Le ministre de l’Education nationale Vincent Peillon a obtenu 18000 postes, soit 6000 créations chaque année de 2013 à 2015 ( c’est à dire 12% des 150000 ‘’emplois d’avenir’’ qui vont être créés au total ). Le projet de loi sera présenté en conseil des ministres le 29 août.
Cela répond d’abord à une promesse de campagne de François Hollande, en particulier lors de son discours de février dernier à Orléans sur « l’Ecole et la nation » : « Pour remédier à la crise de recrutement – qui est réelle tant les vocations ont été découragées […] nous ferons en sorte de financer des études longues, avec une filière de pré-recrutements, pour former des enseignants le plus vite possible, dès la licence, de façon à orienter les vocations et à aider les jeunes à financer leurs études ».
L’article 2 du projet de loi sur les « emplois d’avenir professeur » précise en effet que cela « est destiné en priorité aux jeunes effectuant leurs études dans les académies ou dans les disciplines connaissant des besoins particuliers de recrutement et résidant dans les zones urbaines sensibles […], ou ayant effectué tout ou partie de leurs études secondaires dans un établissement implanté dans ces zones ou relevant de l’éducation prioritaire ».
On sait en effet, pour ce qui concerne le concours de recrutement des professeurs des écoles ( cf mon billet du 3 janvier 2012 ), que la ‘’concurrence’’ entre candidats est assez variable d’une académie à une autre. On peut sommairement l’évaluer par le ratio existant entre le nombre de présents aux concours et le nombre de postes offerts. En moyenne, sur le plan national, ce ratio est de 5,4 pour les concours externes ( 37520 présents aux concours pour 7000 postes ). Ce ratio est beaucoup plus bas dans certaines académies : 2,7 en Guyane ( 269 présents pour 99 postes ) ; 3,2 à Créteil ( 2951 pour 912 ) ; 4,4 à Versailles ( 3488 pour 791 ) ; et même à Paris : 4,8 ( 794 présents pour 164 postes ). A l’inverse, il peut être beaucoup plus haut que la moyenne nationale de 5,4 dans d’autres académies : 6,7 à Toulouse ( 1482 présents pour 221 postes offerts ) ; 7 à La Réunion ( 844 pour 120 ), 7,1 à Lyon ( 1954 pour 277 ) et même 8,3 à Aix-Marseille ( 1609 présents pour 195 postes offerts )…
Et on sait par ailleurs ( cf mon billet du 11 juillet 2012 ) qu’à la dernière session du concours des CAPES externes, 706 postes sont restés vacants, soit presque 15% des postes à pourvoir. Et que ce déficit a été particulièrement important dans certaines disciplines. En mathématiques, un poste sur trois est resté vacant ( 652 reçus pour 950 postes ouverts ). En lettres classiques, cela va jusqu’à plus de la moitié des postes ( 75 reçus pour 170 postes ). La situation est moins alarmante dans d’autres disciplines, mais reste préoccupante : 681 reçus pour 733 postes proposés en lettres modernes, 679 pour 790 en anglais, 184 pour 230 en allemand. Et le déficit concerne aussi sensiblement les documentalistes : 105 reçus pour 157 postes.
Le projet de loi précise que « l’entrée dans le dispositif est réservé aux jeunes inscrits en deuxième année de licence, âgés de 25 ans au plus. Ces étudiants s’engagent à se présenter à un concours de recrutement des corps enseignants de l’éducation nationale ».
Ces « emplois d’avenir professeur » devraient permettre à leurs bénéficiaires de gagner un montant moyen de 900 euros par mois « en cumulant l’aide associée au dispositif et aux bourses sur critères sociaux de l’enseignement supérieur pour un mi –temps au sein d’un établissement scolaire ».
Car une contrepartie est attendue d’eux ( qui est en même temps une introduction à leur future profession ) qui devrait évoluer de la première années ( au niveau de la licence 2 ) à la troisième année ( au niveau master 1 ), depuis l’encadrement d’études jusqu’au soutien scolaire, étant entendu que ces tâches devraient varier selon les disciplines et les besoins et « êtres pensées comme un parcours d’insertion professionnelle avec l’établissement auquel l’étudiant est rattaché ».
En définitive, selon le projet de texte de loi, « l’emploi d’avenir professeur a pour objet de faciliter l’insertion professionnelle et la promotion sociale des jeunes dans les métiers du professorat. Il s’adresse aux boursiers de l’enseignement supérieur […] suivant une formation initiale dans un établissement d’enseignement supérieur et se destinant aux métiers du professorat. Il leur permet d’exercer une activité rémunérée s’inscrivant dans leur projet professionnel tout en poursuivant leurs études ».
Un billet un peu neutre, style AEF, à mon goût.
Que penses-tu de cette mise en œuvre (encore à préciser sur certains points) d’une des promesses du candidat FH ?
