François Hollande (via Vincent Peillon) a répondu positivement à l »’Appel de Bobigny », un texte commun sur l’éducation signé par les principaux syndicats d’enseignants, la FCPE (la principale fédération de parents d’élèves) de nombreuses organisations d’éducation populaire ou complémentaires de l’école, des mouvements pédagogiques, l’Andev, les 80 villes »éducatrices ». Ci-joint le texte intégral.
« Francois Hollande vous remercie de votre interpellation, particulièrement utile à l’approche des prochaines élections présidentielles, et m’a demandé de vous répondre en son nom.
Je suis convaincu que l’éducation sera un sujet majeur du débat démocratique qui s’annonce. J’ai suivi avec attention les étapes de la construction de votre appel et je tiens à saluer avec force le travail réalisé et la qualité des convergences qu’il a su établir. Pour la première fois, de très nombreux acteurs de l’éducation se rassemblent autour de propositions sérieuses et courageuses pour le redressement de notre école, et plus largement pour l’avenir de notre système éducatif.
François Hollande s’est engagé à faire de la jeunesse une grande cause nationale. L’éducation est naturellement au cœur du projet que nous portons avec lui. Nous voulons passer un nouveau contrat entre l’école et la Nation, « refonder l’école de la République, pour refonder la République par l’école ». Cette refondation nécessitera l’engagement et la mobilisation de tous : de l’Etat et des collectivités territoriales, de l’école et de ses partenaires, des enseignants, des parents, des chefs d’établissements, des organisations d’éducation populaire, des jeunes eux-mêmes…
Elle devra s’appuyer sur un diagnostic et des objectifs partagés, sur une volonté commune de transformer en profondeur notre système éducatif. L’engagement pour l’école, les Français y sont prêts. Ils savent que de l’éducation dépendent les contours de la France de demain. La volonté et les convergences existent aujourd’hui. Votre appel, par la diversité de ses signataires comme la pertinence de ses propositions, en témoigne. Les axes prioritaires que vous définissez, nous les partageons très largement. L’éducation n’est pas seulement l’affaire de l’école ni de la famille, mais de la Nation toute entière. Comme vous, nous sommes convaincus de la nécessité de bâtir un projet éducatif global. Cette véritable coéducation que vous appelez de vos vœux, nous la construirons ensemble.
Nous ne pouvons accepter de voir l’école abîmée, maltraitée, comme elle l’est aujourd’hui, peu à peu privée des moyens de faire réussir tous les élèves. Ce sont les plus fragiles qui sont les premières victimes des suppressions de postes – près de 10% des effectifs en cinq ans ! – de l’augmentation des effectifs des classes, de la quasi-disparition des Rased ou de l’effondrement de la scolarisation des deux ans. Il n’est pas vrai, contrairement à ce que ne cesse de répéter le ministre de l‘Education nationale, que l’on puisse faire mieux avec moins lorsque l’on part, dans tant de territoires et d’établissements, de si peu.
Mais tout autant – plus encore – que de la déperdition de ses moyens, l’école souffre d’une crise de sens qu’aggravent les profondes attaques dont elle est l’objet depuis plusieurs années. Des enfants sélectionnés, fichés, catalogués dès le plus jeune âge ; une marchandisation rampante qui menace tant le secteur de la petite enfance que l’école elle-même ; des inégalités sociales et territoriales croissantes sous l’effet – notamment – de la disparition de la carte scolaire ; la laïcité battue en brèche ; des personnels fragilisés par la morgue d’un gouvernement qui a accrédité l’idée qu’être enseignant était le seul métier qui ne s’apprenait pas et au final, des résultats qui dégringolent dans toutes les études, internationales et nationales : rien de tout cela n’est le fait du hasard. C’est le reflet d’une vision strictement utilitariste de l’éducation, qui érige la concurrence – entre élèves, entre établissements, entre professionnels – en modèle et en panacée. C’est le résultat d’une politique qui se réclame du mérite, de l’émulation et de l’égalité des chances quand il ne s’agit en réalité que de tri social, de compétition et de culpabilisation des enfants en difficulté et de leurs familles, tenus pour responsables de leur sort.
