L’important colloque national qui a eu lieu à Amiens à la mi-décembre a abouti à un bilan contrasté de la loi Debré cinquante ans après son adoption.
On sait que la loi Debré fut votée le 31 décembre 1959 malgré non seulement l’opposition du camp laïque mais aussi les réticences voire l’hostilité d’une partie de la majorité gouvernementale ( qui craignait que les écoles catholiques soient soumises – par le biais des contrats – ‘’simples’’ ou surtout d’’’association’’ – à une intégration rampante au service public, et y perdent plus ou moins leur ‘’âme’’). Le Conseil des ministres du 22 décembre fut très animé, et le général de Gaulle dut le conclure à sa manière, impérieuse sinon impériale : » si le gouvernement ne peut se mettre d’accord, il faut en changer ; si le Parlement n’accepte pas une situation de bon sens, il faudra le dissoudre « …
C’est que, pour le général de Gaulle, il y allait à terme de la consolidation ou pas de l’unité nationale, capitale à ses yeux. C’est d’ailleurs ce qu’il avait alors souligné : » si nous ne sommes pas capables, en ce moment, d’amorcer l’acheminement vers l’unité scolaire, alors le pays est voué à la dualité et pour longtemps « .
Le ‘’compromis’’ fondamental inscrit dans l’article 1 de la loi a été rédigé de la main même de Charles de Gaulle : » Dans les établissements privés ayant passé un des contrats prévus, l’enseignement placé sous le régime de contrat est soumis au contrôle de l’Etat ; l’établissement, tout en conservant son caractère propre, doit donner l’enseignement dans le respect total de la liberté de conscience « .
Le compromis est pensé à partir d’une dissociation entre l’ » enseignement » ( qui doit être le même que dans le service public, laïque, ce qui est un facteur d’unité, de » rapprochement des esprits » comme dit le préambule de la loi ) et l’ » éducation » donnée par l’établissement, qui peut avoir un » caractère propre « . Par ailleurs, et toujours dans l’esprit de ne pas aller dans le sens d’une dualité scolaire, l’Etat ne traite pas avec un ensemble national catholique, mais avec des établissements ( qui choisissent, un par un, de contracter ou non tel ou tel type de contrat ).
Qu’en est-il cinquante ans après ? On peut d’abord reprendre ici quelques-unes des remarques de l’historien Antoine Prost chargé de conclure le colloque. Premier constat, la loi Debré qui avait suscité une vive opposition de part et d’autre, avec ensuite des tentatives plus ou moins vives de l’infléchir dans un sens ou dans l’autre, apparaît désormais au plus grand nombre comme un point foncier d’équilibre du système scolaire. Mais, contrairement à ce qu’avait prévu le législateur en n’associant que des établissements, l’Enseignement catholique s’est, de fait, structuré en une entité nationale. Certes les établissements catholiques et l’Enseignement public se sont rapprochés et se trouvent de fait dans un même espace éducatif ( ce qui facilite d’ailleurs les passages de l’un à l’autre, très nombreux comme l’a rappelé ici même sur Educpros Claude Thélot dans un billet précédent ), mais ,selon la formule d’Antoine Prost, il s’agit plutôt encore de deux chemins parallèles, séparés par une haie, parfois avec des épines « .
L’un des sentiments que l’on a en effet éprouvé tout au long du colloque est que les deux secteurs principaux ( à savoir l’enseignement public proprement dit, et les établissements catholiques sous-contrat ) tendent à converger et à se retrouver dans un même ‘’espace éducatif’’, mais s’ignorent et voisinent dans la méconnaissance persistante, voire la méfiance.
En l’occurrence, la communication de l’historienne Jacqueline Lalouette a été particulièrement opportune en mettant l’accent sur les différences du ‘’privé catholique’’ tenant au lieu d’implantation, et donc de milieu social des élèves, à la nature des établissements ( tutelle purement diocésaine ou tutelle congréganiste) ou aux convictions des directeurs ( l’appartenance à l’ADDEC paraissant traduire des préoccupations spirituelles spécifiques ). Même si, au-delà de cette diversité, son enquête aboutissait à dégager quelques caractéristiques communes : un message évangélique ‘’proposé’’ à tous les élèves ( » première annonce » ) sans esprit de prosélytisme marqué ; un nombre d’élèves extrêmement réduit allant au-delà, et suivant la catéchèse ; peu de professeurs semblant concernés par la pastorale ; une adhésion des parents au projet d’établissement souvent purement formelle .
A cet égard le contraste était net avec » Les écoles juives en France » ( y compris sous contrat, plus de la moitié ) telles qu’elles apparaissaient dans l’enquête menée par Martine Cohen, chercheuse au CNRS ( » Perspective historique et tendances actuelles » ), allant pour la plupart vers des affirmations ‘’identitaires’’ pouvant être en contradiction flagrante ( en particulier celles qui demandent un certificat religieux aux parents pour inscrire leurs enfants à l’école ) avec l’esprit et la lettre du compromis à la base même de la loi Debré ( Article premier : » L’établissement , tout en conservant son caractère propre, doit donner l’enseignement dans le respect de la liberté de conscience ; tous les enfants, sans distinction d’origine , d’opinion ou de croyance y ont accès » ).
D’où l’interpellation de l’ex-recteur et inspecteur général Bernard Toulemonde ( qui avait auparavant remarquablement traité de » La question du contrôle et de la gestion des enseignants du privé » ) rappelant que la » Lettre du Monde de l’éducation » du 8 octobre 2007 avait déjà signalé que l’Inspection générale avait envisagé une enquête de fond sur le sujet, mais que » faute d’accès aux informations nécessaires et de soutien interne, les inspecteurs généraux avaient dû finalement renoncer à ce travail « .
Une interrogation plus que légitime ! Qu’en sera-t-il en effet dans quelques années du devenir de la loi Debré si certains – et de façon persistante – peuvent s’arroger la possibilité de la contourner ( et qui plus est de façon quasi ouverte ) ! Que fait le ministère ( désigné pudiquement, dans la » Lettre « , sous le terme de ‘’soutien interne’’… défaillant ) ?
Bonsoir.
Chronique signalée et commentée dans la Revue de blogs n°9 d’Histoires d’universités http://histoireuniversites.blog.lemonde.fr/2010/01/06/revue-de-blogs-n°9/
Meilleurs voeux 2010 et que cette année soit meilleure pour les universités de France. Bien cordialement