Dans Le Monde de vendredi, Maryline Baumard pose la question du « risque que prend la gauche en se saisissant d’une manière ostensiblement politique du dossier de l’évaluation des élèves », au lieu de s’appuyer sur une science (« la docimologie , cette science de la notation « ) ainsi que sur une formation initiale et continue ad hoc (sans compter les »innovations » qui ont du mal à se propager).
Il y a lieu de remarquer d’abord que si la ministre de l’Education nationale Najat Vallaud-Belkacem reprend actuellement de façon fort décidée une initiative prise par son prédécesseur Benoît Hamon, cela s’inscrit en plein dans l’une des dimensions majeures (et incontournables) de la « refondation de l’Ecole » (formulée nettement dès le début de sa conception, et réitérée constamment depuis).
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Dès juin 2012, le ministre de l’Éducation nationale Vincent Peillon déclare au congrès des parents d’élèves de la Peep que l’évaluation, perçue comme une sanction, est source de souffrances. Et il plaide pour un « changement de pédagogie » afin de placer le « bien-être des élèves » au coeur du projet scolaire. En août 2012, il réitère qu’ « il faut qu’il y ait une évolution de la façon dont nous notons. […] La note doit pouvoir être aussi un encouragement et pas un découragement, parce que les élèves français, à part les petits Japonais, sont les plus malheureux au monde. »
La « loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’Ecole » de juillet 2013 décide de l’installation d’un Conseil supérieur des programmes chargé de faire des propositions coordonnées pour :
– « Repenser le socle commun de connaissances, de compétences et de culture et mieux l’articuler avec les programmes d’enseignement […]. La conception et les composantes du socle commun seront réexaminées par le Conseil supérieur des programmes, afin qu’il devienne le principe organisateur de l’enseignement obligatoire dont l’acquisition doit être garantie à tous ».
– « Faire évoluer les modalités d’évaluation et de notation des élèves : les modalités de la notation des élèves doivent évoluer pour éviter une notation-sanction à faible valeur pédagogique et privilégier une évaluation positive, simple et lisible, valorisant les progrès, encourageant les initiatives et compréhensible par les familles. En tout état de cause, l’évaluation doit permettre de mesurer le degré d’acquisition des connaissances et des compétences ainsi que la progression de l’élève ».
Dans ces conditions, on peut penser que la « Conférence nationale sur l’évaluation des élèves » de décembre prochain devrait être l’occasion de faire »bouger les lignes » sur la façon d’envisager la problématique de l’évaluation en s’emparant de ce qui se fait dans dans d’autres pays et des expériences faites en France même, pour aboutir finalement à quelques recommandations d’ordre général.
Mais les propositions de »préconisations » (précises et opératoires) dans le domaine de l’évaluation (conformément à la « Loi sur la refondation de l’Ecole ») devraient être du ressort du Conseil supérieur des programmes, en articulation étroite avec ses préconisations en matière de programmes et de maîtrises de tel(s) ou tel(s) type(s) de connaissances et/ou compétences.
Il reste à bien prendre la mesure que si les problèmes d’évaluation ont certes des aspects »techniques » ( »scientifiques »si l’on veut), ils ont également des dimensions »politiques » non moins incontournables.
On ne saurait trop, à cet égard, conseiller la lecture de certains passages du livre de Roger-François Gauthier, un membre éminent du Conseil supérieur des programmes ( « Ce que l’école devrait enseigner, pour une révolution de la politique scolaire en France », publié chez Dunod)., notamment le chapitre « En quoi la machine à évaluer est-elle devenue folle ? », et une problématique (d’ordre politique) fondamentale ( pages72-73) : « De deux choses l’une : ou bien toutes les évaluations des élèves sont là d’abord pour sélectionner, auquel cas il ne faut peut-être rien changer à l’existant ; ou bien on considère que ce que les élèves doivent apprendre est multiple et complexe, et alors on voit bien dans quel sens on doit agir. En résumé la devise devrait être de faire dépendre l’ensemble des pratiques d’évaluation des élèves du curriculum et non l’inverse ! ».
Et, pour faire bonne mesure, une dernière citation (page 67-68) : « En première approche, le système éducatif français peut sembler idéaliser et même sacraliser les savoirs. Pourtant, il se montre étonnamment léger […] en se fondant sur cet objet étrange et complaisant qu’est le calcul de la moyenne . Et pas seulement à l’intérieur d’une discipline, mais entre toutes les disciplines, quelques disparates qu’elles soient. La non-maîtrise d’une compétence fondamentale dans une discipline disparaît dès qu’on »compense » ladite discipline par une autre.. ».
Cela se comprend si l’essentiel, en réalité, est de »classer » ( socio-scolairement). Mais cela révèle, in fine, une indifférence extraordinaire (et généralement inaperçue) aux acquis réels des élèves, à leurs maîtrises de tel(s) ou tel(s) savoir(s), savoir-faire ou savoir-être . Les »moyennes », la »moyenne des moyennes », une vraie question politique en fin de cause !
Ces rappels de Claude Lelièvre sont très intéressants. Je suis toujours impressionnée par sa connaissance de ce qui est écrit sur l’école.
Par contre, je suis toujours mal à l’aise sur les caricatures autour de la machine à trier. Tous les pays du monde ont une diversité de parcours après 15 ans, et le processus d’affectation dans les parcours peut être caricaturé en machine à trier dans tous les pays. TOUS. Pour l’instant je n’ai pas trouvé d’exception. La Finlande met des notes après 11 ans, et les lycées sont sélectifs. L’Allemagne qui avait supprimé les notes au collège les a remises.
Il est impossible, de traiter les mécanismes qui font la discrimination, sans reconnaître qu’il est impossible d’échapper à l’affectation dans une diversité de parcours à 15 ans. C’est-à-dire la caricature inadaptée de la « machine à trier » est le principal frein à la réflexion nécessaire pour permettre de diminuer les biais sociaux dans les affectations de parcours.
Au collège, le principal problème n’est pas les notes. Mais le fait que, à cause de la doctrine imposée par les cadres dominants de l’éducation nationale « on doit travailler le Français dans toutes les matières », les jeunes ayant de fortes lacunes en expression, se retrouvent devant des contrôles qui ne peuvent pas réussir dans toutes les matières, quelle que soit leur connaissance des concepts et notions de la matière et quels que soient leurs efforts.