A la toute fin du XX° siècle, la »souris » et Internet ont offert l’occasion de donner un second souffle et un second départ à l’informatique dans le système scolaire. Un mouvement rapide d’équipements et de connexion de tous les établissements scolaires sur Internet s’amorce aux Etats-Unis en 1995, puis s’étend les années suivantes à la plupart des pays d’Europe de l’Ouest.
1997: Claude Allègre et Ségolène Royal ( ministre déléguée chargée de l’enseignement scolaire ) présentent un plan d’introduction des nouvelles technologies de l’information et de la communication ( NTIC ) « de la maternelle à l’université ». Ils soulignent qu’il ne faut pas répéter les erreurs du passé et que leur plan a l’ambition d’une politique globale prenant en compte à la fois l’équipement, la production de logiciels et la formation des enseignants.
L’Etat va dépenser « un peu plus d’un milliard de francs » chaque année pendant trois ans. Si l’on inclut la participation souhaitée des collectivités territoriales, la dépense peut être estimée à 15 milliards de francs.
Six mois plus tard, les services du ministère estiment que le nombre des connexions a doublé : tous les établissements d’enseignement supérieur, 80% des lycées, 40% des collèges et 5% des écoles sont raccordés au réseau Internet. En février 1999, on arrive à 85% des lycées, 53% des collèges et 10% des écoles.
En ce qui concerne la formation des maîtres, certaines décisions sont effectivement prises et certaines mesures sont réellement appliquées. Dans le cadre d’un plan d’urgence en faveur des Instituts universitaires de formation des maîtres (IUFM), 60 millions de francs sont débloqués en 1998 pour l’installation de salles multimédias. Mille jeunes titulaires d’un doctorat doivent être recrutés pour former les futurs enseignants aux « NTIC ». Sur les 33000 emplois-jeunes embauchés par l’Education nationale, plus de 8000 le sont sur un « profil informatique ». Enfin le tiers des offres de formation continue proposées aux enseignants doit être consacré aux « NITC », contre 4% en 1996.
Mais la vraie difficulté, en définitive, c’est l’orientation à donner et à prendre pour que cette nouvelle technologie soit utilisée de façon pertinente et optimale en classe, dans le système éducatif. Le 17 novembre 1997, dès le lancement du plan d’introduction des nouvelles technologies de l’information et de la communication, Ségolène Royal souligne que « le projet pédagogique doit être le moteur de l’équipement technique et non l’inverse » et Claude Allègre déclare qu’au delà des « tuyaux et de la quincaillerie » il s’agit d’ « un changement profond de civilisation et de pédagogie ». Puis, dans un éclair de lucidité ou un accès de sincérité, il reconnaît que « le pari n’est pas automatiquement gagné : l’objectif sera atteint si les nouvelles technologies sont intégrées dans la pédagogie ; mais, pour l’instant, aucun pays n’a réalisé cette intégration ».
Mais rien de marquant ne se passe ensuite sous la présidence de Jacques Chirac (redevenue effective à partir de mai 2002, après cinq ans de cohabitation avec un gouvernement socialiste dirigé par le premier ministre Lionel Jospin), et tout s’enlise…
2009: «Un plan de développement numérique dans les écoles rurales»
Dans le cadre du Plan de relance lancé par Nicolas Sarkozy en 2008, le ministre de l’éducation nationale Xavier Darcos lance le «plan Ecole numérique rurale», visant à réduire la fracture numérique et les nombreuses disparités dans l’emploi des nouvelles technologies dans les écoles du territoire français. 6700 communes sont équipées de tableaux numériques, ordinateurs portables, accès internet haut-débit et vidéo-projecteurs.
2010: «Un plan de développement des usages numériques à l’Ecole »
Ce plan est lancé par le ministre de l’Education nationale Luc Chatel qui déclare que «l’avenir de l’école ne s’écrira pas à la craie sur un tableau noir :le numérique doit maintenant révolutionner l’école». Ce plan évoque bien la formation des professeurs ( mais c’est pour l’essentiel un vœu pieux dans le cadre de la »mastérisation » de la formation des enseignants telle qu’elle a été menée sous Sarkozy); il se donne surtout pour objectif la généralisation des environnements numériques de travail (ENT).
Il reste que le bilan actuel final est jusqu’alors foncièrement décevant si l’on en juge par l’étude »Profetic » publiée par l’Education nationale en 2012. Neuf enseignants sur dix jugent certes « utile » l’utilisation des TIC à l’école, mais seulement 5% les utilisent quotidiennement en classe…. L’enquête montre aussi que les seuls usages du numérique qui progressent sont les applications administratives (les notes, le cahier de textes) et les échanges avec les parents. Utiliser les TIC pour « individualiser l’apprentissage et faire travailler les élèves en autonomie » est même en baisse…
Le nouveau « grand plan numérique » annoncé avec force par le président de la République François Hollande jeudi dernier ne peut sans doute être annonciateur de temps (enfin) vraiment nouveaux que si l’on ne répète pas une nouvelle fois les erreurs du passé. Quid notamment de la formation des enseignants ( et en particulier, et au premier rang, de leur formation continue) ? Quid des projets d’établissement en la matière (à la jonction des problèmes d’équipements, d’organisation et de pédagogie), et plus généralement de l’existence effective de »projets pédagogiques » ? Quid de la définition conjointe (une tâche toute spéciale pour le Conseil supérieur des programmes) entre la »dimension numérique » et les programmes pensés avec les évaluations ? La concertation, prévue en janvier 2015, pourrait être l’occasion d’en débattre, et peut-être ( et ce serait encore mieux) de prendre date effectivement dans certains établissements scolaires.
Vous auriez pu remonter encore plus loin dans le passé, par exemple en 1985 quand François Mitterrand s’était laissé interviewé par un garçon de 14 ans, présenté comme un « surdoué de l’informatique ». J’ai parfois l’impression que les plans dont vous parlez ne vont nulle part parce qu’ils sont motivés par une sorte de fascination morbide pour ce qu’on ne comprend pas. Et la passion moderne pour le « code » et le « numérique » me semble aller dans le même sens. Qu’on s’entende bien, je suis informaticien et je suis à fond pour que l’éducation rattrape l’immense retard qu’elle a pris sur le sujet, mais pas en s’attachant aux aspects les plus ésotériques de la discipline. Appeler l’informatique le « numérique » est une première erreur. Il n’y a rien de fondamentalement numérique là-dedans. L’aborder exclusivement par le « codage » est une seconde erreur, il y a tellement d’autres aspects tout aussi intéressants et nécessaires pour une pratique raisonnée de l’informatique. Le couple « numérique » plus « codage » laisse entendre que l’essentiel de l’informatique est de coder des choses par des nombres ; c’est vraiment le point de vue le plus ésotérique et anxiogène qu’on puisse imaginer. C’était peut-être le point de vue des toutes premières machines à calculer, mais heureusement que ce n’est plus le cas, et depuis fort longtemps !
Bien sûr. Mais j’avais déjà commencé une »rétrospective » ( partielle) sur mon blog de Médiapart.