Des chercheurs et enseignants chercheurs s’adressent au ministre de la Recherche et de l’Enseignement supérieur pour attirer son attention sur le caractère tout à fait discutable de certains des critères que l’AERES a retenus pour procéder à l’évaluation de l’activité scientifique des équipes de recherche et des établissements universitaires.
Ecrite par André Sirota et contresignée immédiatement par une bonne trentaine d’autres chercheurs ou enseignants chercheurs après quelques amendements, cette lettre ouverte sera sans doute signée par beaucoup d’autres (s’adresser à A.sirota@orange.fr ou sirota@u-paris10.fr).
Juillet 2011
à Monsieur Laurent WAUQUIEZ
Ministre de la Recherche et de l’Enseignement Supérieur
Monsieur le Ministre,
Nous soussignés, chercheurs et enseignants chercheurs, nous adressons à vous pour attirer votre attention sur quelques-uns des critères que l’AERES a retenus pour procéder à l’évaluation de l’activité scientifique des équipes de recherche et des établissements universitaires. En effet, nous avons constaté que ces critères aboutissaient à la dévalorisation des équipes et des établissements, alors même que les plus hautes autorités de l’État affirment viser « l’excellence ».
Tout d’abord, les chercheurs étant aujourd’hui désignés sous le terme de « produisants », bon nombre de chercheurs sont considérés comme improductifs alors qu’ils contribuent aux recherches de leur équipe et publient.
Parmi ces critères figure, par exemple, l’âge moyen des doctorants ou des docteurs ayant soutenu pendant une période quadriennale et maintenant quinquennale. Ce critère d’âge appliqué de façon mécanique est tout simplement irrationnel. Dans nombre de spécialités, en sciences humaines notamment, avoir un minimum d’expérience de vie et donc plus de 30 ou 35 ans pour soutenir une thèse est un facteur favorable. De nombreuses études requièrent un patient recueil de données longitudinales et/ou comparées. En outre, dans ces spécialités, la plupart des doctorants travaillent en même temps qu’ils conduisent leurs recherches, ce qui est une preuve de leur engagement.
Pourquoi les instances d’administration de la recherche ont-elles décidé de pénaliser ces chercheurs et les équipes dont ils font partie par ce mode le calcul ? Il s’ensuit que plus la moyenne d’âge d’une équipe est basse, meilleure est sa note, sans considération ni de la qualité ni du nombre des publications. Un autre critère quantitatif est le nombre de chercheurs et d’enseignantschercheurs, comme s’il avait une importance décisive pour la qualité des travaux.
Concernant la reconnaissance des chercheurs, seuls sont pris en compte les statuts de maître de conférences ou de professeur. Les chercheurs « produisants », qui ne sont pas sur ces postes d’enseignants-chercheurs (PRAG, PRCE,…), « n’existent » pas et leurs publications ne sont pas prises en compte dans l’évaluation. Sont également ignorés les travaux de praticiens-chercheurs de terrain, bénévolement associés aux Laboratoires.
Enfin, les travaux des professeurs émérites ne comptent pas non plus alors qu’ils ont généralement une notoriété, y compris internationale, et qu’ils contribuent au rayonnement de la France et de la francophonie dans leur domaine. Ils continuent de publier et de transmettre, ils dirigent des revues, sont membres d’instances scientifiques et de sociétés savantes. Ils sont sollicités pour siéger dans des comités d’évaluation.
Ils contribuent aux avancées de la science dans leurs domaines et dans des carrefours interdisciplinaires par les nouvelles élaborations que leur expérience leur permet de proposer. Au-delà de leur activité scientifique, ils font bénéficier les équipes des réseaux internationaux qu’ils ont développés. Ils rendent possibles des mobilités pour les plus jeunes. Ne pas prendre en compte leurs travaux pour évaluer la recherche en France témoigne encore de l’irrationalité des critères d’évaluation.
2. Si nous attirons votre attention sur ces différents points, c’est qu’ils nous paraissent révéler une ignorance des réalités de la recherche. Si comme nous, vous souhaitez que l’université française soit encore plus dynamique et plus productive, nous vous demandons de bien vouloir reconsidérer les critères d’évaluation afin qu’apparaisse la valeur réelle de la production scientifique des chercheurs, des équipes et des universités françaises et de garantir ainsi la place et le rayonnement qui leur reviennent tout en assurant la défense de la francophonie. À ce sujet, l’AERES privilégiant quasi exclusivement dans nombre de disciplines les publications en langue anglaise, on voit mal quel est son rôle dans la promotion de la francophonie, objectif gouvernemental majeur.
Eu égard à l’importance des questions soulevées dans cette lettre, nous nous engageons à en faire connaître le contenu dans la presse.
