(c) Lance Miyamoto
Nouvel arrivant dans la blogosphère Educpros, je vous invite pour ce premier billet à un exercice de prospective sur l’avenir du couple information-formation à l’horizon 2024.
Un couple qui se heurte à au moins deux éléments d’incertitude
Le premier pourrait se résumer ainsi : quel sera le visage de la création de contenus dans les prochaines décennies ? Si l’Internet a contraint et contraint encore aujourd’hui les services de médiation culturelle, notamment documentaires, à revoir en profondeur leurs modes d’intervention, son impact est encore plus déstabilisant pour les industries culturelles, pour lesquelles s’inscrire dans une économie de l’attention bouleverse tous les équilibres. Comment rétribuer la création dans un contexte où vole en éclat la notion d’original, principe structurant du code de la propriété intellectuelle, et ou les notions d’émetteur et de récepteur apparaissent brouillées, chacun pouvant avec une grande facilité se réapproprier techniquement une création en vue de la transformer ou de la recomposer (pour le meilleur ou pour le pire) ? La facilité offerte par les technologies numériques,de créer des contenus là où hier, le monde analogique exigeait des équipement généralement lourds (imprimerie, chaîne de production cinématographique, etc.), bouleverse profondément la donne dans de nombreux secteurs, notamment académique, comme l’illustre le mouvement de l’open access dans le domaine de l’IST, ou celui des MOOCS dans l’ordre de la production de contenus pédagogiques.
Quelles mutations du système de formation dans les années à venir ?
Les pays développés ont fait le pari qu’ils se trouvent désormais à un stade de leur histoire où l’essentiel de la richesse produite résultera du capital humain mobilisable pour des activités à forte valeur ajoutée. C’est le thème bien connu de l’économie de la connaissance, qui place l’activité de formation (et singulièrement, la formation tout au long de la vie) au cœur de la production de richesses. Or, à des degrés divers, tous les pays développés ont à faire face dans ce domaine à un « plafond de verre », limitant le nombre de diplômés de l’enseignement supérieur en deçà des besoins identifiés, alors que le chômage inscrit ses ravages principalement parmi les actifs peu ou pas qualifiés. Comment hausse-t-on le niveau général de compétences d’une population, comme on l’a fait par exemple tout au long du XIXe siècle, évolution qu’est venue couronner l’instruction primaire obligatoire de Jules Ferry ? Gageons en tout cas que face au déluge informationnel actuel et aux transformations des modalités de construction du savoir qu’implique le numérique, il devient essentiel de revoir profondément les méthodes d’enseignement traditionnelles. Les évolutions rapides des usages et des représentations introduites par le numérique poussent en effet à l’adoption d’une pédagogie plus active, sur le modèle de nos voisins étrangers : lectures en amont du cours, séances avec l’enseignant recentrée sur la remédiation et l’interaction, TD ou TP résolument tournées vers les apprentissages méthodologiques, notamment informationnels (savoir trouver l’information mais aussi et surtout la trier, l’évaluer, se la réapproprier), travaux (individuels, de groupe, tutorés ou pas) à conduire hors la classe en autonomie. C’est dire que la rénovation de l’enseignement appelée par la « révolution » numérique nécessite la collaboration des enseignants, des professionnels des TICE et de ceux de la documentation au sein de véritables équipes pédagogiques. La question des outils, qui occupe beaucoup aujourd’hui, est en fait secondaire : on peut enseigner de façon très traditionnelle sur un tableau blanc interactif dernier cri. Les enseignants du supérieur sauront-ils, voudront-ils investir dans cette pédagogie plus exigeante ? Le système d’évaluation et de promotion qui régit leur carrière aujourd’hui n’y pousse pas vraiment. Et pendant ce temps, le secteur commercial s’organise pour occuper le terrain.
Qu’il s’agisse de création de contenu ou de formation, la vraie inconnue réside donc en fait dans la redistribution en cours de la frontière entre domaine public et intérêts commerciaux : il y a deux cents cinquante ans, aucune maison d’édition commerciale ne publiait dans le secteur académique, considéré comme une niche non-rentable ; de même, la responsabilité de l’éducation ne relevait pas à cette époque de la sphère publique. Qui pourrait dire ce qu’il en sera en 2024 ?