Alors que l’apprentissage du français est mis actuellement au premier plan des préoccupations scolaires, la question des horaires qui lui sont dévolus resurgit (même si le temps qui lui est imparti ne peut être que l’une des dimensions du problème posé).
Afin de suivre des évolutions qui peuvent être comparées (et comparables) sur un temps long, le mieux est de s’en tenir aux classes de l’école élémentaire, celle qui a concerné tout le monde depuis le début de la troisième République.
Les Instructions officielles du 2 août 1882 (signées Jules Ferry), indiquent que « l’enseignement du français (exercices de lecture, lectures expliquées, leçons de grammaire, exercices orthographiques, dictées, analyses, récitations, exercices de composition, etc) occupera tous les jours environ deux heures » et que « le temps consacré aux exercices d’écriture proprement dits sera d’une heure par jour dans le cours élémentaire, et se réduira graduellement à mesure que divers devoirs dictés ou rédigés pourront en tenir lieu ».
L’arrêté du 18 janvier 1887 indique que « l’enseignement du français occupera tous les jours environ deux heures », et que « l’écriture emploiera une heure par jour dans le cours élémentaire ». La semaine scolaire est alors de cinq jours de classes d’une durée de six heures. On a donc 10 heures d’enseignement du français (sur 30 heures d’enseignement) par semaine soit un tiers du temps scolaire (et non pas la moitié comme il est dit souvent), auxquels s’ajoutent 5 heures d’écriture dans les deux cours élémentaire (CE1 et CE2)
L’article « Organisation pédagogique des écoles primaires publiques » du « Nouveau dictionnaire de pédagogie » publié en 1911 sous la houlette de Ferdinand Buisson (qui a été pendant dix-sept ans le directeur de l’enseignement primaire) précise : « A propos de l’emploi du temps, on s’est plaint d’une réglementation trop minutieuse et absolue, en ce qui concerne surtout le nombre d’heures à attribuer par semaine à l’enseignement de chaque matière : ces règles trop précises et trop sévères gêneraient l’action des maîtres, paralyseraient leur initiative et contribueraient pour une bonne part à donner à notre enseignement primaire élémentaire le caractère abstrait, verbal, qu’on serait en droit de lui reprocher. Ces critiques semblent exagérées. L’arrêté du 18 janvier 1887, en son article 19, n’est pas rédigé en des termes absolument impératifs : il y est question de moyennes, de minima, et le mot « environ » y figure en plusieurs endroits à propos de la répartition des heures. L’article 18, d’ailleurs, en confiant au directeur de chaque école le soin de dresser son emploi du temps, prouve bien que l’intention des rédacteurs des règlements organiques n’a pas été d’enlever à l’instituteur toute liberté […]. Les règles édictées sont assez précises pour que l’uniformité des programmes soit partout maintenue, assez élastiques cependant pour qu’on puisse les appliquer aux situations diverses et aux besoins particuliers de chaque école ».
Les Instructions du 20 juin 1923 opèrent une évolution sensible . Elles sont plus impératives, plus »classifiées ». Et le temps dévolu à l’apprentissage du français est plus long. 17 heures 30 au CP , 14 heures aux cours élémentaires, 11 heures 30 aux cours préparatoire (soit 14 heures en moyenne par semaine sur 30 heures d’enseignement)
« Lecture courante et expressive » : 10 H au CP, 7 H au CE, 3 H au CM. « Ecriture » : 5 H au CP, 2 H 30 au CE, 1H 30 au CM. « Langue française » : 2 H 30 au CP, 5 H au CE, 7 H au CM.
Les Instructions du 17 octobre 1945 sont de même facture, mais avec un temps consacré à l’apprentissage du français un peu diminué. 15 heures au CP, 14 heures aux cours élémentaires, 11 heures aux cours moyens (soit 13 heures en moyenne par semaine sur 30 heures d’enseignement)
« Lecture » : 10 H au CP, 6H 30 au CE, 3 H 30 au CM. « Ecriture » : 2 H 30 au CP, 2 H 30 au CE, 1 H 15 au CM. « Langue française » : 2 H 30 au CP, 5 H au CE, 6 H 25 au CM.
