La frénésie MOOC : quand l’innovation est contre-révolutionnaire

DAY-OF-THE-MOOC

(Riff a GIF of David Kernohan’s Day of the MOOC poster for the Horror of the MOOCs assignment)

On assiste depuis plusieurs mois à un véritable déferlement médiatique sur les MOOCS (Massive online open courses), CLOMS en français (cours en ligne ouverts et massifs). Mais qu’en est-il réellement de ce dispositif anglo-saxon lorsqu’on le considère dans l’environnement français de l’enseignement supérieur ?

 

Vous avez dit MOOCS?

Sur une définition possible de cet objet que nous différencions bien de toutes les ressources éducatives en ligne déjà produites par les services TICE (cours filmés, PPT ou PDF mis en ligne) nous nous sentons très proche de l’analyse de Dominique Boullier, Professeur à Sciences Po et Directeur exécutif de forccast (projet de formation innovante IDEFI) : « Les MOOCS mettent en place avant tout un système de marques (au sens de réputation,« brands ») qui doivent se substituer à tous les autres dispositifs d’orientation dans les savoirs et dans la demande de formation » sur le web. Il s’agit d’inscrire des contenus pédagogiques dans l’économie de l’attention et de la réputation propre à l’Internet, afin d’accroître l’attractivité de son établissement.

Quelque soit le type de MOOC mis en place (cMOOC ou xMOOC : individuel ou collaboratif)  on ne peut pas considérer que ce dispositif puisse à lui seul être à même de révolutionner la pédagogie universitaire. Il s’agit cependant, et il ne serait pas raisonnable de le contester,  d’une véritable innovation (qui a presque dix ans aux Etats-Unis…). Néanmoins elle reste difficile à mettre en œuvre. Au delà du coût encore difficile à estimer (de 50 000 à 100 000 euros pour des séquences complexes), quid de l’engagement des enseignants-chercheurs dans ces chronophages, alors que la pédagogie ne fait pas partie de leur évaluation ? Quid de la certification voire de la diplomation des étudiants dans un contexte massif ?

Les MOOCS restent à ce stade, sur le plan pédagogique, une potentialité pour les enseignants et les étudiants. Ne nous leurrons pas. Les MOOCS sont à l’origine une démarche marketing des universités anglo-saxonnes et les promesses de révolution pédagogique semblent déjà s’éloigner. Ainsi que l’analyse  Gilles Roussel, président de l’UPEMLV (université Paris-Est Marne-la-Vallée) et également président de la commission insertion professionnelle de la CPU : « ils [les MOOCS] sont souvent des produits d’appel et de communication. Leur émergence ne va pas transformer à court terme les universités. L’enjeu principal est ailleurs : c’est la place que va occuper le numérique dans les enseignements. Les MOOCs s’inscrivent dans une évolution pédagogique plus large”. Une pédagogie plus active peut s’adosser aux MOOCS. On peut même concevoir des dispositifs d’évaluation formative adossés au pair à pair, et il est  indifférent dans ce cadre que l’on s’appuie sur un xMOOC suivi individuellement, ou un sur cMOOC, concu pour une mise en œuvre collaborative. Mais l’évaluation reste problématique, et la nature même des MOOCS n’entraîne pas en soi  une pédagogie rénovée

 

Au delà de l’innovation, la rénovation pédagogique

Comme le précise Matthieu Cisel dans son guide du MOOC, le préalable à la fabrication d’un Mooc nécessite la constitution d’une équipe pédagogique que nous qualifierions  « d’étendue ».  Si les enseignants sont le cœur du système, et si l’apport dans ce processus des DSI (visioconférence), ou des TICE (ingénierie pédagogique et compétences audiovisuelles) sont correctement identifiés, le guide du MOOC ne dit rien du rôle de la documentation. Un hasard ?  Pas tout à fait.

Au-delà du manque de transversalité entre services potentiellement contributeurs, au-delà de la difficulté de constituer en France des communautés d’apprenants, au-delà du coût de ces dispositifs,  qu’est-ce qui pourrait contrarier le développement des MOOCS ? Tout simplement le fait de reproduire avec ces outils des dispositifs pédagogiques somme toute traditionnels, inadaptés aux étudiants d’aujourd’hui, lesquels sont bien peu consultés sur les MOOCS ! Suffit-il d’équiper une salle d’enseignement d’un tableau numérique interactif pour rénover sa pédagogie ? Car c’est bien là qu’est l’enjeu. Et dans ce domaine, la documentation doit prendre toute sa place : la lecture, la réflexion en amont du cours, l’information en aval jouent un rôle déterminent dans la réussite des étudiants, comme le fait de les placer en position la plus active possible dans les apprentissages. C’est tout simplement la pédagogie pratiquée en Grande-Bretagne, en Allemagne, en Amérique du Nord, en Scandinavie, où l’acquisition des connaissances est le fait de lectures prescrites et inévitables, et où le cours avec l’enseignant est avant tout un temps d’échange, d’élucidation, de remédiation. L’inverse exact de la logique du cours magistral, qui favorise consubtantiellement la passivité, et l’évitement maximum de la réflexion préalable et de la lecture (tous supports confondus). Cette « pédagogie inversée » doit se généraliser en France.