Il est temps que cela cesse. Il ne suffira cependant pas – bien que la tâche soit déjà gigantesque – de reconstruire ce que la droite a cassé. Nous avons à inventer l’éducation du XXIe siècle, celle qui formera la génération capable de relever les formidables défis démocratiques, culturels, sociaux, économiques, écologiques auxquels nous sommes et serons confrontés.
Faire de l’éducation une priorité ne peut-être un simple slogan. Comme vous le réclamez – au premier rang de vos propositions – cette priorité à l’enfance et à la jeunesse doit être reconnue et se traduire dans la loi. François Hollande s’est pour cela engagé à proposer une loi programme sur 5 ans, élaborée après concertation avec l’ensemble des acteurs, notamment avec les syndicats, les parents d’élèves et les grandes associations. Il n’y aura pas de réelle réforme sans que nous nous en donnions les moyens. Si François Hollande souhaite recréer 60000 postes dans l’éducation nationale, c’est bien pour être en mesure de lutter efficacement contre les effets des inégalités sociales sur les parcours scolaires, de réformer les temps éducatifs, transformer les pédagogies, rétablir la formation et faire évoluer le métier d’enseignant afin de permettre une réelle réussite individuelle et collective… En un mot, pour garantir, ainsi que vous le formulez, le Droit à l’éducation pour chacun et pour tous.
Pour que ce droit devienne effectif, nous croyons indispensable de sortir du saupoudrage et de concentrer ces moyens là où ils sont le plus nécessaires. Dans les établissements qui concentrent le plus de difficultés et où les obstacles à la réussite scolaire sont les plus insurmontables d’abord. Il faudra relancer la politique d’éducation prioritaire, en accordant réellement plus à ceux qui ont le plus besoin. Il n’est pas acceptable de dépenser plus, comme cela est trop souvent le cas, pour un établissement de centre-ville que pour un collège ambition-réussite. Pas davantage nous résignons-nous à la ghettoïsation et à l’abandon éducatif auxquelles l’abandon de la carte scolaire a condamné de nombreux territoires. Nous rétablirons une sectorisation fondée sur l’impératif de mixité sociale.
Nous sommes également convaincus de la nécessité d’un rééquilibrage entre les niveaux d’enseignement. L’école primaire est sous-dotée, quand nous dépensons plus que la moyenne des pays européens pour les lycéens. Or, nous savons à quel point les premières années sont déterminantes. L’école primaire doit recevoir l’essentiel des moyens nouveaux. La maternelle, notamment, a été transformée ces dernières années en variable d’ajustement budgétaire. Il faut se redonner les moyens de remonter à plus de 30 % le taux de scolarisation des enfants entre 2 et 3 ans : il était à 34 % il y a dix ans, il est à 13 % aujourd’hui. Les quelques milliers de postes que cela coûtera répondront aux besoins des enfants de milieux les plus défavorisés. Il y a aussi un effort spécifique à faire sur le CP, car les échecs et les difficultés rencontrées au cours de cette année cruciale se retrouvent – généralement de manière croissante – tout au long de la scolarité.
Plus généralement, nous devons travailler sur les transitions, entre la maternelle et l’élémentaire, entre le primaire et le collège, entre le collège et le lycée, pour permettre une meilleure continuité des apprentissages et garantir à tous l’acquisition d’un socle commun au cours de la scolarité obligatoire. Ce socle, il faut le transformer et l’élargir pour qu’il permette à tous les élèves de construire leur orientation et la poursuite de leur formation. D’avantage, comme vous le préconisez, d’éducation artistique, d’EPS, d’enseignement des outils de communication mais aussi d’éducation au média, d’enseignement technologique et professionnel, pour tous. A ce titre, nous redisons notre opposition radicale à toutes les atteintes au collège unique et à la volonté de la droite d’en revenir à une spécialisation – en réalité un tri – précoce. Le collège ne doit pas être la seule antichambre du lycée général, ni un lieu de sélection par l’échec. Cela implique une politique volontariste de lutte contre le décrochage et nous souscrivons bien évidemment à l’objectif de 0 sortie sans qualification. François Hollande l’a dit : aucun jeune de 16 à 18 ans ne doit rester sans solution. Cela implique aussi de mettre en place, en région, un véritable service public de l’orientation capable d’articuler orientation des élèves, des étudiants, et formation tout au long de la vie.