Premiers signataires :
1. André Sirota, Professeur émérite de psychopathologie sociale clinique, Université
Paris Ouest Nanterre La Défense, président d’une société savante, la SFPPG,
Société Française de Psychothérapie Psychanalytiques de Groupe
2. René Kaës, Professeur émérite de Psychologie et Psychopathologie cliniques,
Université Lumière Lyon II
3. Jacqueline Barus-Michel, Professeur émérite de Psychologie Sociale Clinique,
Université Paris Denis Diderot
4. Michel Kreutzer, Professeur en Éthologie et Cognition comparée, Université Paris
Ouest Nanterre La Défense
5. Michel Arrivé, Professeur émérite de Sciences du langage, Université Paris Ouest
Nanterre La Défense, ancien président de la 7ème section et du 4ème groupe du
CNU, ancien membre du CNRSER
6. Jean-Marie Barthélémy, Professeur émérite de Psychopathologie et Psychologie
Clinique, Université de Savoie
7. Drina Candilis-Huisman, Maître de conférences HDR, psychopathologie de la
périnatalité et de l’enfant, Université Paris-Diderot
8. Claudine Blanchard-Laville, Professeure émérite, Sciences de l’Éducation,
Université Paris Ouest Nanterre La Défense
9. Pierre Delion, Professeur des universités, praticien hospitalier, faculté de
médecine de Lille 2, chef du service de pédopsychiatrie CHU Lille, recherche en
psychopathologie, co-pdt waimh
10. Guy Gimenez, Maître de conférences HDR, Psychologie et psychopathologie
cliniques, Co-responsable de la spécialité de master psychologie et
psychopathologie cliniques – Université de Provence, Aix-Marseille.
11. André Legrand, Professeur émérite de Droit Public, Université Paris Ouest
Nanterre La Défense
12. Claude Lelièvre, Professeur honoraire, historien de l’éducation, Université Paris
Descartes
13. Catherine Yelnik, Enseignante (PRCE) et chercheure, Docteur en sciences de
l’éducation, CREF, Université Paris Ouest Nanterre La Défense
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14. Georges Gaillard, Maître de conférences, Psychopathologie et Psychologie
Clinique, responsable du cursus de formation en psychologie « Formation à Partier
de la Pratique », Université Lumière Lyon2
15. Alain Savet, Maître de conférences, co-responsable Master2 Professionnel
psychopathologie psychanalytique Université Toulouse II le Mirail
16. Annick Weil-Barais, Professeur, classe exceptionnelle, Psychologie cognitive,
psychologie du développement, psychologie de l’éducation, responsable du
programme régional de recherche « OuForEP », Université d’Angers
17. Marie-Jean Sauret, Professeur de Psychopathologie clinique, co-directeur du
Laboratoire de Cliniques Psychopathologique et Interculturelle, Directeur du
Département de Psychologie clinique du sujet, Université de Toulouse le Mirail
18. Pascal-Henri Keller, Professeur de Psychopathologie clinique, co-directeur de
l’EA 4050-CAPS, Université de Poitiers.
19. Michèle Bertrand, Professeur des universités émérite, psychopathologie clinique
20. Magali Ravit, Maître de conférences, Psychologie et psychopathologie clinique,
responsable du Master 1 de psychologie clinique / DU de criminologie et
d’expertises judiciaires, Université Lyon 2
21. Yves Morhain, Professeur, Centre de Recherches en Psychopathologie et
Psychologie Clinique (C.R.P.P.C.), Université Lumière Lyon 2
22. Patrice Cuynet, Professeur de Psychologie clinique et de psychopathologie,
responsable du master Clinique psychopathologique et Clinique de la Famille,
Université de Franche Comté.
23. Bernard Duez, professeur émérite Institut de psychologie Lumière Lyon 2,
professeur associé Universidad de Buenos Aires, professeur associé de la Escuela
Argentina de psicoterapia para postgraduados (Universidad La Matanza)
Argentine.
24. Michel-Louis Rouquette, tout récent ancien professeur des universités,
psychologie sociale, Université Paris Descartes, et auparavant à Montpellier III et
Paris VIII
25. Anne Aubert-Godard, professeur émérite de psychopathologie et psychologie
clinique, périnatalité, parentalité et filiation, soins palliatifs.
26. Sophie Lerner, formatrice à l’INSHEA, chercheuse de fait, chargée de cours à
l’Université Paris Ouest Nanterre La Défense
27. Christiane Joubert, Maître de conférences en psychopathologie clinique, Institut
de Psychologie, Dispositifs institutionnels groupaux, thérapie familiale
psychanalytique et de couple, Université Lyon 1
28. Laurent Ottavi, Professeur de psychopathologie, Psychopathologie, clinique, codirecteur
de l’EA 4050, Université Rennes 2
29. François Pommier, Professeur des Universités, Psychiatre, Psychopathologie des
situations extrêmes, Université Paris Ouest Nanterre La Défense, Hôpital Saint
Antoine (Paris)
30. Jean-Marc Talpin, Maître de conférences, psychologie clinique et
psychopathologie ; Vieillissement, directeur du département de formation en
situation professionnelle, Institut de psychologie, Université Lumière-Lyon 2
31. Vincent de Gaulejac, Professeur de sociologie, Université Paris-Diderot, Directeur
du Laboratoire de Changement Social EA 2375
32. Sylvain Delouvée, Maître de conférences, Psychologie sociale, Vice-président
Finances & Patrimoine, Université Rennes 2
33. Régine Scelles, Professeur des universités, psychopathologie, Responsable du
master 2 recherche Caen/Rouen, directrice de la revue Dialogue, Université de
Rouen
34. Jean-Pierre Vidal, ancien maître de conférences, qui publie toujours, auparavant
à l’IUFM de Montpellier, site de Perpignan, psychanalyse, groupe et institution,
Vice-président de la SFPPG
35. Jean-Pierre Pinel, professeur des universités, psychopathologie sociale clinique,
Université Paris 13.