Evolution majeure (dans le cadre de ce que l’on a appelé le »tiers temps pédagogique ») avec l’arrêté du 7 août 1969 (signé Olivier Guichard, sous la présidence de Georges Pompidou) : « Français : 10 heures » (sans autres précisions ou déclinaisons selon les niveaux de classe). 10 heures en moyenne sur 27 heures d’enseignement par semaine (car le samedi après-midi n’est plus travaillé).
Avec l’arrêté du 23 avril 1985 (signé Jean-Pierre Chevènement), on retrouve une certaine déclinaison horaire selon les niveaux de classe : 10 heures au CP, 9 heures au CE1, 8 heures au CE2 et dans les deux CM.. Et la moyenne du temps dévolu à l’apprentissage du français est à la baisse : 8 heures 40 sur 27 heures d’enseignement par semaine (en pleine évocation d’une promotion du »lire, écrire, compter »).
L’arrêté du 22 février 1995 (signé François Bayrou ) revient à un horaire uniforme pour chaque classe de l’élémentaire : 9 heures dévolus à l’enseignement du français (sur 26 heures d’enseignement par semaine)
L’arrêté du 25 janvier 2002 (signé sous le ministère de Jack Lang) est d’une facture beaucoup plus complexe. Pour le cycle des apprentissages fondamentaux (au CP et au CE1) de 9 heures (minimum) à 10 heures (maximum) pour ce qui concerne « la maîtrise du langage et de la langue française ». Pour le cycle des approfondissements : « littérature (dire, lire, écrire) » de 4 heures 30 (minimum) à 5 heures 30 (maximum) et « langue française (grammaire, conjugaison, orthographe, vocabulaire) » de 1 heure 30 (minimum) à 2 heures (maximum). Soit en moyenne (et entre le »minimum » et le »maximum ») 8 heures dévolus spécifiquement à l’enseignement du français (sur 26 heures d’enseignement par semaine . Etant entendu qu’il est précisé dans cet arrêté que l’apprentissage du français doit se faire aussi à travers d’autres domaines, avec notamment l’obligation de faire chaque jour au moins 2 heures 30 de lecture-écriture au CP et au CE1, et deux heures au cycle des approfondissements
L’arrêté du 19 septembre 2008 (signé Xavier Darcos) fait un retour marqué aux horaires fixes imposés (et au label unique « le français ») : 10 heures pour le CP et le CE1, 8 heures pour le cycle des approfondissements. Soit en moyenne 8 heures 45 dévolus à l’enseignement du français sur 24 heures d’enseignement par semaine ( le samedi matin étant désormais en principe non travaillé).
In fine, la proportion du temps alloué spécifiquement à l’apprentissage du français est le même que dans les débuts de la troisième République, à savoir un bon tiers.
Vous écrivez: « littérature (dire, lire, écrire) » de 4 heures 30 (minimum) à 5 heures 30 (maximum) et « langue française (grammaire, conjugaison, orthographe, vocabulaire) » de 1 heure 30 (minimum) à 2 heures (maximum). Soit en moyenne (et entre le »minimum » et le »maximum ») 8 heures dévolus spécifiquement à l’enseignement du français »
8 heures en moyenne pour un min de 6h et un max de 7h30, ça va être difficile. Pour le français je ne sais pas mais pour les maths il est urgent d’en refaire quand on voit que même un agrégé de philo n’a pas la compréhension basique dans la matière.
Et comparer des moyennes d’aujourd’hui et d’hier n’a pas de sens. Si demain on réduit la semaine de cours à 9h en y mettant 3h de français, allez-vous dire que l’on est toujours à un tiers et que donc tout va bien?
Mon calcul de moyenne est toujours fait dans cet article (pour les horaires »Lang » comme pour les autres ) sur l’ensemble des classes de l’élémentaire). Je sais donc compter; mais vous avez du mal à comprendre.Parce que cela vous dérange ( un peu)?
Sur le fond:
A vous lire on comprend:
En 1887: 10+5=15h sur 30 (50%)
En 1923: 14h sur 30 (47%)
En 1945: 13h sur 30 (43%)
En 1969: 10h sur 27 (37%)
En 1985: 8h40 sur 27 (32%)
En 1995: 9h sur 26 (35%)
En 2008: 8h48 sur 24 (37%)
Donc contrairement à votre conclusion une assez forte baisse en proportion, mais surtout une forte baisse en volume, et c’est cette comparaison qui a du sens ici, la comparaison des proportions n’en a pas.