À priori belle initiative, quantitative et qualitative.
Le critère « zone sensible » est audacieux. Il sera peu être un peu difficile à operationaliser. Si on ne veut envoyer dans le mur ces allocataires (il ne s’agit pas en effet d’un « pré-recrutement »), il faudrait peut-être que les cursus universitaires de Licence (L 2 et 3) et de master (M1) valorisent le début d’expérience de ces étudiants et leur apporte une attention particulière. Une convention « étudiant, employeur, université) est bien prévue, mais ce n’est pas l’université qui sélectionnera.
Va-t-on commencer (en janvier 2013, calendrier « budgétaire » peu comptable avec les cale dorures scolaire et universitaires) par 6 000 L2? L’effet sur les viviers de recrutement (en PLC essentiellement, le CRPE attire toujours) serait retardé d’un an au moins.
Ce dispositif semble indiquer des concours de recrutement en fin dd M1. Avantage de cette option : pas de « diplômés (au master), collés (au concours »), relais financier des Emploi d’avenir professeur par le statut de fonctionnaire stagiaire (salarié). Mais si tout le concours (écrits et oraux) a bien lieu en fin de M1, alors l’État continuera à recruter ses enseignants sur la maîtrise des savoirs disciplinaires académiques, ce qui risque de désavantager les Emplois d’avenir professeur, qui passeront une partie de leur temps dans les EPLE et école et y développeront des compétences ignorées par le concours. Prime en revanche aux etudiants inscrits en Master recherche, qui ne serot pas en ÉPLÉ. Regrettable.
Pour atténuer un peu ces effets, on pourrait placer les écrits en fin de M1 et les oraux en fin de M2, oraux qui pourraient alors être nettement professionnels puisque tous les admissibles auraient suivi un stage en responsabilité (remunéré) dans un M2 universitaire professionnel en alternance. Inconvénient : des « diplômés-collés » (10 à 20%?).
D G. Brassart
Il n’y a absolument pas de prérecrutement. Comme je le disais dans mon commentaire à une note précédente, Peillon ne ressuscite pas les IPES mais les pions.
Par ailleurs et avant d’aborder des points bien plus intéressants : êtes-vous sûr que les étudiants de L2 seraient concernés? Ne s’agirait-il pas plutôt d’une sélection en fin de L2 pour un contrat en L3?
On recrute un jeune en deuxième année d’université. Qu’est qu’on fait s’il est complètement nul et n’a pas sa troisième année au bout de 6 ans?
Les uns se feront ratiboiser dès la licence, les autres au concours. Au final, il n’y aura je pense que quelques centaines sur les 6000 à devenir professeurs titulaires. Mais c’est moins grave que s’il y avait eu de vrais prérecrutements de type IPES.Ils n’auront rien à rembourser en cas d’échec puisque s’engager à passer les concours, cela ne veut rien dire du tout : s’ils n’ont pas la licence, ils ne peuvent pas les passer ; et s’ils décrochent leur licence, il leur suffit de se présenter le premier jour et de rendre une copie blanche pour avoir « rempli leur contrat ».
Pourquoi peut-on prévoir un échec massif? Eh bien parce que, même au temps des IPES, les lauréats commencèrent à échouer au CAPES dans des proportions gigantesques dès lors que le rapport postes / candidats cessa d’être favorable : entre 1967 et la fin des IPES en 1978. C’est même pour cette raison que les IPES furent supprimés. Prétendre les rétablir relevait du délire. Car les conditions d’aujourd’hui sont infiniment pires que dans les années 1970.
Le concours des IPES sélectionnait les meilleurs étudiants de première année. Il y avait parmi eux beaucoup de « fils de pauvres ». De là, le rôle social incomparable que jouèrent les IPES dans la première moitié de leur histoire, entre 1957 et 1967 et le fait qu’ils continuent d’alimenter l’imaginaire collectif soixante ans plus tard.
Or les nouveaux pions ne seront pas sélectionnés sur des critères académiques mais sociaux. Ils auront donc infiniment moins de chances que les ipésiens de réussir aux concours. Pourquoi n’a-t-on pas remis en place un concours semblable à celui des IPES? Eh bien parce qu’il y a désormais zéro « fils de pauvres » parmi les meilleurs étudiants de première année. Il aurait donc fallu payer 900 euros à des étudiants (en fait des étudiantes) qui en ont moins besoin que d’autres tout en continuant de verser des bourses aux autres. Cela revenait plus cher et il n’y avait aucun impact social alors que les « emplois d’avenir » sont censés jouer un rôle social.
Mais pourquoi donc y a-t-il désormais « zéro fils de pauvres » parmi les meilleurs étudiants de fac (et donc parmi les lauréats des concours) se demanderont peut-être quelques lecteurs? L’école serait-elles plus injuste que dans les années 1950-1960? La réponse est positive mais pour ne pas être trop long, je réserve les explications pour un prochain commentaire.
