits, mais les facteurs qui rentrent en ligne de compte sont multiples, complexes, et ne tiennent pas uniquement à la formation proprement dite.
La véritable évaluation apparaît quand l’entreprise passe par une période de grande difficulté financière et que l’on voit ce que la direction décide de garder et ce qu’elle abandonne. Ma recommandation a toujours été de veiller à ce que l’organisation de l’université soit exemplaire, voire rustique, modeste et au service des acteurs et des clients internes. Si l’université rend de vrais services et résout des problèmes internes, organisationnels, ou de relation avec les clients, son utilité sera évidente et sa valeur ajoutée également. C’est dans cet esprit que j’ai souvent conseillé les processus de l’Action Learning qui, mobilisant les ressources internes, permet de déboucher sur des solutions légitimes et applicables rapidement, donc rentables. Faire gagner du temps et de l’argent à l’entreprise, en valorisant les acteurs, est sans doute l’évaluation ultime.
Le dispositif organisationnel qui permet une évaluation en continu consiste à mettre en place un comité de pilotage avec des membres (clients) de la direction générale et, parallèlement, un comité des programmes. Le premier va donner les axes de travail, le deuxième apportera les réponses qui seront appréciées après coup par le premier. Mais il importe que le comité de pilotage se réunisse deux ou
trois fois par an sous la présidence du directeur général et que les participants ne soient pas des représentants non-décisionnels des unités. Par ailleurs, on peut réduire les risques de dérive en désignant comme responsables de programmes des gens de terrain qui travaillent avec de vrais clients internes, si possible en faisant en sorte que les responsables de programmes soient à la fois compétents sur « un métier et un pays ».
Est-il donc vain de vouloir démontrer l’impact des formations dispensées dans ces universités sur les résultats de l’entreprise ?
Certains programmes d’universités internes, qui sont en fait des centres de formation, doivent faire appel aux évaluations classiques, surtout quand il s’agit d’acquérir une qualification sanctifiée par un certificat.
Mais comment évaluer un programme de développement personnel, ou de déploiement de la stratégie ? L’évaluation réelle interviendra souvent quelques mois, voire quelques années, après le programme lorsque les participants auront pris une nouvelle responsabilité et qu’ils auront démontré leurs compétences par leurs résultats. La temporalité de l’évaluation ne correspond pas toujours avec celle du programme. Certaines entreprises, comme nous l’avons repéré lors de la convention sur les universités internes, ont mis au point des dispositifs utilisant des bases de données importantes (Big Data) recueillies chez leurs clients (internes ou externes) pour isoler dans les réponses les variables dépendant de la formation et étudier les corrélations. Il reste que ce type de processus appelle des mises en œuvre importantes. Peu d’actions de formation justifient une telle démarche, coûteuse en temps et moyens. Quand l’action menée a des résultats tangibles (Action Learning), l’évaluation par le
« client DG » est immédiate. Restent le bon sens, le suivi et l’observation organisationnelle, en fait le rôle du management et de la DRH.
Mais trop de « responsables de programmes » utilisent les évaluations pour se prémunir contre un avenir incertain. S’ils avaient vraiment rendu service à leurs clients internes, ils n’en auraient pas besoin et, qui plus est, ils auraient sans doute d’autres opportunités dans l’entreprise. Car c’est en fait la pire chose pour un formateur que de rester trop longtemps dans la formation, quelles que soient ses bonnes évaluations. La formation n’est pas le cœur de métier, ni la voie royale de l’entreprise. Juste un moyen parmi d’autres. Il était temps que la réforme de la formation professionnelle le prenne en compte. Cette réforme en tant que telle était bien une forme d’évaluation du dispositif formation dans notre pays avec les dérives bureaucratiques et syndicales bien connues.