Je suis prof de maths, je pense savoir comment on calcule une moyenne. Sinon non ça ne me dérange pas (*), je pense juste que vous faites une mauvaise interprétation de notions mathématiques que vous ne semblez pas maîtriser.
(*) Je ne pense pas que comparer des horaires entre 1887 et 2015 ait beaucoup de sens, les contenus étant sans doute très différents.
Ça y est j’ai compris: je n’avais pas pris le calcul de la moyenne au début du paragraphe. Mes excuses donc, le calcul est juste (7h51 en moyenne exactement). Ce n’est pas à vous de revoir vos maths, c’est à moi de revoir mon français!
Y. Le Meur. Votre pourcentage est erroné pour 1887, puisque les horaires d’écriture surajoutés ne valent que pour les deux cours CE1 et CE2 (sur les cinq cours de l’élémentaire). Si j’ai centré sur les moyennes, c’est parce qu’il est souvent dit que l’un des problèmes serait la diminution de la place dévolue au français dans l’ensemble des apprentissages en faveur d’autres matières.
En réalité, pour l’essentiel, c’est la diminution des temps de classe qui a entraîné une forte baisse (tout à fait effective et que je ne cache nullement)en volume.
La durée hebdomadaire de la classe dans l’école élémentaire est en effet désormais de 24 heures contre 30 heures (jusqu’en 1969, et 27 heures à partir là). Et en tenant compte aussi de l’allongement progressif des vacances scolaires (qui a eu lieu surtout durant l’entre-deux guerres), on est passé d’une durée horaire de l’année scolaire de 1340 heures en 1894 à 864 heures lors de la réforme de Xavier Darcos de 2008. On est donc passé en réalité de 490 heures par an dévolus à l’enseignement du français durant les débuts de la troisième République à 315 heures (soit une diminution effective de 175 heures par an, 35% de moins in fine…)
Et c’est bien cette diminution en volume qui a du sens.
Merci pour ce dernier éclairage. La comparaison en proportion n’a pas franchement de sens, effectivement. Que ne l’avez-pas mis davantage en lumière !
Si vous ne l’avez pas encore vu, des discussions sur votre article ont lieu là: http://www.neoprofs.org/t86699-claude-lelievre-pas-de-baisse-tendancielle-des-horaires-de-francais-depuis-1882-un-article-tendancieux
A Y. Le Meur et Living in Harmony. Cela n’a pas le même sens (s’il s’agit non pas de se plaindre mais d’envisaqer quoi faire effectivement)de croire que l’essentiel du problème est la diminution relative de la place du français (ce qui est pour l’essentiel faux, et c’est important de le voir) ou la diminution générale (historique) des horaires de classe. Les types de solution (s’il y en a de véritablement praticables) ne peuvent en effet n’être guère du même ordre…
Vos chiffres pour le primaire sont certainement incontestables, Monsieur Lelièvre, mais le titre de votre billet ne laisse pas entendre qu’il portera exclusivement sur le primaire.
Dans le secondaire, la situation est extrêmement différente, l’horaire au collège a énormément baissé depuis 40 ans, peut-être pourrez-vous nous indiquer les chiffres exacts ?
Mais pensez à tous les professeurs de français en collège qui se débattent avec des exigences démesurées dans un temps limité, ils risquent d’être nombreux à s’étrangler en lisant votre titre !!!
A Viviane Youx. Mon titre est interrogatif . Et je précise dès le début de mon texte pourquoi il portera uniquement sur l’élémentaire et pour quelle raison. Une comparaison sur le temps long (qui est sans doute mon péché mignon) ne peut être faite pour les classes qui suivent. Merci de porter attention à que j’écris. Mais je ne prétendais nullement épuiser le sujet (les horaires ne sont d’ailleurs que l’un des aspects du problème, et peut-être pas le plus important, qui sait?)
Le raisonnement en proportion est une façon de masquer la baisse tendancielle en volume qui, elle, est incontestable. Et c’est le volume qui compte pour la formation de l’élève.