Il y a plus d’un demi-siècle, les fils d’ouvriers et de paysans étaient sursélectionnés dans le secondaire. Il y avait là une injustice évidente puisqu’ils devaient être meilleurs que les autres pour entrer en sixième.
Contrairement à ce qu’on nous dit, ce n’est pas l’école qui opérait une telle sélection. Encore moins les instituteurs. Cette situation était exclusivement due au choix des familles – choix contraints il est vrai par le contexte économique et culturel : dans les milieux les plus défavorisés, très peu de parents aspiraient à voir leurs enfants décrocher le bac, encore moins faire des études supérieures; on se contentait du certif, au maximum du brevet.
Mais cette situation avait aussi une conséquence évidente à laquelle on ne pense pas souvent : sursélecionnés, les fils de pauvres étaient par définition meilleurs que la moyenne des lycéens et des étudiants. Ils étaient donc proportionnellement surreprésentés dans l’élite intellectuelle. Et c’est pour cela qu’ils pouvaient, entre autres, réussir plus facilement le concours des IPES. Ou entrer dans les grandes écoles, ENS, Polytechnique, ENA…
Tout cela a changé avec la « démocratisation » qui a eu les effets contraires à ceux que poursuivaient les « réformateurs ». L’un d’eux, Antoine Prost, fut le premier à le comprendre dans une étude sur les lycéens de l’académie d’Amiens : en 1967, il y avait 17,9 % de fils d’ouvriers en terminale scientifique contre 20% de fils de cadres supérieurs et professions libérales ; en 1980, après seulement 13 ans de « démocratisation », ces chiffres passent à 8,8% pour les premiers et à 39,9% pour les seconds. Le nombre des élèves les plus démunis avait été divisé par deux dans la filière d’élite, celui des élèves les plus favorisés, multiplié par deux! Parallèlement, bien sûr, la valeur du bac plongeait dans les abysses : il vaut aujourd’hui 60 euros ( c’est la différence entre le salaire d’un bachelier et celui d’un non-diplômé).
En 1977, lorsqu’il fut décidé de mettre un terme à l’expérience des IPES on assistait à un double phénomène :
– l’augmentation du nombre de candidats et la diminution du nombre de postes mettait en échec des ipésiens de plus en plus nombreux
– les lauréats des IPES (et de l’ensemble des concours) se recrutaient de plus en plus dans les milieux favorisés.
Et c’était en 1977 alors que la création du collège unique en 1975 ne pouvait encore avoir produit aucun effet au niveau de la première année d’université ! 45 ans plus tard, après l’invention du collège unique, des bacs pros, du doublement du nombre de bacheliers et d’étudiants en seulement dix ans (entre 1985 et 1995) et désormais la « réussite pour tous » en licence, le tableau est infiniment plus sombre. Au cours des dix dernières années, alors même qu’on ne peut plus avancer l’alibi de la « démocratisation » puisqu’il n’y avait plus de « verrou à faire sauter », le niveau global des élèves a baissé, le climat dans les classes s’est détérioré et les injustices sociales à l’école se sont creusées. C’est la machine à fabriquer de l’échec qui s’est emballée et qui va désormais comme un cheval fou. Il n’y a, bien sûr, plus aucun fils de pauvre à la rue d’Ulm ou à Polytechnique. Et il n’y en aurait pas davantage aux IPES si ces derniers avaient été rétablis. L’impact social de cette mesure aurait été négatif. C’est pourquoi Peillon a choisi de recruter des pions sur critères sociaux. Mais ils ne deviendront pas professeurs car même s’ils présentent les concours, ils y échoueront massivement : ils n’ont pas le niveau. L’élite intellectuelle se recrute désormais au sein de l’élite sociale : c’est le résultat de 50 ans de « démocratisation ». Et le gouvernement est bien décidé d’aller de l’avant… Usque tandem?
Je pense que c’est une bonne initiative
Bonjour, au risque de passer peut être pour une inculte, j’aimerai quelques informations et précisions sur les « emplois d’avenir professeur ».
Je vous explique rapidement mon cas: J’ai obtenu une licence en Sciences de l’éducation en 2011. Mais j’ai dû mettre de côté mon désir de continuer en master et donc de concrétiser mon projet de devenir instit’ par soucis « économique » disons.
J’ai donc actuellement une licence, mais j’ai pu lire que les « emplois d’avenir professeur » ne s’appliquent que pour les L2… Y a-t il possibilité d’une certaine flexibilitée à ce niveau là?
Merci d’avance pour vos réponses.
Je suis aussi »inculte » que vous pour vous répondre de façon sûre. Peut-être que Bernard Desclaux ( qui a un blog aussi sur Educpros ) peut vous répondre. Tentez votre chance auprès de lui… Bon courage!
L’initiative mérite d’être soulignée