Dès 1989, au moment même de la loi d’orientation »Jospin » de juillet 1989, les sociologues Christian Baudelot et Roger Establet ont contribué à soulever une très grave question lorsqu’ils ont fait paraître leur livre « Le niveau monte », à partir de l’étude des résultats séculaires des conscrits lors des tests administrés au moment de leur incorporation à l’armée.
Ils montraient que le niveau des résultats à ces tests avait effectivement monté, et nettement, pour les 30% qui les réussissaient déjà le mieux. Un peu pour les autres ; sauf pour les 20% qui les réussissaient le plus mal, dont les résultats, au contraire, avaient baissé. Comme l’ont souligné alors eux-mêmes Baudelot et Establet, « il n’y a aucune raison que la situation s’améliore tant qu’on comptera sur la hausse du plafond pour relever le plancher ». Et ils invitaient à « ne plus considérer l’école depuis son sommet mais à partir de sa base ».
C’est tout le sens – fondamental si l’on peut dire – de la « refondation de l’Ecole », à savoir la « refonder » (enfin!) à partir de ses fondements (d’abord l’école primaire avec son école maternelle, puis le collège). Car, plus de vingt ans après, le diagnostic de Baudelot et Establet a été précisé et renforcé par les enquêtes successives de PISA qui permettent des comparaisons internationales qui ont certes leurs limites, mais qui n’en sont pas moins intéressantes et significatives (en particulier dans leurs évolutions).
Dès les résultats de la première enquête PISA , il a été établi que la France se caractérisait par des résultats plus inégaux que dans la moyenne des autres pays de l’OCDE, et que les résultats des jeunes Français étaient plus sensibles à leurs origines socioculturelles que dans la moyenne des autres pays également. Et à chaque nouvelle enquête de PISA ( notamment en 2006 et 2009) , ce constat, loin d’être atténué, s’est amplifié. On le sait maintenant, les résultats de l’enquête PISA de 2012 n’échappent pas à la règle, loin s’en faut. Ils sont à cet égard plus mauvais que jamais.
Comment échapper à cette sorte de schizophrénie qui fait que la France est l’un des rares pays qui proclame que l’Ecole a un rôle à jouer dans la réduction des inégalités, alors même qu’il apparaît qu’elle est l’un des pays où il y a les plus fortes inégalités scolaires, et de plus en plus ? Cela vient de loin ( même si cela s’est renforcé de façon inquiétante durant la dernière période) et l’on ne pourra pas faire l’économie d’une profonde interrogation à propos de nos représentations dominantes et de nos fonctionnements réels si l’on veut vraiment sortir de ce »cercle vicieux » et « refonder l’Ecole ». Cela a déjà été quelque peu engagé depuis quelque temps. Mais on est encore loin du compte si l’on veut faire face au défi auquel nous sommes confrontés.
Dans leur livre paru en 2009 et qui était déjà un cri d’alarme ( « L’élitisme républicain. L’école française à l’épreuve des comparaisons internationales »), Baudelot et Establet concluaient : « Les évaluations de PISA appellent un débat public, comme elles en suscitent dans beaucoup de pays. Mais aucune amélioration ne pourra être durablement apportée tant que les ministres auront pour seule boussole une logique comptable de diminution des dépenses publiques, tant qu’ils laisseront le système se réguler de lui-même par la suppression de la carte scolaire, ce qui revient à accentuer encore les clivages ethniques et sociaux ; tant que la presse réduira les résultats des comparaisons internationales à des scoops ou à des palmarès stigmatisant implicitement les enseignants ; tant que les familles considéreront l’école comme une affaire privée, obnubilées par la recherche du meilleur placement pour leurs propres enfants ; tant que les enseignants refuseront de s’approprier les résultats de PISA et des autres types d’évaluation afin de prendre ensemble les mesures susceptibles d’améliorer la justice sociale et l’efficacité de notre école. Pari impossible ? Difficiles à réunir, ces conditions sont néanmoins nécessaires : ne pas lutter contre ces tendances et laisser faire la ‘’nature’’ condamne notre système scolaire à accentuer ses défauts et à enregistrer tous les trois ans des résultats de plus en plus mauvais. Ces comparaisons internationales nous obligent à faire de l’éducation un enjeu national de première urgence ».
Puissent-ils être enfin entendus !
Dans les années 20 ma mère, comme beaucoup de ses camarades d’un village bas normand, ne put matériellement répondre aux invitations de son instituteur à prétendre au collège.
Le système sélectionnait pour éliminer et parmi les élus, tous ne pouvaient pas honorer cette sélection.
Enfant dans les années 60, de bons camarades sont allés en 6ème de transition, dans des filières parallèles à la voix générale. Le système sélectionnait pour trier.
Au début de ma carrière d’instit dans les 80, avant qu’elles ne disparaissent j’ai vu les GAPP, classes de Perf (avant que l’Europe n’en conditionne l’entrée), les classes du voyage et autres… Le système tentait de répondre à la diversité en créant des structures d’accueil dans ou hors l’école. Le système triait pour classer. Le cancre de Prévert avait disparu de nos classes. Il avait trouvé sa propre normalité.
Puis, avec notre soutien militant, la gauche prôna l’intégration de ces élèves. Les enseignants des élèves à profil, sortis de leur classe serviraient à soutenir l’intégration de leur élèves. Les Réseaux d’Aide étaient nés. Et militant de la « différenciation » nous avons accru notre charge de travail et élargi nos expériences. Puis est venue la crise et la droite « anti-pédagogique » (je n’ai toujours pas compris comment on peut être contre une science humaine, la critiquer évidemment mais la contester?). « Comment s’est indignée la droite décomplexée de Sarkozy, des enseignants sans classe? Quel scandale! » Les réseaux d’aide ont quasiment disparu mais pas les élèves dont ils avaient la charge. Actuellement le système ne trie plus et n’aide plus. Il faut se battre pour qu’un enfant qui relève d’IME ou d’ITEP soit accepté dans une structure qui lui convienne. L’instit de ma mère se battait pour que les parents envoie leur enfant au collège, nous on a l’impression que l’ENA est plus accessible que ces structures drastiquement expurgées de personnels qualifiés pour être remplacés dans les classes par des emplois sociaux à 800€ par mois (AVS EVS). Dans mon CP, je vois passer un élève, à peu près une année sur deux, qui relève d’établissements médicaux ou psychologiques lourds. Cet élève pèse lourd sur ma classe. Cette année, Ses troubles du comportement mettent à mal toute ma classe. Comment ne pas négliger celui qui a des besoins moindres mais tout aussi légitimes. Comment n’oublier personne quand le DASEN en rajoute en osant prôner comme axe de projet académique « la personnalisation »!!!. La différenciation ne suffisait pas? Quand mettra-t-on en avant le collectif? Le groupe?
La seule réponse accessible, là, maintenant, pour mon petit sauvageon est la déscolarisation partielle! Jules Ferry peut faire la toupie dans sa tombe quand est envisageable de renvoyer un enfant de 7 ans devant ses cassettes porno plutôt que d’adapter le système à son déficit psychologique et social.
Je parie sans plaisir, vu le décalage d’années avec lequel PISA rend ses résultats, que les prochains seront encore moins bons.