C’est le mot d’ordre lancé en 1969, il y a tout juste 40 ans, par le grand mathématicien Jean Dieudonné. Il s’agissait d’en finir avec l’enseignement traditionnel des mathématiques où la géométrie tenait une place éminente.
Il n’est sans doute pas sans signification que le mot d’ordre « A bas Euclide ! » ait été lancé par Jean Dieudonné dans un séminaire organisé à Royaumont par l’ Organisation européenne de coopération économique ( OECE, future OCDE ). D’autant que la même OECE avait réuni huit ans auparavant, en Yougoslavie, un séminaire international à l’issue duquel avait été publié – sous le titre « Mathématiques nouvelles » – un programme type pour l’enseignement secondaire.
La réforme qui met les mathématiques dites ‘’modernes’’ au programme des enseignements scolaires à partir de 1969 n’est nullement une improvisation post-soixante-huitarde, comme beaucoup le croient. Au tout début de cette aventure, il y a, dès avant 1940, un groupe de jeunes mathématiciens qui entendent restructurer l’enseignement des mathématiques à l’université pour y intégrer les apports de la recherche depuis le début du XX° siècle. Connu sous le nom collectif de « Bourbaki », ce groupe met en œuvre un formalisme unificateur qui trouve un grand écho international. Et cela aboutit à une révision radicale des programmes de l’enseignement supérieur dès 1952, puis des classes préparatoires en 1961.
Finalement, on en arrive à penser que cela ne doit plus seulement concerner la recherche et l’université, mais aussi les enseignements scolaires. L’écart s’est en effet creusé entre les mathématiques enseignées à l’université et celles de lycée : les jeunes professeurs n’enseignent pas dans les lycées et collèges les mathématiques qu’ils ont apprises dans le supérieur. Si bien que l’Association des professeurs de l’enseignement public se prononce très tôt, dès 1956, pour une réforme. En 1964, elle crée même une commission pour y réfléchir concrètement ; et elle publie ses propositions en 1968 après avoir consulté ses 8000 adhérents. Parallèlement, une grande commission à l’initiative du ministre de l’Education nationale Christian Fouchet est formée en janvier 1967. Présidée par le grand mathématicien André Lichnerowicz, cette commission comprend 7 universitaires, 7 membres de l’Association des professeurs de mathématiques et deux inspecteurs généraux.
Jean Dieudonné considérait que l’abstraction est ce qui convient à tous : « Quel but poursuit-on dans nos civilisations modernes, en enseignant les mathématiques aux enfants? Certainement pas de leur faire connaître une collection de théorèmes plus ou moins ingénieux sur les bissectrices d’un triangle ou la suite des nombres premiers, dont ils ne feront jamais le moindre usage plus tard ( à moins qu’ils ne deviennent mathématiciens professionnels ) ; mais bien de leur enseigner à ordonner et enchaîner leur pensée selon la méthode dont se servent les mathématiciens, et parce qu’on reconnaît dans cet exercice un excellent moyen pour développer la clarté d’esprit et la rigueur du jugement . C’est donc l’essence de la méthode mathématique qui doit faire l’objet de cet enseignement, les matières enseignées ne devant en être que les illustrations bien choisies » » ( in « L’abstraction en mathématiques et l’évolution de l’algèbre », texte de Dieudonné dans « L’enseignement de mathématiques », publication de la Commission internationale pour l’étude et l’amélioration de l’enseignement des mathématiques, Delachaux et Niestlé, 1960 ).
La commission avait souhaité que les nouveaux programmes soient expérimentés en classe avant d’être généralisés. Mais sans doute en raison d’une volonté de créer l’irréversible, de nouveaux programmes sont mis en application en sixième et seconde dès la rentrée de 1969. Et cela sans attendre les résultats d’une expérimentation qui avait pourtant été engagée.
La Commission Lichnerowicz invite à la prudence, et met en garde contre le risque d’un usage par trop formel et sélectif des ‘’maths modernes’’, mais trop tard. Les nouveaux programmes sont élaborés au fur et à mesure, et gagnent de classe en classe, année après année. Ils arrivent même dans le primaire dès 1970. Les réformateurs unifiaient les mathématiques par un formalisme qui impliquait un niveau supérieur d’abstraction. La plupart d’entre eux étaient par ailleurs partisans de méthodes modernes et actives permettant de dégager les notions progressivement. Mais cela se soldait, en fait, par des « maths modernes » qui devenaient – à leur grand dam – une sorte de langue formelle dont il fallait apprendre le lexique et la syntaxe. Comme quoi il ne suffit pas d’être bon mathématicien pour faire une bonne réforme de l’enseignement des mathématiques.
Bonjour
votre chronique est référencée et commentée sur le Blog “Histoires d’universités” dans “Revue de blogs n°6″
http://histoireuniversites.blog.lemonde.fr/2009/12/13/revue-de-blogs-n%c2%b06/
Cordialement
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