Sortir du culte de l’ingénieur

Il est crucial pour les acteurs français de s’inscrire rapidement dans le mouvement mondial de captation des meilleurs étudiants : c’est toute l’ambition de France Université Numérique (FUN). Mais l’on comprend dès lors également que par nature les MOOCS soient de bien mauvais candidats à l’instauration d’une pédagogie universitaire plus active, « inversée » : leur caractère massif, qui en fait le principal intérêt dans l’économie du web, s’y oppose.

Ne nous trompons pas. Je ne suis pas contre les MOOCS, ni contre les nouveaux outils numériques. Les MOOCS permettent un accès réellement démocratisé et massif à des savoirs et contenus de niveau académique. Ils offrent réellement la possibilité pour les étudiants salariés de pouvoir adapter leur emploi du temps à des contraintes professionnelles. C’est aussi une véritable vitrine pour la francophonie : l’AUF ne s’y est pas trompé, qui a lancé un appel à la production de MOOCS.  En revanche on peut questionner la logique « brick & mortar »` des initiatives multiples de plateformes de MOOCS françaises (cf. Océan) venant quoi qu’en en dise en concurrence avec la plateforme de France Université Numérique. La question n’est pas celle des outils (quelle plateforme ?) mais bien celle de la rénovation pédagogique, et de la réussite étudiante.

La surexposition médiatique du sujet MOOC participe de la même frénésie technophilique qui tend à nous faire croire que l’imprimante 3D est indispensable chez nous ou que la livraison par drone d’un colis acheté quelques minutes auparavant sur la toile constituent une révolution profonde. Certes, les outils ne sont pas neutres : ils ouvrent des possibles inconcevables avant leur apparition, et ont parfois un impact sociétal considérable. Mais ce n’est pas une qualité intrinsèque : la roue motrice chez les Aztèques ou la poudre à usage militaire dans la Chine classique sont des exemples rebattus. Pour saisir le monde tel qu’il va, et tenter de percer où il court, on ne tire rien d’une focalisation sur les outils. Ce sont les usages qui comptent.

3 Comments

Filed under Pédagogie universitaire

3 Responses to La frénésie MOOC : quand l’innovation est contre-révolutionnaire

  1. Merci !

    Quelques remarques « de practicien »

    – sur la question de la marque, c’est exact, mais je pense que Dominique Boullier exagère : même avec une signature prestigieuse, un mauvais cours est très vite critiqué, c’est exactement ce que l’on constate. Et sur le web, la concurrence est vive et l’information circule vite. Les étudiants n’hésitent pas « à faire leur marché » et à comparer. Donc s’il est vrai en première approche que « substituer à tous les autres dispositifs d’orientation dans les savoirs et dans la demande de formation » c’est exact uniquement « initialement ».

    –  » le guide du MOOC ne dit rien du rôle de la documentation. » justement j’ai consacré un chapitre de ma formation « pilotage de MOOC » http://gestiondeprojet.pm/formation-au-pilotage-de-mooc à ce sujet, car il est tout à fait crucial de mettre en place une GED sur un projet aussi complexe… je propose aussi des documents-types et une arborescence.

    .. enfin je suis tout à fait d’accord avec votre dernière partie .. « La question n’est pas celle des outils (quelle plateforme ?) mais bien celle de la rénovation pédagogique, et de la réussite étudiante » …. et bien sûr avec votre conclusion « Ce sont les usages qui comptent. »

  2. Merci pour cet excellent article qui nous ramène les « pieds sur terre ». Je m’intéresse aussi aux rapports entre les classes inversées et les MOOC
    – Selon moi, le xMOOC lui-même constitue une part de la « documentation » … A côté de tas d’autres choses … Le « cours » ( en amphi je veux dire) n’est pas la partie essentielle de la formation … En ligne, non plus !
    – Le rapport entre ces MOOC et les classes inversées est lui aussi fascinant. Je vais un tout peu plus loin … Cette mise à distance (médiatisation) va-t-elle quelque part nous faire réfléchir aux usages, au local … A la présence ?
    – Je viens d’écrire un billet la-dessus sur le ton  » Let’s Flip the MOOC » : http://lebrunremy.be/WordPress/?p=651
    – Par contre, je pense que les connectivistes (cMOOC) sont d’une autre portée … On serait dans une focalisation sur les usages, les pratiques, l’action … Mais, les citadelles du savoir se défendent bien !

  3. Pingback: MOOCs : comme un goût de lendemain de fête… | Romain Gibert - Elearning, FOAD et Formation 2.0

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