Pour réussir, les enfants et les jeunes ont besoin que l’on respecte leurs rythmes. Rythmes d’apprentissage – il faudra, enfin, donner une réalité aux cycles et réduire le redoublement – et rythmes de vie. Nous reviendrons sur la réforme absurde qui a imposé la semaine des quatre jours. Cette question des rythmes est d’ailleurs indissociable de la mise en place des projets éducatifs locaux que nous souhaitons, comme vous, voir généralisés, reconnus et encadrés. Elle doit faire coopérer l’ensemble des acteurs, école, parents, collectivités, mais aussi associations d’éducation populaire, sportives et culturelles – tant fragilisées par la droite et que nous soutiendrons. Un cadre national doit cependant être fixé, car la question du temps est en même temps celle des méthodes, des programmes, de l’accompagnement individualisé. Nous le savons, les journées sont trop longue, les semaines et l’année trop courtes. Nous fixerons un minimum de quatre jours et demi et rallongerons l’année scolaire. La réflexion sur les temps doit également intégrer la question de l’accompagnement du travail scolaire, source des plus grandes inégalités lorsqu’il est, comme aujourd’hui, renvoyé aux familles. C’est dans le temps éducatif, encadré par des professionnels, que cet accompagnement doit être effectué.
Nous ne ferons pas ces réformes sans, ni contre ceux qui les feront vivre. La crise du recrutement sans précédent que nous vivons actuellement s’explique aisément compte tenu du mépris et de l’abandon dans lesquels le pouvoir tient les enseignants, qui ont vu leurs conditions de travail se dégrader, leurs rémunérations demeurer parmi les plus basses d’Europe et leur formation a été détruite. Vous avez raison de le souligner, il faut aujourd’hui repasser avec eux un contrat de confiance. Il faut envisager une revalorisation matérielle et morale de ce métier. A cet égard, la question de la formation, initiale et continue, est absolument centrale. Trois principes nous guideront : une formation équilibrée entre les savoirs disciplinaires, la pédagogie et la pratique, un concours plus tôt pour pouvoir réellement organiser cette formation, et une entrée progressive dans le métier. La formation continue, reconstruite, deviendra obligatoire et valorisée dans les carrières. Parallèlement, il faut faire évoluer la définition du métier, de ses tâches, de ses obligations, des services. Les enseignants y sont prêts, dès lors qu’ils ont la garantie qu’il ne s’agit pas, une fois de plus, d’organiser une régression, de leur demander de travailler plus sans contrepartie alors qu’ils sont déjà à plein temps. S’il s’agit d’améliorer en profondeur un système éducatif qui doit l’être en les associant pleinement, de leur redonner du pouvoir d’agir, une véritable autonomie et les moyens d’accompagner leurs élèves vers la réussite, ils seront là.
L’évolution du métier, et plus généralement la refondation de l’école, doit aussi avoir pour objectif de faire travailler ensemble tous les acteurs de l’éducation. Les familles demeurent un espace essentiel d’éducation et de transmission. Le suivi éducatif des enfants nécessite que les parents soient impliqués, partenaires confiants d’une école bienveillante et ouverte. Trop de malentendus se sont institués entre l’école et les familles, qui entretiennent des rapports parfois tendus, marqués par l’incompréhension et la culpabilisation. Les parents doivent trouver à l’école un véritable accueil, une information claire et régulière sur les activités scolaires et périscolaires de ses enfants, sur leurs réussites et leurs progrès, sur les possibilités éducatives qui s’offrent à eux et l’aide qui peut leur être apportée. Le rôle des représentants de parents élus sera renforcé et les fédérations de parents d’élèves seront pleinement associées, au niveau local, à la mise en place des plans éducatifs locaux.
Il faut redire enfin que l’école, pour peu qu’on en ait l’ambition et que l’on s’en donne les moyens, peut beaucoup, mais elle ne peut pas tout. Elle n’est ni la seule, ni même la première responsable des inégalités sociales, économiques, culturelles, qu’elle reçoit et qu’elle doit gérer. Un véritable projet éducatif ne pourra pleinement réussir qu’en lien avec une politique de l’emploi, de la ville et de l’aménagement du territoire
Dans l’attente d’une très prochaine rencontre.
Vincent Peillon
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