La mise en place de la « scolarité obligatoire » et ses allongements successifs n’ont pas eu lieu sans difficultés (voire ambiguïtés) récurrentes.
La loi »Ferry » du 28 mars 1882 rend l’instruction obligatoire pour les enfants des deux sexes et précise qu’elle peut être donnée dans des écoles publiques ou des écoles privées, ou bien encore dans la famille. « L’instruction obligatoire » est donc le principe qui fonde (et qui dépasse ou englobe) « l’obligation scolaire ». Elle fixe la durée de scolarisation »obligatoire » de six ans révolus à treize ans révolus. Mais cette durée de scolarisation peut être diminuée si l’élève obtient le certificat d’études, auquel il est en droit de se présenter dès l’âge de onze ans.
Jean Zay, ministre radical sous le Front populaire, fait voter le 9 août 1936 une loi qui porte à quatorze ans révolus (treize pour les titulaires du certificat d’études primaire) l’obligation scolaire. Une classe dite de « fin d’études », avec un programme ad hoc, est créée. Jean Zay, devant certaines réticences qui peuvent parfois être très vives, est amené à la justifier par des « attendus » (qui sonnent d’ailleurs quelque peu curieusement aujourd’hui) :« Cette classe ne saurait à aucun degré être considérée comme un refuge pour les enfants incapables de faire autre chose. Elle recevra beaucoup d’excellents éléments qui, pour des raisons variées, ne chercheront pas leur place dans le second degré […]. La classe finale de la scolarité est faite pour le grand nombre, et dans ce grand nombre il se trouve une quantité de sujets d’une très bonne qualité intellectuelle ».
Cela fait plus d’un demi-siècle que l’Ordonnance du 6 janvier 1959 signée par Charles de Gaulle (chef du gouvernement) et Jean Berthoin (ministre de l’Education nationale) a décidé que «l’instruction sera obligatoire jusqu’à l’âge de seize ans révolus pour les enfants qui atteindront l’âge de six ans à partir du 1° janvier 1959 ».
Dix ans après la mise en place effective de l’instruction obligatoire jusqu’à 16 ans (en 1967), un sondage est effectué par la SOFRES en décembre 1977 auprès d’un ‘’échantillon représentatif’’ des enseignants à qui l’on pose la question suivante : » A quel âge l’interruption de la scolarité obligatoire devrait-elle être possible : à 14 ans, à 16 ans, ou à 18 ans ? « . 48% des enseignants se prononcent pour 14 ans (et 12% pour 18 ans).
Ces enseignants (et leurs élèves) n’avaient pourtant alors connu que le CES ( le ‘’ collège d’enseignement secondaire’), c’est à dire un collège à filières dûment organisées ( »caractérisées par leurs pédagogies propres « ) : la voie I (dite ‘’classique et moderne longue’’, encadrée par des professeurs certifiés ou agrégés), la voie II (dite ‘’moderne court’’ , encadrée par des maîtres de cours complémentaires rebaptisés PEGC), la voie III (dite ‘’transition – pratique’’, encadrée par des instituteurs). C’est seulement en 1975 que la loi dite Haby a institué le ‘’collège unique’’ (en principe sans ‘’filières’’) dont les décrets d’application ne sont sortis qu’en décembre 1976, et dont la mise en place effective n’a guère commencé qu’en 1977.
En septembre 1985,, en plein ministère Chevènement, la SOFRES repose la même question à un ‘’échantillon représentatif’’ d’enseignants. 42 % d’enseignants (6% de moins qu’en 1977) se prononcent pour la possibilité d’interruption de la scolarité à 14 ans, et 15% pour la repousser jusqu’à 18 ans (3% de plus qu’en 1977).
Dans un sondage publié dans « Le Monde de l’éducation » en avril 2002, 64% des enseignants sondés se prononcent pour que l’on rétablisse « une orientation possible des élèves avant la troisième » et ne sont plus que 5% en faveur d’un « allongement de la scolarité obligatoire à 18ans ». On n’arrête pas le progrès.
Peut-être que les enseignants évoluent vers plus de réalisme.
La coupure à 15 ans correspond à une évolution de la maturité humaine; l’âge où il n’est plus possible d’imposer des contraintes à un jeune qui ne les a pas choisies. Ce n’est pas un hasard si, dans l’antiquité, dans la plupart des civilisations, le rite de passage entre enfant et adulte est à 13 ans.
Un lycée fonctionnant comme le nouveau collège ne peut pas fonctionner. Il y a eu déjà plusieurs tentatives dont en Italie et en Finlande. Autrement, nous sommes dans des systèmes où le privé compense (Etats-Unis avec leur lycée « prépa » pour faire le score aux tests pour rentrer dans les plus prestigieuse université). Malheureusement, c’est le dernier dogme à la mode.
Je pense que l’idée de l’orientation précoce va disparaître si le nouveau collège fonctionne. N’oublions pas que, dans le collège d’aujourd’hui, un enfant qui arrive en 6ème en maîtrisant insuffisamment la lecture est condamné à finir en fin de 3ème avec des savoirs extrêmement faibles et une estime de soi détruite. On ne met pas les moyens pour rattraper les retards. Et à partir de la 4ème, ils sont devant des devoirs que quels que soient leurs efforts, ils ne peuvent pas réussir. Pour ces élèves-là, dans le collège d’aujourd’hui, une orientation précoce est objectivement la moins mauvaise solution.
Autrement, merci pour cet article : les faits historiques sont très intéressants. Je lis toujours vos articles avec beaucoup d’intérêt.