Lorsque je suis arrivé au sein du groupe IONIS, mon Président, Marc Sellam, m’a demandé de ne rien faire. Enfin, pas exactement quand même : il m’a indiqué que le plus important, pour lui, était que je consacre au moins deux mois à comprendre le groupe, à écouter, à auditer, à rencontrer les acteurs : qu’il s’agissait d’un investissement nécessaire pour pouvoir faire des propositions.
J’ai suivi le conseil et deux échanges en particulier m’ont marqué parce qu’ils traduisaient de façon très directe les changements impliqués par le numérique sur le marché de l’enseignement supérieur. On peut les résumer en deux phrases :
La première est extraite d’une discussion avec Emmanuel CARLI, le directeur de l’école informatique EPITECH qui a initié la fameuse « piscine » et dont la pédagogie est fondée sur le projet (200 environ pour chaque étudiant en cinq ans de cursus). Nous discutions de l’impact du numérique sur le business model de l’enseignement supérieur et j’étais curieux de voir comment réagissait le responsable d’une des meilleures formations dans le domaine informatique. Nous parlions depuis une bonne demie heure déjà et j’abordais la question des cours en ligne : fallait-il investir dans ce domaine à son avis ? (j’en étais évidemment complètement convaincu, mais j’étais là pour jauger l’acceptabilité sociale du projet). Très vite, sa réponse fuse : bien sûr, il faut s’engager dans cette voie, de toute façon, « Le contenu brut n’a plus de valeur », la démonstration se déploie : l’étudiant peut avoir chez lui un meilleur fauteuil, il a son ordinateur, il a une connexion internet à très haut débit pour un peu moins de 30 euros et donc l’accès à toute l’information (et la formation) dont il a besoin. Les cours sont de plus en plus nombreux à être gratuits (on peut même accéder à tous les cours du E-MBA de la Wharton School). Ce qui va créer une plus-value, c’est la communauté, le coaching, les projets (il y en a 200 en cinq ans à Epitech) le tutorat, l’accompagnement… il faut travailler à une nouvelle chaine de création de valeur.
La deuxième me renvoie à la découverte de la plateforme IONISx : je commençais à travailler avec Philippe CHIU, le directeur de l’enseignement numérique du groupe et je prends connaissance des réalisations du groupe. Pour bien comprendre, il faut savoir que je venais de travailler un an sur un projet de 6ème campus à ESCP Europe : un an consacré entre autres choses à choisir entre deux LMS (Moddle versus blackboard). Là, je tombe sur un trésor : une plateforme qui permet de certifier, de monétiser, des learnings analytics en temps réel, un design full responsive et avec une application mobile pour du off line. Avec, au passage, 20 MOOC réalisés et une approche pédagogique innovante, le « MIMO ». Bref, une pépite pour qui a des ambitions numériques. Au bout de quelques minutes, mon enthousiasme décroit : la plateforme est open source, elle utilise Open Edx, la technologie créée par le MIT et Harvard. Un gage de qualité certain, une philosophie de partage très sympathique, mais je réalise que n’importe qui peut reprendre les lignes de code et les utiliser. Philippe Chiu, voyant mon changement d’expression et ma déception, perceptible, me demande ce qui se passe. Je lui explique que tout cela est très bien, mais que nous n’avons pas d’avantage comparatif puisque n’importe qui peut nous copier. Il rigole. Oui, c’est open source, c’est la beauté de la chose : n’importe quel membre de la communauté peut prendre un bout de code (ou la totalité), l’utiliser et l’améliorer. Mais bon, en même temps, la plateforme, c’est 200 000 lignes de code, dont l’architecture n’est pas basique et donc pas facile à s’approprier… oui, bien sûr, si quelqu’un veut mettre une équipe dessus, il y arrivera… avec des bons, dans six mois, avec des moins bons, dans un an, mais, « dans six mois on sera loin ». L’enseignement n’est pas isolé de la nouvelle économie : les logiciels propriétaires sont de plus en plus dépassés, ce qui compte, c’est l’innovation permanente, l’agilité, la recherche.
Deux tranches de vie pour caractériser ce que le numérique change : tout. Le modèle économique est complétement à repenser et rien ne peut être protégé. Il faut penser autrement et c’est d’ailleurs la seule façon de bien préparer nos étudiants.
Note 1 : Les ambitions numériques d’ESCP Europe ont été traduites par un plan numérique présenté par le Dean de l’Ecole, le Professeur Frank Bournois cf. http://www.escpeurope.eu/nc/fr/media-news/news-newsletter/news-single/article/escp-europe-brings-digital-learning-to-the-heart-of-its-flagship8203-8203educational-programme
Note 2 : pour en savoir plus sur le « MIMO » et sur IONISx : http://www.letudiant.fr/educpros/evenements-educpros/mooc-faut-il-y-aller-si-oui-comment.html et les slides : http://www.slideshare.net/pchiu33/deck-prsent-lors-de-la